Une matinée du Pont-Neuf

Une matinée du Pont-Neuf, divertissement-parade en un acte mêlé de vaudevilles, de Dupaty, DieulaFoy, Marc-Antoine Désaugiers et Francis, 23 frimaire an 14 [14 décembre 1805]

Théâtre du Vaudeville.

Titre :

Une matinée du Pont-Neuf

Genre

divertissement-parade mêlé de vaudeville

Nombre d'actes :

1

Vers / prose ?

prose, avec couplets en vers

Musique :

vaudevilles

Date de création :

14 décembre 1805

Théâtre :

Théâtre du Vaudeville

Auteur(s) des paroles :

Dupaty, Dieulafoy, Marc-Antoine Désaugiers et Francis

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Barban 1806 :

Une Matinée du Pont-Neuf, divertissement-parade en un acte, mêlé de vaudeville ; Par MM. Dieu-la-Foy, Francis, Desaugiers et Em. Dupaty. Représenté à Paris, sur le Théâtre du Vaudeville, le     janvier 1806.

[La date indiquée dans la brochure est inexacte.]

Courrier des spectacles, n° 3245 du 24 frimaire an 14 [15 décembre 1805], p. 2 :

[Une matinée au Pont-Neuf, c’est une pièce de fin d’année, dans laquelle les auteurs utilisent le défilé de personnages que connaît journellement le Pont-Neuf pour faire une revue de ce qui a marqué l’année écoulée. La liste est longue des grand événements de 1805. Ils ont bien sûr ajouté une affaire de mariage qui n’a pas d’autre intérêt que de faire partie des obligation du Vaudeville. La pièce vaut par ses épigrammes, ses jeux de mots, et bien sûr ses couplets, dont tous n’ont pas été appréciés. Le critique en cite deux qui ont été répétés. L’un est à la gloire du nouveau locataire du Louvre, l’autre montre le cynisme de l’Orangère, qui n’hésite pas à exploiter son bien aimé pour arriver à ses buts. Les acteurs sont félicités. Ils ont fait de leurs personnages « des caricatures plus grotesques les unes que les autres ». Les auteurs sont smplement cités.]

Théâtre du Vaudeville.

Une Matinée du Pont-Neuf.

Des gens de tout état, de tout âge, qui vont, qui viennent, passent, repassent, courent, s’arrêtent, crient, vendent, se heurtent, se disputent, etc., etc., voilà l’image du Pont-Neuf ; tel est aussi celle que l’on vient d’offrir avec le plus grand succès dans le cercle étroit du Vaudeville. Le spectateur peut y voir, comme dans une lanterne magique, les marchands d’habis, les colporteurs, les orangères, les charlatans, les artistes-décroteurs, enfin toute la cohue qui se presse sur ce pont. Ces diffèrens personnages passent successivement en revue tout ce que l’année qui finit a offert de plus curieux. L’un vous parle du Nain, de l’éléphant, des puces avec lesquelles il a vécu six moix ; l’autre, de la direction des balons, des aérostats, du docteur Gall, des quarante-huit verres d’eau. Enfin le personnage principal entraîne et occupe tout le monde, c’est le marsouin. Il étoit na urel que cet animal , qui a tant fait jaser les oies et les gobemouches trouvât sa place dans ce vaudeville ; et voici comment : Un M. Robin refuse de donner sa fille à un jeune sculpteur, parce que, d’après la doctrine du docteur Gall, cet amoureux a le crâne disposé peu avantageusement. Il préfere pour gendre Salinot, qui vient d’arriver du Hâvre avec un bateau de sel. Le sculpteur a prié sa cousine, orangère sur le Pont-Neuf, d’intercéder pour lui; celle-ci engage son amant à prendre la perruque, la canne à corbin et l'habit noir ; et sous ce déguisement, elle le présente comme le véritable docteur Gall. Le jeune homme détourne le bon Robin d’aller au Hâvre, où l’attendent des monstres marins pour le dévorer. Dans cet instant, on court, on se précipite, on tire des coups ds fusil, on poursuit le marsouin. Le crédule Robin, qui craint d’en être la victime, renonce à Salinot, qui laisse volontiers sa prétendue à son rival.

