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Amélie, ou l'Héritage mystérieux
Amélie, ou l'Héritage mystérieux, drame en quatre actes et en prose, par M. Merville ; 26janvier [1815].
Théâtre de l'Odéon.
Dans le Dictionnaire universel du Théâtre en France et du théâtre français de Goizet , Volume 1, p. 98, la pièce de Merville est appelée à tort Amélie ou le Protecteur mystérieux, ce qui crée une confusion avec la pièce de madame Alexandre Friedelle portant ce titre.
Almanach des Muses 1816.
Triste imitation d'un triste drame de Kotzebue ; invraisemblances et niaiseries sans nombre. Qu'est-ce donc que cet héritage mystérieux après lequel il faut soupirer pendant quatre mortels actes ? Un dé, des ciseaux, du fil, légués à l'innocente Amélie. Scènes longues, ennuyeuses ; chute méritée.
Journal de Paris, n° 27, du 27 janvier 1815, p. 1-3 :
[Deux premières le même soir, et « au bénéfice d'un acteur » qui va être en même l'auteur qui profite de l'occasion pour faire jouer deux de ses pièces. Le critique ironise un peu sur cet opportunisme de l'acteur-auteur, déjà connu par « le succès modeste de deux ou trois petits ouvrages de sa façon » dont le critique dit qu'ils ont été « joués sans scandale. La première pièce est un emprunt à Kotzebue (on joue beaucoup de Kotzebue à cette époque) déjà donné sur un autre théâtre avec un autre titre (les Aiguilles à tricoter). L'intrigue, résumé ensuite, met en scène une orpheline qui croit être riche, et qui ne veut pas épouser son tuteur : envoyée en ville pour voir le monde, elle se compromet au point que son tuteur, présent à un bal où elle est en proie à des moqueries, reçoit un coup d'épée dans un duel où il tentait de la défendre. Elle exige alors de voir ce que contient la cassette que sa mère a laissée à son tuteur, et elle n'y trouve qu'un nécessaire de couture et une lettre lui disant que c'est là tout son héritage. Plus de prétendant après cette découverte, elle ne peut plus qu'épouser son tuteur. La première représentation a bien montré que le public français n'est pas disposé à apprécier les « innovations » du théâtre allemand. Il a donné « à la fin du second acte quelques témoignages de mécontentement », et a vigoureusement refusé qu'on nomme l'auteur (mais l'acteur principal a néanmoins nommé « Merville, nouvel auteur de cet ancien chef-d'œuvre » (l'ironie de Martainville montre bien dans quel camp il se place...). Et la soirée a pu se poursuivre avec l'autre création du jour, les Rivaux ou le Prix au mérite. Après un bref résumé de l'intrigue, elle aussi fort peu originale, le critique refuse de dire ce qu'il a préféré du « grand ouvrage » ou de la « petite bagatelle », peut-être parce qu'il n'a préféré ni l'une ni l'autre.]
THÉATRE DE L'ODÉON.
(Au bénéfice d'un acteur.)
Premières représentations d'Amélie, ou l'Héritage mystérieux ; drame en quatre actes et en prose, traduit de l'allemand ; et des Rivaux, ou du Prix au mérite, comédie en un acte et en prose.
On ne peut refuser aux acteurs de l'Odéon le mérite de se montrer bons camarades. Quand il s'agit des efforts incroyables de zèle et de mémoire. Je ne veux ni penser ni faire soupçonner aux autres que c'est l'espoir ou pour mieux dire le droit de la réciprocité qui stimule leur bonne volonté. Apprendre, mettre en scène en peu de jours et jouer dans la même soirée deux pièces nouvelles n'est pour eux qu'une bagatelle. Ils en ont donné hier une nouvelle preuve qu'on doit joindre honorablement à beaucoup d'autres.
Les représentations au bénéfice d'un acteur sont d'heureuses occasions pour les auteurs impatiens de livrer leurs pièces aux chances de la scène. Comme l'acteur a le droit de composer le spectacle du jour, des pièces qu'il suppose les plus propres à piquer la curiosité publique, et par conséquent à grossir la recette, il choisit toujours des nouveautés. La nouveauté a tant d'attrait, surtout pour les Parisiens !
