Les Abencérages

Les Abencérages, opéra en trois actes, paroles de Jouy, musique de Cherubini, 6 avril 1813.

Académie mpériale de Musique.

Titre :

Abencérages (les)

Genre

opéra

Nombre d'actes :

3

Vers / prose

en vers

Musique :

oui

Date de création :

6 avril 1813

Théâtre :

Académie Impériale de Musique

Auteur(s) des paroles :

Jouy

Compositeur(s) :

Chérubini

Almanach des Muses 1814.

Almanzor, chef de la tribu des Abencérages, vient d'épouser la belle Noraïme. Il a pour rival Alémar, chef des Zégris. Gonzalve a quitté le camp des Castillans pour assister aux noces d'Almanzor ; mais la guerre se déclare. Amanzor s'arrache des bras de son épouse pour aller combattre les Castillans. On lui confie l'étendard sacré, dont il doit répondre sur sa tête. Alémar, jaloux de sa gloire, gagne le porte-drapeau qui, pendant le combat, livre sans résistance l'étendard de Grenade.

Almanzor est condamné à l'exil : il lui est ordonné, sous peine de mort, de s'éloigner sur-le-champ de la ville. Bientôt surpris par Alémar, au moment où il rentrait dans Grenade, pour chercher son épouse, il est condamné à perdre la vie. Un inconnu se présente alors, et s'engage à prouver son innocence par la voie des armes. Il combat Alémar et le terrasse. Cet inconnu est Gonzalve. Il déclare que l'étendard sacré lui a été livré par un Zégris. La trahison d'Alémar est découverte, et Almanzor, justifié par l'aveu de Gonzalve, est rappelé de son exil.

Sujet dramatique ; style correct et pur ; musique digne de son auteur.

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 18e année, 1813, tome II, p. 447-450 :

[Le compte rendu s’ouvre sur l’éloge de tous les éléments du spectacle, sujet, poème, musique, ballets : c’est d’un « brillant spectacle qu’il s’agit. Le sujet vient d’un roman de Florian, que de Jouy a su adapter sans servilité. Le résumé de l’intrigue est détaillé. C’est ensuite sur la musique que le compte rendu insiste, tout à la gloire de Chérubini, qui « a profité habilement de tous [l]es avantages » que lui offrait le livret de de Jouy : une ouverture d’un grand effet, des airs remarquables (le critique cite toute une série d’exemples, montrant la beauté de l'œuvre, et les expressions employées montrent son enthousiasme : « un chef-d'œuvre de construction », « parfaitement en scène », « parfaitement dans son caractère »). La comparaison avec l'œuvre symphonique de Haydn est un bel éloge. Dernier élément mis en avant, les interprètes qui ont « parfaitement secondé » le compositeur. Le répertoire de l’Opéra vient de s’enrichir « d'un excellent ouvrage ».]

ACADÉMIE IMPÉRIALE DE MUSIQUE.

Les Abencerrages, opéra en trois actes.

Un sujet intéressant, une poésie pleine d'harmonie et de goût; une musique mélodieuse sans trivialité, savante sans obscurité ; des danses où Gardel a déployé toute la grâce de son imagination, tel est le brillant spectacle que viennent d'offrir les Abencerrages, et qui a été une sorte de phénomène sur un théâtre où il semble que rien de merveilleux ne devroit surprendre.

Le sujet du poème est pris de Gonzalve de Cordoue. Florian méritoit cet hommage d'un auteur accoutumé à de brillans succès dramatiques, et qui, comme observateur et philosophe, a su s'élever au rang des Adisson et des Duclos. M. de Joui n'a point servilement copié son modèle.

Almansor, chef de la tribu des Abencerrages, vient d'épouser la belle Noraïme, princesse du sang royal ; Alemar, chef de la tribu des Zégris, est l'ennemi du jeune guerrier ; il imagine, pour troubler son bonheur, de supposer que le roi de Grenade Muley-Assem, absent de son royaume, vient de lui envoyer l'ordre de recommencer les hostilités contre les Castillans. Ceux-ci , qui étoient venus avec leur général Gonsalve, aux noces d'Almanzor, se retirent à cette nouvelle ; les danses de l’hymen sont interrompues ; l'étendard, dont la perte est un arrêt de mort contre celui qui le laisse enlever, est confié à Almanzor ; c'est lui qui doit sur le champ aller attaquer le camp espagnol. Almanzor jure qu'il reviendra vainqueur ; mais Alemar, secrètement lié avec le porte-drapeau du jeune guerrier, jouit d'avance de la trahison qu'ils ont ourdie ensemble.

