Ariodant

Ariodant, opéra en 3 actes, paroles de Hoffman, musique de Méhul. 19 vendémiaire an 7 [10 octobre 1798].

Théâtre de l'Opéra Comique National, rue Favart

Titre :

Ariodant

Genre

opéra (drame mêlé de musique)

Nombre d'actes :

3

Vers / prose

en prose, avec des couplets en prose

Musique :

oui

Date de création :

19 vendémiaire an 7 [10 octobre 1798]

Théâtre :

Théâtre de l’Opéra Comique National, rue Favart

Auteur(s) des paroles :

Hoffman

Compositeur(s) :

Méhul

Almanach des Muses 1801

Othon aimait une étrangère appelée Dalinde, qui est entrée au service d'Ina, fille d'Ecard. Il est devenu amoureux de la maîtresse, et se trouve en rivalité avec le jeune Ariodant. Pour guérir celui-ci de sa passion, il suppose qu'il est très-bien avec Ina, que même il a des rendez-vous nocturnes avec elle. Etonnement d'Ariodant ; preuves offertes par Othon qui décide Dalinde à prendre les habits de sa maîtresse, à paraître voilée à son balcon, et à lui faciliter l'entrée de son appartement. La scène se passe ainsi sous les yeux d'Ariodant. Il est désespéré, il fuit, et rencontre Dalinde qu'Othon avait remise entre les mains de deux guides, avec ordre à ceux-ci de l'égorger ; mais elle est sauvée par Ariodant. Cependant Ina est arrêtée. La loi veut que le crime dont elle s'est rendue coupable soit expié par la mort. On la conduit en prison. Ariodant l'en tire, et c'est Dalinde dont il a le secret qui a pris la place d'Ina. Les juges sont assemblés ; Ecard doit prononcer l'arrêt de sa fille : Ina pourrait s'y soustraire en se déclarant la femme d'Othon. Ce scélérat l'avait exigé d'elle sans pouvoir l'obtenir : ce mot terrible va être dit ; Othon accourt, et réclame Ina comme lui appartenant. Il interpelle l'accusée de faire elle-même un aveu qui peut l'arracher au supplice ; mais l'accusée levant son voile laisse voir Dalinde, et révèle les affreux projets d'Othon. Celui-ci disparaît. Un frère d'Ariodant est à sa poursuite, se bat avec lui et le tue.

Sujet attachant ; beaucoup d'intérêt ; très-belle musique. Grand succès.

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Huet, an 10 de la république :

Ariodant, drame en trois actes et en prose, mêlé de musique ; Représenté pour la première fois le 19 Vendémiaire an 7, sur le Théâtre Favart. Par Hoffman ; Musique de Méhul.

Courrier des spectacles, n° 962 du 19 vendémiaire an 8 [11 octobre 1799], p. 2 :

[Au lieu du compte rendu qu'on aurait pu avoir de la première de l'opéra, le Courrier des spectacles publie une lettre d'Hoffman dans laquelle il se défend de l'accusation d'avoir imité Montano et Stéphanie, la pièce de Jean-Elie Dejaure, jouée à l'Opéra-Comique à partir du 26 germinal de l'an 7 [15 avril 1799]. La seule ressemblance qu'il accepte de reconnaître, c'est une situation commune, provenant de l'identité de la source des deux pièces, les chants 5 et 6 du Roland furieux de l'Arioste.]

L’AUTEUR D’ARIODANT,
au Rédacteur.

L’épisode d' Ariodant, que l’on trouve dans les cinq et sixième chants du poëme de 1'Arioste, m’a fourni le sujet de l’ouvrage qui a pour titre le nom de ce héros imaginaire. L’auteur de Montano et Stéphanie, pièce jouée avec succès au théâtre Favart, avoit puisé dans la même source, mais comme moi il n’avoit pris dans le poème italien que la principale situation de l’épisode ; nos deux ouvrages ont donc un seul point de ressemblance dans la seule situation qui termine le premier acte de Montano et Stéphanie et le second d'Ariodant, à cela près les deux pièces n’ont absolument rien de commun ; mœurs, caractères, intrigue, nœud et dénouement, tout est différent, et la scène même qui a un point de contact dans les deux ouyrages, diffère néanmoins beaucoup par la manière dont elle est amenée. Le citoyen Dejaure, auteur de Montano, a déjà fait cette déclaration, qu’il a consignée dans un journal du tems. J’ai cru devoir la rappeler au public, afin qu’il ne s’attendît pas à voir dans Ariodant une imitation de Montano.

