L’Avare fastueux, comédie en trois actes et en vers, de Saint-Just [Godard], 6 frimaire an 14 [27 novembre 1805].
Théâtre de l’Impératrice.
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Titre :
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Avare fastueux (l’)
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Genre
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comédie
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Nombre d'actes :
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3
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Vers / prose
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en vers
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Musique :
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non
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Date de création :
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6 frimaire an 14 [27 novembre 1805]
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Théâtre :
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Théâtre de l’Impératrice
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Auteur(s) des paroles :
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Saint-Just [Godard]
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Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Vente, 1806 :
L’Avare fastueux, comédie en trois actes et en vers, Représentée sur le Théâtre de l’Impératrice, rue de Louvois, le 6 frimaire an 14. (27 novembre 1805.) Par Mr. ST. JUST.
Les passions en engendrent souvent qui leur sont contraires : l’avarice produit quelquefois la prodigalité, et la prodigalité l’avarice.
Maximes de la Rochefoucault.
On trouve sur internet la brochure d’un autre Avare fastueux, comédie en cinq actes et en vers de L. Reynier (an 2 de la République), qui ne semble pas avoir été jouée. La pièce est précédée d’une longue préface sur la moralité qui devrait s’imposer au théâtre, et qui était bien absente dans le théâtre de l’Ancien Régime, et sur la nécessité de créer un théâtre républicain dans lequel le choix des pièces serait fait de manière démocratique. Pièce traduite de l’italien ? Pièce non représentée ?
Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 10e année, 1805, tome VI, p. 410-411 :
[Le compte rendu, qui s’ouvre sur des considérations sur l’avarice, montre ainsi que la pièce comporte bien l’opposition nécessaire au comique. Le récit de l’intrigue débouche sur une notation critique très rapide : « La pièce a eu beaucoup de succès ; elle est pleine d'esprit et de fort jolies scènes ».]
L’Avare fastueux, Comédie en trois actes et en vers.
Quoique le propre de l'avarice soit de jouir en entassant, un avare peut être fastueux lorsqu'il croit par ce moyen pouvoir augmenter sa fortune ; mais il faut pour cela qu'il ait un grain d'ambition, ou que son ambition l'emporte sur son avarice. C'est ce combat de deux passions contraires qui fait le comique de l'ouvrage nouveau. Fondor alloit donner sa fille à Dupont, jeune homme honnête et peu fortuné, parce qu'il ne lui demandoit point. de dot ; bientôt il pense que sa fille pourroit servir à son ambition, et il l'offre à M. de Rosalban, homme distingué, qui paroît l'aimer, et qui à la vérité s'intéresse à elle. Rosalban, qui connoît le caractère du père, s'amuse à le mettre à la torture en affectant les goûts les plus différens des siens. L'avare, qui craint de se trahir, applaudit en enrageant. Enfin Rosalban lui emprunte une forte somme, que Fonder n'ose lui refuser ; mais il donne cette somme au jeune Dupont, et lui procure en même temps une bonne place. Fondor n'hésite plus dès-lors à unir les amans. La pièce a eu beaucoup de succès ; elle est pleine d'esprit et de fort jolies scènes. L'auteur est M. SAINT-JUST.
L’Esprit des journaux français et étrangers, tome IV et dernier de la nouvelle ère (nivose an XIV, Décembre 1805), p. 284-292 :
[Un très long article, très polémique, qui tourne autour de la comparaison entre la pièce de Goldoni (non imprimée, que personne n’a vue) et celle de Saint Just, qui a nié s’être inspiré de Goldoni. Le critique prend grand soin de montrer qu’en fait il a emprunté à l’auteur italien le caractère et l’idée même de l’avare fastueux, mais qu’il a effectué des changements qui affaiblissent la pièce : Goldoni l’emporte en tous points, pour ce qu’il a fourni à Saint-Just, et pour ce que Saint-Just ne lui a pas repris.]
THÉATRE DE L’IMPÉRATRICE.
L’Avare fastueux.
« Mon Avare fastueux dit l’auteur, M. Saint-Just, n'a et ne peut avoir rien de commun que le titre avec celui de Goldoni. Celui de cet auteur italien n'a été représenté qu'une seule fois à Fontainebleau ; aucun journal du temps, par conséquent, n'en a parlé ; jamais il n'a été imprimé; comment en aurais-je eu connaissance ! Les faits sont vrais, la conclusion est fausse : il était très-possible que l'Avare fastueux de M. Saint-Just eût quelqu'autre chose de commun que le titre avec celui de Goldoni. M. Saint-Just a pu très-aisément avoir connaissance de la pièce de Goldoni, presqu'aussi ample, que si la pièce était imprimée ; et voici comment. Goldoni , dans le troisième volume de ses Mémoires, publiés en 1787, et dont je me rappelle très-bien avoir rendu compte dans l'Année Littéraire, donne lui-même, page 149, un extrait de sa pièce, très-étendu, très-détaillé ; et pour faire connaître ses caractères et sa manière de dialoguer, il cite en entier trois des plus belles scènes, qu'on lit avec le plus grand plaisir, et qui font regretter la perte des autres.