Noraïme attend Almanzor; de nouvelles danses que ses compagnes exécutent devant elle, ne peuvent la distraire du trouble qui l'oppresse. Ses tristes pressentimens se réalisent ; Almanzor revient vainqueur, mais il a perdu le drapeau sacré. Cité devant le Conseil des vieillards, il leur montre vainement tous les drapeaux qu'il a conquis sur l'ennemi. Ce n'est pas là l'étendard de Grenade ; en vain il objecte qu'il a des soupçons sur son porte-drapeau, et sur Alemar lui-même. Des soupçons ne sont pas des preuves. La loi condamne Almanzor à l'exil. Mais la mort sera le prix de sa témérité, s'il reparoît dans l'enceinte des remparts. Noraïme ouvre le troisième acte sur les bords du fleuve qui baigne les murs de Grenade, bien résolue à fuir pour se rejoindre à son époux. Celui-ci sort du milieu des roseaux, habillé en esclave ; il vient pour l'emmener dans sa barque ; mais Alemar paroît, fond sur lui avec ses Zégris, et l'entraîne. Le Conseil s'assemble de nouveau. Almanzor est condamné à être précipité du haut des tours, à moins qu'un guerrier ne prenne sa défense en champ clos. Un Zégris, confident d'Alemar, défie tous les Abencerrages qui veulent d'abord prendre la défense de leur chef ; mais Almanzor s'y oppose. Cependant Noraïme paroît tout-à-coup suivie d'un brave inconnu, portant un drapeau noir. Il défie à son tour les Zégris. Celui qui accepte le combat est poignardé. Le vainqueur se fait connoître ; c'est Gonzalve qui ordonne qu'on fasse tomber le crêpe qui couvroit le drapeau de Grenade. Il annonce en même temps que le coupable porte-enseigne le lui a livré lui-même. On apprend alors toutes les perfidies d'Alemar, et il est traîné au supplice.

Nous ne reviendrons point sur les éloges que mérite, et qu'a reçus le poème des Abencerrages. L'auteur a donné une nouvelle preuve de l'art avec lequel il sait disposer l'enchaînement des scènes, varier les situations, et multiplier les sujets de chant. M. Chérubini a profité habilement de tous ces avantages, et n'a point démenti la réputation d'excellent compositeur qu'il a si justement acquise.

L'ouverture peut être comparée à ce qu'on a de plus parfait en ce genre. L'introduction est d'un style large, et d'une grande richesse d'expression. Le motif de l'allégro a paru neuf et bien adapté au sujet. Il y a, surtout dans le chant principal, un trait exécuté par les violons qui est du plus bel effet. L’air d'Almanzor : Enfin, j'ai vu naître l'aurore, a enlevé tous les suffrages ; peut-être n'a-t-on rien de supérieur pour la grâce et la vérité de l'expression. Le motif du duo : Qu'il est doux de pouvoir se dire, est fort beau. Quelques longueurs n'ont pas empêché que ce morceau ne soit goûté. Le motif est ramené à la fin avec beaucoup d'art, et traité par imitation. On a rendu de justes éloges à la romance du Troubadour. Le chœur des Zégris et des Abencerrages est un chef-d'œuvre de construction. C'est un morceau à deux intentions qui peint fidèlement les dispositions des deux partis, La finale du premier acte est d'une grande beauté ; on y a retrouvé cette harmonie et cette vigueur soutenue avec lesquelles l'auteur traite tous ses morceaux d'ensemble. Le chœur des femmes, dans le second acte, offre un caractère différent : il est d'une harmonie douce, et convient bien à la situation de Noraïme qu'on cherche à distraire de ses craintes. L'air d'AImanzor : Suspendez...... n'est pas moins beau que le premier. Le chœur des Zégris, à la fin du second acte, est parfaitement en scène. L'auteur a pris pour motif une gamme descendante traitée d'une manière fuguée. On a trouvé quelques longueurs dans l'air que chante Noraïme près du tombeau ; mais le reste de la scène rachète bien cette légère imperfection. L'air que chante Alemar, au moment où il croit sa vengeance assurée, est parfaitement dans son caractère. En un mot, nous pourrions citer, comme des chef-d'œuvres d'art et d'expression, à peu près tous les morceaux de cette belle partition. Les airs de ballet sont traités peut-être avec autant de goût que les symphonies d'Haydn, et ce célèbre compositeur n'auroit certainement pas désavoué l’andante du premier ballet.

