L'Assemblée de Famille

L'Assemblée de Famille, comédie en cinq actes et en vers, de Ribouté, 26 février 1808.

Théâtre Français.

Titre :

Assemblée de famille (l’)

Genre

comédie

Nombre d'actes :

5

Vers / prose ?

en vers

Musique :

non

Date de création :

26 février 1808

Théâtre :

Théâtre Français

Auteur(s) des paroles :

Ribouté

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Barba, 1808 :

L'Assemblée de famille, comédie en cinq actes et en vers, par Mr.Ribouté, représentée pour la première fois sur le Théâtre Français par les comédiens ordinaires de l'Empereur et Roi, le 26 février 1808.

Quia egens est misera, ignoratur parens ;
Neglegitur ipsa.

Parce qu'elle est demeurée pauvre et misérables, on ne peut pas reconnaître son père, et on la méprise.

Ter. Pho. act. 2.

Almanach des Muses 1809.

[Après avoir résumé l'intrigue de cette Assemblée de famille plutôt perturbée, le critique revient sur la réception de la pièce, jugée de façon excessive, en bien comme en mal. Il la traite ensuite avec sévérité (à part un peu d'intérêt, rien n'est jugé positivement, ni l'action, ni le style. Mais elle a eu un succès dont le critique s'étonne, et dont l'auteur, au nom déformé, devrait s'étonner aussi.]

Ergaste, jeune Français marié secrètement aux Indes, où il a fait une grande fortune, revient dans sa patrie, amenant avec lui Angélique, fille de cet hymen caché dont il n'a instruit que Blainville, son frere. Il la présente à ses autres parents comme un enfant naturel. Angélique gagne tous les cœurs par son amabilité. Ergaste se propose de l'unir à un cousin nommé Forlis, négociant probe, quoique d'un caractere intéressé ; mais Ergaste, forcé de faire un nouveau voyage aux Indes, meurt avant l'accomplissement de ses projets, et cet événement change tout-à-fait la condition d'Angélique. La voilà abandonnée de tous ses parents. Ergaste, avant de partir, avait laissé tous ses pouvoirs et tous ses papiers à un honnête notaire nommé Dorval, sans cependant lui confier le secret de la naissance d'Angélique. Ce notaire, en annonçant aux parents d'Ergaste la perte qu'ils viennent de faire, ne s'explique qu'en termes vagues, pour se ménager les moyens d'obtenir d'eux une composition favorable pour Angélique ; ceux-ci, trompés par les réticences de Dorval, s'imaginent qu'Ergaste a laissé toute sa fortune à sa fille, et déjà ils dressent leurs plans afin de s'associer aux avantages d'une aussi riche succession. Il n'en est pas de même, lorsque cette foule de parents cupides apprend qu'Angélique n'a rien à espérer de la succession de son pere ; de nouveaux projets succedent à ceux qu'ils avaient formés ; Angélique est chassée de la maison, et réduite à une pension de 1200 fr. au lieu de 1,200,000 fr. auxquels elle avait droit de prétendre. Blainville, qui ne peut plus se modérer, irrité de la conduite de ses neveux, prouve par des actes authentiques la légitimité de la naissance de sa niece, lui fait restituer sa fortune, et l'unit à Valere, le seul parent d'Angélique qui se soit montré généreux dans cette occasion.

Ouvrage dont on a dit trop de bien et trop de mal. Quelque intérêt, mais action faiblement liée ; style dans lequel on voit que l'auteur s'est plutôt proposé d'imiter Lachaussée que Moliere ; assez de mérite cependant pour justifier, en partie, un succès dont M. Riboud lui-même a pu être étonné.

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome IV, avril 1808, p. 264-273 :

[Compte rendu fleuve d'une œuvre écrite par « un homme faisant profession de cultiver les lettres, mais les lisant et leur consacrant seulement ses loisirs ». A la fin d'un long article, le critique lui reconnaît « un esprit éclairé, un goût délicat, une manière de penser saine, et une manière d'écrire exempte de fautes graves ».]

Théâtre Français.

L'Assemblée de famille, comédie en cinq actes et en vers.

La première représentation de cette pièce, donnée dernièrement sur ce théâtre, avait singulièrement piqué la curiosité publique. On connaissait le nom de l'auteur, on savait que ce n'était point un homme faisant profession de cultiver les lettres, mais les lisant et leur consacrant seulement ses loisirs.