Courrier des spectacles, n° 963 du 20 vendémiaire an 8 [12 octobre 1799], p. 2 :

[La première représentation d'Ariodant a été un triomphe, pour l'auteur du « poëme », le compositeur et les acteurs. Tous ont été demandés et acclamés. Seule ombre au tableau, Hoffman n'a pas pu paraître pour raison de santé. C'est toutefois la musique qui a droit au meilleur traitement, comparée à celle d'Adrien, qui n'a pourtant pas eu un grand succès.]

Théâtre Favart.

Les développemens dont est susceptible l’ana lyse de l’opéra en trois actes que l’on vient de donner pour la première fois à ce théâtre, sous le titre d'Ariodant, nous forcent à la remettre au prochain numéro.

Nous nous bornons, pour l’instant, à dire que cet ouvrage a obtenu le plus brillant succès : il est de deux auteurs accoutumés à plus d’un triomphe en ce genre, les cit. Hoffmann et Méhul.

Ils ont été demandés vivement après la représentation : le citoyen Méhul seul a paru, et a été couvert d’applaudissemens, certes bien mérités. Le citoyen Hoffmann, aujourd’hui très-dangereusement malade, n’a pu jouir des mêmes témoignages d’enthousiasme. Les acteurs, à leur tour unanimement demandés, ont paru, et recueilli des marques répétées de la satisfaction du public. Si le cit. Hoffmann a prouvé beaucoup de talens, partie dans le plan, partie dans les détails de ce nouveau poëme, le citoyen Méhul, de son côté, dans cette dernière composition, a créé des effets de chant et d’harmonie qui ne le cèdent point en beautés à ce superbe Adrien, entendu trop peu long-tems.

Mais à demain donc, quoiqu’à regret, ces développemens, que déjà nous allions ouvrir, en cédant ; sans nous en apperceyoir, à l’attrait qu’ils présentent.

Courrier des spectacles, n° 964 du 21 vendémiaire an 8 [13 octobre 1799], p. 2-3 :

[L'analyse promise se divise en deux parties. La première est un long résumé de l'intrigue, avant de la juger de façon très positive : le plan est bien construit, et l'intérêt y est soutenu en permanence. Les personnages sont pareillement « habilement tracés », et l'auteur est félicité d'avoir « réussi à donne rà son action ce ton hardi et animé qui distingue l'épisode de l'Arioste ». La seule réserve porte sur l'acte 3, où la ruse qui consiste à déguiser Dalinde pour la faire passer pour Ina, ruse peu vraisemblable qui revient à mettre en avant un personnage un peu secondaire. Ais cela n'empêche pas que « cette pièce prouve un grand talent et attache continuellement ». La deuxième partie est consacrée à la musique, elle aussi louée de façon enthousiaste, aussi bien de façon générale (« une mélodie neuve, douce et touchante ») que dans toute une série de morceaux, admirablement écrits et magnifiquement interprétés par des interprètes remarquables, Baptiste comme la citoyenne Armand. Même qualité dans le jeu des acteurs, dont aucun n'est critiqué.]

Théâtre Favart.

Ariodant.

