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Du Belloy, ou les Templiers
Du Belloy, ou les Templiers, vaudeville en un acte, de Chazet et Lafortelle, 1er fructidor an 13 [19 août 1805].
Théâtre du Vaudeville.
Titre : | Du Belloy, ou les Templiers |
Genre : | vaudeville (parodie) |
Nombre d'actes : | 1 |
Vers/prose ? | prose, avec des couplets en vers |
Musique : | vaudevilles |
Date de création : | 1er fructidor an 13 [19 août 1805] |
Théâtre : | Théâtre du Vaudeville |
Auteur(s) des paroles : | Chazet et Lafortelle |
« Parodie » (ce n’est pas si évident !) de la tragédie de Raynouard les Templiers, cette pièce est signalée dans l’Almanach des Muses sous le seul titre de les Templiers.
Du Belloy, dont Chazet et Lafortelle font le héros de leur pièce avec Piron, n'a pas de rapport avec Raynouard, l'auteur des Templiers de 1805. Né en 1727, mort en 1775, il est comédien et auteur de théâtre. Pour devenir comédien, il a renoncé à son nom, Pierre-Laurent Buriette, et s'est fait appeler Dormont de Belloy. Sa pièce la plus connue est le Siège de Calais, une tragédie nationale (il affirme un peu vite être l'inventeur du genre). Il s'y fait, à travers l'exaltation du sacrifice des bourgeois de Calais, le chantre du patriotisme français, face aux philosophes volontiers citoyens du monde. La pièce de Du Belloy a été jouée 63 fois à la Comédie Française, de 1765 à 1814 (données de la base Lagrange de la Comédie Française).
Alexis Piron (1689-1773) est surtout resté comme un auteur d'épigrammes qui lui valurent bien des ennemis, mais il a aussi écrit pour le théâtre, notamment la comédie de la Métromanie (1738), un grand succès, puisque, d'après la base Lagrange de la Comédie Française, elle y a été jouée 370 fois de 1738 à 1893.
Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Barba, an 14 (1806):
Du Belloy, ou les Templiers, vaudeville en un acte, Par MM. Chazet et Lafortelle. Représenté, pour la première fois, sur le théâtre du Vaudeville, le premier fructidor an xiii. (1805.)
Courrier des spectacles, n° 3108 du 2 fructidor an 13 [20 août 1805], ^. 2 :
Théâtre du Vaudeville.
Les Templiers.
Les auteurs n’avoient annoncé cette pièce que comme une bleuette sans prétention, et ils n’ont pas tenu plus qu’ils n’avoient promis ; mais cette bleuette est agréable ; elle offre des mots heureux et des couplets bien tournés. Ce n’est point une parodie des Templiers mais quelques idées sur cette pièce. Le jugement n’est ni plus sérieux, ni plus profond qu’il ne convient à un vaudeville. L’ouvrage a eu beaucoup de succès ; les auteurs, qui ont eu les honneurs de l’appel, sont MM. Chazet et Laforlelle
Mercure de France, littéraire et politique, tome vingt-unième, n° CCXVI (6 Fructidor an 13, samedi 24 août 1805) p. 477-480 :
[La critique porte ici essentiellement sur la parodie elle-même (elle est jugée manquée), et ne revient pas sur la pièce parodiée.]
Théâtre du Vaudeville.
Du Belloy ou les Templiers , par MM. Chazet et la Fortelle.
Avant que la toile fût levée, on se demandoit en vain ce que le titre pouvoit indiquer, pourquoi on faisoit du Belloy contemporain de la tragédie des Templiers, dans quelle vue on se permettait cet anachronisme. On aurait encore moins deviné qu'il ne dût pas être question de parodie dans cette affaire. Le couplet d'annonce, en nous l'apprenant, a surpris tout le monde. L'étonnement a redoublé lorsqu'on a entendu dire qu'il ne fallait pas même espérer que ce fût une comédie ; comme si une comédie étoit quelque chose de moins qu'un vaudeville. Cet étrange contre-temps nous a fait concevoir un fâcheux augure pour la pièce ; la fin du couplet ne l'a pas détruit.
Et qu'est-elle donc ? presque rien ;
Mais à vous l'offrir on s'expose;
Car vos bontés, on le sait bien.
De rien font souvent quelque chose.
Ce ton modeste nous a fait croire que les auteurs sentoient avoir besoin d'indulgence. Nous n'avons pu en effet croire que l'intention fût épigrammatique, et qu'on ait voulu dire que la vogue des Templiers est due à la bonté ou à la bêtise du public. Cela n'est cependant pas impossible, et pris dans ce sens, le mot seroit piquant s'il ne manquait pas de vérité.
