Bertrand et Raton ou l'Intrigant et sa Dupe

Bertrand et Raton ou l'Intrigant et sa Dupe, comédie en cinq actes et en prose, par M. Picard ; 27 pluviose an 13 [16 février 1805].

Théâtre de l'Impératrice.

Titre :

Bertrand et Raton, ou l’Intrigant et sa dupe

Genre

comédie

Nombre d'actes :

5

Vers / prose

en prose

Musique :

non

Date de création :

27 pluviose an 13 [16 février 1805]

Théâtre :

Théâtre de l’Impératrice

Auteur(s) des paroles :

Picard

Almanach des Muses 1806.

On connaît la fable de La Fontaine :

Bertrand avec Raton, l'un singe et l'autre chat,
Commençaux d'un logis, avaient un commun maître ;
D'animaux malfaisans c'était un fort bon plat :
Ils ne craignaient tous deux quel qu'il pût être.

Le sujet de cette fable est le même que celui de la pièce nouvelle, à la différence près que, dans celle-ci, Raton n'est pas un fourbe comme son camarade, mais un demi-niais, très-confiant et très-facile à tromper, ce qui affaiblit le comique, et détruit toute espèce d'intérêt.

Ouvrage peu digne de son auteur. Demi-succès.

La Revue philosophique, littéraire et politique, an XIII, deuxième trimestre, n° 16 (10 Ventose an XIII, 1er mars 1805), p. 440-442 :

[Article repris dans le Nouvel Esprit des journaux français et étrangers, tome VII, germinal an XIII [mars 1805], p. 273-278.

L’ambiance dans les théâtres n’était pas, en ce temps-là, au mieux, et c’est des dissensions qui les déchirent que part le critique : la pièce d'Alexandre Duval, le Tyran domestique, a été victime d’une cabale injuste, tandis que celle de Picard a échappé à ce même sort, qu’elle pourrait bien avoir mérité. Après le rappel de l’origine du titre, l’analyse présente l’intrigue de manière assez partisane, soulignant ses incohérences et ses invraisemblances. Ensuite, il ne reste qu’à dire que le titre « promet ici plus qu'il ne tient » : l’intrigue se réduit à « une petite intrigue domestique », l’opposition rencontrée par « l’intrigant » étant bien faible. La pièce est un peu vide, et l’auteur a eu bien de la peine à remplir ses cinq actes. Mais l’auteur, c’est l’expérimenté Picard, qui possède « une connaissance peu commune des effets dramatiques » dont il a su faire usage aux troisième et quatrième acte (il enr este trois où elle pourrait bien ne pas se manifester). La pièce n’est pas mauvaise, mais Picard a habitué à mieux : « conception […] pas assez mûrie », intrigue inférieure à ce qu’on attend à la lumière de ce que La Fontaine a fait de ses deux êtres malfaisants (« un fripon aux prises avec un plus fripon que lui » : chez Picard le fripon est confronté à « une dupe trop facile ». Il y a tout de même « assez de détails amusans pour rester au théâtre et grossir le répertoire », « on y rit, on ne s'y ennuie point » (la phrase finale de l’article vise les critiques d’une manière tout à fait intéressante... Règlement de comptes entre collègues ?).]

Théâtre de l'Impératrice, rue de Louvois.

Bertrand et Raton, ou l'intrigant et sa dupe, comédie en cinq actes et en prose.

Tandis que les impitoyables ennemis de toute nouveauté marquante essayaient de se déchaîner au Théâtre Français contre le tyran domestique1, ils laissaient, à leur grand regret sans doute, réussir sans contradiction la pièce du Théâtre Louvois.

Le titre en était piquant et le sujet heureux.

Bertrand avec Raton, l'un singe et l'autre chat,
Commensaux d'un logis, avaient un commun maître ;
D'animaux malfaisans c'était un très-bon plat,
Ils n'y craignaient tous deux aucun quel qu'il put être.

Cette fable, si plaisamment passée en proverbe pour désigner tous ceux qui, en politique et en intrigues, se servent de la patte du chat pour tirer les marrons du feu, semblait offrir matière à des situations piquantes et au développement d'un caractère, ou du moins d'une manière d'être dont le modèle existe réellement dans la société. L'analyse de la pièce est nécessaire pour faire juger si l'auteur a conçu et creusé ce sujet autant qu'il méritait de l'être.