Othon, après avoir aimé long-tems une étrangère nommée Dalinde, attachée au service d’Ina, fille d’Ecard, a conçu pour cette dernière un amour violent. Il veut envain la contraindre à répondre à ses vœux, le cœur d’Ina est tout au jeune Ariodant, et Ecard n’usera pas de son autorité pour la forcer à faire un choix qui lui répugne. Othon surprend les amans dans un entretien secret, sa fureur éclate, il menace Ariodant, dont le frère paroît et embrasse la cause, Mais la présence d'Ecard et de toute sa suite, qui viennent presser Ina de se rendre à la fête, où elle doit déclarer son choix, oblige les deux rivaux à cacher leur animosité, ils se donnent à mi-voix, pour minuit, un rendez-vous près des ruines, sous le balcon de l’appartement d’Ina.

Autour de ces ruines, et sons les fenêtres d’Ina, s’est rendue toute la cour d’Ecard : des lumières disposées dans le bois éclairent des danses, des chants se font entendre, des Bardes marient leur voix au son de la harpe. Bientôt la fête cesse, et les grouppes s’éloignent.

Cependant Othon, dont les menaces n’ont pu fléchir le cœur d’Ina, use de l’ascendant qu’il s’est conservé sur l'esprit de Dalinde pour l’engager à paroître à minuit sur le balcon, parée d’habillemens semblables à ceux d’Ina, et à le faire entrer dans l'appartement de cette dernière par une échelle de corde. Sûr de son projet, il aborde Ariodant, et après avoir vainement tenté de lui inspirer des soupçons sur la fidélité d’Ina, en montrant un portrait et des lettres qu’il dit avoir reçus d’elle, il s’offre à le rendre témoin de l’accueil qu’il doit en recevoir, à la faveur des ombres : l'amant d’Ina y consent avec assurance. Effectivement, après le signal convenu, la fausse Ina paroît, l’échelle est jettée, Othon est introduit. Trompé par les apparences , Ariodant fuit désespéré. Othon, pour couvrir sa perfidie, fait échapper secrettement Dalinde, et lui donne pour guides deux hommes qui doivent la poignarder dans la forêt, et qui ont reçu d'avance le salaire de ce crime. Les loix punissent de mort le déshonneur dont Ina s’est rendue coupable, elle est tirée de son appartement, informée de son sort, et conduite devant son père, qui, d’après ces mêmes loix, doit prononcer la sentence.

L’appareil de ce jugement est disposé dans une salle du château d’Ecard; Othon n’a pu obtenir d’Ina qu’elle se déclarât unie à lui par un hymen secret, ce moyen l’eût sauvée. Il espère encore sur cet aveu, au moment où elle se verrait sur le point d’être condamnée, et lorsque l’accusée ; qu’un long voile dérobe à tous les regards, va s’entendre prononcer son arrêt de mort. Othon paraît, affirme qu’Ina lui appartient par des liens secrets, et l’adjure de l’affirmer elle-même... Non ! s’écrie l’accusée en découvrant ses traits ; et l’on reconnoît Dalinde, encore parée des ha bits d’Ina, Dalinde que, dans la forêt, Ariodant à [sic] soustraite à ses assassins, et qu'il a sçu faire entrer dans la prison à la place d’Ina.

Othon démasqué disparoit brusquement ; le frère d’Ariodant le suit. Ina, reconnue innocente, est au milieu de la foule livrée a la joie : Ecard l’unit à son amant ; Ariodant veut auparavant faire tomber Othon sous ses coups, mais il a été prévenu par son frère, qui a terrassé le traître dans un combat à outrance.

La coupe de cet ouvrage, comme on le voit, est belle, et l’intérêt est constamment ménagé jusqu’au dénouement. On peut ajouter que les caractères y sont habilement tracés. Celui d’Ina est plein de mollesse et de sensibilité, celui d'Ariodant est rempli de cette chaleur chevaleresque que l’on n’a pas toujours produit avec autant de vérité sur la scène. Il y a de la profondeur dans le rôle d’Othon, en outre vigoureusement tracé. En un mot, le cit. Hoffmann a souvent réussi à donner à son action ce ton hardi et animé qui distingue l’épisode de 1'Arioste.