Je ne sais pourquoi les chansonniers ordinaires du Vaudeville n'ont pas voulu parodier franchement la tragédie des Templiers. Ce n'est point par ménagement pour son auteur, puisqu'ils le critiquent assez crûment, et (contre leur usage) sans adoucir la censure par aucun éloge. D'ailleurs, la plus ingénieuse parodie n'a guère d'autre effet que d'accroître la célébrité d'un ouvrage estimable ; et ce titre ne peut être refusé à celui qui a franchi l'écueil redoutable de l'impression. Quoiqu'il en soit, ce vaudeville n'a aucun caractère prononcé; c'est une parodie manquée, une faible satyre, un très-mauvais canevas de comédie. Il n'est pas néanmoins dénué de tout agrément ; on y trouve un rôle assez gai, celui de Piron ; et un autre de libraire qui est passable ; mais le-principal est sans couleur, et l'intrigue au-dessous de tout ce qu'on a jamais vu, même au Vaudeville. Il était bien impossible à des hommes d'esprit d'imaginer rien de plus misérable, s'il y a là quelqu'imagination. Il paraît qu'ils ont omis de se concerter, car il y a deux actions. Chacun aura probablement arrangé et traité la sienne ; elles n'ont absolument rien de commun.
L'une est fondée sur la détresse de du Belloy, et sur la générosité d'une veuve qui, ayant quinze mille francs de rente, par l'issue d'un procès qu'elle gagne fort à propos, offre au poète sa table et son lit, en tout honneur, s'entend ; ce que l'amour, la reconnaissance ou la nécessité font accepter sans délibération. Il n'y a dans tout cela rien de comique ; Piron, fait à l'occasion du gain de ce procès, un calembourg qui a plusieurs siècles d'existence. Un homme en habit noir et en grande perruque, accourt pour l'annoncer : « Madame, je vole... » « Cet homme-là, dit Piron, en l'interrompant, est votre procureur. »
L'autre action , qui n'est qu'accessoire, et qui cependant remplit presque toute la pièce, roule sur la question de savoir si du Belloy doit faire une tragédie, que lui a commandée un libraire, sur la mort des Templiers. Le sujet lui sourit parce qu'il est national. Néanmoins pour se décider il croit devoir consulter son ami Piron. Avant qu'on entre en matière, celui-ci le félicite sur ses succès, et ajoute :
Enfin , pour comble de bonheur,
Tu n'es pas de l'académie.
L'auteur de la Métromanie n'était pas très-flatté d'un bonheur pareil à celui dont il félicitait du Belloy, et regretta long-temps de se l'être procuré. Du Belloy l'invite à dîner : — « C'est fait, mon ami, je viens d'assister à une séance académique; et qui dort dîne. »
Il lance beaucoup d'autres épigrammes, mais toutes connues. Il y en a une qu'on lui attribue mal-à-propos, et qu'on affaiblit en la déplaçant. On sait, il y a fort long-temps, qu'à cette demande de Vendôme, dans Adélaïde Du Guesclin : Es-tu content , Couci ? Un plaisant du parterre répondit : couci-couci. Ce mot, dont la circonstance fait le plus grand mérite, n'a pas tout-à-fait le même sel dans le vaudeville, où il est amené de force, et où on le voit arriver de loin. On prête encore à Piron d'antres bons mots, ou prétendu tels, qui ne sont pas de lui, et qui courent le monde de temps immémoria ; comme celui-ci, en parlant d'un livre qui reste constamment dans la boutique du libraire :
On devrait mettre qu'il s'y trouve,
Au lieu de mettre qu'il s'y vend.
Il n'y a pas jusqu'à Colletet à qui l'on n'ait pris deux vers assez plaisans ; c'est, comme on dit, voler le tronc des pauvres. Enfin, les interlocuteurs en viennent à l'objet de la délibération ; du Belloy examine si, pour avoir un sujet certain, il peindra le héros de Rome. Il a voulu dire un bon sujet ; car quelque soit celui dont il s'occupe, il sera nécessairement certain. Il renonce aux Romains parce que Corneille est là qui le regarde. Et il ne veut pas non plus mettre des Grecs sur la scène, parce que Racine est aussi là qui le regarde (leurs bustes sont à droite et à gauche.) On voit que du Belloy ne se pique de variété ni dans ses tours, ni dans ses expressions.