M. CHÉRUB1N1 a été parfaitement secondé par les acteurs chargés des principaux rôles. Nourrit dans le rôle d'AImanzor, Dérivis dans celui d'Alemar, Madame Branchu, et depuis Madame Albert-Himm dans le rôle de Noraïme, Eloi qui a chanté la romance avec un goût et une pureté de voix admirables, ont été tour-à-tour couverts d'applaudissemens. Enfin l'’Opéra s'est enrichi d'un excellent ouvrage, et depuis longtemps une réunion de talens aussi distingués n'avoieut concouru à l'éclat de ses représentations.

L'Esprit des journaux, français et étrangers, année 1813, tome V, mai 1813, p. 250-262 :

[L’annonce du nouvel opéra est faite de façon bien compliquée, et s’achève par l’expression d’une déception : « l'auteur eût pu tirer plus de parti de Gonzalve de Cordoue ». Suit le résumé de la « fable […] qu’il a imaginée ». Il s’agit de la rivalité entre deux tribus maures d’Espagne, les Abencérages et les Zégris, dans laquelle Gonzalve, un grand capitaine espagnol se trouve plongé : il était venu à une fête à Grenade en profitant d’une trêve qui malheureusement est rompue. S’en suit une longue série d’incidents sur lesquels le critique se penche pour en déterminer la valeur historique. Une fois le dénouement révélé, il souligne le peu d’invention dont le librettiste a fait preuve : son nouvel ouvrage rappelle par bien des points sa Vestale, sans toutefois l’égaler : la situation des Abencérages est moins critique que celle de la Vestale (rappel au passage : un opéra est « un ouvrage où des développemens tragiques sont interdits ») ; et puis Spontini, le musicien de la Vestale a cédé la place à Chérubini. Celui-ci est un compositeur d’un talent indiscutable, mais dont la science musicale est sans doute trop haute pour que la majorité du public y adhère. En ne faisant pas les concessions que, d’après le public, le public attend de lui, il se condamne à ne pas le toucher autant qu’il le devrait. C’est un malentendu profond que le critique décrit, entre un compositeur sûr de la voie qu’il a choisie, exigeante et riche, et un public qui applaudit « avec transport, ce que dans son propre systême, le compositeur estime le moins. Seuls les auditeurs les plus avertis peuvent apprécier « le double tribut payé à la science musicale et à l'expression dramatique ». Le critique cite « un assez grand nombre de morceaux écrits avec clarté et d'une expression que le travail de l'orchestre n'empêche pas de sentir ». Il y a déjà eu « aux répétitions des sacrifices considérables », il en faudrait d’autres, en particulier pour que la partition s’accorde mieux avec les voix des interprètes qu’elle malmène. Après ce très long passage sur la musique, il ne reste plus au critique qu’à saluer les décors remarquables, dus à Isabey, et les ballets de Gardel, qui en a déjà tant produits qu’il ne peut plus guère se renouveler, mais qui est très bien servi par ses danseurs.]

ACADÉMIE IMPÉRIALE DE MUSIQUE.

Les Abencérages.

Après une honorable excursion sur le domaine de Melpomène, nous venons de voir reparaître sur notre grande scène lyrique l'auteur de la Vestale ; de cet opéra qui pour le mérite du poëme et le pathétique de la composition, paraît avoir sa place assignée immédiatement après Didon, et dont la reprise a été récemment un nouveau sujet d'éloges pour le poëte, pour Spontini et Mme. Branchu ; les Abencérages de M. de Jouy ont assez rapidement succédé aux Amazones ; ils ont eu déjà deux représentations fort brillantes. Florian a décrit et presque chanté les exploits de ces Maures intrépides, dignes rivaux d'une nation vouée au culte de l'honneur et de la beauté. On croit que l'auteur eût pu tirer plus de parti de Gonzalve de Cordoue, et répandre en l'imitant plus fidèlement, plus d'intérêt et de vraisemblance sur sa fable. Voici celle qu'il a imaginée.