Cette folie, car c’est le nom qui convient à ce vaudeville, a excité de fréquents éclats de rire dans le cours de la représentation ; les épigrammes et les jeux de mots y abondent ; mais tous n’ont pas été applaudis avec un égal enthousiasme. On a remarqué et fait répéter les deux couplets suivans :

Salinot, en voyant le Louvre :

Le voilà donc ce Louvre immense
Que l'Univers nous envioit,
Et qu’une avare négligence
Laissa trop long-tems imparfait.
Un héros le rend à la vie :
Nos destins avoient ordonné
Que le chef-d'œuvre du génie
Par la Gloire fût couronné.

L’Orangère, en parlant de son prétendu qu’elle veut .faire servir à ses desseins :

Depuis long-tems dans nos filets
Cet amant s est pris de lui-même ;
C'est par lui que je me promets
Le succès de mon stratagème.
De l'oiseleur en tout pays
Les ruses nous montrent les nôtres.
C'est toujours l'oiseau qu'on a pris
Qui nous sert à prendre les autres.

Toute la troupe du Vaudeville paroît dans cette pièce, où on a vu avec un plaisir particulier Mad. Belmont, dans le rôle d’Orangère, et MM. Vertpré , Julien, Lenoble et St. Léger, dans des caricatures plus grotesques les unes que les autres.

Les auteurs sont MM. Dupaty, Dieulafoi, Francis et Desaugiers.

 

[La pièce nouvelle pose problème à tous les critiques : elle semble plus proche des productions de la foire que des pièces du Vaudeville, où l’on attend autre chose que des « farce[s] de carnaval ».]

Mercure de France, littéraire et poltique, tome vingt-deuxième, n° CCXXXII (30 frimaire an 14, samedi 21 décembre 1805), p. 609-611 :

Théâtre Du Vaudeville.

Une Matinée du Pont Neuf; par MM. Francis , Desaugiers, Dieu-la-Foi et Dupaty.

Cette Matinée a été jouée deux mois trop tôt ; c'est une vraie farce de carnaval, qu'il eût été convenable de remettre à cette saison, comme on le fit l'an passé pour l’Intrigue aux Fenêtres, autre farce jouée à l'Opéra-Comique. Une matinée du Pont- Neuf annonçoit une pièce à tiroir. C'est le pendant du Pont des Arts, qui fait les délices de la multitude au théâtre Montansier. Mais on assure que le Pont des Arts ne peut soutenir la concurrence ; aussi la foule se porte-t-elle au Pont-Neuf : l'autre d'ailleurs commence à vieillir.

Peu-à-peu le vaudeville se dénature ; car avant le Pont-Neuf, parade de boulevards, on avoit joué le Jaloux malade, qui n'est autre chose qu'un opéra comique. Cette diversité, au reste, commence à devenir en quelque sorte nécessaire ; car trois vaudevilles dans la même soirée, produisent presque toujours une monotonie d'autant plus fatigante, qu'il est difficile et rare que l'un d'eux, au moins, ne soit ou médiocre, ou médiocrement joué.

L'annonce de celui-ci étoit un calembourg, suivant l'usage . « Notre Poni-Neuf, disoient ses auteurs, ne sauroit tomber, si

Tous ceux qu'il soutient le soutiennent.

L'intrigue, s'il y en a une, est un mariage qu'un marchand de sel du Havre se met en tête de faire avec une Parisienne. Elle étoit déjà fiancée à un sculpteur, d'assez mauvaise mine, qui éconduit son rival. On se soucie fort peu et des rivaux et de la maîtresse ; ce qui occupe, c'est un spectacle assez semblable à celui de la lanterne magique : une foule de gens de toute espèce, qui se heurtent, qui se froissent ; un juge en robe, couvert de poudre par un perruquier ; un décrotteur qui, dans une bagarre, crotte sa pratique.

Au milieu de toute cette cohue, il s'établit cependant des colloques, et l'esprit, les pointes, les calembourgs, y sont semés avec prodigalité.

