Amour dans la tragédie lyrique

Les mots du théâtre au XVIIIe siècle.

Amour dans la tragédie lyrique.

Chamfort et Laporte, Dictionnaire dramatique, tome I, p. 73-75 :

L'AMOUR dans la Tragédie Lyrique. On a cru longtems d'après quelques Ariettes des Opéra de Quinault, & d'après les Ouvrages de presque tous ses Successeurs, que l' Amour sur la Scène Lyrique ne devoit être que de la simple galanterie. Ce n'est que cinquante ans après la mort de ce Poëte qu'on lui a rendu justice, comme à Racine, sur l'usage qu'il avoit fait de l'Amour. Ce n'est que depuis ce tems qu'on s'est souvenu que Quinault l'avoit peint comme une passion terrible, ennemie du devoir, combattue par les remords, détruisant l'héroïsme & menant, comme la vraie Tragédie, au crime & au malheur. Alceste, dans Quinault comme dans Euripide, offre le triomphe de l'Amour Conjugal : dans Thésée, c'est une Medée qui s'écrie :

Le destin de Medée est d'être criminelle,
Mais son cœur étoit fait pour aimer la vertu.
Mon cœur auroit encore sa premiere innocence
        S'il n'avoit jamais eu d'Amour.
Mon frere & mes deux fils ont été les victimes
        De mon implacable fureur ;
        J'ai rempli l'Univers d'horreur ;
Mais le cruel Amour a fait seul tous mes crimes.

Dans Atys , c'est un Amant qui immole sa Maîtresse sans la connoître.

Atys, Atys lui-même
Immole ce qu'il aime.

Dans Roland & dans Armide, ce sont deux Héros avilis par l'Amour, & qui revolent vers la gloire en détestant la mollette où ils ont langui. Dans Armide même, cette morale y est développée d'une façon neuve & frappante. Voyez Morale.

II est donc incontestable que si l'Amour n'a pas occupé la Scène Lyrique avec autant d'avantage qu'il a paru dans la Tragédie, c'est uniquement la faute des Poëtes, & non celle du genre.

Quinault a précisément suivi la route de Racine. Quand il n'a pu rendre l'Amour très-Théâtral, il l'a rendu intéressant par des développemens & par un style enchanteur. En voici un exemple. Dans Isis, Pirante qui veut rassurer Hierax sur le sort de son amour, lui dit :

        Se peut-il qu'elle dissimule ?
Après tant de sermens, ne la croyez-vous pas ?

Hierax.

        Je ne les crus que trop, hélas !
Ces sermens qui trompoient mon cœur tendre & crédule,
Ce fut dans ces Vallons, où par mille détours,
Inachus prend plaisir à prolonger son cours,
        Ce fut sur son charmant rivage
                Que sa fille volage
        Me promit de m'aimer toujours.
Le Zéphir fut témoin, l'Onde fut attentive
Quand la Nymphe jura de ne changer jamais ;
Mais le Zéphir léger & l'Onde fugitive
Ont enfin emporté les sermens qu'elle a faits.

Quelquefois ce Poëte est aussi profond que Racine lui-même dans la connoissance du cœur humain.

Hierax se plaint d'Io & de ses froideurs. La Nymphe lui répond :

        C'est à tort que vous m'accusez ;
Yous avez vu toujours vos Rivaux méprisés.

Hierax.

Le mal de mes Rivaux n’égale point ma peine :
La douce illusion d'une espérance vaine
Ne les fait point tomber du faîte du bonheur ;
Aucun deux, comme moi, n'a perdu votre cœur ;
        Comme eux, à votre humeur sévère
        Je ne suis point accoutumé.
        Quel tourment de cesser de plaire
        Quand on a fait l'essai du plaisir d'être aimé !

Voyez encore la déclaration de Pluton à Proserpine dans l’Opéra de ce nom.

Je suis Roi des Enfers, Neptune est Roi de l'Onde.
    Nous regardons avec des yeux jaloux
        Jupiter plus heureux que nous ;
Son Sceptre est le premier des trois Sceptres du monde.
Mais si de votre cœur j'étois victorieux,
Je serois plus content d'adorer vos beaux yeux,
Au milieu des Enfers, dans une paix profonde,
Que Jupiter, le plus heureux des Dieux,
N'est content d'être Roi de la terre & des Cieux;

Telle est la maniere dont ce Poëte fait parler l'Arnour quand il ne le peint pas terrible & passionné comme dans Atys & dans Armide. C'est la réunion de ces deux talens qui le met au- dessus de tous ceux qui ont osé marcher sur ses traces dans la carrière qu'il s'étoit ouverte.

Références :

Quinault, Alceste (1674, musique de Lully).

Quinault, Armide (1686, musique de Lully).

Quinault, Isis (1677, musique de Lully).

Quinault, Proserpine (1680, musique de Lully).

Quinault, Roland (1685, musique de Lully).

Quinault, Thésée (1675, musique de Lully).

L’abondance des références à Quinault sert à montrer que, contrairement à ce qu’on a longtemps cru, l’amour sous toutes ses formes est au cœur des livrets de Quinault (de ses tragédies, pour parler comme au temps de Quinault et des auteurs du Dictionnaire dramatique). Quinault est sur ce plan comparé à Euripide (pour Thésée), et plus largement à Racine.

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