Après la confession, la pénitence : épilogue d’un grand prologue, vaudeville, de Barré, Radet, Desfontaines et tant d'autres, 9 germinal an 8 [30 mars 1800]
Théâtre du Vaudeville.
Sur les démêles du Théâtre du Vaudeville avec le Théâtre Favart, voir La Tragédie au vaudeville, en attendant le vaudeville à la tragédie.
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Titre :
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Après la confession, la pénitence : épilogue d’un grand prologue
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Genre
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Vaudeville
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Nombre d'actes :
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1 ?
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Vers / prose
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en prose, avec des couplets en vers
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Musique :
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vaudevilles
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Date de création :
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9 germinal an 8 [30 mars 1800]
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Théâtre :
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Théâtre du Vaudeville
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Auteur(s) des paroles :
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Barré, radet et Desfontaines, et tant d'autres
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Courrier des spectacles n° 1492 du 10 germinal an 9 [31 mars 1801], p. 2-3 :
[C'est la guerre entre les théâtres (pendant que la paix se prépare entre les nations...). Théâtre Favart contre Théâtre du Vaudeville, on en est à la réplique contre la réponse à l'attaque du Vaudeville, qui a osé parodier une tragédie et sortir donc de son domaine. Devant une salle comble, le Vaudeville utilise l'arme du rire pour plaider son droit à jouer ce qu'il veut, contre un Théâtre Favart désireux de préserver ses privilèges. La salle a beaucoup ri, et la défense proposée par le Vaudeville a paru juste. Elle oppose un Prologue préoccupé de punir les insolents acteurs du Vaudeville qui parodient « tous les bons ouvrages ». Mais le Vaudeville se montre soucieux de paix (c'est d'actualité), et dénonce dans les manœuvres du Théâtre Favart une volonté de polémiquer. Succès pour les pacifistes.]
Théâtre du Vaudeville.
La lutte se prolonge : le prologue au théâtre Favart se soutient seul. Il est méchant, cela suffit. Il a voulu d’un coup de massue écraser l’enfant de la rue de Chartres ; mais celui - ci a paré le coup hier soir, et à l’abri de quelques boucliers il a décoché contre le prologue quelques traits acérés, qui l’ont piqué sans le déchirer, et qui l’ont forcé enfin à subir la Pénitence, suite de la Confession. Cette querelle a n’est pas sans doute terminée, mais on étoit si curieux de voir comment le Vaudeville se défendroit, que la salle étoit remplie de spectateurs.
A chaque instant les éclats de rire universels prouvoient combien on étoit satisfait de cette défense ; et en effet il n’est rien de plus malin, il n’est peut-être rien de plus mesuré et de plus honnête. En voici un léger apperçu.
A la fin de la pièce de la Tragédie au Vaudeville, on retient les acteurs, on annonce un étranger.
Uu Garçon de Theatre.
Air : Morgué qu'ta mère.
C’est un monsieur fort en colère
Qui vient vous donner tes leçons.
Le pere Lajoie (montrant le Vaudeville).
Ce motif ne peut lui déplaire,
Allez, qu’il entre sans façons :
Quoique d'humeur un peu frivole
Aux leçons il sait se plier,
Pourvu que le maitre d'école
Ne soit pas un écolier.
M. Prologue entre, la robe sur les épaulés, le martinet pendu à son côté, la férule dans la main, et traînant avec peine à sa suite une demoiselle bien jolie , mais qui ne peut se soutenir. Cela n’est pas étonnant depuis le tems qu’on la promène.
Prologue, à la vue des acteurs du Vaudeville, s’étonne de ce qu’ils existent encore et déclare qu’il a dit bien du mal d’eux et de leurs pièces. Il leur reproche de parodier tous les bons ouvrages. Arlequin lui observe que cela, ne le regarde pas.
Prologue laisse ensuite sa compagne presque expirante plaider sa cause elle-même. Elle avoue qu'elle est désespérée , puisqu’en une seule soirée elle a perdu jusqu’à son nom, et ce nom le voici :
L’autre jour j’étois Desirée,
Je ne le suis plus aujourd’hui.
Elle doit tous ses malheurs au Prologue, qui avec des méchancetés pouvoit se soutenir sans esprit ; mais pour elle, qui est bien loin de nuire à personne (dit-elle)
L'esprit m’étoit bien nécessaire ;
Mais on ne m’en a pas donné.
Jusqu'ici le Vaudeville a répondu sans amertume, il étoit une circonstance où il devoit l'employer, la voici. La Confession, à Favart, offroit cette fin de couplet.
On demande au Vaudeville ce qu’il prétend faire de ses traits :
C'est pour déclarer la guerre
A ceux qui chantent la paix.
Le Père Lajoie.
Air : Celui dont la main.
La paix nous ravit, nous enchante,
Qui pourroit ne pas la fêter ?
Pour blâmer celui qui la chante :
Nous aimons trop à la chanter.
Mais d'accord avec le parterre,
D’accord avec tous les Français,
Le vaudeville fait la guerre
A ceux qui font siffler la paix.
