L'Avare fastueux (Reynier)

L'Avare fastueux, comédie en cinq actes et en vers de L. Reynier, an 2 [1793-1794].

Comédie non représentée. Publiée en l'an 2 de la République Française.

A ne pas confondre avec l'Avare fastueux de Godard d'Arcourt de Saint-Just, créé en 1805 sur le Théâtre de l'Impératrice.

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, de l'Imprimerie, rue du Théâtre-François, an 2 [1793-1794] :

L'Avare fastueux, comédie en cinq actes et en vers  Par L. Reynier.

Le texte de la pièce est d'abord précédé de huit vers de Jean-Baptiste Rousseau :

Notre cœur seul doit être notre guide,
Ce n'est qu'en lui que notre esprit réside ;
Et tout mortel qui porte un cœur gâté,
N'a jamais eu qu'un esprit frelaté :
De nos travaux voilà tout le mystère
Et tout lecteur, à ce seul caractère
Distinguera d'un fat présomptueux,
L'auteur solide et l'homme vertueux.

J. B. Rousseau.

Puis vient une longue préface consacrée à prôner un théâtre moral au lieu du théâtre corrupteur de l'Ancien Régime, Figaro étant présenté comme le modèle même du « vice adroit transformé en vertu ». L'auteur cite de nombreux exemples de pièces connues qui présentent des situations immorales, « des fils débauchés et des pères ridicules ». Il faut créer un théâtre républicain, débarrassé de l'influence négative des acteurs qui ont le pouvoir exorbitant de juger en un instant une pièce longuement médite par l'auteur, et qui sont remplis des préjugés de l'ancien monde.

Appeller aux vertus, combattre les vices et les préjugés, déraciner les dernières ramifications du servage et de la corruption ; voilà la tâche sublime qui s'offre à l'auteur dramatique. Couvrons d'un voile épais ces productions immorales, où la dignité de l'homme méconnue et le vice adroit transformé en vertu font rougir le citoyen honnête. Rien ne prouvoit plus la nécessité d'une révolution que le succès de Figaro. Le citoyen qui cherchoit à se délasser au théâtre en sortoit imprégné de ces maximes, que l'honneur consistoit dans l'insolence, la vertu dans l'adresse à ménager des succès, et que l'esprit ou plutôt son abus était [sic] l'unique qualité à désirer. Car, dans nos pièces le [sic] plus courues, que voyoit-on ? l'adresse couronnée, le Méchant dont on envie l'esprit, le Glorieux dont on partage le faux point d'honneur, Ruse contre ruse ou le domestique attaché à son maître est battu et soumis à la risée. On me trouvera sévère, mais la scène de reproches entre le père et le fils dans l'Avare me paroît également immorale. Dans cette même pièce, le domestique attaché à l'avare, battu injustement par Valère, personnage immoral, s'en venge bassement. Par-tout des domestiques intrigans, corrompus et corrupteurs, abusant de la confiance, traitant même des crimes comme des plaisanteries, le Légataire, etc. . . . . . . Des fils débauchés et des pères ridicules. Notre théâtre, où l'on trouve réunis des chefs-d'œuvres d'exécution dramatique, offre en même tems la galerie la plus complette d'immoralité. Un républicain peut-il voir de sang-froid la vieillesse tournée en ridicule, les égaremens de la jeunesse, excusables sans doute, encouragés par le vernis flatteur dont on les environne, la dignité de l'homme méconnue, et quel acteur vrai républicain peut souffrir des coups de bâton, des soufflets, peut s'agenouiller devant son maître ? il joue son rôle dira-t-il ! Mais doit-il consentir à ce déshonneur ?

Mais sans soubrette, sans domestique intrigant, sans père ridicule, comment faire une comédie dira le préjugiste encroûté d'habitude ? On va oublier le bon comique, on ne rira plus : la raison est si froide ! Oui, on rira, la révolution a développé les caractères, chacun est soi, et nous trouverons des personnages aussi comiques dans les individus qui ont de la peine à devenir républicains, qu'eux prétendoient en trouver dans les caractères factices qu'ils gratifioient du nom de paysans, de valets, et autres personnages qui n'avoient pas l'honneur d'être de l'extrêmement bonne compagnie, c'est-à-dire, qui n'avoient pas l'honneur d'être corrompus. Le Convalescent, Philinte, le vieux Célibatataire, l'Avare fastueux, etc. sont des caractères vraiment dramatiques : nous y reviendrons.

Dès 1788, j'ai tracé les premiers linéamens de l'Avare fastueux : dès cette époque, j'ai vu dans ce caractère la source des maux de la France, et je voulois le traduire au tribunal de l'opinion publique. J'ai lentement médité ce travail, je l'ai travaillé plus lentement encore ; enfin l'ayant terminé, je me suis décidé à le rendre public. Plusieurs amis m'ont donné leurs conseils, j'en ai profité ; d'autres m'ont critiqué pour des choses que je ne pouvois admettre, et je vais y répondre.

On trouve que Julie disparoît dès le quatrième acte et qu'elle ne paroît plus ; mais le cinquième acte est la punition de son père. Si je la faisois paroître, elle, bonne, honnête, qui avoit ignoré les crimes de cet homme méprisable, elle auroit dû présenter les accens de la douleur ; elle auroit affoibli par cette douleur, bien excusable, la haine que j'accumule sur Romécour. J'aurois peint sa douleur avec ces oh ! Ah ! Eh ! glacials qu'on retrouve par-tout : mais il est des douleurs qu'on doit voiler ; je mets à l'écart cette douleur passagère, pour offrir au spectateur le contraste unique de la punition de Romécour et de la récompense de Dormeuil.

