Le Berceau
Le Berceau, vaudeville en un acte, de Guilbert de Pixerécourt, 23 mars 1811.
Théâtre de l'Opéra-Comique.
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Titre :
Berceau (le)
Genre
vaudeville
Nombre d'actes :
1
Vers / prose
en prose, avec des couplets en vers
Musique :
vaudevilles
Date de création :
23 mars 1811
Théâtre :
Théâtre de l’Opéra Comique
Auteur(s) des paroles :
Guilbert-Pixerécourt
Almanach des Muses 1812.
Un des nombreux impromptus qu'a fait éclore la naissance du Roi de Rome. De la gaîté et quelques couplets bien tournés.
Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Barba, 1811 :
Le Berceau, divertissement en un acte, A l'occasion de la Naissance du ROI DE ROME, par R. C. Guilbert-Pixerécourt ; Représenté, pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre Impérial de l'Opéra-Comique, le 23 mars 1811.
Journal de l’Empire, 26 mars 1811, p. 1-3.
[Après avoir rendu compte de poèmes célébrant la grossesse de l’Impératrice, puis la naissance du Roi de Rome, le critique traite des pièces consacrées à l’événement. Son parti pris est affirmé d’emblée : ce qui sauve cette littérature, poésie comme théâtre, c’est « la matière qui surpasse l’art », point de vue intéressant. Et avant de parler de ce Berceau, il croit utile de rappeler la fameuse quatrième églogue de Virgile, chantant la naissance d’un enfant appelé à changer « la face de la terre », mais sans préciser de quel enfant il s’agit. D’où un long développement pour détruire les interprétations fausses qu’on propose généralement de l’églogue. Le tout pour affirmer que Virgile, en poète, privilégie l’imagination sur la raison, qui est « ce dont la poésie se passe le plus volontiers ». Mais la poésie dramatique ne peut user d’« une si grande liberté de fiction ». Place maintenant au compte rendu de la pièce de Pixerécourt, présentée de façon très favorable, et l’intrigue comme le style en sont jugés heureux : « simple, naturel et gai » pour le style, « riante et délicate » pour « l’idée du berceau ». La pièce comporte bien sûr des couplets, et le critique les juge « ingénieux, frais et brillans » avant d’en donner des exemples. La fin de la critique est consacrée à justifier le choix du vaudeville dans un opéra-comique, où on attend une musique originale : « le chant simple et naturel est plus favorable à expression de la joie ; la grande musique tue l'esprit, étouffe l'intérêt sous le bruit, et laisse à peine entendre les paroles ». Et, qualité paradoxale, il convient mieux aux voix des chanteurs, en piteux état, semble-t-il !]
OPÉRA-COMIQUE IMPËRIAL.
Le Berceau.
Dans les ouvrages du génie l’art surpasse la matière ; mais dans cette foule de poèmes que la naissance du Roi de Rome fait éclore, c'est la matière qui surpasse l’art ; les auteurs tirent leur principal mérite du bonheur et de l'intérêt du sujet ; tout leur esprit reste encore au-dessous de nos pensées et les plus brillans transports de leur imagination ne sont que de foibles interprètes de nos sentimens. Apollon vient d'ouvrir un grand jubilé ; l’indulgence et la faveur attendent les productions inspirées par le zèle. Tous les vers sont bons, toutes les pièces sont intéressantes ; c'est le cœur qui les juge : la rigueur des principes du goût doit s'adoucir et se perdre au milieu du délire et de l’ivresse d'un grand peuple.
Le prince des poètes latins nous a laissé une églogue sur la naissance d'un enfant précieux fait pour renouveler la face de la terre. Le malheur est que nous ne savons pas de quel enfant le poète veut parler. Trop sur d'être entendu de ses contemporains. Virgile a négligé d'instruire la postérité ;.il a preparé des tortures aux commentateurs. Il y en a qui ont poussé l'extravagance jusqu’à prétendre que ce magnifique horoscope regardait un fils de Pollion. Virgile étoit-t-il donc assez insensé assez mauvais courtisan pour attribuer de si brillantes destinées au fils d'un homme qui n’avoit joué qu'un rôle subalterne dans les guerres civiles ? Cet honneur rendu à Pollion étoit une sorte d'insulte pour Octave. Quoi qu’il en soit, ce prétendu fils de Pollion doit ramener l’âge d’or. et accomplir les prédictions de la sybille [sic] de Cumes. La folie, sous le nom d'enthousiasme, est l’apanage des poètes. Quand Virgile a mis en beaux vers les rêveries d'une vieille sorcière, ces rêveries deviennent des oracles. S'il faut en croire sur sa parole le poète astrologue, ce nouveau-né doit réparer les malheurs du monde : plus de serpens. plus de poisons, plus d'animaux destructeurs; le raisin pend aux buissons, le miel coule des chênes. Mais ce ne sont là que les jeux de son berceau ; on verra bien autre chose quand il sera grand : alors plus de guerre, plus de navigation, plus de commerce, plus d’agriculture ; par conséquent plus de soldats, plus de marchands, plus de laboureurs, surtout plus de teinturiers. Virgile insiste formellement sur ce point : « La laine, dit-il, n'apprendra plus à se parer de fausses couleurs ; le bélier dans sa prairie, tantôt teindra sa toison du sang du murex, tantôt étalera les couleurs du safran, et les agneaux paissans seront habillés d'écarlate. » Je m'étonne que dans un siècle de simplicité, tel que le siècle d'or, la nature se pique d'imiter les couleurs brillantes de l'art : les moutons rouges de Virgile ont quelque affinité avec les moutons rouges d’Eldorado dont il est fait mention dans Candide.