Les auteurs ont été demandés au milieu des applaudissemens : ce sont les auteurs de la Tragédie au Vaudeville.
F. J. B. P. G***
Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 6e année (1800), tome VI, p. 281 :
[Cet article figure également dans l’Esprit des journaux français et étrangers, trentième année, tome IX, prairial an IX [juin 1801], p. 200-201.
Dans la guerre qui oppose les théâtres autour du droit de jouer des vaudevilles, cette pièce est la réponse à la réponse à l’attaque portée par le théâtre du Vaudeville. L’objectif est de se moquer de ce prologue rempli d’insultes, et cet objectif paraît atteint. Le nom des auteurs n’est pas donné, mais la dernière phrase nous renvoie à « ceux de la Tragédie au Vaudeville » (on tourne en rond...).]
Après la Confession, la Pénitence, Epilogue d'un grand Prologue.
Cette petite scène faite pour répondre à la Confession du Vaudeville, a été jouée le 9 germinal, après la représentation de la Tragédie au Vaudeville.
Un personnage vêtu en frère ignorantin et armé d'une férule, traîne après lui avec peine une jeune femme. On demande à cette espèce de précepteur, quel est son nom ; il dit qu'il se nomme M. Prologue. On demande ensuite le nom de la jeune femme, qui répond:
L'autre jour j'étois désirée,
Je ne la suis plus aujourd'hui.
Toutes les injures lancées par M. Prologue sont relevées l'une après l'autre avec beaucoup d'esprit. Lorsqu'il dit en parlant des traits du Vaudeville que c'est pour déclarer la guerre à ceux qui chantent la paix, on lui répond que non :
Mais que l'on déclare la guerre
A ceux qui font siffler la paix.
Le petit Vaudeville s'approche de-M. Prologue, et lui dit qu'il est prêt à recevoir des leçons, mais pourvu que le maître ne soit pas un écolier. Enfin on se moque de M. Prologue, en formant autour de lui une ronde dans laquelle on l'invite à la pénitence et à l'indulgence.
Les auteurs sont ceux de la Tragédie au Vaudeville.
Peltier, Paris pendant l'année 1801 [Londres, 1801], volume 31, p. 153-157 :
THÉÂTRE DU VAUDEVILLE.
Après la Confession la Pénitence, Petit Epilogue à l'Occasion d'un Grand Prologue.
On avait bien pu forcer le vaudeville à faire sa confession, mais pour la pénitence cela n'était pas si facile : ce petit hypocrite est un singulier pénitent ; c'est lui qui fait faire la pénitence à ses confesseurs . Dans cette guerre comique, il me semble que les chansonniers de la rue de Chartres ont du moins un intérêt capable d'excuser les hostilités : sans examiner leurs titres à la propriété des couplets, ils en ont la jouissance ; ils ont dû repousser l'invasion du Théâtre Français, qui entreprenait de les troubler dans leur possession ; mais de quoi se mêle le Théâtre Favart ? c'était bien assez pour lui d'avoir adopté Désirée ; la charge était assez lourde ; qu'avait-il besoin d'épouser la querelle du Théâtre Français, lorsqu'elle était terminée de fait & par une autorité supérieure à celle des couplets ? le Théâtre Favart devait se contenter de jouer & de faire siffler son allégorie ; le prologue est une attaque gratuite qui met aujourd'hui le vaudeville dans le cas d'une défense légitime.
La Tragédie au Vaudeville ne signifie plus rien depuis que le Vaudeville à la Tragédie n'a plus lieu ; cette farce n'a plus de motif ; mais elle a toujours du succès. La parodie est le plaisir des libertins en littérature, qui se plaisent à railler les mysteres sublimes que le peuple révere ; les dévots eux-mêmes ne sont pas fâchés de faire de tems en tems une petite débauche ; ils trouvent piquant d'aller rire dans la rue de Chartres de ce qu'ils adorent dans la rue de la Loi ; & même en général la dévotion pour le galimathias tragique se refroidit beaucoup ; les acteurs contribuent eux- mêmes à décrier leurs saints : on va toujours beaucoup à la tragédie, mais c'est par ton plus que par un vrai sentiment de ses beautés, du moins si l'on en juge d'après l'ennui peint sur les physionomies. On regarde le genre tragique comme le plus noble, & dans tous les tems il fut très-noble de s'ennuyer ; on s'ennuyait à la cour, on s'ennuyait chez les grands, & cet ennui était un honneur. Je serais tenté d'apliquer [sic] à ceux qui vont bâiller à la tragédie ce que Voltaire disait très-injustement des savans , admirateurs d'Homere : « Ils mettent leur gloire à ne pas convenir que l'Iliade les ennuie. »
La Tragédie au Vaudeville venait d'être couverte d'applaudissemens, les acteurs étaient sur le point de se retirer, lorsqu'un garçon de théâtre leur a crié : « Où allez-vous donc ? cela n'est pas fini . » Puis, s'adressant au vaudeville, il a demandé s'il voulait recevoir la visite d'un certain monsieur appelé Prologue.
Le Garçon de Théâtre.