Les Maures règnent à Grenade. Les tribus des Abencérages et des Zégris unies contre les Espagnols, nourrissent l'une contre l'autre cette haine héréditaire, cette jalousie du pouvoir qui leur a été funeste. Muley Hassem, roi des Maures, est absent pour une expédition lointaine. Le visir Alemar, Zégris, commande à sa place. Almanzor, Abencérage, va s'unir à Noraïme, princesse du sang royal ; le roi l'a voulu, et ce choix irrite le visir et son parti. La première scène fait connaître sous quels auspices Almanzor va s'unir à Noraïme ; on voit que les torches de la discorde s'allumeront aux flambeaux d'hyménée. Cependant la fête commence, et Gonzalve de Cordoue, le grand capitaine, est venu dans les murs de Grenade pour en être le témoin. Une trève le lui permet ; il est accompagné du joyeux et galant cortége des troubadours et des jongleurs ; leurs harpes mélodieuses se mêlent aux instrumens guerriers des Maures, et les deux peuples se confondent dans des jeux qui sont encore des images de la guerre. Tout-à-coup la fête est suspendue ; un envoyé du camp royal est venu annoncer que la trêve est rompue. La situation de Gonzalve paraît ici dénuée de vraisemblance, car l'arrivée du hérault qui proclame la guerre a suivi de bien près le moment où Gonzalve est venu parler de paix, de jeux et d'hymen ; aussi parmi les Maures, les uns veulent l'arrêter, et ce sont les Zégris ; mais le parti du visir qui veut tendre un piége à Almanzor, feint des sentimens généreux, et se joignant aux Abencérages, permet à Gonzalve de rejoindre son camp. Ce dissentiment dans le sein de la tribu des Zegris elle-même, est peu senti à la représentation ; et à la lecture, quand on le reconnaît, on juge que cette conception a put jetter de l'obscurité sur cette partie de la septième scéne, et qu'elle justifie ce que la composition offre aussi d'obscur et de confus. Gonzalve sort accompagné de sa suite, dont les chants d'allégresse et de triomphe paraissent dans ce moment assez déplacés ; ici se révèle l'intrigue ourdie par le visir ; elle consiste à confier l'étendart sacré à Almanzor : on sait qu'à Grenade la loi condamnait à mort le général, sous le commandement duquel cet étendard, l'oriflamme des enfans d'Ismaïl, tombait entre les mains de l'ennemi : or, le guerrier auquel Almanzor le remet au moment où il va combattre, est un traître vendu au visir : il doit remettre l'étendart aux mains des Espagnols. Comme ce guerrier est un Zegris, on pourrait trouver étonnant qu'Almanzor lui confia le drapeau ; mais le poëme nomme ce traître Octaire, porte-drapeau du royaume de Grenade ; cependant s'il y a un porte-drapeau du royaume, le général qui commande peut-il être responsable de sa perte ? Le récit historique n'est peut-être pas ici très-bien suivi. Ces détails critiques paraîtront minutieux ; mais comme c'est le moyen principal employé par l'auteur, il est permis de discuter son plus ou moins de vraisemblance.

La fête brillante du premier acte avait paru d'une étendue fort raisonnable : celle que Noraïme voit commencer sous ses yeux, en attendant le retour de son époux victorieux, était peut-être inutile ; elle est interrompue, comme la première, par une nouvelle qui fait succéder des cris de douleur aux chants de l'allégresse et de la victoire. Almanzor a triomphé des Espagnols ; il a conquis sur eux de nouveaux trophées ; mais au moment où il rentrait à Grenade, Octaire et son étendart ne l'ont point suivi : l'un et l'autre sont au pouvoir de l'ennemi. Almanzor n'a plus à paraître que devant le conseil des vieillards.

La gloire le couronne
Et la mort l'environne
Au sein de ses foyers ;
La loi, que rien n'arrête,
A le frapper s'apprête,
Et menace sa tête
Couverte de lauriers.

Almanzor, accusé par le visir devant le conseil et le peuple répond :

J'ai vaincu, j'ai rempli tous les vœux de la gloire ;
       La nuit, témoin de ma victoire,
L'est aussi d'un malheur que je ne conçois pas :
       Triomphante, l'armée entière
       A salué notre sainte bannière ;
Je la portais moi-même au milieu des combats ;
Octaire de retour fut commis à sa garde :
       L'ombre couvrait les cieux ;
Nous marchons; le jour naît ;j'appelle, je regarde ;
Octaire, l'étendart, rien ne s'offre à mes yeux.....

