Une matinée de madame Geoffrin, comédie en un acte mêlée de vaudevilles, de Demautort, 3 thermidor an 13 [22 juillet 1805].
Théâtre du Vaudeville.
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Titre :
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Une matinée de madame Geoffrin
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Genre :
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comédie
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Nombre d'actes :
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1
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Vers / prose
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prose avec couplets en vers
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Musique :
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vaudevilles
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Date de création :
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3 thermidor an 13 [22 juillet 1805]
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Théâtre :
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Théâtre du Vaudeville
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Auteur(s) des paroles :
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de Mautort
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Almanach des Muses 1806.
Courrier des spectacles, n° 3079 du 4 thermidor an 13 [23 juillet 1805], p. 2-3 :
[Le critique n’a pas aimé qu’on mette madame Geoffrin sur la scène, et il s’attache à montrer les insuffisances de la pièce. L’anecdote qui sert de point de départ à la pièce est le fameux cadeaux annuel fait à ses amis : du velours pour se faire une culotte, devenue dans la pièce une veste bleue, pour respecter les bienséances. Il s’agit de marier la nièce de madame Geoffrin, mais la fameuse veste bleue est source d’une série de malentendus, l’homme de lettres prévu comme futur mari venant sans l’avoir revêtue, et un valet la portant : double malentendu, qui fait traiter l’écrivain comme un domestique, d’abord par le valet indûment vêtu de velours, puis par sa future épouse. Tout s’arrange naturellement, puisqu’on est au vaudeville. C’est maintenant le moment de porter un jugement. Il est bien sévère. D’abord la pièce est présentée comme une invraisemblable accumulation d’activités dans cette matinée : trop chargée, cette matinée. Ensuite, le portrait fait de la spirituelle madame Geoffrin et de ses invités ne correspond pas à la réalité de cette « femme d’une conversation simple et négligée », qui ne se serait pas abaissée à des calembours. De même les hommes de lettres de son salon n’auraient jamais aligné les pauvres propos littéraires qu’on leur prête. Ils sont plus généralement présentés comme « des malheureux manquant de pain et d’habit ». Ce n’était pas des auteurs « de mauvais vaudevilles ». Enfin, s’il est posible de trouver dans la pièce « quelques lueurs d’esprit », on y trouve plutôt « beaucoup de pointes d’un très-mauvais goût, peu d’idées justes, peu de liaison dans les scènes, un grand nombre de réminiscences qu’on pouvoit négliger, et des calembourgs bien dignes de Jocrisse et de M. Vautour ». Et ces éléments hétéroclites sont des emprunts « à tout le monde ». Le succès a été disputé, et l’auteur n’a point été nommé. Mais le critique y a reconnu « un descendant de Fadius [pour Vadius] et de Trissotin ».]
Théâtre du Vaudeville.
Une Matinée de Mad. Geoffrin.
Tout le monde sait que la maison de Mad. Geoffrin étoit le rendez-vous des hommes de lettres les plus distingues de son tems ; que tous les ans, au premier jour de janvier, elle leur faisoit présent d’une quantité suffisante de velours pour augmenter leur garde robe de cette partie de l’habillement qui n’est ni un habit, ni une veste. Linguet est le premier qui se soit amuse de ce singulier présent. Un auteur qui n’a pas l’esprit de Linguet a voulu s’en amuser aussi ; mais il n’a pas osé revêtir ses acteurs du costume véritable. Par respect pour les bienséances, il a supposé que c’étoit une veste bleue que madame Geoffrin donnoit à ses amis, et c’est de cette veste que sort toute l’intrigue de la pièce nouvelle.
L’auteur suppose que Mad. Geoffrin élève chez elle une nièce jeune, jolie et spirituelle, nommée Aglaé ; elle se dispose à la marier, et l’époux qu’elle lui destine est, comme de raison, un homme de lettres. Aglaé ne l’a pas vu, et l’attend avec beaucoup d’impatience ; elle se flatte de le reconnoitre, dès qu’il paroîtra, au costume distinctif des amis de sa tante.
Mais Saint-Léger, pressé de voir la belle Aglaé, qu’il ne commit pas non plus. arrive en simple négligé. D’un autre côté, Dubois, valet d’un homme de lettres qui vient de mourir, se présente chez Madame Geoffrin pour entrer à son service. Comme il a hérité de la garde-robe de son maître, il est aussi revêtu du costume bleu. Madame Geoffrin l’admet, et le charge de recevoir les personnes qui se présenteront.
A l’arrivée de Saint-Léger, Dubois qui ne reconnoît point le costume d’étiquette, se persuade que le jeune homme est un laquais élégant, qu’on veut engager pour Aglaé. Saint-Léger, qui voit Dubois paré de la veste d’uniforme, le prend pour un homme de lettres, et de cette double méprise résulte une scène assez gaie, mais dont l’auteur pourroit tirer un meilleur parti.
