Amour, honneur et devoir, ou le Rapt

Amour, honneur et devoir, ou le Rapt, mélodrame en trois actes, en prose et à grand spectacle, imité du théâtre espagnol de Calderon, de P.-J. Charrin, musique de Quaisain et Renat fils, ballet de Millot, 25 mai 1815.

Théâtre de l' Ambigu-Comique.

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Barba, 1815 :

Amour, honneur et devoir ou le Rapt, drame en trois actes et en prose, Imité du Théâtre espagnol de Calderon, Par Mr. P. J. Charrin, Musique de MM. Quaisain et Renat fils ; Ballet de M. Millot ; Représenté pour la première fois, sur le Théâtre de l'Ambigu-Comique, le 25 mai 1815.

Une seconde édition est parue en juin 1815.

Le Journal de Paris n° 124 du 4 mai 1815, p. 3, annonce la mise en répétition de la pièce, qui est présenté comme « une traduction de Calderon ».

Le Journal de Paris, n° 146 du 26 mai 1815, p. 1, rend compte rapidement (et sans enthousiasme) du succès de la pièce :

Le mélodrame joué hier pour la première fois au théâtre de l'Ambigu, sous le titre de Amour, Honneur et Devoir, ou le Rapt, a obtenu un succès qui doit d'autant plus flatter l'auteur. (M. Charrin), qu'il n'excitera l'envie de personne. Sa pièce est une pâle contre épreuve de l'Alcade de Zulaméa de Pedro Calderon, et n'égale pas, à beaucoup près, l'imitation que Collot-d'Herbois en a donnée dans le drame du Paysan Magistrat.

Journal de Paris, n° 153 du 2 juin 1815, p. 2-3 :

[Dans un long compte rendu, Martainville, le critique du Journal de Paris, lui-même auteur dramatique, commence classiquement par rappeler la genèse du sujet, de Calderon à Collot-d'Herbois, puis de Collet-d'Herbois à Charrin. Chaque nouvelle version est inférieure à la précédente, et celle de Charrin enlève à l'action la force que Colt-d'Heroiv avait déjà en partie enlevée à Calderon : le paysan espag nol de Calderon «était un Romain du bon temps », celui de Charrin a un caractère très affadi : il « n'a pas senti que l'intérêt dramatique et moral du drame qu'il imitait » repose sur l'opposition forte entre le crime odieux commis par le puissant et la vengeance implacable que le père, un plébéien, exerce contre lui. Martainville livre une analyse très fine de la situation dramatique, chacun se trouvant confronté à l'inflexible volonté du paysan-magistrat de rendre la justice sans accepter quelque compromis que ce soit : il est question d'honneur et de devoir, honneur de la jeune fille offensée et de son père, devoir de ce père devenu juge et contraint de ne pas tenir compte de sa situation et de punir.]

THÉATRE DE L'AMBIGU-COMIQUE.

Amour, Honneur et Devoir, ou le Rapt, mélodrame en trois
actes, imité du théâtre de Calderon.

L'Alcade de Zalaméa, drame de Calderon, est une des pièces que Linguet a traduites pour en former son Théâtre espagnol, en 4 vol. in-12. On l'y trouve sous le titre du Viol puni.

Malgré beaucoup de longueurs, de repétitions et de déclamations parasites, on trouve dans cette pièce un grand fond d'intérêt ; on y admire surtout un caractère énergiquement tracé : c'est celui du fermier-magistrat, chargé de venger au nom des lois l'outrage que sa famille a reçu. Ce paysan espagnol ressemble à un Romain du bon temps. Collot-d'Herbois, ce comédien-législateur, qui s'élança des théâtres de province sur le grand théâtre politique, où il joua trop long-temps la tragédie, Collot-d'Herbois fit représenter avec succès une imitation de la piece de Calderon.

Le Paysan Magistrat dut sans doute une grande partie de sa réussite aux circonstances ; mais ce drame n'est pas indigne d'estime, et paraît en mériter beaucoup quand on le compare à la pièce nouvellement jouée à l'Ambigu.