La fin de l’églogue cache encore un mystère : « Cher enfant. dit le poète, commence à connoître ta mère à son doux sourire ; l’enfant à qui ses parens n'ont point souri n'est admis ni à la table des dieux ni dans le lit des déesses. » On n'imagineroit pas quelles sottises les interprètes ont accumulées pour expliquer cette table des dieux et ce lit des déesses ; j'en fais grace au lecteur qui n'en seroit pas plus instruit. Ce poème de Virgile est tout entier magnifique de poésie ; les vers en sont excellens ; il n'y manque que de la raison. et c'est ce dont la poésie se passe le plus volontiers. Le sage Virgile me paroît ici dans ses fiction poétiques avoir abuse de la permission. Nos moindres versificateurs mettront plus de sens dans leurs poëmes ; ils se montreront plus philosophes, mais beaucoup moins poètes que Virgile et ce n'est jamais la raison, c'est l'imagination, c'est le style qui font vivre la poésie épique. Il n’en est pas tout-à-fait de même de la poésie dramatique, qui demande une imagination plus réglée et n'admet pas une si grande liberté de fiction.
L'Opéra-Comique est le premier des grande théâtres qui se soit emparé de ce précieux sujet qui enflamme la verve de tous les poètes. M. Pixérécourt les a tous devancés par son empressement ; il a le premier présente à ce théâtre une pièce en état d'être jouée deux jours après l'heureux événement. La scène convient à ces ouvrages que le bonheur public inspire et commande ; la joie circule mieux parmi les hommes réunis : ils s'électrisent par le contact ; leurs sentimens acquièrent par la communication un nouveau degré d'activité ; le lecteur isolé et tranquille ne se livre pas si aisément au poète, il sent moins et réfléchit davantage. Le style simple, naturel et gai est quelquefois, dans de pareils sujets, plus propre à l’effet du moment que le ton héroïque, par la raison qu’il est plus populaire, plus familier, plus à la portée de tous.
L'idée du berceau est riante et délicate : les habitans d’un village préparent un berceau, et s'empressent de l’orner pour le rendre digne de la femme du seigneur du lieu, laquelle est prête d'accoucher. On ne sait encore si elle aura un garçon ou une fille ; si c'est un garçon, on veut une nourrice française ; si c'est une fille, on préféreroit une nourrice hongroise ; dans l'incertitude, on les arrête toutes les deux. C'est madame Belmont qui joue ces deux rôles avec une grace, un naturel, une sensibilité qui ont beaucoup contribue au succès. Le caractère du père la Bombe est comique :
ce bon invalide, plein d'ardeur et de loyauté, est furieux contre un jeune laboureur amant de sa fille qui lui a encloué un petit canon dont il prétendoit se faire honneur dans cette fête :Il ne veut plus de lui pour gendre. Juliet est très-plaisant dans ce rôle, et Mlle Alexandrine joue la jeune fille avec une naïveté charmante. Les villageois entourent le berceau en chantant sur l’air du trio de Félix :
Nous vous chérirons,
Nous vous adorerons.
La scène est vraiment touchante. L'ouvrage a fait grand plaisir, et n'avoit pas besoin pour réussir des privilèges du sujet. Les couplets sont ingénieux, frais et brillans ; l’esprit et le sentiment s'y réunissent. On en a fait répéter un grand nombre ; les plus piquans sont ceux qui ont pour refrain le berceau.. En voici deux que ma mémoire me rappelle :
De son cher époux, Madame
Vouloit avoir le portrait ;
Mais quel peintre eut tracé l’ame
D'un modèle si parfait ?
Par un prodige nouveau,
Un beau matin ce tableau
S'est trouvé dans un berceau.
Quel est le brin de verdure
Que l’on voit sur cet enfant ?
Du père c’est la parure ;
Et sans doute, en l’embrassant
De ses lauriers un rameau,
S'échappant d un front si beau,
Est tombé dans le berceau.