Un auteur dramatique annonce qu'il cherche un canevas. On lui observe d'abord qu'il fait glissant, puis on lui conseille de mettre sur la scène des valets, des petits-maîtres, des coquettes. — Mauvais sujets, dit-il; — Eh bien ! le serpent à sonnettes.— Non plus.

Jamais de serpent au théâtre ;
Assez d'autres sifflent sans lui.

Divers charlatans prônent leurs secrets. L'on possède celui de procréer à volonté des gens d'esprit. « Pourquoi, s'écrie un passant, mon père ne le connoissoit-il pas ? » Un autre publie un remède à son de trompe. Quelqu'un prétend que c'est « la trompette du jugement dernier. » « Point du tout, réplique son voisin, ce remède m'a guéri trois ou quatre fois radicalement. » Consulté pour un œil malade, le charlatan, sous prétexte de l'examiner, couvre de sa main les deux yeux. On s'en plaint ; il dit que la fonction d'un médecin est presque toujours

De fermer les yeux du malade.

Le marsouin qui attroupa, il y a un mois, tous les badauds de Paris, joue aussi un grand rôle dans la pièce. C'est une bonne fortune pour l'auteur dramatique, un sujet tout trouvé. « Celui-là au moins surnagera. » Enfin, le docteur Gall comparoît en personne sur ce pont, « l'image du monde où l'on voit monter un sot, tandis qu'un sage descend. » Il débite su doctrine, indique le caractère des personnes suivant la qualité de leurs cerveaux:

Les cerveaux lourds sont les critiques.

Ce qu'il y a de plus curieux dans cette farce, c'est madame Belmont travestie en poissarde. Ses grâces piquantes n'ont pu l'abandonner tout-à-fait sous ce travestissement ; mais elle auroit tort d'en essayer beaucoup de semblables, et c'est aussi assez, d'une ou deux pièces de ce genre au Vaudeville.

Magasin encyclopédique, ou Journal des sciences, des lettres et des arts, 11e année, 1806, tome I, p. 186 :

Une Matinée du Pont-Neuf.

On ne devoit pas s'attendre à une pièce régulière, mais bien à une folie, égayée par des tableaux variés et par des couplets piquans ; l'attente a été surpassée. La pièce est pleine d'esprit et de gaîté.

Le docteur Gall, le marsouin, les ballons, les charlatans, les journaux, le serpent-sonnette, les éléphans et les puces, en un mot, tout ce qui occupe journellement les nombreux oisifs de la capitale, fournit matière à une revue amusante et spirituelle. Madame Belmont en marchande d'orange, et Julien en petit-maître du Marais, ne contribuent pas peu au plaisir des spectateurs. Il y a peut-être dans la pièce un peu d'embarras et de cohue , mais cela n'en représente que mieux le Pont-Neuf. Les auteurs sont MM. Dupaty, Dieulafoi, Desaugiers et Francis.

T. D.

La Revue philosophique, littéraire et politique, an XIV (1805), Ie trimestre (30 frimaire, 21 décembre 1805), p. 560-561 :

[Article qu’on retrouve dans l’Esprit des journaux français et étrangers, tome I, janvier1806, p. 289-292

Une part notable de ce compte rendu insiste sur le nécessaire respect des règles du vaudeville, manifestement mises à mal dans la pièce nouvelle : cité par Boileau (la référence par excellence), le vaudeville doit rester digne et ne pas tomber au niveau de productions encore plus populaires. Et Une Matinée du Pont-Neuf ne semble pas respecter cette dignité. Les auteurs utilisent une anecdote, l’apparition d’un marsouin dans la Seine, près du Pont-Neuf. Mais au lieu d’une coméie piquante, c’est un tableau mal défini avec des personnages « aussi mal choisis que grossièrement dessinés » qui « ne présente à l'œil aucun ensemble, à l'esprit aucune jouissance ». On y voit une série de « tableaux épisodiques » montrant le quotidien de la vie sur le pont mêlés à une intrigue racontant la « la mystification d'un pauvre diable bien bête et bien crédule » (il croit aux théories du docteur Gall) et qu’on trompe de manière grossière. Le résultat est jugé par le critique à peine digne d’une pièce de carnaval, ce qui n’a pas empêché son succès.]