Le visir s'écrie qu'Almanzor accuse injustement un Zégris : Almanzor éclairé par un mot de Noraïme, répond que ses soupçons s'étendent plus loin : les vieillards demandent une preuve ; Almanzor n'en a pas, mais ses compagnons en apportent de nombreuses de sa vaillance ; ce sont les drapeaux conquis sur les Espagnols : leur amitié fidèle oppose ces trophées enlevés les armes à la main aux accusations du visir ; les vieillards délibèrent : Almanzor a sauvé Grenade, mais il a perdu son étendart ; sa victoire lui donne la vie ; son malheur le condamne à l'exil. A ce mot les Zégris s'écrient que cette clémence remplit leur vengeance, deux de leurs chefs qu'elle l'a trahit, et le visir qu'elle la commence. Ici, s'il règne encore dans la partition quelqu'obscurité, il faut avouer que la faute n'est pas entièrement au musicien.

Almanzor est sorti de Grenade, mais il s'élance sur un esquif, et rentre dans la partie solitaire des jardins de l'Alhambra, pour revoir Noraïme, Noraïme qui voulait s'exiler avec lui, et qu'il refuse d'entraîner dans son infortune ; tous deux se rencontrent et se reconnaissent aux pieds du tombeau de la mère de Noraïme; la situation est touchante autant que l'aspect du lieu pittoresque ; Almanzor cède aux vœux de Noraïme, tous deux vont fuir, mais le cruel visir a épié leurs traces, et pour la seconde fois la loi prononce sur le sort d'Almanzor : convaincu d'être rentré dans Grenade, il doit périr si nul ne soutient sa cause en champ clos. On désirerait qu'ici, des rangs de ces Abencérages victorieux sous ses ordres, il sortit un ami fidèle, un défenseur intrépide ; mais quand deux Zégris se présentent dans l'arêne, les Abencérages se bornent à dire entr'eux et à demi-voix (note du poëme) :

Braves amis, dans le silence
Souffrirons-nous tant d'arrogance ?

Almanzor a peu de peine à modérer une telle ardeur, et après les nouveaux adieux à ses faibles amis, il serait forcé à se précipiter du haut des remparts, si Noraïme ne lui amenait un défenseur, dont la visière est baissée, le bouclier sans couleur, et la bannière voilée. Le combat à outrance s'engage comme dans les Amours de Bayard, entre l'inconnu et un chef des Zégris ; l'appareil et les formes du combat sont les mêmes, et le résultat est semblable. La victoire couronne la valeur et l'innocence : Almanzor est absous ; mais le visir renouvelle à l'instant l'accusation première, il redemande une seconde fois l'étendart sacré. L'inconnu lève alors sa visière ; le voile qui couvrait sa bannière tombe, et l'on reconnaît en même-temps Gonsalve, et l'étendart livré aux Espagnols par Octaire ; le monarque espagnol s'est indigné contre un traître, il renvoie l'étendart à Grenade, et offre la paix aux Maures. Les deux tribus se réunissent à l'instant contre le visir qu'on entraîne au supplice, et un chant d'allégresse s'élève en l'honneur de Gonsalve et des deux époux.

Quelques réflexions critiques ont été glissées dans cette analyse pour indiquer à quelles parties du plan de M. de Jouy le public a paru hésiter à donner ses suffrages. En général, on a trouvé peu d'invention dans ce poëme, et l'on y a reconnu la contre-partie d'un fond d'idées déjà employé par l'auteur. C'est pour ainsi dire le feu sacré qu'Almanzor a laissé éteindre. La situation du guerrier est à-peu-près celle de la Vestale, et elle a le défaut de se répéter au 3e. acte ; ajoutons qu'elle est bien moins intéressante, et que dans un ouvrage où des développemens tragiques sont interdits, le sort d'un guerrier que ses amis pleurent au lieu de le défendre, est bien moins touchant que celui d'une victime de l'amour qu'une loi cruelle frappe, dont le supplice affreux commence, et que l'amour seul peut sauver par un dévouement au-dessus de toutes les lois : mais on ne peut s'attendre à être souvent aussi heureux dans le choix d'un sujet et dans celui d'un musicien si propre à le traiter. Le talent de Spontini et le sujet de la Vestale étaient en harmonie parfaite ; un très-bel ouvrage en a été le résultat : M. de Jouy ne dira pas, mais il pourrait dire à ses censeurs ce que Lemierre, qui n'avait pas encore assez d'amour-propre pour cacher celui dont il était plein, disait aux critiques de son temps : Croyez-vous qu'on vous donnera tous les jours des Veuves du Malabar ; mais M. de Jouy aura cet avantage sur l'auteur d'Hypermnestre, que la Veuve ne voit plus rallumer son bûcher, et que long-temps encore la Vestale descendra vivante dans la tombe.