Imitera-t-il Shakespear, et placera-t-il, comme lui, un fossoyeur dans ses pièces pour les enterrer ? Non. Reste à discuter le su;et des Templiers. Piron dit que le proverbe qui imputait à ces religieux l'amour du bon vin, les relègue, à ce sujet, dans le domaine du Vaudeville. Dubelloy en relève tous les avantages, en fait sentir toute la dignité. « Je fais des héros des personnages ;
A la fin je les fais brûler. »
Et moi je les enivre,
dit Piron. Le premier insiste ; l'autre soutient que la scène ressemblera à un juri criminel ; ce qui n'était ni le mot, ni la chose usitée en France du temps de ces deux poètes. Du Belloy ne se rend pas ; son ami revient à la charge : – « Songe donc que ta pièces se réduira toute entière à la conjugaison du verbe mourir. » Il a pris cette pointe à un de nos journalistes, lequel l'avoit emprunté lui-même à un infortuné qui le paya bien cher. Parisot se promenant au Luxembourg avec quelques amis, un Scévola ou un Brutus l'aborde, et lui dit : « Tu m'as l'air d'être suspect. – « Oui, répond Parisot, je suis suspect, tu es suspect, il est suspect, nous sommes suspects, etc. » Cette innocente raillerie
Conduisit tristement le plaisant à la Grève.
Au reste il est fort singulier qu'on trouve mauvais qu'il soit parlé de mourir dans un pièce dont le fond est la mort des Templiers.
Le verbe mourir est aussi conjugué fort souvent dans les Horaces.
Quoi, vous me pleureriez mourant pour mon pays ?
Tigres, allez combattre , et nous allons mourir.
Que vouliez-vous qu'il fit contre trois ? – Qu'il mourût.
Ces vers-là, et beaucoup d'autres de la même pièce où le même verbe est employé, ne laissent pas d'être passables. Il en est de même de ceux de Racine où le mot aimer est bien plus fréquemment conjugué. Je ne sais rien de si puéril que de pareilles critiques ; et avec autant de ressources qu'en a M. Chazet, on pourrait se dispenser de faire d'aussi misérables emprunts.
Les deux amis n'étoient pas encore d'accord. Les beaux yeux de la veuve ou de sa cassette terminent la discussion ; elle est d'avis que son amant ne traite que l'amour. Le moyen de résister à cette autorité, d'ailleurs appuyée de celle de Boileau , qui pense que
De cette passion la sensible peinture,
Est pour aller au cœur la route la plus sûre.
Du moins. est-il bien sûr qu'elle u'est pas la seule, qu'il n'y a pas un mot d'amour dans les deux pièces qui passent généralement pour les chefs-d'œuvre de Racine et de Voltaire, et qu'il est loin de dominer dans Cinna, regardé comme celui de Corneille, quoique ce Romain dise à-peu-près à Emilie ;
Je vous aime, madame, ou le diable m'emporte. ''•
Car c'est bien le sens littéral de ces vers :
Je vous aime, Emilie, et le ciel me foudroie,
Si cette passion ne fait toute ma joie.
La mine de l'Amour (si l'on peut parler ainsi), a été si bien exploitée par Racine, que les auteurs tragiques n'ont peut-être rien de mieux à faire que de la laisser un peu reposer, et de fouiller dans celle de la nature qui, ayant plus d'étendue, doit être plus difficile à épuiser.
On a été extrêmement choqué d'entendre le libraire, après avoir offert 3000 fr. de la future tragédie, en-proposer 2000 de plus, si l'on veut la flanquer d'une notice historique. On a trouvé que de tels détails, qui n'ont rien de plaisant, ressemblent trop à la satire personnelle.
En général, ce vaudeville a été jugé fort inférieur au talent reconnu de M. Chazet pour ces bagatelles. II a été très-bien joué par tous les acteurs. Mad. Hervey fait valoir, autant qu'il est possible, le plus insignifiant des rôles. Il n'y avait aucun parti, à tirer de celui de du Belloy, qui n'est pas meilleur. Hyppolite ne laisse rien à desirer dans le rôle de Piron.
Sans les amis, ce vaudeville se serait à peine soutenu. Grâces à eux, il a eu un succès apparent ; mais il n'a pas long-temps à vivre, et les templiers resteront au théatre. Au moyen d'un petit nombre de corrections et de changemens nécessaires, mais faciles, ils occuperaient même une place très-distinguée dans le petit nombre de bonnes tragédies qui ont paru depuis le commencement du 18e. siècle.
Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 10e année, 1805, tome V, p. 197-198 :
[Pour le critique, la parodie n’en est pas une : il s’agit plutôt d’une pièce dans laquelle on propose à un auteur, Du Belloy, le sujet des Templiers, et l’intrigue porte sur la tentative de Piron de le détourner de ce projet, juste bon d’après lui à faire un vaudeville. S’y ajoute une intrigue sentimentale (une riche et jeune veuve qui lui offre sa main : comme c’est original !
THÉATRE DU VAUDEVILLE.
Dubelloy, ou les Templiers.
Ce n'est point une parodie des Templiers, comme plusieurs personnes l’avoient cru, mais un cadre dans lequel on a fait entrer la critique et l'éloge de la tragédie nouvelle.
Dubelloy, connu par plusieurs tragédies nationales, entre autres le Siège de Calais et Gabriel de Vergy, se trouve dans un grand embarras, sans argent et sans ressource. Un libraire vient lui proposer le sujet des Templiers, et lui achète d'avance le manuscrit mille écus, et cinq mille francs, s'il veut y joindre un précis historique. Piron, ami de Dubelloy, le détourne de ce travail, en cherchant à lui prouver que ce sujet n'est propre qu'à faire un vaudeville. Cette discussion est gaie, spirituelle ; l'éloge n'est point outré et la critique n'est pas
amère. C'est là le but principal de l'ouvrage : pour faire le dénouement, l'auteur amène de Calais une jeune veuve éprise de Dubelloy, qui lui offre sa main et sa fortune. Dubelloy accepte, et laisse à un autre le sujet des Templiers, au grand regret du libraire, qui lui prédit un succès brillant.
Les auteurs sont MM. Lafortelle et Chazet.
L’Esprit des journaux français et étrangers, tome I, vendémiaire an XIV [septembre 1805], p. 289-291 :
[Dans un compte rendu des trois pièces nouvelles jouées au Vaudeville, le critique présente la pièce de Chazet et Lafortelle qui ont, plus qu’une parodie, écrit une pièce mettant en scène deux auteurs du XVIIIe siècle confrontés au sujet des Templiers. Une intrigue amoureuse jugée hors sujet conduit Du Belloy à rejeter le sujet, déclaré vicieux. La pièce est drôle, et elle a connu le succès. Mais Chazet y est habitué.]
THÉATRE DU VAUDEVILLE.
Mme. Geoffrin. — Mlle. Gaussin. — Les Templiers.
[...]
En voyant accoller sur 1’affiche Dubelloy et les Templiers, on était extrêmement curieux de savoir ce que l'auteur du Siège de Calais pourrait avoir de commun avec la tragédie nouvelle. Les amis de la parodie voulaient absolument y trouver celle de l'ouvrage donné avec tant de succès : ils ont été trompés. MM. Chazet et Lafortelle, pour avoir le droit de parler au Vaudeville de la nouveauté la plus marquante, ont imaginé de faire proposer à Dubelloy, par un libraire, le sujet des Templiers, et d'établir entre lui et Piron une espèce de dissertation contradictoire sur les ressources ou les inconvéniens d'un pareil sujet. Pour entourer cette scène de quelque chose qui eût l'air d'une pièce, ils ont cousu d'une manière un peu forcée une intrigue d'amour entre l'auteur tragique et une dame de Calais qui paraît le déterminer, en l'épousant, à renoncer au sujet, parce qu’elle le déclare vicieux. De jolis couplets et le plaisir de retrouver le joyeux Piron avec ses saillies spirituelles, quelques critiques de la pièce nouvelle pour les uns, quelques éloges pour les autres paraissent avoir rendu tout le monde content, et la bluette a offert un nouveau succès à l'inépuisable fécondité de M: Chazet.
Geoffroy, Cours de littérature dramatique, seconde édition (1825), tome sixième, p. 8-13 :
[Geoffroy, qui, rappelons-le, n’a pas aimé les Templiers, trouve des qualités à la parodie de ce qu’il estime être une très mauvaise pièce.]
LES TEMPLIERS (1).
Les Templiers au Vaudeville ! c'est leur véritable place, si l'on en croit Piron. qui s'obstine à ne pas voir dans ces moines des héros et des saints. Le lieu promettait une parodie ; mais l'auteur n'a pas osé concevoir l'idée d'une telle profanation : les dévots et les dévotes auraient crié au sacrilége. Cependant les meilleures tragédies de Voltaire ont été parodiées ; on n'a pas même respecté Zaïre, vierge et martyre. Les Templiers sont bien aussi des martyrs ; mais du moins ils ne sont pas vierges. Pourquoi les respecterait-on davantage ?