Or, c'est un objet piquant de curiosité, que cette tentative d'un homme du monde entrant librement dans cette carrière que l'homme de lettres aborde avec tant de dangers, de difficultés et d'effroi, y apportant plus de chances et moins de responsabilité pour son amour-propre, et presque sûr de réussir s'il prouve seulement plus d'esprit que d'art, plus de facilité que d'habitude, plus d'imagination que d'expérience. Sera-ce un rival dangereux, se demande secrettement l'homme de lettres ? Sera-ce un bon auteur de plus ? Sera-ce un auteur comique, demande le spectateur, étranger à tout autre intérêt que celui de son plaisir ? Ainsi naissent la curiosité, l'intérêt , l'affluence, dispositions dont l'auteur de la pièce nouvelle n'a éprouvé que les plus favorables effets.

Son sujet est d'une extrême simplicité, et ne nécessite point une analysa étendue : on se perdrait dans les détails : peu de mots doivent suffire.

Le père d'une jeune personne, fruit d'un mariage secret, a-t-il testé en mourant et reconnu son enfant ? La jeune Angélique a-t-elle un état assuré par un mot de la main de son père ? Est-elle sans famille par l'effet de son silence ? Tant qu'on croit que le testament existe, une famille entière s'empresse autour d'elle, et d'avides collatéraux sont à ses pieds. Des doutes s'élèvent sur l'existence de l'acte, la scène change, on lui conteste son nom, on lui refuse un état ; on veut lui accorder par pitié sur une immense fortune une modique pension alimentaire : ce jeu des passions, ce changement de scène opéré par une basse cupidité, est observé par le frère du mort, oncle d'Angélique, qui fait tour-à-tour subir des épreuves à la famille intéressée, à Angélique elle-même, au jeune et brave officier son amant : une assemblée de famille dévoile le caractère, les prétentions, les sentimens de chacun des personnages, l'oncle écoute, voit, juge, et rompt l'assemblée en tirant de sa poche l'écrit de son frère, qui rend toute délibération inutile, établit Angélique dans ses droits, et ôte tout espoir aux collatéraux.

Ce sujet, on le voit , est d'une très-grande simplicité ; il pouvait, sans exiger la. vivacité d'une action très-rapide et très-intriguée, prêter beaucoup au développement de quelques caractères, fournir des. oppositions piquantes, des rôles saillans, des situations comiques ; l'auteur ne nous a pas paru remplir sous tous les rapports l'espérance que l'idée première de son sujet laissait concevoir.

Le public que le premier acte avait séduit par des détails heureux, par une exposition facile de la situation et des caractères, a attendu pendant le second et la moitié du troisième acte un commencement d'action, et l'arrivée du. personnage principal, celui de l'oncle. Ce personnage devait faire la pièce, et selon nous, c'est lui qui empêche que la pièce ne soit bien faite. Il a détruit toutes les espérances, déplacé toutes les idées, et mis du, trouble, de la confusion, de l'incertitude, où: l'on attendait de la clarté, du comique, de l'intrigue. Son caractère est indécis, ses desseins incertains, son personnage, indéfinissable : en lui, l'on ne peut rien saisir, rien deviner, s'assurer de rien.

Aime-t-il, n'aime-t-il pas ses parens ? Les connaît-il ? Est-ce un misanthrope ? Est-ce un homme dégoûté du monde, des autres, ou de lui-même ? A-t-il des affections douces, de la sensibilité, ou de l'humeur, on de la mélancolie ! Qu'est-il ? Que veut-il ? Que se propose-t-il de faire ? Est-il venu du fond de sa retraite au sein d'une famille qui va s'assembler, et dont il a la destinée renfermée, pour ainsi dire, dans son portefeuille ; est-il venu, disons-nous, pour lire un chapitre de l'Essai sur le Bonheur, pour discuter longuement avec un valet, ou pour déclamer plus longuement tout seul sur la nature de nos affections, de nos senti mens, sur la bienfaisance, sur les plaisirs de l'ame, sur la vie champêtre, sur mille idées enfin qui successivement lui passent pair la tête, le détournent du but, et en détournent avec lui le spectateur qui veut le suivre dans ses divagations ou dans ses monologues ?