M. Cherubini est l'auteur de la musique des Abencérages. Certes, c'était un choix digne d'envie que celui d'un tel maître, et il est honorable pour M. de Jouy d'avoir réussi à faire reparaître sur une scène digne de lui, après un si long silence, l'auteur de tant de beaux ouvrages qui ont fait la gloire d'un autre théâtre lyrique, et qui pour être négligés par ce théâtre ne sont oubliés de personne. Médée, Elisa, Lodoïska sont des ouvrages où le cachet d'un talent original et brillant se trouve empreint à côté de celui d'une science musicale sur le degré de laquelle il n'y a qu'une voix parmi nos professeurs et chez l'étranger. Malheureusement ce degré même de savoir qui a élevé si haut la réputation de M. Cherubini dans les écoles, ne lui a jamais concilié qu'un parti parmi les amateurs : il a les suffrages les plus éclairés, il n'a pas les plus nombreux : au lieu de s'asservir à l'opinion générale, de restreindre lui-même l'usage de ses moyens, et d'être moins prodigue des richesses de son imagination, il paraît s'être roidi contre le vœu même des plus zélés partisans de sa gloire, et ne vouloir pas acheter un succés qu'il regarderait comme un signe de décadence. Il y a dans tous les arts, il y a même en littérature des exemples peu encourageans de cette opiniâtreté d'un talent qui s'égare quelquefois lorsqu'il croit uniquement ne pas fléchir, et qui manque l'occasion de briller et de plaire, pour ne pas renoncer à la prétention d'être un objet d'admiration et d'étude. Personne n'est plus pénétré que le maître dont il s'agit des beautés grandes et pures de l'école où il a été formé. Italien, il sait mieux que personne avec quelle simplicité de moyens les grands musiciens de ce pays se sont élevés au plus haut degré de l'expression, soit pour l'église, soit pour le théâtre ; il sait avec quel succès ces compositeurs ont réussi à allier les formes de leur style élégant, expressif et clair, à nos convenances théâtrales, et quel appui ils convenaient eux-mêmes avoir trouvé dans nos règles dramatiques. Il le sait, et peut-être est-ce pour cela même qu'il a prétendu réussir par d'autres moyens, en s'abandonnant sans réserve à un systême justifié ailleurs qu'en Italie par de grands succès.

Cependant que résulte-t-il en général de ce systême ? Deux choses presqu'également fcheuses ; ou le désir et l'insatiable besoin de se montrer profond harmoniste et de justifier le renom de premier contrepointiste de l'Europe distrait du recueillement nécessaire, du sentiment indispensable pour trouver de beaux chants : ou si des chants de cette nature sont trouvés, on profane ces dons heureux de l'inspiration et du génie en les étouffant sous un vain luxe d'ornemens ; on les possédait et on les perd ; la mélodie les avait tracés, l'harmonie les efface ; le compositeur s'indigne que le public ne les saisisse, ni ne les retienne ; le public se plaint de ne pouvoir les reconnaître dans leur succession trop fugitive ; les détails les plus brillans lui sont prodigués ; mais il en est ébloui et bientôt fatigué ; la contrariété qu'il éprouve le rend injuste, et il confond dans un commun anathême des beautés réelles et d'inextricables difficultés ; bien plus, il insulte au talent du compositeur, en applaudissant avec transport, ce que dans son propre systême, le compositeur estime le moins.

Par exemple, au sortir des Abencérages, interrogez la très-grande majorité des auditeurs ; de quel morceau ont-ils conservé le souvenir ? Qu'ont-ils entendu, et qu'ont-ils remarqué ? La romance du troubadour ; naïve d'expression, touchante de simplicité. Quelle leçon pour un homme qui a sacrifié à la science les moyens les plus séduisans de son art ! N'est-ce pas le métromane auquel Francaleu croit prodiguer l'encens en disant : j'ai trouvé telle rime.....?