M. Bertrand de Courval a été, je ne sais trop, ni pourquoi, ni comment, chargé d'achever l'éducation du jeune Raton de Saint-Léger. Ce Bertrand n'est qu'un intrigant assez subalterne, et M. Raton est un demi-niais très-crédule et très-confiant dans la haute sagesse, dans les lumières et dans l'amitié de son nouveau Mentor. Raton est fort riche et Bertrand point du tout ; dès-lors on conçoit que l'intrigant fera payer ses plaisirs à son innocent adepte. Arrivés tous deux à Strasbourg, ils y rencontrent une jeune personne fort intéressante, fort jolie, et de plus riche héritière. A ce double titre, elle attire les regards des deux amis : Raton en devient réellement épris, Bertrand trouve ses écus encore plus aimables qu'elle et convoite la dot ; mais pour réussir il a besoin d'empêcher son rival de parler lui-même ; il a besoin d'éblouir les yeux de la mère, en laissant croire qu'il est riche : il persuade donc d'une part au pauvre Raton que l'aveu de son amour serait indiscret, que lui Bertrand peut seul négocier cette affaire avec succès, et de l'autre part il lui fait payer les calèches, les bals, les goûters et tout ce qui peut leur donner une réputation de richesse et d'amabilité. Ce n'est pas tout ; par malheur pour eux, la jeune personne aime secrètement un officier qui veut disputer le cœur de sa maîtresse les armes à la main. Raton, persuadé que Bertrand ne fait sa cour que pour l'obliger, ne veut point qu'il se batte pour une cause dont il n'est que le confident ; il la défend lui-même, et reçoit un léger coup d'épée. Enfin pour le récompenser de tant de peines, de frais, de soins et de confiance, Bertrand lui conseille d'enlever la jeune personne, et se propose bien de la lui arracher à peu de distance de la ville, afin de passer aux yeux de la mère pour son libérateur, et obtenir ainsi le prix de son intrigue aux dépens de sa dupe. Le projet est conçu, adopté ; un postillon est séduit, la chaise est préparée, lorsqu'un valet du jeune officier, resté à Strasbourg par intérêt pour son maître, et qui s'est exprès introduit au service de Bertrand pour savoir ses projets, les découvre, en instruit promptement celui qu'ils intéressent : celui-ci accourt, trouve le secret d'enfermer Raton en laissant exécuter le criminel projet de l'enlèvement au postillon gagné. La chaise part, la jeune personne est enlevée. Bertrand ne manque pas d'accuser Raton qui, caché dans la maison même, se trouve à portée de démasquer toute la perfidie de son faux ami. L'officier de son côté a pris ses mesures pour arracher sa maîtresse au postillon ravisseur et la ramener dans les bras de sa mère, ainsi de tout côté Bertrand se trouve démasqué : il s'en console par l'espoir de trouver quelque autre dupe, et laisse le malheureux Raton tout ébahi d'avoir été dans la même journée mystifié, ruiné, blessé et berné, pour les fautes d'autrui.

Il est assez facile de voir que le titre promet ici plus qu'il ne tient, qu'il est trop fastueux pour une petite intrigue domestique ; que la confiance niaise de Raton et le caractère un peu facile de la mère donnent trop beau jeu à Bertrand ; que ce valet de l'officier, si légèrement adopté par l'intrigant trop peu soupçonneux, débute par vouloir beaucoup faire pour le nœud et ne fait presque rien ; que les cinq actes à remplir sur un fond aussi mince ont donné beaucoup de peine à l'auteur et laissent néanmoins plusieurs vides dans l'action : mais il a développé, comme à son ordinaire, une connaissance peu commune des effets dramatiques dans les scènes du 3e et du 4e acte ; il a suppléé quelquefois à la langueur de son action par des détails de finesse et de gaîté dans son dialogue, où l'on reconnaît sa touche facile, originale et spirituelle ; il en résulte que l'ouvrage ferait encore beaucoup d'honneur à l'auteur dramatique dont on attendrait moins parce qu'il n'aurait pas fait mieux, mais que peut-être pour Picard il est au-dessous de tous ceux qu'il a déjà donnés. La conception ne m'en paraît pas assez mûrie : il n'est peut-être personne qui. sur le titre ne se soit attendu à une action plus grandement aperçue, plus fortement dessinée. La fable de La Fontaine met en scène un singe attrapant un chat, et tous deux malfaisans. Le piquant de cette donnée est de montrer un fripon aux prises avec un plus fripon que lui ; mais une dupe trop facile, jouée par un fripon ordinaire, n'est plus qu'un sujet commun et traité mille fois. L'auteur paraissait, à tout prendre, l'avoir mieux esquissé dans la pièce de Médiocre et Rampant, où son intrigant se sert du travail et de l'esprit des autres pour s'avancer à leurs dépens. Il fallait donc renchérir sur ce premier cadre ou ne plus s'en servir. Quoi qu'il en soit, abstraction faite du titre qui peut-être nuit à l'ouvrage, cette comédie offre encore assez de détails amusans pour rester au théâtre et grossir le répertoire. On y rit, on ne s'y ennuie point, et tous les gens qui viennent au spectacle ne sont pas si délicats et si près regardant que les journalistes et les critiques.

L. C.          

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 10e année, 1805, tome II, p. 184 :

[Exécution en règle d’une pièce du fameux Picard, dont la nouvelle production est « bien au-dessous » de ses autres pièces. Détails qualifiés d’oiseux et de « peu amusans », pas d’intérêt avant la fin du troisième acte. Et les interprètes n’ont pas plu au critique. Si on compare avec la critique de la Revue philosophique, on voit que les arguments ne diffèrent pas tant que ça...]

Théatre Louvois.

Bertrand et Raton, ou l’Intrigant et sa dupe, comédie en 5 actes et en prose.

Cet ouvrage est bien au-dessous de tous ceux de Picard. Il nous présente un intrigant dupant un sot, et dupé lui-même par le valet de son rival, auquel il a la sottise de se confier. Les détails sont tellement oiseux et si peu amusans, qu'il est inutile de les analyser. Le peu d'intérêt qu'il y a dans la pièce, ne commence qu'à la fin du troisième acte. Le. jeu des acteurs n'a pas contribué à faire réussir la pièce.

1 Cette pièce de Duval, jouée au Théâtre Français, a été mal accueillie à sa première représentation, avant de se relever à la seconde.

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