Il se livre enfin aux épreuves qu'il doit faire; il sonde les dispositions d'Angélique, de son amant, des collatéraux ; mais il y a peu d'art dans les épreuves et le spectateur savait trop bien ce que l'oncle apprend dans ces entretiens pour s'y intéresser vivement. Vient après les épreuves l’Assemblée de famille :cette scène pouvait être très-dramatique, très-forte ; elle n'est remarquable que par un trait excellent, le mot d'un commerçant qui ne demande au notaire qu'un mot : Monsieur, combien revient-il à chacun ? On s'attend bien à voir paraître le titre qui va confondre l'espoir des collatéraux, nais personne ne s'attend à voir présenter ce titre par ce personnage équivoque de l'oncle, sur lequel nul spectateur n'a pu asseoir ses idées et former son jugement : un dénouement prévu, maïs faiblement amené, succède donc à une action vide et lente, sur-tout au second et au quatrième actes. On doit ajouter comme défauts essentiels, la multiplicité des personnages, le nombre de figures semblables, placées sans nécessité sur le même plan, concourant ensemble à l’effet, et se nuisant réciproquement; et de là des détails oiseux, des répétitions, des entrées sans motifs, des scènes longues sans être remplies, et multipliées sans être utiles ; mais point de scènes dominantes, point de caractère principal s'emparant du sujet, dominant et faisant tout concourir à son but ; rien enfin de ce qui attache fortement le spectateur, commande son attention et le lie pour ainsi dire malgré lui aux intérêts des personnages, mis en scène.

En examinant avec attention le sujet choisi par l'auteur, le ton qui règne dans sa pièce, les idées principales, les moyens, et sur-tout la nature du style, on reconnaît que sans s'y attacher, peut-être sans le désirer, ou sans le craindre, l'auteur s'est laissé aller à une imitation sensible de la manière de Collin-d'Harleville, manière qu'il affaiblit encore, quoique personne ne puisse contester qu'elle n'a pas besoin de l'être.

L'Assemblée de famille pourrait peut-être entrer dans le théâtre de Collin, mais à la dernière place et à un long intervalle de toutes les autres pièces ; elle le pourrait à raison du choix des caractères et des mœurs, de la peinture des sentimens qui y sont tracés et des détails peu comiques mais agréables, répandus dans le cours de l'ouvrage aux dépens de l'action et de l'intérêt.

L’aimable, naturel et facile Collin d'Harleville était bien tel qu'il était : il suffit à sa gloire d'avoir été lui-même ; il lui siérait mal d'être imité, l'imitateur ne pourrait s'en trouver bien ; et c'est peut-être faire de son talent l'éloge vrai que ce talent mérite. Nul moins que lui n'eût eu la prétention de faire ce qu'on appelle école ; il n'était de celle de personne, il suivait l'impulsion d'un naturel heureux, d'un caractère doux, d'une ame aimante, d'une bienveillance à toute épreuve. Si l'auteur nouveau a voulu imiter sa manière, il a eu tort ; il a voulu imiter ce qui ne peut l'être, ou l'être bien, le naturel et la sensibilité : si, comme Collin, il a suivi l'impulsion de son ame ; s'il a écrit sous la dictée d'une affectueuse et touchante sensibilité, alors il le faut avertir que la peinture de ces sortes de sentimens doit être offerte au théâtre avec infiniment d'art et de ménagement ; que pour en retirer des effets, il faut en être extrêmement sobre, en sauver la monotonie par des oppositions saillantes, et la langueur par des traits un peu vifs ; que le ton vrai de la comédie n'admet point l'appareil des sentences, et qu'enfin au théâtre la morale réussit d'autant moins qu'elle est plus en discours, d'autant mieux qu'elle est plus en action.

Une autre observation a dû frapper tous les spectateurs, et particulièrement l'auteur comique, original, et franc auquel nous devons les Héritiers, pièce qu'entre beaucoup d'autres estimables il faut citer ici particulièrement : il a dû, être flatté que dans une petite pièce en un acte, qui à la vérité est pleine d'intérêt, de comique et de gaîté, l'auteur nouveau ait trouvé le sujet d'une comédie en cinq actes qui, en l'examinant bien, est à une idée près, le développement et l'amplification de l'autre. Toutes deux ont pu réussir, -mais je ne pense pas que la seconde soit, une raison pour que la première cesse d'amuser et de plaire. Il est sensible que l'auteur des Héritiers a mieux envisagé son sujet ; qu'un oncle cru mort et qui reparaît en présence de ses collatéraux qu'il a entendus lui-même se partager son bien, est plus comique que la présentation d'un titre, et que si la position d'Angélique offre de l'intérêt, et si ce rôle joué par Mlle. Mars est attachant, toutes les situations des Héritiers sont comiques dans la vraie acception de ce mot; toutes, jusqu'à celle de l'entrevue des deux fières, quoiqu'elle aille jusqu'à l'attendrissement.