Mais c'est assez combattre avec le grand nombre un systême qu'il s'obstine à repousser ; il faut aussi se rendre l'interprête de ceux des auditeurs qui, familiarisés avec les productions instrumentales les plus compliquées, peuvent suivre à la scène l'application d'un tel style, et saisir à-la-fois le double tribut payé à la science musicale et à l'expression dramatique. Il est d'ailleurs dans les Abencérages un assez grand nombre de morceaux écrits avec clarté et d'une expression que le travail de l'orchestre n'empêche pas de sentir. Tels sont le premier air d'Almanzor, Enfin j'ai vu naître l'aurore, qui a de la grace et de la fraîcheur ; le récit du troubadour aux rives du Darro, la romance, car l'opinion des professeurs est ici d'accord avec l'opinion générale ; le chœur final, Ecoutez : le clairon sonore ; le cœur, la Gloire le couronne ; celui, Voyez ces nombreux étendarts, plein de verve et d'enthousiasme et parfaitement en situation ; toute la scène d'Almanzor, Suspendez à ces murs mes armes, ma bannière, la prière du troisième acte, trop-tôt suivie d'un morceau dont le caractère ne paraît pas assez élevé, le quatuor final du dernier acte, qu'on remarquerait partout ailleurs où l'attention ne serait pas épuisée, etc.

On assure qu'aux répétitions des sacrifices considérables ont été faits ; il reste peut-être encore des coupures utiles : parmi les morceaux qui réussissent le moins, on remarque le duo entre Almanzor et Noraïme, l'air de cette dernière, celui du visir devant le conseil. Le rôle du visir paraît écrit bien bas, même pour la voix de Dérivis ; l'élévation de celui de Gonzalve fatigue Lavigne d'une manière sensible : une indisposition a forcé Mme. Branchu à céder le sien dès la seconde représentation. Nourrit et Eloi, sous le rapport du chant, méritent beaucoup d'éloges : nul doute cependant qu'en cherchant ce qu'on appelle du feu et de l'expression, Nourrit n'encourre l'imminent danger d'altérer sa voix, encore si fraîche et si pure.

Cet opéra est monté avec le plus grand soin, et malgré ses défauts, il renferme assez de beautés, il offre un spectacle assez varié et assez pompeux pour présager que ses représentations seront nombreuses. Les décorations font le plus grand honneur à M. Isabey, la galerie des armes du palais de l'Allambra est une composition d'un ordre très-élevé ; celle des jardins du palais par un clair de lune est d'un effet mélancolique et doux très-bien en harmonie avec la scène ; celle du champ clos a paru manquer de caractère et de perspective.

M. Gardel a dessiné tant de ballets qu'on ne saurait désormais où il pourrait puiser des idées originales, s'il ne les trouvait avec goût dans les mœurs des peuples que le poëte a mis en action ; et hors de ce systême il n'y a que vague, lieux communs et monotonie. Mais après avoir tant produit, quelque sujet qu'il traite, il a presque toujours à lutter contre lui-même. Heureusement il est si bien servi par les sujets de la danse qu'on préfère toujours le pas qu'on voit à celui qu'on a vu, alors même que l'idée n'aurait pas tout le mérite de l'invention et de la nouveauté.                             S....

D’après la base Chronopéra, les Abencérages ont été joués 18 fois de leur création en avril 1813 à la fin de l’année 1815. Ils ont encore été représentés trois fois en mars 1816.

Si le livret a été publié dès 1813 (certaines éditions avec la date erronée de 1807, la partition ne l'a pas été : Cherubini n'a accepté d'en publier que des extraits.

Pour en savoir plus, on peut lire l'article de Jean Mongrédien À la découverte des Abencérages de Luigi Cherubini (1813), publié dans Napoleonica. La Revue 2008/1 (N° 1), pages 120 à 135

(accessible en ligne dans cairn. Info : :

https://doi.org/10.3917/napo.081.0005 )

Carrière à l'Opéra :

14 représentations en 1813 (06/04 – 28/11).

3 représentations en 1814 (29/07 – 13/12).

1 représentation en 1815 (19/02).

18 représentations de 1813 à 1815.

mais aussi 3 représentations en 1816 (d’après Chronopéra).

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