Ainsi, quoique l'Avare fastueux de Goldoni n'ait été joué qu'une fois à Fontainebleau, quoiqu'aucun journal du temps n'en ait parlé, quoique la pièce n'ait jamais été imprimée, il était très-facile à M. Saint-Just de faire connaissance avec elle. C'est-là qu'il a pris les traits généraux de son principal caractère : son M. Fondor est absolument le même que le Châteaudor de Goldoni ; il y a une affinité remarquable jusques dans les noms. La seule chose qui soit particulière au Fondor de M. Saint-Just, c'est qu'il est tartufe de bienfaisance : le Châteaudor de Goldoni n'est que vain et fastueux : il n'ambitionne que la gloire de l'opulence, et non celle de l'humanité et de la vertu. Le poëte italien s'est borné à rendre son Avare comique ; l'auteur français a voulu qu'il fût encore odieux par une basse hypocrisie. Cela s'appelle-t-il enchérir sur son modèle ? N'est - ce pas plutôt le gâter ? Il est probable que M. Saint Just aura pris l'idée de cette partie de son principal caractère dans la comédie de M. Desfaucherets, intitulée l'Avare cru bienfaisant. Quoi qu'il en soit, l’auteur du Bourru bienfaisant, écrivant dans le temps même où le faste de la bienfaisance était le plus à la mode, ne jugea point à propos de donner à son avare fastueux la prétention de paraître bienfaisant.
Dans les deux pièces, l'avare fastueux est un parvenu, un petit bourgeois enrichi : ceux qui sont nés au sein de la fortune, ont plus rarement ce caractère, mêlé de vanité sotte et de mesquinerie sordide. En cela Goldoni n'a pas seulement suivi la nature, il a consulté aussi la prudence. Je pris, dit-il, mon protagoniste (premier rôle) dans la classe des gens parvenus, pour éviter le danger de choquer les grands : paroles très-remarquables. C'est avec cette sage politique que Goldoni vécut heureux et paisible jusqu'à l'extrême vieillesse.
La pièce de Goldoni a cinq actes, par conséquent beaucoup plus de développemens que celle de M. Saint Just, qui est en trois. M. Châteaudor fait beaucoup plus souvent que M. Fondor, de ces actes ridicules de faste et de lésine ; par conséquent, le caractère est plus plein, plus nourri, plus théâtral. Dans la pièce de M. Saint-Just, Fondor veut marier sa fille à un personnage important dont il espère de grands avantages, mais qui , après avoir épousé sa fille et touché une grosse dot, peut fort bien se moquer du beau-père. Dans la pièce de Goldoni, c'est l'avare lui-même qui veut se marier à une fille qui lui apporte cent mille écus. Le projet est plus sûr, plus conforme au caractère du personnage : ce n'est plus même un projet ; le mariage est prêt à se conclure ; au lieu que Fondor n'a que des vues éloignées, fondées sur des motifs assez frivoles.
L'ouvrage de l'auteur français n'offre qu'un seul caractère ; les autres sont faibles et vagues. Ce Rosalban, dont Fondor veut faire son gendre, est un philosophe très-froid et très-équivoque, qui parle beaucoup de morale et de vertu, et qui escroque à l'avare vingt mille francs ; car c'est escroquer à quelqu'un de l'argent, que de le forcer à faire avec cet argent une bonne œuvre contraire à son intention. Dupont, amant de la fille de Fondor, est encore plus insipide. Le fermier Marcel n'est qu'un personnage épisodique : la femme de Fondor n'a par elle-même aucun caractère prononcé ; mais elle devient quelquefois plaisante, parce qu'elle contrarie les spéculations économico-fastueuses de son mari.
Goldoni, outre l'avare fastueux, a imaginé deux autres caractères très-saillans, très-comiques, qui contrastent bien avec celui de Chateaudor : le premier est celui de sa future belle-mère, nommée Araminte, qui s'est enrichie dans le commerce, et qui, dans son opulence, a conservé l'esprit de simplicité, d'ordre et d’économie des bons négocians ; elle fait même dans la pièce un acte de véritable générosité. Trompée par l'apparence du faste qu'étale son gendre prétendu, indignée d'un présent de cent mille francs de diamans qu'il veut faire à sa fille, et ne sachant pas que ce présent fera plus d'honneur à Chateaudor qu'il ne lui coûtera d'argent, elle le croit un prodigue, un dissipateur ; elle éclate en reproches très-comiques. C'est le sujet d'une des scènes citées dans les Mémoires de Goldoni, et cette scène est excellente.