Le troisième acte présente de l’intérê , mais n’est-il pas à regretter que l’auteur, au lieu de laisser Ina elle-même, amenée devant son père, qui doit être en cette circonstance l’organe terrible de la loi, y ait substitué, par une ruse peu vraisemblable, un personnage dont le caractère moins important, diminue l’effet d'une aussi belle situation. Cette pièce prouve un grand talent et attache continuellement.

Quant à la musique, elle présente une foule de morceaux qui le disputent de beauté à ce que nous avons déjà du cit. Méhul : une mélodie neuve, douce et touchante, qui repose cependant sur les bases les plus simples ; une autre partie de mélodie de même caractère sur un jeu détaché des basses qui vous reporte par illusion aux temps et aux mœurs dépeints dans l’action, composent toute l’ouverture. L'air d'Othon, dans la seconde partie, a peut-être trop de vigueur : mais citons ces phrases d’analogie qui coupent le monologue placé avant le premier air d'Ariodant, et les parties délicieuses d’accompagnement de ce morceau : citons le chant superbe et pathétique d'Ecart, De l’hymen qui fait mon bonheur ; citons l’air délicat et mélodieux de Dalinde, et le beau duo d’Ina et Ariodant, et les contrastes savans de la finale de ce premier acte , et les richesses de l’intermède qui le suit, et ce chant large, pur et religieux du chœur du second acte, O nuit propice !, et cette romance délicieuse dont, pour la musique comme pour les paroles, on a fait répéter cette stance, chantée d’ailleurs par le citoyen Baptiste, doué d’une des plus belles qualités de voix que l’on puisse entendre :

Momens charmans d’amour et de tendresse,
Comme un éclair vous fuyez a nos yeux ;
Et tous les jours passés dans la tristesse
Nous sont comptés comme des jours heureux.

Citons encore l’air de caractère, chanté avec une étonnante supériorité par la citoyenne Armand ; rappellons encore ces motifs heureux et précis qui servent presque toujours d’introduction aux morceaux de chœur, suivant les caractères et les situations, ou plutôt bornons-nous à dire qu’il est peu de parties de cette composition, qui ne soient à-la-fois susceptibles d’une analyse théorique et d'un éloge.

Le jeu superbe des acteurs ajoute encore à l’intérêt de cet opéra. Le citoyen Gavaudan y est ce qu’on le connolt dans Montano ; ce mot suffit. La citoyenne Philis, les cit. Philippe : Solié et Chenard y rendent également leurs rôles avec leur intelligence et leur exactitude ordinaires.

Magasin encyclopédique, ou Journal des sciences, des lettres et des arts, 5e année, 1799, tome III, p. 547-549 :

[De cet opéra à succès, on n’a qu’un compte rendu limité au constat de ce succès, à l’affirmation de la similitude du sujet avec celui de Montano et Stéphanie et au résumé de l’intrigue. Les auteurs et les acteurs ont été demandés, et la plupart ont paru au milieu des plus vifs applaudissemens, mais seuls les auteurs sont nommés dans le compte rendu.]

Ariodant.

Cet opéra, représenté pour la première fois le 19 vendémiaire, a obtenu le plus brillant succès. Le sujet, pareil à celui de Montano et Stéphanie, donné avec succès sur le méme théâtre, est tiré d'une épisode des 5 et 6.me chants de l'Orlando furioso.

Ina, fille d'Ecard, aime Ariodant, jeune chevalier, et en est aimée. Othon, qui avoit longtemps aimé Dalinde, une des suivantes d'Ina, est devenu épris de celle-ci ; il s'efforce vainement de la faire répondre à ses vœux, et Ecard veut que sa fille soit libre dans le choix de son époux. Othon, irrité déja par le refus d'Ina, entre en fureur lorsqu'il surprend les deux amans dans un entretien secret ; mais l'arrivée d'Ecard et de sa suite, qui vient presser Ina de se rendre à la fête où elle doit déclarer son choix, force les deux rivaux à dissimuler. Ils se donnent rendez-vous pour minuit, sous le balcon de l'appartement d'Ina. Othon a su engager Dalinde à paroître dans un vêtement semblable à celui d'Ina, à minuit, sur ce même balcon, à lui jeter une échelle de corde, et à l'introduire dans l'appartement de sa maîtresse. Ariodant, qui est témoin de tout cela, croit qu'Ina lui est infidèle, et fuit désespéré. Pour couvrir sa perfidie, Othon n'hésite pas à commettre un crime plus atroce encore. Deux hommes, sous le prétexte de conduire Dalinde dans un endroit éloigné, sont payés par lui pour assassiner cette malheureuse. Mais, délivrée par Ariodant, elle se décide encore une fois à jouer le rôle de sa maîtresse, pour mieux confondre l'exécrable auteur du complot.