Content d'avoir excité par des titres qui ornent l'affiche l'utile empressement des curieux, il lui importe peu que cet empressement soit justifié par le mérite ou le succès des pièces. L'essentiel pour lui est qu'il entre beaucoup de monde dans la salle, et non que tout ce monde sorte content; aussi ne décourage-t-il point par une grande sévérité dans son choix les auteurs qui lui offrent les prémices de leurs ouvrages. Il accepte les pièces, les distribue, les fait jouer, et le destin fait le reste.
La représentation qu'on a donnée hier à l'Odéon était au bénéfice d'un jeune comédien nommé Merville, que le succès modeste de deux ou trois petits ouvrages de sa façon, joués sans scandale à l'Odéon, n'a pas encore tiré de la paisible obscurité qu'il doit à son talent d'acteur.
M. Merville a eu la fierté de ne vouloir emprunter à personne ce qu'il pouvait tirer de son propre fond. Comme la recette devait être pour lui, il n'a voulu céder à personne l'honneur de l'augmenter ; et, sans recourir aux pièces des autres, il a cru plus facile et plus noble d'en composer lui-même ; c'était tout bénéfice. Il ne faut pas charger autrui de ce qu'on peut faire soi-même ; on fait toujours mieux sa propre besogne ; et puis la main-d'œuvre est si chère !
Cependant M. Merville ne s'est pas montré aussi fier envers les étrangers qu'à l'égard de ses compatriotes. Il n'a pas hésité à emprunter à Kotzebue un bon drame en quatre gros actes, qui était la pièce de résistance du régal offert au curieux appétit des amateurs.
Cette pièce a déjà été mise en français, et jouée sur le théâtre des Variétés Etrangères, sous le titre des Aiguilles à tricoter. En voici l'analyse. La scène est en Allemagne.
Orpheline en bas âge, Amélie a été élevée par les soins d'un philosophe humoriste et attrabilaire, quoique fort riche, qui a promis au père de cette enfant, mort entre ses bras sur le champ de bataille, de ne jamais l'abandonner. Malgré sa misanthropie, il a résolu d'épouser sa pupille et de réparer ainsi les torts de la fortune. Il lui a toujours caché, par délicatesse, l'état d'indigence dans lequel ses parens l'ont laissée. Loin de soupçonner la vérité, elle croit au contraire que son tuteur est dépositaire d'une cassette qui renferme des diamans d'un grand prix.
Amélie, élevée à la campagne, n'a aucune connaissance du monde, et notre philosophe, avant de se marier, veut la mettre à l'épreuve. Que fait-il ? Il envoie, sous la conduite d'une vieille gouvernante, sa fiancée passer le carnaval à la ville où Amélie commet des inconséquences qui mettent son tuteur au désespoir. Ne valait-il pas mieux qu'il l'épousât d'abord, sauf à laisser ensuite courir sa femme en toute liberté, comme font tant d'honnêtes maris, qui ne s'en trouvent ni mieux ni plus mal ?
Un fat, qui croit Amélie une riche héritière, a conçu l'espoir de l'épouser ; il l'entraine au milieu du tourbillon des plaisirs, et cherche à la perdre par quelqu'éclat indécent, qui la mette dans la nécessité de lui donner sa main. Mme la conseillère, mère du philosophe, emploie toute son éloquence à faire rompre le mariage de son fils avec Amélie, mais elle ne peut y réussir ; le tuteur philosophe suit sa pupille dans un bal masqué, où elle est en butte aux railleries de quelques insolens ; il veut la venger et reçoit un coup d'épée. Ecoutant les conseils de l'homme dangereux qui s'est attaché à ses pas, Amélie a exigé que son tuteur lui remît la cassette que sa mère, en mourant, lui a laisse pour elle ; elle l'ouvre, mais qu'y trouve-t-elle ? un dé, des ciseaux et autres instrumens des travaux de son sexe, avec une lettre de sa mère qui lui apprend que c'est le seul héritage qu'on ait pu lui léguer et qu'elle doit tout à son tuteur. A cette nouvelle, le fat intéressé s'éloigne ; Amélie se repent, le tuteur pardonne et épouse sa pupille, au risque de devenir après son mariage encore plus misanthrope qu'auparavant.
Il y a à Paris un comité germanique composé d'une Française, d'un Genevois et d'un Allemand, qui voudrait nous ramener insensiblement aux beautés du théâtre d'Outre-Rhin. Le public de Paris ne semble pas encore mûr pour ces innovations ; il paraît vouloir s'en tenir tout bonnement aux ouvrages de nos maîtres, et l'accueil qu'il a fait à l'Héritage mystérieux en est une nouvelle preuve.