Si la pièce n'est pas une parodie, qu'est-elle donc ? Ce n'est rien, dit l'auteur dans son couplet d'annonce. L'auteur est trop modeste : conserver un peu de raison parmi des fous, c'est quelque chose, et la pièce offre sur les Templiers des idées raisonnables, des plaisanteries justes et fines. Pour se moquer impunément des Templiers au Vaudeville, il a fallu avoir recours aux mêmes précautions que les philosophes les plus déliés mirent autrefois en œuvre pour se moquer de la religion, dans le temps où il y en avait encore beaucoup en France. Qui l'eût cru que dans un siècle de lumières on se ferait une religion d'une tragédie médiocre faite sur un mauvais sujet ? ce qui prouve bien qu'il faut une religion aux hommes : quand on a quitté la sienne, on s'en fait une presque toujours honteuse et ridicule.
Le cadre, quoique faible et peu théâtral, est adroit et ingénieux. Du Belloi , auteur du Siége de Calais, se trouve dans la détresse au milieu de sa gloire et de ses lauriers. Son libraire vient lui proposer un moyen de fortune : c'est un sujet de tragédie nationale, et ce sujet est celui des Templiers. Du Belloi goûte assez la proposition de son libraire. Le succès du Siége de Calais suffit pour l'inviter à choisir ses sujets dans l'histoire de France. Cependant il consulte Piron, son intime ami, qui trouve que les Templiers, en leur qualité très-connue d'intrépides buveurs, ne sont bons qu'à mettre en vaudeville. Ce blasphème de Piron n'a point excité de scandale ; on l'a pris pour une plaisanterie : c'en est une, à la vérité, mais qui cache, sous le voile du badinage, une grande vérité ; c'est qu'on ne pouvait pas faire une tragédie intéressante et nationale sur les Templiers.
Si l'on allègue contre Piron le succès de la tragédie des Templiers, j'admets le fait, je nie la conséquence : les Templiers n'ont que l'intérêt d'un drame ou même d'un mélodrame. Il n'est pas permis aux poëtes tragiques d'intéresser par toutes sortes de moyens, et d'abuser de l'ignorance du vulgaire pour forger, en dépit du bon sens, des héros extravagans et chimériques. La déclamation, l'emphase, le charlatanisme peuvent bien séduire les sots dont le nombre est infini suivant l'oracle de la sagesse, mais ne constituent pas une bonne tragédie. D'ailleurs rien n'est moins national qu'un pareil sujet : un roi de France présenté comme un tyran aussi imbécile que cruel, qui fait brûler des moines séditieux au lieu de les chasser de ses états et de les renvoyer en Palestine comme il en a le droit et le pouvoir ; un roi de France assez fou et assez lâche pour imputer des crimes d'impiété et d'hérésie à des hommes que leur esprit hautain, turbulent et factieux rend assez coupables, et dont le séjour dans les villes est un véritable parjure, puisqu'ils ont fait serment de combattre et de mourir pour la défense des pélerins de la terre sainte ; enfin toutes ces conversations ridicules et ineptes où l'on voit un moine fanatique braver l'autorité qui d'un mot pourrait aisément le confondre. Si le poëte n'avait pas fondé l'héroïsme de son grand-maître sur la bêtise du roi, ce vain étalage d'orgueil, de bravades et de sentences; toute cette parade d'un courage très-faux et très-déplacé, puisque le seul courage qui convient à Jacques de Molay et à ses Templiers ne consiste pas à se faire brûler à Paris par opiniâtreté, mais à se faire tuer en Palestine pour remplir leurs devoirs les plus saints ; enfin toutes ces situations forcées et absurdes où la dignité royale est sans cesse avilie devant des sectaires insolens, infidèles à leurs vœux monastiques, usurpateurs des richesses qu'on ne leur a données que pour un service qu'ils ne font plus ; toutes ces monstruosités théâtrales, pâture d'une foule ignorante qui prend pour de la grandeur une audace insensée, et des gasconnades pour du sublime, n'offrent assurément rien de national, rien qui soit honorable pour le peuple français, et vraiment intéressant pour des spectateurs éclairés.