Ina, prévenue du crime le plus déshonorant pour la fille d'un chevalier, doit cependant être jugée par un tribunal présidé par son père. L'accusée, couverte d un voile, paroît devant les juges ; interrogée à plusieurs reprises, elle garde constamment le silence, et va être condamnée, lorsqu'Othon paroît et la réclame comme son épouse, en déclarant qu'elle lui appartient par des liens secrets. L'accusée se lève alors pour le démentir ; elle jette son voile, et les spectateurs, stupéfaits, reconnoissent Dalinde, encore parée des mêmes habits qui avoient causé l'erreur d'Ariodant.

Othon, démasqué, est tué dans un combat à outrance par Ariodant ; Dalinde obtient son pardon, en faveur de son repentir, et la belle Ina épouse son amant chéri.

Les auteurs et les acteurs ont été demandés, et la plupart ont paru au milieu des plus vifs applaudissemens. Les paroles sont du C. Hoffmann, et la musique est du C. Méhul.

L’Esprit des journaux français et étrangers, vingt-neuvième année, tome I, vendémiaire an 8 [septembre 1799], p. 212-215 :

[Le compte rendu s’ouvre sur la comparaison entre le nouvel opéra et Montano et Stéphanie. Ressemblances, bien sûr, mais aussi différences, notamment le dénouement, jugé « plus neuf, plus ingénieux, plus dramatique » dans Ariodant. Il enchaîne avec la traditionnelle analyse dusujet, avant de porter un jugement. A part le rituel reproche de comporter des longueurs, ce sont des qualités qui sont évoquées : « conduit avec art », fin heureuse. La scène de l’interrogatoire est du « plus bel effet », mais celle du balcon est critiquée pour l’absence de réaction d’Ariodant, jugée peu naturelle, et cette « inconvenance » possible est « facile à réparer ». La musique est jugée « admirable », et le critique donne une liste copieuse de morceaux particulièrement appréciées. Le succès a été très fort : acteurs et auteurs ont été demandés et ont paru. Reste une question annexe : Montano et Stéphanie est-il voué à l’oubli ? On reprend la comparaison des deux pièces, pour souligner que la supériorité d’Ariodant ne condamne pas l’autre ouvrage, qui a ses propres qualités, dont sa musique.]

THÉATRE DE L'OPÉRA COMIQUE NATIONAL, RUE FAVART.

Ariodant, opéra.