A la fin du second acte quelques témoignages de mécontentement s'étaient déjà fait entendre, le troisième acte a été écouté paisiblement ; mais, lorsque des amis indiscrets ont demandé l'auteur ; le parti de l'opposition s'est recruté de tous ceux que le ton bourgeois et sentencieux de l'ouvrage avait légèrement assoupi ; ces braves gens, fâchés d'être réveillés en sursaut, ont témoigné leur humeur par des signes non équivoques, et qui n'ont cependant pas empêché Thénard de proclamer M. Merville, nouvel auteur de cet ancien chef-d'œuvre.
Thénard a joué le rôle du Philosophe avec une vérité de ton et de costume qui aurait satisfait le plus grave professeur de l'université de Gœttingue.
Pour prouver qu'il n'avait pas pris pour unique devise : vivitur ex rapto, M. Merville a donné un petit échantillon de la richesse de son portefeuille et de son imagination. C'est une petite comédie en un acte, intitulée : les Rivaux, ou le Prix au mérite.
M. de Mercourt, âgé de plus de cinquante ans ; Mondor, aussi riche qu'ignorant ; M. Fadel, petit poète ridicule de province, M. Hector, grand tapageur, la terreur du pays, aspirent à la main de Cécile, nièce de Mme Dermont, qui lui enjoint de faire un choix, quoiqu'elle déclare qu'aucun d'eux n'a touché son cœur. Un jeune homme, nommé Edmond, que Cécile a vu dans un voyage, et dont la voiture s'est brisée à quelques pas du château de Mme Dermont, a obtenu la permission de s'y arrêter, et c'était là l'objet de ses vœux ; on l'autorise de plus à s'associer aux prétentions de ses rivaux. Edmond se trouve être le neveu de Mercourt ; il prouve qu'il est plus riche que Mondor ; il a vaincu le bel esprit provincial dans une lutte académique, et il désarme le ferrailleur dans un duel: Quant à Mercourt, il cède ses droits à son neveu qui, en épousant Cécile, obtient le prix dû au mérite.
Si je disais que cette petite bagatelle vaut mieux que le grand ouvrage, je craindrais d'offenser à-la-fois MM. Kotzebue et Merville. J'aime mieux leur présenter à tous deux un calcul consolateur. Deux demi-succès peuvent être comptés pour un succès tout entier.
J'accorde peut-être un peu trop ; si l'on se dispute pour le partage, ce ne sera pas ma faute ; j'en appellerai aux témoins qui, malheureusement pour le bénéficier, n'étaient pas nombreux.
A. Martainville.
La Quotidienne, n° 28 du 28 janvier 1815, page 3 :
Première représentation d'Amélie, ou l'Héritage mystérieux, comédie en 4 actes [...].
Amélie, dont le mari, M. de Durlac, a passé l'âge de 40 ans, s'abandonne étourdiment au tourbillon du grand monde, et compromet sa réputation en acceptant publiquement les soins d'un mauvais sujet, nommé Lindorf. Celui-ci engage Amélie à réclamer de son époux une cassette cachetée que sa mère lui a confiée en mourant, avec injonction de ne briser le cachet qu'au bout d'un certain nombre d'années Son mari lui remet cet héritage mystérieux. Quel est l'étonnement de la femme de n'y trouver qu'une lettre et des aiguilles à tricoter. La lettre lui apprend qu'elle est née dans l'indigence ; les aiguilles sont celles dont sa pauvre mère se servait pour exister, avant que M. de Durlac fût devenu le bienfaiteur de sa famille. Amélie, entraînée par Lindorf, va au bal ; elle y joue sous le masque, perd plus d'argent qu'elle n'en a, demande du temps, et se fait traiter d'aventurière.Un inconnu en domino la dégage en payant pour elle, refuse de dire son nom, et provoque en duel le bauquier. Elle rentre désespérée ; un homme noir se présente ;il remet à Amélie un testament du baron qui la constitue son unique héritière.
« Un testament, ô ciel ! serait-il en danger de mort ? serait-ce lui qui la veille au jeu ?. – Et oui, c'est lui ; il a payé vos dettes, et va se battre pour venger votre honneur. »
Heureusement le baron n'est pas tué ; il n'a reçu qu'une légère blessure, et reparaît le bras en écharpe. Amélie, transportée de rcconnaissance, se jette dans ses bras ; Lindorf est congédié comme un suborneur, et tout s'arrange à merveille.