L'Assemblée de famille a paru réussir complètement ; elle a été constamment applaudie : des détails agréables ont soutenu, s'ils n'ont occupé des scènes qui demandaient de l'intrigue et du mouvement ; mais peu de pièces vivent par les détails, même celles qui en offrent comme modèle de style. Celui de l'auteur dont nous parlons a de la correction et même de l'élégance, il vise un peu à l'antithèse, et beaucoup trop au ton dogmatique et sententieux. Sa versification est facile : dans sa pièce on trouve des vers, des tirades même bien faites, et quelques mots heureusement et naturellement jettés ; mais en général, si la couleur est agréable, le dessin est sans force ; si l'expression a quelque grace, les idées manquent de vigueur et le dialogue de chaleur, comme les situations de comique.

Nous l'avons dit, l'auteur est bien loin d'avoir trouvé le public, et sur-tout le parterre, dans des dispositions aussi sévères que cette critique : à cet égard, ses juges naturels ont été très-favorables, ils ont paru constamment s'intéresser au sujet, s'attacher à l'action, et ont applaudi avec chaleur tout ce qui méritait de l'être, méme ce qui le méritait le moins ; l'auteur a donc un moyen bien naturel d'en appeller de notre critique, et même d'en repousser ce qu'il pourrait y regarder comme injuste, en rappellant les applaudissemens qu'il a reçus, et qui l'ont contraint à se faire nommer. M. Riboutet, dans ce premier essai public de ses forces, a certainement éprouvé la faveur d'une bienveillance marquée, et d'une affection qu'il paraît inspirer généralement : s'il y a dans cette bienveillance quelqu'excès, du moins il a des effets plus doux que celui de la sévérité, et il ne faut pas s'en plaindre à l'égard d'un ouvrage tel que celui-ci : en effet cet ouvrage, malgré ses défauts, est de nature à intéresser les honnêtes gens, peut-être même à les instruire ; les sentimens en sont purs, les préceptes sains, et l'effet dramatique moral.

On ne peut s'empêcher de reconnaître dans l'auteur, sinon un talent marqué pour la comédie, du moins un esprit éclairé, un goût délicat, une manière de penser saine, et une manière d'écrire exempte de fautes graves ; à tous ces titres, il faut non-seulement pardonner un succès que la sévérité de la critique peut contester, mais l'avouer et même y applaudir.

La pièce est jouée par l'élite des acteurs : Fleury, Damas, Michot, Armand y ont été extrêmement applaudis : le rôle d'Angélique a. semblé fait pour Mlle. Mars, et il est inutile de dire que cette actrice, si parfaite dans les rôles de la nature de celui-ci, n'a trompé en rien les espérances de l'auteur,                    S....

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 13e année, 1808, tome II, p. 190-191 :

[Un compte rendu original : il débute par dire l’incertitude des jugements (comment savoir si une pièce est bonne : les points de vue sont nombreux, et contradictoires). Si on juge celle dont il s’agit dans cet article sur sa fréquentation, elle est excellente. On voit si peu de comédies en cinq actes et en vers ! On ne peut plus construire une pièce sur les caractères (ils sont « tellement épuisés ») qu’on se reporte sur des tableaux. Et c’est la liste des acteurs qui sert à faire l’éloge de la pièce. C’est ensuite le manque d’originalité de la pièce qui est mis en avant, « mais l'ensemble, la manière dont l'ouvrage est conduit, le style aimable et franc, ont assuré son succès ». Après quoi le plus brillant avenir est promis au nouvel auteur...]

THÉATRE FRANÇAIS.

L'Assemblée de Famille, comédie en cinq actes et en vers, jouée pour la première fois le 26 février.

On a beau dire qu'une pièce est bonne, les comédiens ne le croient que quand elle emplit la caisse. Les journalistes ont beau dire qu'elle est mauvaise, l'auteur ne les croit jamais, et le public, qui juge en dernier ressort, prouve souvent que les auteurs, les journalistes et les comédiens ont également tort.

A juger de la pièce nouvelle par l'affluence et les recettes, c'est un ouvrage excellent. Il est vrai qu'une comédie nouvelle en cinq actes et en vers, est devenue un phénomène au Théâtre Français, et que son apparition a dû causer la sensation la plus vive. Je ne crois pas qu'il y en ait eu depuis les Mœurs du jour, de Collin d'Harleville.