Dubois toujours persuadé que Saint-Léger est un confrère, en agit avec lui avec familiarité, et le présente à Aglaé comme un camarade. Aglaé donne dans la même méprise, et se doute si peu qu’elle est en présence de sou futur époux, que dès ce moment même elle lui parte avec beaucoup de hauteur, et lui donne des ordres, qu’il exe'cute fort obligeamment. Enfin Mad. Geoffrin fait cesser cette erreur. Saint-Léger reparoît dans un costume plus élégant et plus riche, et Aglaé consent volontiers à devenir son épouse.
Cette pièce est intitulée : Une Matinée de Madame Geoffrin. Il est bien difficile que cette femme célèbre ait fait dans une matinée tout ce que l’auteur lui attribue. Elle cause d abord avec son portier ; elle engage ensuite un valet ; puis elle reçoit la visite des hommes de lettres ; elle admet St.-Léger ; elle donne audience à un envoyé du Roi de Pologne, elle disserte sur Jean-Jacques et Jean-Baptiste Rousseau, sur Jean Lafontaine, sur Despréaux, sur Racine, etc. Elle fait l’éloge d Homère, dont le buste est placé dans son salon ; elle traite du mariage de sa nièce, elle la fait broder, et dit tous les rebus qui lui passent par la tête.
Mad. Geoffrin étoit une femme d’une conversation simple et négligée ; jamais elle ne fit de calembourgs, Il est bien difficile à un auteur de vaudevilles, qui met tout son es prit en jeux de mots, de faire parler convenablement les personnages célèbres des derniers siècles. Rien n’est moins spirituel que la scène où les gens de lettres réunis dissertent entr’eux sur les Grecs et sur les Romains ; on jugera de leur style par leur jugement sur Homère : Il nous éclaira, et il étoit privé de la lumière. Assurément, ni Thomas, ni Marmontel, ni d’Alembert ne se fussent exprimés de cette manière.
L’auteur a cru se rendre plaisant en représentant les gens de lettres comme des malheureux manquant de pain et d’habit. Tous les gens de lettres ne font pas de mauvais vaudevilles, et il n’y a guères que les Colletet et les Colin de nos jours qui soient réduits à vivre aux dépens d’autrui.
On trouve dans cette pièce quelques lueurs d’esprit ; beaucoup de pointes d’un très-mauvais goût, peu d’idées justes, peu de liaison dans les scènes, un grand nombre de réminiscences qu’on pouvoit négliger, et des calembourgs bien dignes de Jocrisse et de M. Vautour. L’auteur pauvre de son propre fonds, a emprunté a tout le monde ; il a parodié jusqu’à l’anecdote plaisante de la mort de Pindare, si plaisamment pleuré par Cha pelle ; mais quelle parodie !
Le succès de cet ouvrage a été mêlé de bonne et mauvaise fortune ; mais la mauvaise fortune l’a emporté, et l’auteur n’a point été nommé. Quelques personnes ont soupçonné que ce devoit être un descendant de Fadius et de Trissotin.
Mercure de France, littéraire et politique, tome vingt-unième (an xiii), n° CCXII du 8 Thermidor an 13 (Samedi 27 Juillet 1805), p. 275-278 :
Théatre Du Vaudeville.
Une Matinée de madame Geoffrin.
On a parlé diversement de madame Geoffrin, dont on a essayé de faire un personnage historique, et qui tient sa place, comme un autre, dans les dictionnaires des hommes célèbres, où l'on trouve à la vérité une foule innombrable de noms inconnus. Les uns n'ont vu en elle qu'une pédante tourmentée de la passion de la célébrité, sans aucun titre pour y prétendre ; qu'une femme sans esprit, sans instruction, sans goût pour les beaux arts, quoiqu'elle fût entourée d'artistes et de gens de lettres. La Harpe prétend ne lui avoir jamais entendu proférer une parole remarquable ; mais on sait que ce littérateur était d'un goût excessivement difficile; car on cite de mad. Geoffrin, plusieurs mots qui ne manquent pas de sel.
D'autres ont trouvé tout simple qu'elle eût préféré la société des hommes les plus distingués de son siècle, par les talens, le goût, la naissance, à celle de quelques caillettes, ou à d'insipides amusemens. Ils ne l'ont point blamée d'avoir voulu être heureuse à sa manière, et d'avoir cherché son bonheur où elle espérait le trouver. Marmontel la peint comme une femme faible qui aimait à obliger, mais qui craignait encore plus de se compromettre ; qui ayant des sentimens religieux, et vivant avec des hommes qui les regardaient comme des préjugés, allait à l'église en catimini.
L'auteur du Vaudeville n'a pris aucun parti dans cette querelle. Chez lui, cette femme presque célèbre est un personnage insignifiant, et pouvait aussi bien se nommer ma Tante Aurore que madame Geoffrin ; elle ne semble être là que pour répéter qu'elle aime les arts, et pour marier une nièce. Ce n'est pas sous ce rapport seul que l'espérance du public a été déçue. On s'était imaginé que la Matinée de madame de Geoffrin serait le pendant de la Soirée d'Auteuil. On s'attendait à voir ressusciter l'élite des beaux esprits du siècle dernier. On n'a vu que quatre misérables qui ne rendent pas, dit-on, les livres qu'on leur prête, que des affamés qui annoncent au laquais de madame Geoffrin qu'ils viendront dîner avec elle, et qu'ils n'y manqueront pas. Rien n'empêchait d'abord de croire qu'il y eût parmi eux trois muets. Car la première fois qu'ils se montrent, il n'y a qu'une espèce de chef de file qui dise quelques mots à la maîtresse de la maison. En attendant dîner, pour se débarrasser de l'ennui qu'ils lui causent, elle les confine dans sa bibliothèque, où elle les envoie faire des recherches sur la vie d'Homère, dont le buste est dans son salon. Elle a d'ailleurs à conclure une affaire à laquelle leur présence n'est aucunement utile.
