Les mots du théâtre au XVIIIe siècle.
Comique de situation.
Chamfort et Laporte, Dictionnaire dramatique, tome I, p. 285-287 :
(Fin de l’article Comique, après le passage consacré au Comique larmoyant).
On distingue, dans tous les genres , un Comique de situation, & un Comique de caractère : ce dernier a été traité à l'article Caractère.
Le Comique de situation, est celui qui naît naturellement de la situation des Personnages. Un Comique de pensée, qui naît de la conversation, & qui par conséquent ne tient point à l’action, quelque bon qu'il puisse être en lui même, ne convient point au Théâtre. On ne prétend point par-là exclure de la Scène, ni les bons mots, ni les saillies ; mais il ne faut pas en faire la base du Comique.
Un Auteur qui construit sa Fable de maniere que le Comique résulte du fond de l’action, n'a besoin, pour jetter du plaisant dans son dialogue, ni de saillies, ni de gentillesses. Les pensées les plus simples, & les expressions les plus naturelles produiront cet effet ; parce que la situation sera Comique par elle-même. Quel esprit, quelle finesse d'expression y a-t'il, par exemple, dans la Réplique de George Dandin, lorsqu'outré de ce que M. de Sotenville, après bien des remontrances, lui dit, vous ne devez point dire ma femme, quand vous parlez de notre fille ; George Dandin répond ; « j'enrage ; comment ! ma femme n'est point ma femme ? » Ce n'est donc que la situation où il se trouve, & l'impossibilité de répondre, qui ont produit sa réponse. Comme sa situation est extrêmement Comique la pensée & l’expression, toutes simples qu'elles sont par elles-mêmes, deviennent également Comiques.
Il en est de même, lorsque la Suivante d'Angélique, prenant le parti de sa Maîtresse, en présence de M. & de Mde. de Sotenville, George Dandin lui dit : « taisez-vous, vous dis-je ; vous pourriez bien porter la folle enchère de tous les autres ; & vous n'avez point de pere Gentilhomme. » Ces paroles ne sont Comiques, que parce que le discours de la Soubrette lui rappelle la contrainte où il est à l'égard de sa femme : & la simple réponse, vous n'avez point de pere Gentilhomme, devient d'un Comique admirable ; parce qu'il est dans la situation même.
En voici un dernier exemple, qui est peut-être le plus beau qui puisse se tirer de Molière même.
Lorsque George Dandin s'est expliqué, & qu'il a dit enfin à M. & Mde. de Sotenville, que leur fille ne vit pas comme il faut qu'une femme vive, & qu'elle fait des choses qui sont contre l' honneur, alors le pere & la mere prenant le ton sérieux, font une longue énumération des femmes vertueuses de leur famille, dans laquelle il n'y a jamais eu de Coquette. M. de Sotenville ajoute, qu'il y a eu une Mathurine de Sotenville, qui refusa vingt mille écus d'un favori du Roi, qui ne demandoit seulement que la saveur de lui parler. George Dandin lui répond : « oh bien ! votre fille n'est pas si difficile que cela ; & elle s'est apprivoisée depuis qu'elle est chez moi. » Ce dernier trait, outre le Comique de situation qu'on y remarque, a plusieurs espèces de mérite : on y reconnoît l'esprit, le génie, l'art & la facilité de l'inimitable Moliere.
II y a une autre espéce de Comique de situation, où l'on admire un certain tour qui le rend plus piquant & plus ingénieux &, qu'on pourroit appeller Comique de sentiment.
Dans la Comédie du Cocu imaginaire, Sganarelle, en confrontant le portrait qu'il a entre ses mains, avec l'homme qui est devant ses yeux, dit :
La surprise à présent n'étonne plus mon ame ;
C'est mon homme, ou plutôt c'est celui de ma femme.
Ce trait qui naît de la situation, ne doit pas être pris pour un bon mot de Sganarelle. Ce seroit supposer qu'il plaisante sur la situation dans laquelle il se trouve ; faute dans laquelle Moliere ne tombe jamais. Sganarelle disant que c'est le portrait de l'homme de sa femme, le dit, touché vivement de ce qu'il croit.
Un autre trait qui paroît du même genre, est celui de George Dandin, lorsque honteux & confondu de la malice de sa femme, il reste seul & dit en finissant l' Acte : « O ciel ! seconde mes desseins, & m'accorde la grace de faire voir aux gens que l'on me déshonore. » II est constant que George Dandin ne veut pas réellement faire connoître à tout le monde qu'on le déshonore, mais qu'il le pense seulement, & qu'il prie le ciel de mettre la vérité en évidence, pour convaincre ses parens de la coquetterie de sa femme, & soulager son chagrin.
Références :
Molière, le Cocu imaginaire, scène 9 : exemple de la seconde sorte de comique de situation, le comique de sentiment.
Molière, Georges Dandin , dans ses répliques à M. de Sotenville, qui naissent bien de sa situation (acte 1, scène 4 ; acte 1, scène 7 ; acte 1, scène 4). Acte 2, scène 9, exemple de la seconde sorte de comique de situation, le comique de sentiment.
Critique littéraire :
Voltaire croit que, à la différence des Italiens et des Anglais, le public français rejette la comparaison comme impossible à de grands personnages dans les moments forts.
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