Les caractères sont tellement épuisés, qu'il faut faire maintenant des tableaux d'histoire ou de fantaisie : l’Assemblée de famille en promettoit un de ce genre. On y a trouvé des scènes agréables et bien écrites; un caractère bizarre, mais suivi; enfin de l'intérêt ; que falloit-il de plus pour un succès ? Mademoiselle Mars est si intéressante dans le rôle touchant de l'orpheline ; Fleuri si brusque et si bon dans celui de l'oncle ; Michot si épais dans celui d'un héritier bête et lourd ; Dazincourt si naturel dans le vieux valet ; Damas si impertinent dans le rôle d'un fat comme il en est tant à Paris. Armand a joué avec ame le rôle de l'amant, et l'ensemble a été complété par les autres acteurs dont les rôles sont moindres.

L'action n'est pas très-neuve : les Héritiers, la Succession, et les Parens peuvent réclamer quelques traits de ressemblance. Une jeune fille que l'on croit riche, et qu'on flatte bassement ; que l'on veut renvoyer quand on la croit pauvre, cela se voit tous les jours, sans qu'on soit grand observateur ; des parens qui ne sont d'accord que pour nuire ; deux amans délicats ; un oncle qui cache sa bonhomie sous une apparence de dureté ; ces caractères là sont communs, les uns dans le monde, les autres sur la scène. Le dénouement ressemble à celui de la petite pièce du Testament, jouée au Vaudeville ; mais l'ensemble, la manière dont l'ouvrage est conduit, le style aimable et franc, ont assuré son succès. M. Riboutté a débuté heureusement. La carrière lui a offert moins d'épines à ses premiers pas, qu'elle n'en laisse ordinairement sous ceux des poètes qui l'ont souvent parcourue ; et il annonce un talent si heureux, qu'on peut lui prédire de brillans succès.

Geoffroy, Cours de littérature dramatique, tome IV (1819), p. 264-272 :

[L'illustre critique a consacré à la fin de février 1808 deux longs articles largement favorables à la pièce de Ribouté:]

M. RIBOUTET.

L'ASSEMBLÉE DE FAMILLE.

Une comédie en cinq actes et en vers est un oiseau rare au Théâtre Français. La plupart de nos auteurs n'ont pas même assez d'haleine pour franchir trois actes : presque tous se renferment dans les bornes d'un petit acte, joli, leste, brillant, étincelant d'esprit et de saillies. Quand on a commencé à parler dans le monde de l'Assemblée de Famille, chacun se demandait, comme Tancrède :

Quel est ce Riboutet ? Quel est ce téméraire ?

On s'étonnait qu'un homme qui n'est point encore enfant de la balle, ni auteur de profession ; un homme qui semblait avoir donné la préférence à Plutus sur Apollon, eût osé débuter, dans la littérature, par l'ouvrage le plus difficile. On avait pitié de son audace, et pour sa punition on comptait sur les sifflets. Voilà pourquoi les plaisans répandaient dans le public, le jour même de la représentation, que les auteurs patentés, et qui ont boutique ouverte, s'étaient coalisés pour exclure de leur corps un homme du monde, un intrus, qui venait encore grossir la foule, déjà trop nombreuse, des marchands de vers et de prose : « Nous ne faisons plus rien, disaient-ils, dans ce commerce, et la disette de lauriers est si grande chez Apollon, depuis que Mars les a tous accaparés ! Avons-nous besoin qu'un nouveau venu vienne encore partager avec nous une si pauvre moisson ? » Ainsi parlèrent, dit-on, les poètes d'un acte, renforcés de ceux de trois actes ; et l'on prétendait qu'ils avaient monté une cabale puissante pour faire repentir de sa témérité cet auteur de cinq actes qui ne doutait de rien.

Ce ne sont là que des contes et même des calomnies dont se repaît l'oisiveté des habitués de théâtre. Les auteurs dramatiques, quel que soit le nombre de leurs actes, sont un peuple d'amis et de frères, toujours empressés d'accueillir le citoyen qui se présente pour augmenter leur république. Chacun d'eux ne s'occupe qu'à s'avancer dans son état : le poète de trois actes en médite cinq, et celui d'un acte cherche à s'élever jusqu'à trois ; tous songent à bien faire, et jamais à nuire.