Sa nièce Aglaé est aimée d'un jeune littérateur qu'elle ne connaît point : il se présente sans la veste bleue et brodée, dont madame Geoffrin fait présent à tous les gens de lettres admis dans sa maison. C'est un autre vêtement, comme on sait, qu'elle leur donnait chaque année pour étrennes. Mais l'auteur a cru que la décence exigeait cette légère altération dans l'histoire anecdotique du 18e siècle. Saint-Léger, c'est le nom de l'amant, n'ayant pas la veste d'uniforme est pris par Aglaé pour un nouveau laquais attendu ce jour-là dans la maison ; ce qui donne lieu à une scène très-agréable. La jeune personne l'avertit de ce qu'il doit faire pour que son service lui soit agréable, lui déclare qu'elle est très-vive et très-exigeante : elle lui donne quelques commissions, et il court s'en acquitter en disant :
Amans, nous sommes des valets,
Maris, nous sommes des esclaves.
Le véritable laquais arrive ; son dernier maître était un des beaux esprits de la société de madame Geoffrin, et a laissé en mourant pour tous gages à son domestique sa modeste garderobe. La veste brodée s'y trouvait, le pauvre hère s'en est paré. S. Léger le prend pour un auteur, ce qui fait naître un autre quiproquo. Enfin tout se débrouille, le mariage est convenu, et on se dispose à l'aller célébrer en Pologne dans le palais du roi, qui a envoyé un seigneur de sa cour inviter madame Geoffrin à y venir faire cette noce.
Le quatuor de savans sorti de la bibliothèque reparaît sur la scène. Cette fois, on s'aperçoit qu'aucun d'eux n'est muet. Homère est le sujet d'une jérémiade que l'impatience du public a fort abrégée : on a compris que les quatre idiots allaient pleurer la mort de ce prince des poètes, comme Chapelle avait pleuré celle de Pindare. On ne leur a pas donné le temps d'achever leurs lamendations [sic]. La pièce a fini au milieu des sifflets et des applaudissemens.
Elle aurait eu un sort moins équivoque si on l'avait intitulée tout uniment les quiproquos, seul titre qui lui convînt. Le nom de madame Geoffrin lui a fait tort parce qu'il annonçait autre chose qu'un improglio [sic], et que l'attente trompée donne toujours de l'humeur. Il y a dans ce vaudeville une prodigieuse quantité d'anthithèses [sic], de pointes, de jeux de mots, de calembourgs; mais il s'y trouve aussi des traits heureux et deux ou trois jolies scènes. Le triste rôle de madame Geoffrin a été joué par une actrice qu'on ne voit guère que dans les caricatures , ce qui n'a pas contribué à le faire paraître meilleur. Mademoiselle Desmares a rendu celui d'Aglaé avec beaucoup de finesse et d'agrément. Sans elle la chute eût été plus marquée. On dit que la seconde représentation a été moins malheureuse, et que l'auteur (M. De Mautort) a été nommé ; elle ne peut avoir obtenu qu'un succès factice. Le sujet est mal conçu ; mais l'exécution prouve que l'auteur n'est pas incapable de mieux faire, et qu'il ne manque ni d'esprit, ni même de talent ; sur-tout de celui de bien tourner un couplet.
L’Esprit des journaux français et étrangers, tome I, vendémiaire an 14 [septembre 1805], p. 289-290 :
[Associé à celui de deux autres nouveautés, compte rendu rapide d’une de ces multiples pièces consacrées à des personnages illustres, ici la spirituelle madame Geoffrin. Hélas, l’auteur a choisi d’illustrer une anecdote sans intérêt, et le critique ne retrouve « aucune ressemblance caractéristique et piquante de la femme bel esprit et des habitués de sa réunion ».]
THÉATRE DU VAUDEVILLE.
Mme. Geoffrin. — Mlle. Gaussin. — Les Templiers.
Le joyeux Vaudeville, après avoir consacré dans son petit Oratoire les petites images de beaucoup de grands hommes, avait essayé d'en grouper encore quelques-uns autour de madame Geoffrin, qui leur dut en effet quelques instans de célébrité ; mais on a trouvé que l'auteur avait assez mal choisi son cadre ; que loin de faire briller ses portraits, il en avait
livré les modèles à une sorte de ridicule ; que l'anecdote du velours donné pour étrennes à ces messieurs, par une femme, n'était pas fort nécessaire à rappeller, et qu'en général on ne pouvait démêler dans le tableau aucune ressemblance caractéristique et piquante de la femme bel esprit et des habitués de sa réunion.
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