L'opéra d'Ariodant, représenté sur ce théâtre, y a obtenu le plus brillant succès. Le sujet, pareil à celui de Montano & Stéphanie, est tiré d'une épisode de l'Orlando furioso. Dans l'un & l'autre ouvrage, un jeune chevalier, prêt à épouser une fille belle & vertueuse, se laisse tromper par la perfidie de son rival, qui lui fait voir un homme entrant de nuit dans l'appartement de sa maîtresse ; mais dans Montano, l'imposture est découverte par l'aveu même du coupable, au lieu que dans Ariodant, le dénouement est plus neuf, plus ingénieux, plus dramatique. Ina (c'est le nom de l'héroïne), prévenue du crime le plus déshonorant pour la fille d'un chevalier, celui d'avoir introduit son amant chez elle pendant la nuit ; Ina, disons-nous, est citée devant un tribunal présidé par son père. Interrogée à plusieurs reprises, l'accusée, couverte d'un voile, garde constamment le silence , & va être condamnée pour cela même, lorsque son odieux calomniateur (Othon) paroît & la réclame comme son épouse, en déclarant qu'elle s'est mariée à lui secrètement. L'accusée se lève alors pour le démentir, &, jetant le voile qui cache sa figure, montre aux spectateurs stupéfaits la suivante criminelle, qui avoit pris les habits de sa maîtresse pour tromper, au milieu des ténèbres, les yeux du crédule Ariodant ; cette domestique, séduite par les offres d'Othon, son bienfaiteur, ou plutôt épouvantée par ses menaces, étoit destinée par lui à périr, après son crime, sous le couteau des assassins ; mais délivrée par Ariodant , elle s'est encore une fois décidée à jouer le rôle de sa maîtresse pour mieux confondre l'exécrable auteur du complot. Cette seconde ruse lui réussit ; on lui pardonne en faveur de son repentir. Othon, convaincu de félonie, est tué en duel par le frère d'Ariodant, & la belle Ina épouse son amant chéri.

Il y a de l'intérêt dans cet ouvrage, mais des longueurs ; il est conduit avec art, & il finit d'une manière heureuse. La scène de l'interrogatoire produit surtout le plus bel effet : elle porte un caractère à la fois mystérieux & solemnel, qui suspend l'ame du spectateur & qui fixe impérieusement son attention ; mais peut- être celle du balcon offre-t-elle un léger défaut. Est-il bien naturel qu'un amant passionné, qu'un intrépide guerrier, laisse son rival s'introduire paisiblement à ses yeux chez la femme dont il est épris ? il nous semble que son mépris pour cette prétendue coupable ne doit pas éteindre subitement sa fierté naturelle & son horreur pour le plus impudent des rivaux, & qu'il devroit au moins s'élancer, l'épée à la main, vers le balcon sauf à être retenu tout à coup par les témoins qui l'environnent, ou par son propre accablement. Mais s'il y a là une inconvenance, elle est facile à réparer, & l'acteur lui même peut se charger de la correction.

Ce qu'il y a de plus admirable dans cet opéra, c'est la musique On peut la placer au rang des chef d'œuvres de la scène lyrique ; alternativement forte & gracieuse, tendre & sublime, savante & mélodieuse, & constamment originale, elle électrise toutes les ames.

Les parties le plus vivement applaudies sont 1'ouverture, la romance d'Ariodant, le premier chœur du second acte, les couplets d'un Barde (parfaitement accompagnés sur la harpe par le C. Dalvimar), & surtout la magnifique ariette chantée par Ina.

Les costumes sont riches, galans & fidèles, & les rôles ont été distribués aux acteurs les plus dignes de les faire valoir.

Les auteurs & les acteurs ont été demandés, & la plupart ont paru au milieu des plus vifs applaudissemens. Les paroles sont du C. Hoffman, & la musique du C. Méhul.

Nous ne pouvons terminer cet article sans prémunir nos lecteurs contre l'idée toute naturelle qu'il pourroit leur faire naître à l'égard de Montano & Stéphanie : ils se tromperoient s’ils croyoient cette pièce totalement éclipsée, par l'opéra d'Ariodant. La marche & le ton de ces deux ouvrages sont si différens, que le succès de l'un ne doit pas nuire à celui de l'autre. Le premier, moins habilement intrigué, moins fertile en incidens, offre aussi moins de tableaux & de variété ; mais on y admire plusieurs morceaux de musique religieuse (notamment la finale du second acte), dont aucune comparaison ne pourra atténuer l'effet, & qu'on n'entendra jamais sans la plus vive émotion. Nous devons cette justice au C. Lebreton, dont le talent justement aimé du public, annonce un élève de la bonne école, & dont le C. Méhul lui-même fait partout l'éloge avec cette franchise cordiale, malheureusement trop rare parmi nos artistes.

[Ariodant a fait l'objet d'une parodie, L'Orviétan, jouée le 17 frimaire an 7 (7 décembre 1798) au théâtre de l'Ambigu Comique.]

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