Il faut donc mettre sur le compte de quelques étourdis que le désordre amuse, les fréquentes tentatives pour troubler la représentation, et les cris à bas les coulisses ! quoique les coulisses fussent très-libres, et qu'on n'y vît personne. Insensiblement la pièce devenant plus intéressante, et les acteurs plus attachans, le calme s'est établi, et la représentation n'a été interrompue que par le bruit des applaudissemens.

Ergaste, riche négociant de Lyon, est mort dans un voyage, laissant une fille naturelle de seize ans, un frère, trois neveux et deux nièces ; on ne doute pas que le défunt n'ait fait les dispositions nécessaires pour que cette fille chérie soit son héritière : le reste de la famille ne s'en rassemble pas moins dans une maison de campagne près de Lyon, où Angélique (c'est le nom de l'orpheline) s'est retirée pour pleurer plus librement son père et son bienfaiteur. La famille, sous prétexte de consoler cette aimable enfant, et de lui tenir compagnie, est venue pour observer et pour tirer parti de tout.

Faisons un peu la revue de cette famille d'Ergaste, et commençons par Angélique : c'est un prodige de naïveté, de candeur et d'innocence. Son cœur est pur comme le jour : elle aime ses parens, elle aime tout le monde ; mais beaucoup plus que les autres son cousin Valère, avec qui elle a été élevée. Ce rôle, aimable et intéressant d'un bout à l'autre, a été fait pour Melle. Mars : elle n'en a point qui soit plus propre à faire ressortir son talent, et qui lui fasse plus d'honneur : ce sera désormais un de ses rôles favoris.

Valère aime sa cousine Angélique, avec un peu plus de connaissance de cause, mais avec cette pureté et cette franchise de la véritable amitié, qui ne cherche point à séduire. Valère sait qu'Angélique ne lui est pas destinée : son père, avant de mourir, l'avait promise à un sot dont nous parlerons tout à l'heure. La volonté d'Ergaste, même après sa mort, est sacrée pour sa fille et pour son neveu. Valère est cependant un militaire ; c'est un capitaine ; mais les militaires et les capitaines français, accoutumés à braver les ennemis à la guerre, ne bravent point les mœurs et les convenances sociales, quand ils sont dignes de leur état et de leur patrie. Valère, emporté par la fougue de l'âge, a quitté la maison de son oncle, qui lui tenait lieu de père. Il s'est jeté, sans son aveu, dans l'état militaire ; mais il a profité de cette éducation sévère : il s'est avancé en peu de temps. Il revient pleurer avec sa cousine la mort de son oncle, et ne songe pas même à tirer parti de l'inclination d'Angélique et de son innocence : cela est héroïque pour un jeune capitaine.

Les deux autres neveux sont d'une trempe fort différente. Valmont est un fat, un galant, un faiseur de madrigaux ; il en fait même un très-joli à sa cousine Angélique, dont la modestie rejette la comparaison qu'il fait de son teint avec le coloris d'une rose :

.    .    .    .    . J'en vois (dit-il) la différence ;
Son éclat va finir, et le vôtre commence.

Ce doucereux Valmont n'en est pas moins un égoïste, un homme fourbe, intéressé, un cœur faux. Son projet est d'abord d'épouser Angélique, riche héritière, et de supplanter son cousin Forlis, à qui elle est promise. Damas joue ce rôle avec beaucoup d'aplomb, d'aisance, et d'un ton de fatuité très-comique.

Forlis, le sot dont j'ai promis de parler, le trop heureux époux qu'Ergaste avait choisi pour sa fille, est un bon marchand, fort épais et fort gauche, dont toutes les idées ne s'élèvent pas au-dessus du comptoir, qui ne connaît que l'intérêt, et absolument étranger à tout autre sentiment.

Il y a deux nièces, Araminte et Rosine : Araminte est fausse, hypocrite, flatteuse, coquette : Rosine est franche, mais nulle, sans esprit et sans activité. Mademoiselle Mézeray joue avec beaucoup de finesse et d'agrément le rôle d'Araminte. Tout ce que peut faire Melle. Bourgoin dans celui de Rosine, est d'avoir une excellente tenue, et d'être extrêmement jolie ; ce dont elle s'acquitte à merveille : le rôle par lui-même n'est rien.

