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Alphonsine, ou la Tendresse maternelle

Alphonsine, ou la Tendresse maternelle, mélodrame en trois actes à grand spectacle, imité du roman de Madame de Genlis, de Servières et Dumersan, musique de Lanusse, ballets de Hus jeune, mise en scène de Ribié, 9 avril 1806.

Théâtre de la Gaîté.

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Fages, 1806 :

Alphonsine, ou la Tendresse maternelle, mélodrame en trois actes à grand spectacle, imité du roman de Madame de Genlis, Par M. Servière, Muique de M. J. Lanusse, Ballets de M. Hus, le jeune, mis en scène par M. Ribié. Représenté, pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de la Gaîté, en avril 1806.

Courrier des spectacles, n° 3553 du 11 avril 1806, p. 2-4 :

[On peut penser que le critique, qui n'a pas signé ce long article, tente de concilier deux exigences contradictoires : rendre compte d'une pièce qu'il n'apprécie pas (le mélodrame est peu apprécié des critiques), mais que le public aime beaucoup. Trahir ses réticences et flatter les goûts du public ? Le critique préfère utiliser l'ironie pour montrer qu'il n'est pas dupe du caractère plus que convenu de ce genre de pièce adaptant un roman où rien ne manque, « trésor inépuisable de poignards, de poisons, de cachots et de catastrophes de tous les genres ». A côté de ce que le roman de madame de Genlis offre, les pièces les plus noires de Shakespeare semblent bien pâles (on reconnaît bien dans ce que dit le critique Hamlet). Bien sûr, pas moyen de mettre dans la pièce tout ce qu'offre le roman, mais les auteurs ont eu soin d'accumuler les détails et les événements, en les faisant tenir ensemble par la magie du hasard. Aucun souci de vraisemblance, et le public est enchanté. Impossible de résumer le résumé de l'intrigue auquel le critique s'est risqué : un entassement d'événements sans logique, qui permettent de multiplier les éléments spectaculaires, changement de décor à vue, tentative d'empoisonnement, combats. Le tout pour finir par punir le méchant (parce qu'il y en a un, et très méchant) et de sauver la vertu de l'héroïne. La fin de l'article traite les divers points habituels : les décors (dont un est mis en valeur), la musique et la danse; qui ont paru satisfaire les spectateurs, on s'attend à un jugement sur les interprètes, mais le critique préfère faire quelques remarques négatives : il faudrait pratiquer des coupures dans le dialogue et les scènes, revenir à plus de vraisemblance et mieux respecter « les règles de l'art ». De plus, il y a dans la pièces plusieurs situations ressemblant trop à d'autres pièces : Camille ou le Souterrain à l'acte 2, Misanthropie et repentir à l'acte 3. Mais cela n'empêchera pas le succès de la pièce, sa bizarrerie ne lui nuira pas plus qu'elle n'a nui au roman de madame de Genlis qui l'a inspirée. Bilan bien négatif, mais développé d'un ton très modéré...]

Théâtre de la Gaîté.

Alphonsine, mélodrame.

Il n’y a guères de roman dont la phisionomic soit plus mélodramatique qu'Alphonsine. C’est un trésor inépuisable de poignards, de poisons, de cachots et de catastrophes de tous les genres.

Shakespeare, avec ses revenans, ses fossoyeurs et ses squelettes approche à peine de la fécondité de Mad. de Genlis. Il étoit impossible qu’un fonds si riche n’excitât point l’émulation de quelque auteur des Boulevards. Le nom seul d'Alphonsine devoit être un puissant aiguillon pour la curiosité. Aussi la pièce donnée avant hier sous ce titre a-t-elle eu un succès très-brillant. Ce n’est pas qu’on y trouve toutes les beautés du roman.

La scene ne peut admettre qu’un petit nombre d’incidens et quelque épisode choisi. Ainsi le mérite de l’éducation sensitive est absolument perdu pour le spectateur ; mais les auteurs de la pièce l’ont bien dédommagé par la multitude et la variété des événemens. Les plus avides amateurs ne sauroient se plaindre. Il est impossible de mettre plus de soin à les amuser. Les auteurs n’ont consulté que leur zèle ; ils ont écrit, écrit, écrit ; ils ont entassé les incidens, et pour les lier ensemble, ils se sont contentés de recourir à la puissance d’un Dieu propice aux écrivains embarrassés ; ils ont invoqué le Hazard. Chacun des trois actes est surchargé d’événemens dont on ne concevroit pas la possibilité, s’il fallait consulter les calculs de la raison. Mais ici, il n'y a point de combinaison ; tout marche à l’aventure  ; à l’aide de maladresses, de quiproquos de tout [sic] les genres, tout s’arrange et devient même plausible. Ce désordre a paru plaire à la multitude, et Alphonsine a éé très-bien accueillie.

