Les Amours de madame Angot, opéra comique en trois actes, de Dorvigny, 20 ventôse an 5 [10 mars 1797.
Théâtre des Artistes, rue de Bondy.
La pièce de Dorvigny bénéficie, si on peut dire, d'une critique en deux temps. Le lendemain de la première, la critique classique, qui souligne deux points, l'inutilité du troisième acte et le style trop négligé. Sinon, la pièce n'est pas si mauvaise, et l'acteur qui joue travesti le rôle de Madame Angot s'en sort bien sans être égal à Corse, l'acteur qui a créé le personnage de Madame Angot. Dix jours après, nouvel article, pour reprocher à l'auteur de ne pas avoir supprimé le troisième acte, et l'engager à supprimer de la pièce tout ce qu'elle a de choquant. Et le critique de rappeler que « le théâtre doit être l'école des mœurs ». Une mère doit pouvoir y amener sa fille...
Courrier des spectacles, n° 64 du 21 ventôse an 5 [11 mars 1797], p. 2-3 :
Théâtre des Jeunes Artistes.
Madame Angot, qui a tant de succès au théâtre d'Émulation, doit toute sa vogue au genre trivial et poissard, et bien plus encore au jeu extrêmement naturel de M. Corse ; on comptait retrouver au théâtre des Jeunes Artistes le même genre qu'à celui d'Émulation. Mais il existe une très-grande différence entre l’un et l’autre, considérée comme comédie. La pièce des amours de Madame Angot n’a pas le ridicule aussi frappant que celle de Madame Angot ; il étoit bien plus comique de faire sentir le ridicule d’une poissarde parvenue, et qui veut prendre les tons de la bonne société, que de représenter les amours d’une femme qui n’est déjà plus jeune, et qui a la folie de vouloir faire la conquête d’un jeune militaire : cette intrigue est très-rebattue. Nous avons trouvé, dans les deux premiers actes, beaucoup de pensées assez heureuses, et même du comique ; souvent aussi on rencontre des fautes très-graves de style, et des mots beaucoup plus qu’équivoques. Le troisième acte n’est aucunement supportable, il ne fait rien à l’action ; car, en ajoutant une scène au deuxième acte , on pourroit supprimer le troisième tout entier. L’auteur est M. Dorvigny : il a été demandé, et fort applaudi. Quant au jeu, on ne peut pas reprocher à M. Delorge d’avoir mal joué le rôle de Madame Angot ; mais il a dans M. Corse un antagoniste si redoutable, qu’il lui a été difficile même d’en approcher. Son jeu n’est pas mauvais, son ton est loin d’être ce qu’il faut, son costume est trop recherché ; de plus, il n’a pas ce masque comique qui fait presque tout dans un rôle de cette espèce.
Madame Angot est obligée d’épouser M. Grapin, procureur, ou de lui payer un dédit de 10,000 livres. M. Vieuxbois, gendre de la première, imagine, pour la dégoûter de M. Grapin, de faire déguiser une de ses cousines en dragon, qui parvient sans peine à plaire à Madame Angot.
Elle a bientôt oublié M. Grapin et offre sa fortune et sa main au jeune militaire ; celui-ci refuse d’aller sur les brisées du procureur ; mais Madame Angot le rassure en lui disant qu’elle paiera un dédit qui lui rend alors sa parole. M. de Vieuxbois imagine de nouveau un moyen de ne pas payer de dédit ; il le trouve en faisant dire à Madame Angot que les 50,000 livres qu’elle avoit en dépôt sont perdues sans ressources. M. Grapin ne se souciant plus de Madame Angot sans sa fortune, lui rend son dédit ; elle lui rend le sien : alors on lui déclare le tour qu’on lui a joué pour l’arracher des mains de M. Grapin ; elle offre de nouveau son bien à son cher dragon, qui lui avoue qu’il est fille. Madame Angot est furieuse d’être jouée ainsi elle fait enfermer le dragon supposé, dans un cabinet, dont elle confie la garde à Nicolas, son domestique. Elle assemble tonte sa famille, leur fait signer une plainte contre celle qui, dit-elle, a voulu la tromper : tous signent, et ils ne sont pas peu étonnés quand ils entendent la lecture d’un acte qui leur assigne à chacun 25 louis de rente par an.
D. S.
Courrier des spectacles, n° 73, 30 ventôse an 5 [30 mars 1797], p. 3 :
Les Amours de M.de Angot, encore en trois actes. En vérité M. Dorvigny , vous tenez donc beaucoup à votre 3.e acte, c’est, pourtant bien peu de chose, car il pèche contre toutes les règles de l’art : point de gradation, aucune action, rien de saillant ; faites ce petit sacrifice. Quoi ! vous aviez d’abord fait cette pièce en 2 actes, et vous l’avez changé pour ajouter ce troisième ; il falloit beaucoup mieux vous en tenir à votre première idée ; on dit que c’est toujours la meilleure. Supprimez aussi vos basses équivoques, qu’une mère emmenant sa fille voir votre pièce, ne soit pas forcée de se cacher pour rougir des grossières indécences que vous y proférez. Le théâtre doit être l’école des mœurs ; s’il s’écarte de ces principes, il devient bien plus nuisible qu’il est utile. Si notre critique vous paroît amère, notre justice à vous louer sur votre nouveauté de la leçon des fermiers, vous fera voir que ce n’est point à l’homme que nous en voulons, mais aux ouvrages contre les règles, et sur tout à ceux où les mœurs ne sont pas respectées.
D. S.
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