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Le Vous et le toi

Le Vous et le toi, opéra-vaudeville en un acte, d’Aristide Valcour, 9 frimaire an 2 [29 novembre 1793].

Théâtre de la Cité-Variétés.

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, à l’Imprimerie de Cailleau, an 2 :

Le vous et le toi, opéra-vaudeville en un acte, Par Aristide Valcour, Représenté en Frimaire, l’an deuxième de la République Française, une & indivisible, sur le Théâtre de la Cité (Variétés.)

Feuille du Salut public, 11 frimaire an 2 [1er décembre] :

[Cité dans 1793: l'esprit des journaux, de Christophe Cave, Denis Reynaud, Danièle Willemart (Publications de l’Université de Saint-Etienne, 1993), p. 312.]

Spectacles

Le Vous et le Toi, opéra-comique en un acte joué avant-hier sur le Théâtre de la Cité-Variétés, a obtenu un succès complet. Cet ouvrage, composé sans prétention, et qui n'est pas susceptible d'analyse, a été accueillie avec enthousiasme. On a fait répéter une infinité de couplets agréables qui réunissent esprit, gaîté, patriotisme. L’auteur de cette jolie bagatelle est Aristide Valcour. Ce patriote qui, dans son drame de Charles et Victoire, avait exprimé avec énergie les sentiments républicains qui l'animent, a montré dans cette nouvelle pièce qu’il savait écrire avec l'aimable facilité qui était autrefois le seul mérite de la plupart de nos pièces de théâtre. Nous invitons les citoyens qui ont encore quelque répugnance à prononcer ce Toi qui doit être le lien de la fraternité universelle, à aller au théâtre de la Cité applaudir le Vous et le Toi, sans doute comme le firent tous ceux qui assistèrent à la première représentation ; ils sortirent en tutoyant leurs voisins.

J.B.B.          

Henri Welschinger, Le théâtre de la Révolution, 1789-1799 (Paris, 1880), p. 310-313 :

[Après avoir parlé de la Parfaite égalité ou les Tu et les Toi de Dorvigny, Welschinger donne un long extrait de la pièce de Valcour, sur laquelle il jette un regard sans aucune bienveillance.]

A la même époque (décembre 1793) Aristide Valcour, enragé jacobin, donnait au théâtre de la Cité-Variétés une pièce à peu près semblable, « le Vous et le Toi […] ». Justin, amant de Virginie, fille du cultivateur Marcel, arrive au lever du rideau, un papier à la main :

« Oh ! l'excellente nouvelle ! plus de vous !... toi, toujours toi en parlant à un individu. En corrigeant cet abus de la langue, c'est resserrer les liens de la fraternité et poursuivre l'aristocratie jusque dans ses derniers retranchements !....

Il chante.

« Par là complétons sa défaite,
« Frappons son orgueil criminel,
« Et que le vous de l'étiquette
« Le cède au toi plus fraternel.
« Le cachet de la servitude
« Est imprimé sur le mot vous ;
« Ce mot à l'oreille est si rude
« Et le mot toi parait si doux ! (bis) »

La joie transporte ce brave garçon. Il crie « Vivent les sans-culottes, vive la Montagne auguste et sainte !... » Il chante encore :

« Qui du fond d'un marais fangeux
« L'hydre affreux du fédéralisme,
« Levant son front audacieux,
« Nous ramenait au royalisme ;
« Mais l'on surveillait ses projets,
« Et malgré Pitt, Rome et l'Espagne,
« Ce monstre, l'effroi des Français,
« Fut terrassé par la Montagne! (bis) »

Justin convertit la servante Barbe au tutoiement et se livre à une orgie de « tu » avec sa belle Virginie. Le père Marcel consent au mariage de Justin et de Virginie, mais la mère Marcel ne veut donner sa fille qu'au citoyen Glaçon. C'est un modéré : « Par conséquent, dit Justin, c’est l'ennemi le plus dangereux de la République :

« Ce mot seul me met en courroux :
« Un modéré ! quel monstre infernal !
« Oui, dans l'ombre, ces gens sans âme
« Nous portent les plus grands coups ! »

La mère Marcel chasse Babet qui a osé la tutoyer. Elle ne comprend plus rien à tous ces changements. Ils ont tout bouleversé, le calendrier, par exemple ?... Le père Marcel lui répond :

« Si l'mois passé s'appelait Brumaire,
« 
C'est q'la brum’ blanchit nos climats...
« Si celui-ci s'appell’ Frimaire
« 
C'est q'c'est là saison des frimas ;
« Prairial fait monter nos herbes,
« Messidor appelle aux moissons,
« Et Fructidor joint à nos gerbes
« La plus vermeille des boissons !... »

Le jardinier Thibaut; mis en train par son maitre Marcel, profite de l'occasion pour faire l'érudit. Il cite Aspasie, Périclės, et les braves représentants Marat et Lepelletier qu'il pleure tous les jours, morts pour avoir pris les intérêts du peuple trop à cœur. Glaçon refuse de s'associer à ce tutoiement et à cette égalité. Tous le raillent de sa morgue et le tutoient. Il répond qu'il existe des égards qu'il faut respecter ; que la société est une échelle dont les différents échelons...

THIBAUT (lui coupant la parole).

« Tais-toi, Monsieur de l'échelle ! Il n'y en a plus. Ça n'était « bon qu'à entretenir l'orgueil de l'aristocratie...

AIR : Mon père était pot.

« Tous ces biaux Messieux du bon ton
« Étiont grimpés au faîte.
« Nous, assis au dernier échelon,
« J’n’osions pas lever la tête.
« Mais v’la qu’j’ons mont »,
« V'la qu'j'ons culbuté
« Touť la maudiť séquelle !...
« Et pour qu’bien et biau
« Tout soit de niviau
« J’avons brisé l'échelle !...

« Les prêtres, les nobles, tout ça n'était que des mascarades pour faire peur aux grands enfans...

GLAÇON

« Cependant parmi les prêtres ?...

THIBAUT :

« N'y en a, morgué, pas un qui vaille. C'est de la momerie tout ça !..: »

La mère Marcel, soudainement convertie; trouve que Glaçon n'a pas assez de patriotisme, parce qu'il s'est indigné d'entendre chanter à Thibaut que les rois prenaient le masque populaire et que ce masque :

« C'est c’lui-la qu'est l’mieux imité !
« C'est l'art le plus fin qui l'apprête.
« Il est tellement incrusté
« Qu'il ne tombe qu'avec la tête !...»

Glaçon renonce à la main de Virginie et sort. Le jardinier Thibaut lui crie de loin :

« Ah ! laisse-moi faire; va ! Je te recommanderai à la section ! »

Justin et Virginie obtiennent enfin pour leur union le consentement de la citoyenne Marcel, qui est devenue une véritable patriote.

On voit par cette pièce grossière de quelle façon les Jacobins, détournant le mot de sa véritable acception, entendaient l'égalité. Ils la transformaient en une tyrannie odieuse et révoltante !

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