C'est un monsieur fort en colere
Qui vient vous donner des leçons.
Le pere la joie, montrant le vaudeville.
Ce motif ne peut lui déplaire ;
Allez, qu'il entre sans façons :
Quoique d'humeur un peu frivole
Aux leçons il sait se plier,
Pourvu que le maître d'école
Ne soit pas un écolier .
On voit donc entrer un pédant vêtu de noir, le martinet à la ceinture, la férule à la main ; il est accompagné d'une jeune fille qui se soutient à peine ; il la secoue rudement, tout en lui donnant le bras. « Vous me soutenez avec des injures, » lui dit-elle – « Je vous soutiens ... comme je me soutiens, » répond brusquement monsieur Prologue. La jeune fille est si chancelante & si faible, qu'on lui présente une chaise sur laquelle elle tombe plutôt qu'elle ne s'assied ; on l'a tant promenée, qu'elle n'en peut plus.
Le pédant, qui croyait avoir assommé de sa massue les acteurs du vaudeville, est très-scandalisé de les trouver joyeux & dispos ; il leur signifie qu'il a dit que leurs pieces sont mauvaises, pleines de pointes & de calembourgs ; qu'ils sont des ignorans, qui prennent des empereurs romains pour des philosophes grecs ; enfin, qu'ils sont à l'écurie. Après cela, il s'étonne qu'ils soient encore au monde ; les acteurs du vaudeville ont de la peine à croire qu'il ait poussé jusques-là la grossiereté ; mais il en jure, foi de Prologue ; ils lui déclarent alors que ce style n'est point à leur usage :
Ah! s'il vous plait, permettez-nous
De ne pas prendre votre style ;
Plus de gaîté que de courroux,
Voilà le ton du vaudeville :
Sans doute il aime à guerroyer ;
Mais chaque fois qu'il entre en lice,
Né Français, il veut allier
La politesse à la malice.
Ils ne répondent à l'accusation des pointes & des calembourgs, qu'en récriminant ; mais le reproche amer que leur a fait M. Prologue, de
Déclarer la guerre
A ceux qui chantent la paix,
Est très-ingénieusement réfuté par le couplet suivant :
La paix nous ravit, nous enchante ;
Qui pourrait ne pas la fêter ?
Pour blâmer celui qui la chante,
Nous aimons trop à la chanter ;
Mais d'accord avec le parterre,
D'accord avec tous les Français,
Le Vaudeville fait la guerre
A ceux qui font siffler la paix .
Nous avons laissé sur sa chaise l'allégorique demoiselle ; elle fait enfin un effort pour se relever, & semble prête à retomber sur son siége ; on la flatte, on lui dit des douceurs ; ses réponses sont des énigmes ; elle parle comme une allégorie ; mais son langage devient plus clair quand elle déplore ses malheurs ; elle s'afflige d'avoir perdu jusqu'à son nom :
M'affichant sans m'être montrée,
Me montrant & causant l'ennui,
L'autre jour j'étais désirée ;
Je ne le suis plus aujourd'hui.
Elle explique fort bien la cause de sa chûte & du succès de M. Prologue :
Mordant sans faire de blessures,
Et grinçant des dents quand il rit,
Le prologue, avec des injures,
Pouvait bien se passer d'esprit ;
Moi, pour réussir & pour plaire,
N'ayant pas ce don fortuné,
L'esprit m'était bien nécessaire,
Mais l'on ne m'en a pas donné.
On la console par des conseils, maniere de consoler qui n'est pas toujours la plus agréable ; on lui indique Favart comme le médecin le plus capable de la mettre sur pied :
Soyez Bastienne pour Bastien,
Soyez Annette, la Rosiere,
Isabelle, Rosine, ou bien
Soyez Marton la bouquetiere ;
De Nicette prenez l'habit,
Et d'un simple ruban parée,
Soyez la Chercheuse d'esprit,
Alors vous serez désirée.
Le pédant qui ne trouve là que des écoliers très-indociles, veut s'en aller ; on l'arrête, & on lui propose le passe-tems d'une petite ronde, on le place au milieu, sur une sellette, & toute la bande joyeuse du vaudeville danse autour de lui en chantant :
Descendez, rigoureux censeur,
Au fonds de votre conscience,
Vous verrez que le confesseur
Doit faire pénitence,
La Pénitence est le refrain de cette ronde très -jolie, qui termine agréablement cette petite vengeance ; le succès a été complet ; les ris, les applaudissemens ont fidelement suivi tous les couplets ; on les a presque tous redemandés, tant le public malin prend de goût à cette guerre : les puissances belligérantes y trouvent également leur compte, c'est la seule espece de guerre qui enrichisse ceux qui la font ; chaque parti chante victoire dans son camp ; chaque bataille verse de l'argent dans la caisse du régiment, sans répandre le sang du soldat ; les épigrammes ne sont pas si meurtrieres que les bayonnettes : la Confession & la Pénitence vont encore s'escrimer pendant quelques jours chacune sur leur théâtre, jusqu'à ce que la satiété du public amene un armistice qu'on s'empressera de rompre à la premiere occasion.
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