Telle est l'analyse du Mari d'autrefois, comédie jouée au mois de décembre 1806, au théâtre des Variétés Etrangères. Cette pièce n'était déjà qu'une imitation du Stick nadeln (les Aiguilles à tricoter), de l'infatigable Kotzebue ; mais au moins, de cinq actes on n'en avait fait que trois, et c'était vraiment jouer à qui perd gagne. M. Merville, au contraire, n'a presque rien ôté à l'ouvrage de sa longueur, et les changements qu'il a faits ne sont pas heureux.
Dans la pièce allemande Amélie est mariée ; dans la sienne elle est demoiselle, et l'inconvenance est bien plus grande. Il a aussi métamorphosé la présidente en conseillère, et le mari n'a plus le bras en écharpe. L'auteur a beaucoup compté, pour faire rire, sur le rôle d'un valet balourd ; mais il est plus sot que plaisant, et les personnes qui riaient avaient l'air de s'en repentir aussitôt.
Journal des débats politiques et littéraires, 29 janvier 1815, p. 4 :
[Deux pièces le même soir, du même auteur, qui en plus y joue. Ce que le critique en dit est assez sévère : « un gros drame bien épais, bien allemand, bien romantique ». Et le résumé de l’intrigue est censé confirmé ce diagnostic : une histoire sentimentale présentée de façon un peu moqueuse, pleine de trop bons sentiments et de trop beaux hasards.]
THEATRE DE L'ODEON.
Premières représentations d'Amélie, ou l’Héritage Mystérieux, drame en quatre actes et en prose ; et des Rivaux, ou le Prix au mérite, comédie en un acte et en prose ; par M. Merville.
Un gros drame bien épais, bien allemand, bien romantique, et une petite comédie bien mince, faisoient les frais de cette soirée, dont M. Merville, en qualité d'auteur, devoit avoir la gloire et dont, en qualité de comédien, il étoit appelé à recueillir les avantages. Les intérêts de l'acteur et de l’écrivain ont été servis à peu près dans la même proportion, et son trésor n'a pas dû être plus enflé que sa vanité, du résultat de cette représentation.
Une mère a laissé en mourant pour unique héritage à sa fille une cassette dont la clef et le secret ont été confiés à un grave philosophe qui chérit sa pupille et lui destine un jour sa fortune et sa main. Par délicatesse, il lui laisse ignorer que, réduite à la dernière indigence, elle est redevable de son éducation à ses soins généreux. Amélie, parvenue à l’âge où elle croit pouvoir disposer de son cœur, se laisse séduire par l'espoir d'un rôle brillant qu'elle se flatte de jouer dans le monde ; et s'éloignant d'un tuteur dont l'austerité est peu analogue à ses goûts, elle se laisse aller aux conseils d'un jeune étourdi nommé Rosenthal, et cherche à s'affranchir de l’autorité de Burdack, qui commence a lui être insupportable. Elle veut, malgré les sages avis de celui-ci, se rendre à un bal brillant où doit la conduire Rosenthal ; mais il lui manque des diamans et comme elle s’imagine que la cassette mystérieuse en est remplie, elle exige de Burdack qu’il la lui remette à l’instant même avec la clef. Burdack résiste, et cède sous la condition qu'Amélie en fera l’ouverture sans témoins. Amelie l'ouvre, et à sa grande surprise, elle n'y trouve que des instrumens de travail, des aiguilles, des ciseaux, et une lettre de sa mère qui lui apprend la triste situation où elle a laissé sa fille en mourant. Amélie repentante, abjure ses erreurs ; et la reconnoissance, de concert avec la nécessité, unit son sort à celui de Burdack.
[Le critique revient à la fin de ce qu’il dit des Rivaux sur le drame d’Amélie, « drame d’outre-Rhin », et propose un contrôle strict de l’importation « des productions germaniques ».]
Le petit acte de M. Merville sans être pompeux, vaut cependant mieux que le drame d’outre-Rhin : il seroit à desirer qu’il y eut, dans la république des lettres, des douaniers vigilans, chargés, non pas d'assujetir à aucun droit les productions germaniques, mais d'en empêcher sévèrement l’importation. C
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