M. Charrin n'a pas senti que l'intérêt dramatique et moral du drame qu'il imitait, naît tout entier de l'opposition vigoureuse entre le crime insolemment commis par l'homme puissant et la vengeance inflexiblement exercée par le juge plébéien ; il a timidement adouci l'action coupable du jeune homme, sans prévoir qu'à moins de rendre barbare le père de la fille qu'on a tenté d'enlever, il serait obligé d'affaiblir aussi les traits de son caractère.

Pour mettre les lecteurs à même d'apprécier la justesse de cette observation, il faut leur mettre sous les yeux l'analyse du nouveau mélodrame.

D. Alphonse a vu Elvire au couvent, et s'est épris de la plus violente passion pour elle; voilà pour l'amour. Mais D. Alphonse est le fils d'un grand seigneur, D. Sanche, général espagnol, tandis qu'Elvire n'est que la fille d'un roturier, le riche fermier Moreno, qui, plusieurs fois, a prêté des sommes immenses au gouvernement, et qui a refusé des lettres de noblesse, ne voulant point sortir de sa sphère, ni faire payer les services qu'il rend à la patrie. D. Sanche commande les troupes qui vont assister au couronnement de Philippe II, et D. Alphonse, capitaine sous les ordres de son père, est envoyé avec un billet de logement chez ce fermier qu'il ne connaît pas pour le père d'Elvire. Bientôt les amans se retrouvent; et quoiqu'Elvire le chérisse et qu'il ait surpris son secret, elle lui défend de la demander en mariage. De son côté, l'honnête Moreno qui sait que D. Sanche veut marier son fils à la fille du premier ministre, déclare formellement qu'il ne consentira jamais à une union aussi disproportionnée; voilà pour l'honneur.

Ne pouvant posséder légitimement celle qu'il aime, D. Alphonse, secondé par quelques soldats, tente de l'enlever ; mais Gusman, frère d'Elvire, nouvellement engagé dans la compagnie d'Alphonse, découvre le complot, délivre sa sœur, et poursuit les auteurs du rapt ; dans l'obscurité de la nuit, il blesse sou capitaine et le ramène prisonnier, ainsi que ses complices.

Sur ces entrefaites, Moreno a été nommé alcade, et c'est lui qui doit juger les coupables. D. Sanche, informé que son fils est entre les mains de la justice, accourt pour se le faire rendre et le punir lui-même ; mais il éprouve la plus forte résistance de la part de Moreno, qui persiste à l'envoyer à la mort, si D. Sanche ne consent pas à ce qu'il répare par l'hymen l'outrage fait à Elvire. D'un autre côté, Gusman, qui a blessé Alphonse, est au pouvoir de D. Sanche ; ce général veut user de représailles, et donne ordre de le faire passer par les verges; voilà ce qu'on appelle le devoir. Les deux pères mettent réciproquement beaucoup d'inflexibilité dans leur résolution. Elvire implore D. Sanche ; D. Alphonse va se donner la mort. Le vieux général cède enfin et consent à l'union des amans.

L'espèce de succès qu'a obtenu la contre-épreuve faible et décolorée que M. Charrin nous a offerte de l'ouvrage de Calderon, est une preuve victorieuse du mérite de l'original.

Au surplus, le succès du mélodrame Amour, Honneur et Devoir, est doux et modeste comme le caractère de l'auteur.

A, Martainville.          

Le Nain jaune ou Journal des arts, des sciences et de la littérature, Volume 2, n° 370 (cinquième année) du 30 mai 1815, p. 252 :