Théâtre du Vaudeville.

Une Matinée du Pont-Neuf.

Si le théâtre du Vaudeville mérite de tenir son rang parmi les théâtres vraiment nationaux, c'est lorsque, fidèle à sa première institution, il se consacre à rappeler, à maintenir la gaîté française, mais à la revêtir d'esprit, de grâce, de finesse et de goût, ou lorsqu'il donne à la malice un vernis aimable et spirituel qui la fait excuser. C'est-là, je pense, le vaudeville qui mérita du sévère législateur de notre Parnasse, l'honneur d'une mention dans son Art poétique. Mais Momus, son premier fondateur, doit, ce me semble, rougir de se déguiser en Tabarin et d'assimiler son asyle à tous les tréteaux des modernes Thespis. Plus il voit ces derniers se former et s'accumuler autour de lui, plus il doit mettre de soins et de scrupule à s'en faire distinguer, de peur qu'on ne lui fasse l'injure de le confondre avec eux. Je suis donc tenté de regarder comme vraiment coupables de lèze-vaudeville, des hommes d'esprit qui, dérogeant eux-mêmes à leurs propres principes, au talent dont ils ont fait preuve, avilissent leur luth et leurs pinceaux à tracer de grossières enseignes.


La circonstance du Marsouin qui se présenta naguères dam le bassin de la Seine , entre les ponts, a fourni à MM. Dupati, Dieu-la-Foi, Francis et Désaugiers, l'idée de peindre une matinée du Pont-Neuf. Ce cadre et cette réunion de talens connus semblaient d'abord promettre quelque chose de piquant. Hélas! ce n'est qu'un tableau mouvant dont les personnages sont aussi mal choisis que grossièrement dessinés, et qui ne présente à l'œil aucun ensemble, à l'esprit aucune jouissance. L'action principale paraît être la mystification d'un pauvre diable bien bête et bien crédule, dupe et victime de tous les charlatans du monde, et sur-tout très-confiant au système du docteur Gall. Il ne veut point donner sa fille à un jeune sculpteur qu'elle aime et dont elle est aimée , parce qu'il s'est engoué d'un marinier qui vient de conduire un bateau de sel du Havre à Paris. Une fruitière-orangère du Pont-Neuf a pitié des amans, et pour effrayer le père Dindon, fait endosser à un de ses courtisans le costume du docteur Gall : celui ci, d'après l'examen de l'os frontal et de l'os occipital du pauvre diable, lui déclare que s'il persiste à vouloir habiter un port de mer, il est menacé d'être victime d'un monstre marin. Or comme en ce moment le marsouin paraît sur la Seine et attire la curiosité de tous les passans sur le pont, notre imbécille se persuade que la prédiction du docteur Gall se vérifie , et pour ne point aller au Havre, il consent à donner sa fille au sculpteur. Ajoutez à ce fond des tableaux épisodiques de ce qu'on voit journellement sur le Pont-Neuf, des rixes de décroteurs , des querelles de harangères, un poëte dramatique bien ridicule et bien bas, suivant l'usage, force rébus populaires, un déluge de pointes et de calembourgs, et vous aurez à peu près l'analyse de cette facétie que les auteurs eux-mêmes ont appelée parade, et dans laquelle se trouvent noyés deux ou trois couplets fins et spirituels. Cette prétendue facétie eût été peut-être excusable dans la saison du carnaval, et lorsqu'il n'y avait pas encore, à Paris, un théâtre exclusivement consacré à ce genre de quolibets. Mais je dois cependant à la vérité de dire que jamais plus d'applaudissernens et de bravos n'accueillirent peut-être le meilleur ouvrage. Les auteurs ont été demandés avec fureur et leurs noms applaudis avec enthousiasme. Moi j'en appelle de ce succès à leurs noms même, et je suis sûr que de tous ceux que ces auteurs ont obtenus, ce n'est pas celui qui flatte le plus leur conscience.                             L. C.

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