On m'a reproché d'avoir adopté le sans dot de Moliere ; mais rien de plus simple que d'employer les mêmes mots pour exprimer la même idée ; et la situation où je place mon Avare, me force à parler du bonheur qu'il trouve dans l'économie d'une dot. Nous ne sommes plus à ces tems frivoles où l'on faisoit des volumes pour prouver qu'un auteur a pris l'idée de telle hémistiche dans tel auteur. Molière m'a fourni son sans dot, comme il l'a reçu de Plaute.

On m'a reproché d'avoir imprimé les stigmates du mépris sur le front de l'avare plutôt que le cachet du ridicule. C'étoit mon intention : les hommes d'argent, ces sangsuęs du peuple, ces vampires de l'ordre social ne peuvent exciter que la haine de l'honnête homme pour rire de leur vice, il faut presque le partager. Le ridicule doit être réservé aux défauts, qui, sans troubler directement l'ordre social, sont néanmoins grévans pour les individus de la société ; mais les crimes, mais les vices qui sont la turpitude qu'avoit enfanté un régime corrompu doivent exciter le mépris. Romécour doit être abhorré, il doit emporter avec soi le poids de la réprobation générale ; voilà pourquoi je ne l'ai pas rendu ridicule ; voilà pourquoi je n'ai pas rendu sa fille présente à la catastrophe.

Encore quelques observations et je finis.

Le régime despotique connoissoit l'influence du théâtre sur les mœurs, et des mœurs sur le théâtre ; aussi les favoris du maître avoient-ils la surveillance immédiate pour proscrire les vertus de la scène ; car un peuple vertueux tend toujours à la liberté. Cette surveillance de corruption doit être remplacée par une surveillance de vertu : et le théâtre, soit comme formateur de l'esprit public, soit comme écho de l'opinion, doit ́exciter la surveillance nationale. Mais qui jugera l'auteur dramatique ? C'est-là où je m'arrête. Le comédien occupé de son art, je le suppose même instruit de la théorie, est absorbé, le matin par ses rôles qu'il apprend, ses répétitions de pièces nouvelles, le soir de la scène où il doit paroître : à peine lui reste-t-il un instant pour examiner les ouvrages. J'accorde qu'il veut de bonne foi examiner la pièce qu'on lui présente : peut-il, la mémoire surchargée d'anciens rôles, s'en dépouiller au point d'examiner un nouvel ouvrage ? La comparaison de ce qu'il sait, à ce qu'on lui présente, en lui supposant le sang-froid et le calme nécessaire pour un examen, n'influe-t-elle pas sur sa décision ? abstraction faite des commérages de coulisse qui ont eu tant d'influence jusqu'à ce jour. Ainsi l'ouvrage qui a coûté plusieurs années de méditations à l'auteur dramatique, se trouve jugé en cinq minutes par l'acteur, ou préoccupé, ou prévenu, souvent routinier, qui s'en rapporte bien plus à la réputation, ou aux liaisons de société, qu'au mérite réel de l'ouvrage. Puisque l'influence du théâtre sur les mœurs est tellement prononcée, je pense qu'on ne doit pas abandonner le choix des ouvrages au caprice des acteurs ; car le public, juge de ceux qu'on représente, ne l'est pas de ceux qu'on ne représente pas ; et son jury ne prononce que sur l'initiative d'un acteur qui feuillette, en sommeillant, et prononce sans savoir, sous la surveillance de tout l'aréopage comique, qui donne encore de nouveaux cachets de nullité à l'ouvrage qu'il admet, par les corrections qu'il exige.

Pour donner au théâtre son énergie, et pour qu'il soit digne d'un peuple libre, il faut qu'un jury républicain donne son vœu aux travaux du génie, et que les ouvrages couronnés par ce jury assurent à l'auteur la gloire qu'il désire et la certitude d'avoir bien mérité de la patrie : cette récompense, flatteuse pour le bon citoyen, conservera son énergie, qu'il perdroit dans les commérages, qui mènent à la réputation dans l'organisation actuelle des théâtres.

Liste des personnages :

PERSONNAGES.

ROMÉCOUR.

JULIE, fille de Romécour.

DORINVILLE.

DORMEUIL, fils de Dorinville.

FLORISE, belle-sœur de Romécour.

DAUMERVAL, ami de Florise.

DUPRÉ, domestique de confiance de Romécour.

FIERVAL, complaisant de Romécour.

JUDAS, agent secret de Romécour.

UN DOMESTIQUE.

Décors :

La scène se passe dans la maison de Romécour. Le premier acte et le cinquième dans son cabinet; les deuxième, troisième et quatrième dans un sallon.

Le cabinet est décrit au début de l'acte 1 :

La scène représente un cabinet ; d'un côté une bibliothèque en saillie , et de l'autre un secrétaire.

La « bibliothèque en saillie » est mobile, et un bouton permet de la déplacer pour faire apparaître « une porte secrète », tandis qu'une sonnette alerte le traitre Judas qui accourt quand son maître l'appelle. On la voit fonctionner à la fin de l'acte 1, scène 6 et à la fin de la scène 5 de l'acte 5.

Quant au salon, il n'est pas décrit :

Le théâtre dans cet acte et les deux suivans représente un sallon.

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