Dès la première scène, cette jeune personne a quinze ans. On apprend qu’elle a été élevée dans le cachot ; qu’elle n’y a eu pour tout appui et pour toute société que Dona Diana sa mère. On ne nous laisse point ignorer que cette infortunée Comtesse avoit été plongée dans un souterrain par son impitoyable mari (le comte de Moncalde) pour y expier le crime d’avoir sacrifié sa vertu à l’odeur de la Poudre à la mousseline. On y voit Don Sanche, ami de Moncalde, descendre dans le cachot pour offrir sa main à Dona Diana. Ce Don Sanche avoit aimé la Comtesse quinze ans auparavant, et quoique cet intervalle et la fraîcheur de la cave eût pu refroidir son amour, il le conservoit néanmoins dans toute son ardeur primitive.

Don Sanche ignoroit que Dona Diana fût mère. La vue de la jeune Alphonsine le frappe d’un sentiment inconnu ; la générosité fait place à l’amour : et dans un transport d’admiration et de pitié, il jure de sauver Alphonsine et sa mère. Mais le féroce Moncalde qui l’épie entend ses sermens, et médite aussitôt un horrible forfait. Il prépare un breuvage empoisonné, et le remet à un valet pour le présenter à Don Sanche. Le valet se trompe et Don Sanche n’est point empoisonné. Dona Diana à laquelle il preparoit un même sort s’y soustrait egalement, et toutes ses victimes lui échappent. Tous ces faits sont tirés du roman ; les événemens suivans sont moins exacts.

Tandis que Moncalde s’occupoit de donner de l’arsenic à sa femme et à son ami, il n’en faisoit pas moins les préparatifs de son mariage avec la Duchesse d’Olmas, sœur de Don Pèdre, (cet amant heureux de Diana qui avoit dû tout son bonheur à la poudre à la mousseline des Indes) ; mais au milieu des préparatifs, un officier vient lui intimer l’ordre de le suivre, pour répondre devant le Roi à Don Sanche son accusateur.

Cet événement inattendu jette le trouble dans le château ; la Duchesse soupçonne quelque grand crime. La Duègne chargée de porter de la nourriture à Dona Diana, avoue tout. Aussi-tôt les murs du souterrain tombent ; on pénètre dans son intérieur, et l’on rend à la lumière Dona Diana et sa fille. On quitte à l’instant ce séjour odieux, pour se rendre dans une terre de la Duchesse d’Olmas. Une roue de la voiture se brise ; on s’arrête devant un château dont le seigneur se nomme Dolci. C’est une espèce de solitaire qui fuit les plaisirs, et n’est connu des hommes que par ses bienfaits. Sa maison est comme l’hospice des voyageurs égarés et malheureux. Le hazard y conduit en même tems Moncade, qui a trouvé moyen d’échapper aux recherches de la justice, Don Sanche, qui a échappé aux potions de Moncalde, Diana et sa fille qui se sont échappées du caveau, et la Duchesse d’Olmas qui les en a sauvées. Don Sanche veut d’abord tuer Moncalde ; celui-ci se défend avec un pistolet. Don Pedre reconnoit Diana et se retire pour s’habiller avec plus de luxe ; à son retour, il trouve Moncalde armé contre sa femme et sa fille, et voulant ensevelir avec elles la connaissance de ses forfaits. Il fond sur le coupable, le désarme, et finit par reprendre ses derniers liens.

Cet ouvrage est monté avec soin. La décoration du troisième acte, qui représente un jardin anglais, est d’un effet d'optique très-brillant.

La musique offre plusieurs passages distingués : elle est bien en situation, et remplit avec beaucoup de succès celles des scènes qui ne sont qu’en pantomime. Le ballet du second acte est exécuté avec ensemble. En général, les spectateurs ont paru très satisfaits.

Néanmoins cet ouvrage demande a être retouché ; le dialogue et les scènes ont besoin d’être élagués. Le public a indiqué les coupures nécessaires. La vraisemblance exigeoit plus de menagemens, et les règles de l’art plus de reflexion et de soin. Plusieurs situations du deuxieme acte ressemblent à celles de Camille ou le Souterrein ; celles du troisième acte ont beaucoup d’analogie avec Misantropie et repentir. Malgré ces défauts, Alphonsine aura aux Boulevards le sort qu’elle a eu dans le monde. On a trouve le roman bisarre, mais on l'a lu ; ou trouvera le mélodrame également bisarre, mais on ira le voir.

 

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