[Le Nain jaune aime bien les sarcasmes, et il ne se prive pas ici de dire tout le mal qu'il pense d'une pièce qui ressemble beaucoup à un plagiat : la pièce de Charrin s'inspire d'une pièce de Collot d'Herbois, le Paysan magistrat, imitation d'une pièce de Calderon. « Mauvais comédien, […] mauvais écrivain », visiblement le critique n'aime guère Collot d'Herbois. Mais il n'aime pas non plus Charrin, qu'il traite durement : il insiste sur son goût de l'argent et ses compétences de comptable (il a bien publié un Barème du négociant) : pour lui, le mélodrame n'est qu'un moyen de gagner de l'argent. Suit le résumé de l'intrigue, une histoire « espagnole » de jeune fille élevée au couvent qu'un bel officier a aperçue et dont il est tombé amoureux. Mais pas question pour lui d'épouser la fille d'un simple fermier. Il se prend de querelle avec le frère de sa bien aimée, et c'est au père de famille, providentiellement nommé juge, de juger celui qui a projeté d'enlever sa fille. Mais la demoiselle l'attendrit par ses larmes, et le mariage devient possible, d'autant que le prince a anobli le modeste fermier. Le jugement porté par le critique est assez sévère : un confrère du critique a relevé dans la pièce « quelques mauvaises locutions », mais pas plus que dans d'autres pièces, l'intrigue « est conduit avec assez d'adresse ». Reste une accusation à demi mot de plagiat : il lui laisse le soin de calculer l'importance de sa dette envers Collot d'Herbois. Mais cela ne devrait pas empêcher « une multiplication de représentations », prometteuse de bonnes recettes.]

PETITS THEATRES.

Ambigu-Comique. – Amour, Honneur et Devoir, ou le Rapt, ou le Paysan magistrat. – C'était un singulier homme que le patriote Collot d'Herbois. Après avoir joué sans succès beaucoup de rôles sur les théâtres de Génève [sic], de la Haye et de Lyon, il vint en jouer un trop fameux à París dans le club de Jacobins. Pendant le cours de ses caravanes théâtrales, qui précédèrent ses saturnales politiques, il imagina de joindre au titre de mauvais comédien celui de méchant écrivain. La seule de ses pièces qui ne soit point tombée est une imitation de Caldéron intitulée : Le Paysan magistrat. C'est à l'auteur espagnol ou au jacobin français que M. Charrin a emprunté le sujet du mélodrame auquel il a donné le titre pompeux de Amour, Honneur et Devoir.

M. Charrin, qui est en état de répondre mieux que personne à cette question :

» Cent francs, au denier vingt, combien font-ils » ?

n'était connu jusqu'ici dans le monde littéraire que par des traités d'arithmétique ; mais, nouveau Figaro, il donne un démenti à ceux qui disent sottement que l'esprit des lettres est incompatible avec l'esprit des affaires. La même plume dont il traça le Barème du négociant lui sert à composer un mélodrame. Quelques malins prétendront peut-être qu'il n'y a pas tant de différence qu'on pourrait le croire entre Barème et un faiseur de mélodrames, et que la littérature de tous les deux n'a d'autre but que de compter de l'argent. Propos d'envieux, que M. Charrin aura raison de mépriser, et qu'il fera taire en offrant ses mélodrames aux négocians et ses livres de calculs aux hommes de lettres.

Le fermier Moréno a une fort jolie fille, qu'il a fait élever au couvent : le capitaine don Alphonse, qui l'y a vue, en est devenu éperdûment amoureux ; le hasard le conduit en garnison à Villa-Nuova ; il se présente avec un billet de logement chez le paysan Moréno. O surprise !.... La demoiselle qu'il a vue au Couvent, est la fille d'un simple fermier. Le fils du général don Sanche ne peut épouser mademoiselle Moréno : quel parti prendre ? celui de l'enlever ; mais le frère d'Elvire (c'est le nom de la belle) s'oppose à ce rapt et blesse le ravisseur. Par un hasard fort heureux pour les spectateurs, Moréno vient d'obtenir la place d'alcade. Don Alphonse et le frère d'Elvire se présentent à son tribunal : le voilà juge dans sa propre cause ; mais par bonheur encore les larmes de sa fille et les lettres de noblesse que le prince lui accorde mettent fin à son embarras, et à la pièce.

Ce mélodrame, dans lequel le chevalier A. D. C. (de la Feuille du Jour) relève d'un ton magistral quelques mauvaises locutions, n'est pas plus mal écrit que tous les autres. Il est conduit avec assez d'adresse. Dans la somme de gloire qu'il recueille, M. Charrin fera mieux que moi la soustraction de ce qui revient au citoyen Collot d'Herbois. Mais, tel qu'il est, son ouvrage me paraît devoir obtenir une multiplication de représentations, qui fera que, du moins à la caisse, le résultat pour l'auteur ne sera pas zéro.

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