Reste le frère qui s'appelle Blainville : c'est un original; mais il n'est pas encore arrivé, et avant de le mettre en scène, il faut parler d'un grand événement qui vient de changer la face des affaires. Angélique n'est plus héritière comme on le croyait ; Ergaste n'a point assuré son sort, n'a laissé aucun testament, n'a fait aucun legs en sa faveur ; le notaire, du moins, n'en connaît aucun. Angélique, à qui toute la famille faisait la cour, que son cousin Forlis allait épouser, que son cousin Valmont voulait enlever à Forlis, n'est plus qu'une étrangère que les neveux et les nièces renient pour leur parente : on parle de la chasser avec une petite pension ; la malheureuse orpheline ne conserve que le cœur de son cousin le capitaine, et celui de sa bonne Thérèse.

Tel est l'état des choses lorsque Blainville arrive : c'est une espèce d'ours très-sensible, trop sensible même, mais qui lutte contre cette sensibilité, source des chagrins les plus amers. Pour être heureux et tranquille, il veut fermer son cœur à toute impression, et vivre dans une profonde apathie : c'est l'excès de sa sensibilité qui le rend égoïste ; c'est du reste l'homme le plus bienfaisant, le plus honnête, le plus juste ; on respire à son arrivée, on espère pour l'orpheline ; cependant le premier abord n'est pas flatteur pour Angélique. Elle vient avec son cousin Valère saluer son oncle ; mais Blainville se tient en garde contre une nièce si aimable, dont la voix est si douce et le regard si touchant : toujours tenté de se jeter à son cou, de la presser entre ses bras, il comprime les mouvemens de son cœur prêt à le trahir à chaque instant ; il se fait un rempart de son ton brusque, et de sa mine renfrognée, contre la nature, la tendresse et l'humanité qui l'assiègent de toutes parts, et il est assez malheureux pour remporter la victoire. Il repousse de son sein cette nièce charmante, ce neveu si intéressant, et quand ils sont partis, il se reproche amèrement sa cruauté.

Blainville a un vieux domestique de confiance, plutôt son ami que son valet, qui plaide sans cesse contre ce système d'isolement et de tranquillité semblable à la mort, en faveur des attachemens naturels et des douceurs de la société, et ce domestique a de grandes intelligences dans le cœur de son maître. Lorsqu'Angélique, chassée de la maison, vient faire ses adieux à son oncle; lorsqu'après avoir baisé sa main avec transport, elle lui demande la permission de recommencer, puisque c'est la dernière fois, le bonhomme ne tient pas contre une si rude attaque : adieu les principes d'insensibilité stoïque, et toutes les maximes sauvages d'impassibilité ; il se précipite dans les bras de sa nièce, il y reste long-temps attaché, et n'interrompt cette effusion de sa tendresse que pour l'inviter à rester, et pour lui donner des espérances. Le lecteur se demande sans doute comment Angélique peut rester dans une maison qui ne lui appartient pas, et quelle espérance on peut donner à une personne qui n'a rien. On s'attendait que l'oncle allait lui offrir sa fortune pour la dédommager du cruel oubli de son père : l'oncle n'offre rien : le notaire arrive : la famille s'assemble pour régler définitivement les affaires. L'expulsion d'Angélique est confirmée ; on l'accable d'humiliations. Blainville, enfoncé dans un fauteuil, retenant à peine son indignation, écoute d'un air sombre les insolens propos de ces parens ingrats, lorsque tout à coup il se lève dans un violent transport, il s'écrie : Non, elle restera ; elle est chez elle ; tout est à elle, et vous n'avez rien. En même temps il remet entre les mains du notaire, un testament en bonne forme, dont son frère, en partant, l'avait fait dépositaire, et dans lequel Ergaste légitime la naissance d'Angélique, et lui assure toute sa fortune. On conçoit aisément la confusion et la rage des neveux et des nièces ; il est moins facile de peindre le ravissement de Blainville, qui n'a rien de plus pressé que d'unir Angélique à son cher Valère, résolu de finir ses jours avec ces deux époux, dont les mains chéries fermeront sa paupière. Fleury joue ce rôle de Blainville avec beaucoup d'âme, d'énergie et de profondeur ; Armand se distingue dans celui de Valère, par les grâces et l'aimable vivacité de son jeu : ce jeune acteur, si abondamment pourvu des dons de la nature, d'une taille si élégante et d'une figure si heureuse, joint à ces avantages un talent qu'il cultive par un travail assidu : c'est, dès à présent, un sujet aussi agréable qu'utile au Théâtre Français, et il lui promet un appui pour l'avenir. Mlle. Devienne a un petit rôle doux et bon, où elle ne peut pas déployer toute sa malice: mais c'est toujours Melle. Devienne, lors même qu'elle n'est qu'une bonne personne. N'oublions pas Lacave, le notaire ; il a un air d'honnêteté et de probité qui convient parfaitement à son emploi. Dazincourt est très-intéressant, très-touchant dans son petit rôle de valet honnête homme. En général, la pièce est bien jouée par tout le monde. L'action est sagement conduite, et filée avec art; le dénouement, un des plus heureux qu'il y ait au théâtre : ce n'est pas un drame : car on y peint les hommes, et l'essence du drame est d'être romanesque. Les caractères y sont tracés à la manière de Térence : le style est léger, facile, naturel : les vers n'empruntent point l'agrément factice des pointes et des jeux de mots ; l'esprit y est naturel, de bon aloi, et coule de source. Quand l'homme à talent ne serait pas empreint, comme il l'est, dans cette comédie, on y reconnaîtrait toujours l'honnête homme, l'homme aimable et sensible. L'auteur, dit-on, est dans les affaires; eh bien, en donnant cet ouvrage, il en a fait une bonne. (28 février 1808.)