Piron a donc raison : le sujet est mauvais, plus voisin du ridicule que du pathétique. Ce rôle de Piron est très-aimable, très-vrai ; il répand beaucoup de gaîté dans la pièce : ses saillies sont pleines de sel. Il répond à du Belloi, qui lui reproche de rire de son projet de tragédie sur les Templiers : Il vaut mieux en rire avant qu'après. Que dirait aujourd'hui Piron s'il était témoin de notre dévotion aux Templiers ! L'Académie est surtout l'objet de ses bons mots. Du Belloi l'invite à dîner à son retour d'une séance académique; Piron s'excuse en disant : Qui dort dîne. Les auteurs ont rappelé assez heureusement ce sarcasme connu sur les discours .de réception à l'Académie. Piron prétendait les abréger beaucoup ; selon lui le récipiendaire devait dire : Messieurs, je vous remercie ; et le directeur devait lui répondre : Monsieur, il n'y a pas de quoi. Si 1'on s'en tenait à ces deux formules, on épargnerait aux auditeurs beaucoup d'ennui, aux académiciens des sottises et des indiscrétions, à tout le public un grand scandale. Voltaire n'est pas oublié dans la distribution des épigrammes de Piron. Du Belloi lui demande s'il est content de Vendôme, d'Adélaïde, de Coucy ; l'auteur de la Métromanie répond : Couci-couci.
Le libraire est aussi fort comique ; et l‘offre qu'il fait à du Belloi de lui payer son manuscrit des Templiers cinq mille francs, pourvu qu'il y joigne un grand précis historique, est une critique assez vive de ces spéculations mercantiles fondées sur la sottise, l'engouement et l'esprit de parti.
Pour expier ce que les plaisanteries de Piron peuvent avoir de dur pour les frères Templiers, les auteurs se sont jetés habilement sur l'éloge des acteurs, et ils ont fait chanter à du Belloi ce couplet très-applaudi:
Pour connétable j'ai choisi
Un acteur que chacun estime ;
Un autre, également chéri,
Dans Marigny sera sublime.
Par un débit pur, noble et vrai,
Le roi se fera reconnaître ;
Enfin, pour mon Jacques Molay,
Je suis sûr d'avoir un grand maître.
On ne peut trop louer la prudence, la dextérité, la mesure que les auteurs ont su mettre dans cette bagatelle, dont le sujet était infiniment délicat. Le fanatisme n'est point plaisant, et n'entend point la plaisanterie. A chaque raillerie de cet impie de Piron, je m'attendais à un débordement de sifflets de la part de la gent dévote : je me suis trompé ; les pillules étaient si bien dorées, qu'on les avalait sans grimaces. Il y avait probablement peu de frères dans l'assemblée, et ceux qui s'y trouvaient ont pris le parti de rire comme les autres. La pièce est très-faible d'action, mais heureusement elle est courte. On a cousu au projet de tragédie un projet de mariage de du Belloi avec une jeune veuve assez éprise de son mérite pour épouser un poëte qui n'a d'autre fortune que le recueil de ses œuvres : un procès qu'elle gagne la rend assez riche pour réaliser ses sentimens généreux. Je souhaite de pareilles veuves à tous les poëtes, à condition qu'ils renonceront aux neuf pucelles, après le mariage : ils seront bien dédommagés des faveurs des Muses si leurs veuves ressemblent à madame Hervey.
Cette actrice est pleine de grâce, de finesse et d'intelligence ; elle ne connaît pas l'art des minauderies, elle n'en a pas besoin : son jeu est franc et naturel ; son organe a de la douceur et de la netteté ; il y a un certain charme dans le son de sa voix, et sa prononciation est si exacte, qu'elle ne laisse pas évaporer la moindre partie de l'esprit volatil des poëtes dont elle est l'interprète. C'est un sujet précieux pour ce théâtre, s'il en sait faire usage, et pour les auteurs, s'ils entendent assez bien leurs intérêts pour l'employer souvent.
Cette représentation a été heureuse et paisible. On a demandé les auteurs : ce sont MM. Chazet et Lafortelle. Mais une seconde pourrait être orageuse : les frères ont eu le temps de la réflexion ; ils pourraient bien avoir un accès de zèle pour l'honneur de leurs martyrs. Je crois cependant qu'ils aimeront mieux pardonner cette peccadille que de l'aggraver peut-étre en y attachant trop d'importance. (3 frimaire an 13.)
(1) Parodie des Templiers de M. Raynouard , secrétaire perpétuel de l'Académie-Française. (Note de l’Éditeur.)
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