L'autre caractère est celui du marquis de Courbois, riche mal-aisé, qui a beaucoup de terres et point d'argent : c'est un original qui n'achève jamais ses phrases ; ses idées se heurtent et s'embrouillent sans cesse ; il ne peut parvenir à s'expliquer, et répète à tout propos, mais toujours mal-à-propos, ce refrein parasyte : Voilà qui est bien.
Le comique, chez M. Saint-Just, consiste dans le combat de la vanité et de l'avarice, lequel se termine par la victoire d'une de ces passions. Chez Goldoni, la plaisanterie résulte de l'adresse avec laquelle Châteaudor sait concilier l'avarice avec la vanité, et en même temps du jeu de son caractère en opposition avec ceux d'Araminte et du marquis ; ce qui forme un comique d'une meilleure nature et d'un ordre supérieur. On a observé que ces passions mixtes, formées de la combinaison de deux passions hétérogènes, ne sont point théâtrales, parce qu'elles ne sont pas assez prononcées ; on en cite pour preuve le Jaloux honteux de Dufresni, comédie pleine d'esprit et de finesse ; mais qui parut froide, parce que le conflit de la jalousie et de la honte ne produit qu'un caractère faible, vague, indécis. Cependant ces caractères modifiés, de même que les tempéramens, sont plus ordinaires et plus dans la nature que les caractères sans mélange : ils peuvent fournir des scènes très-comiques ; mais peut-être n'ont-ils pas assez de vigueur pour se soutenir dans tout le cours d'une pièce. L'Avare de Molière, quand il veut se marier, devient aussi avare fastueux, et n'en est que plus plaisant : on rit sur-tout de son embarras dans la scène où son fils fait, malgré lui, de grandes libéralités, que par bienséance il n'ose empêcher. Cette partie de l'Avare de Molière vaut mieux que tout ce qu'on a fait de pièces sur l'Avare fastueux. Mais si sa comédie de l'Avare reposait toute entière sur cette opposition de la vanité et de l'avarice, elle serait beaucoup moins vive et moins théâtrale.
M. Fondor finit par être bafoué de tout le monde, parce que ses mesures sont tellement dérangées, que sa lésine éclate ouvertement au milieu de sa fausse magnificence. Déchu du mariage brillant qu'il projettait, et dupe du gendre qu'il s'était choisi, il est forcé de donner sa fille à un honnête garçon nommé Dupont. M. Châteaudor est également berné ; mais il est plus puni, car Araminte ne veut point lui donner sa fille, parce qu'elle le croit prodigue, et le marquis lui refuse la sienne, parce que c'est un avare qui a refusé de la paille à ses chevaux.
Le résultat de cette discussion, c'est que le plan de M. Saint-Just est fort différent de celui de Goldoni, mais qu'il lui doit l'idée du principal caractère. M. Saint-Just n'est donc pas tout-à-fait autorisé à dire mon Avare fastueux est de moi, tout de moi ; parce que le sujet et le caractère principal sont quelque chose, et même beaucoup dans une pièce. Mais l'ouvrage de Goldoni est plus riche d'invention et plus fort de comique que celui de M. Saint-Just ; et peut-être qu'en imitant heureusement Goldoni, cette copie eût été préférable à l'original que M. Saint-Just vient de nous donner à Louvois.
On sera peut-être curieux de savoir quelle fut la destinée de Goldoni et de sa pièce. Goldoni, réformateur du théâtre italien, homme plein d'esprit, de talent et d'imagination, et que nos auteurs ont souvent été bien-aises de trouver, pour suppléer à leur sécheresse naturelle d'invention et d'idées, Goldoni enfin est assez intéressant par lui-même pour donner du prix aux anecdotes qui le concernent. Son Avare fastueux fut joué à Fontainebleau la veille du départ du roi, parce que Préville, chargé d'un rôle essentiel, avait été malade pendant le cours du voyage. Tout le monde n'était occupé qu'à faire ses paquets; il n'y avait presque personne dans la salle ; la pièce fut jouée froidement, accueillie plus froidement encore, sans aucun témoignage sensible de satisfaction ou de mécontentement de la part des spectateurs. Goldoni pense que les trois rôles principaux furent manqués ; et on peut l'en croire, car c'était l'homme le plus doux, le plus honnête, le plus modeste. Bellecourt jouait le rôle de l'avare fastueux; Préville, celui du marquis ; Mme. Drouin, celui d'Araminte. Le premier joua l'avare fastueux comme le glorieux, bien dans les situations du faste, et très-gêné dans celles de l'avarice. Le rôle de Préville était d'une difficulté extraordinaire : l'acteur n'avait pas eu le temps de se familiariser avec ces phrases coupées, qui demandaient beaucoup de finesse pour faire comprendre ce que le personnage n'achevait pas de prononcer Enfin, madame Drouin, qui par elle-même était assez comique, s'avisa de jouer le rôle d'Araminte en mère noble. Lorsque Goldoni accuse d'aussi grands acteurs d'avoir joué à contre-sens, faut-il être étonné si les nôtres se trompent souvent sur l'esprit de leurs rôles ?
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