— Le style de l'auteur est d'une bonne école et fait honneur à son goût : il n'a point sacrifié à l'esprit du jour ; il ne cherche point à éblouir par de faux brillans : son dialogue est léger, naturel et facile, semé de pensées agréables et justes, de sentimens nobles et délicats, de traits ingénieux, mais jamais forcés ;. la plupart des maximes ont un tour simple, aisé, bien éloigné de la prétention des sentences :

Les hommes réunis sont moins indifférens ;
Ils veulent tous avoir un bon cœur en partage.

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L'ambition de l'or rend notre âme insensible.

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A seize ans l'on désire, à trente on sait prévoir.

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On nous juge toujours, Valmont, sur l'apparence,
Ce qu'on fait en secret se fait sans conséquence.

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Nous aimons à revoir, en prônant les années,
Le site où s'écoulaient nos premières journées.

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Qui fait beaucoup d'heureux, laisse beaucoup d'amis.

On a fort applaudi ces conseils d'un oncle :

Valère, tu suivras le chemin de l'honneur :
Quand un siècle commence avec tant de splendeur,
Au milieu des héros si chers à la victoire,
L'homme doit respirer le besoin de la gloire.

Respirer le besoin : cette façon de parler un peu affectée est un léger tribut payé à la mode.

Le même oncle dit à son neveu, qui avait fait quelques fredaines avant d'embrasser la profession des armes :

Qui sert dans un combat son prince et sa patrie,
Efface dans un jour tous les torts de sa vie.

Voici une tirade sur le commerce, assez brillante pour faire juger que ce n'est pas par impuissance que l'auteur a pris le parti d'être simple :

Dans le vrai commerçant qui veut se faire un nom,
On n'aperçoit jamais une âme intéressée ;
De nobles sentimens élèvent sa pensée.
Les peuples tour à tour sont présens à ses yeux :
Loin de lui ces calculs étroits, minutieux,
Qui rapetissent l'homme, et qui bornent sa sphère :
Il est par ses talens citoyen de la terre ;
Et les arts enchanteurs, âme des vrais plaisirs,
Reposent sa pensée, et charment ses loisirs.

J'ai déjà dit que l'Assemblée de Famille était un ouvrage sensé. L'éloge a l'air mince, et c'est un des plus considérables qu'on puisse faire aujourd'hui : c'est le sens qui manque à la plupart de nos productions modernes, et ce défaut est déjà fort ancien ; car il y a plus de soixante ans que Gresset disait des auteurs à la mode :

De l'esprit, si l'on veut, mais pas le sens commun.

La disette de sens commun est déjà une vieille calamité: il y en a qui disent que si M. Riboutet a plus de jugement et de raison que la plupart de nos écrivains dramatiques, c'est qu'étant homme du monde, et point du tout auteur de profession, la routine du métier ne l'a point gâté. (3o février 1808. [sic])

La pièce a fait l'objet d'une Lettre à Mr. Geoffroy, ou examen impartial de l'Assemblée de famille, par Louis Leconte (Paris, chez Hénée, 1808), qui critique très sévèrement la pièce. L'auteur, qui se présente comme « habitant des environs de Dijon » et comme un amateur de littérature éloigné depuis plus de vingt ans de Paris, « ce centre du bon goût et des beaux arts » indigné du succès public et surtout critique de la pièce. Rien ne trouve grâce à ses yeux, ni l'intrigue, ni le style.

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