L’auteur a eu raison d'employer dans son ouvrage les vaudevilles plutôt que les ariettes ; il y a des vaudevilles qui valent infiniment mieux que certaines ariettes : le chant simple et naturel est plus favorable à expression de la joie ; la grande musique tue l'esprit, étouffe l'intérêt sous le bruit, et laisse à peine entendre les paroles. L’opéra-comique ne déroge point en chantant le vaudeville ; il se rapproche de son origine : le vaudeville fut son berceau. Plusieurs acteurs conservent à peine assez de voix pour chanter le vaudeville ; ils ne doivent pas dédaigner ce qui devient pour eux une ressource. Le vaudeville rajeuni, et corrigé de ses manières rustiques, seroit une heureuse variété pour l’Opera-Comique, et même une économie : les musiciens seuls y perdroient ; mais les acteurs, les auteurs, le public et la musique même y gagneroient.
Magasin encyclopédique, ou Journal des sciences, des lettres et des arts, p. 154 :
[Pièce de circonstance, le Berceau suscite un compte rendu qu’on peut trouver complaisant : des qualités (les détails, les couplets qui reflètent « les sentimens qui remplissent tous les cœurs » et que le public a redemandés en grand nombre), pas de défauts. Pour la nourrice qui se dit à la fois française et allemande, c’est un gag : l’enfant aura une nourrice française si c’est un garçon, e tune nourrice allemande si c’est une fille : la femme qui souhaite le poste se présente alternativement comme picarde et comme hongroise... Rappelons que la maman était autrichienne (et on ne distingue pas encore entre allemands et autrichiens.]
Le Berceau, vaudeville en un acte, joué le samedi 23 mars.
Les détails sont gracieux, les couplets peignent d'une manière franche les sentimens qui remplissent tous les cœurs.
La scène se passe dans .la terre du seigneur Desabeilles, dont l'épouse est sur le point de donner le jour à un fils. Victoire, jeune femme de la terre de ce seigneur, vient s'offrir pour être nourrice. Elle se présente comme Française et comme Allemande. Le canon se fait entendre ; il annonce la naissance d'un fils, et tout le monde se livre à l'allégresse. Le berceau du nouveau né paroît, et tous les habitans s'empressent de l'entourer de guirlandes et de fleurs. Les couplets ont été la plupart redemandés.
L'auteur est M. Pixerécourt.
L’Esprit des journaux français et étrangers, tome V, mai 1811, p. 267-270 :
[Un des deux opéras-comiques créés en l’honneur de la naissance du roi de Rome (l’autre est la Fête du village). Un tel sujet ne pouvait que la faire réussir. L’intrigue que résume le critique est jugée « mesquine », tandis que « les accessoires [sont] dépourvus de gaîté ». Cette intrigue se résume à une ruse de la future nourrice, qui réussit à s’assurer le monopole de l’allaitement du futur bébé du seigneur local. Occasion pour le critique de ridiculiser ces pièces de circonstances, où « il semble que l'écrivain doit tout au sujet, et presque rien à son talent ».]
Théâtre Impérial de l’Opéra-Comique.
Le Berceau, pièce en un acte, mêlée de vaudevilles ; par. M. Guilbert-Pixérécourt.
Les arts industriels s'étaient hâtés de former le berceau de l'enfant précieux; qui fait, depuis quelques jours, le bonheur d'un héros et l'espoir de la patrie ; on devait bien s'attendre que les muses s'empresseraient, à leur tour, d'y ajouter leurs guirlandes. Elles sont en ce moment bien plus de neuf qui briguent cet honnneur. Il s'en présentait deux sur-tout au théâtre de l'Opéra Comique. C'est celle de M. Pixérécourt qui a obtenu l'avantage, et c'est à elle que nous devons le premier hommage lyrique applaudi par des spectateurs charmés de trouver l'expression de leurs sentimens dans une action dramatique qui leur fournit l'occasion de faire éclater l'allégresse et l'admiration dont ils sont pénétrés.
La scène se passe dans un village dont M. des Abeilles le seigneur, est sur la point de voir naître le premier fruit d'un hymen qui fait la joie et l'espérance de toute la contrée. Les paysans et les jeunes filles du lieu sont occupés à orner un berceau destiné à l'enfant qui va naître. Le parrain futur est un allemand, le colonel Franckman, père de la jeune épouse, qui va bientôt devenir mère, et la marraine est la marquise de...., mère du seigneur. Une jeune femme du village, nommée Pauline, qui est accouchée depuis peu, et qui allaite son enfant, brigue l'avantage d'être aussi la nourrice de celui du seigneur. Si c'est un garçon, il n'y a qu'une française qui puisse y prétendre ;. si c'est une fille, on doit la confier aux soins d'une Allemande. Pauline prend le résolution de se présenter sous l'une et' l'autre forme pour accaparer le choix du parrain et de la marraine. Tantôt c'est une bonne Picarde bien réjouie, bien fraîche, qui vient s'offrir pour le p'tiot fieux si desiré ; et elle reçoit pour arrhes, la bourse du colonel Franckman ; tantôt c’est une bonne grosse Alsacienne qui réclame, à titre de compatriote, le choli p'tite fille, qui sera le portrait de sa mère ; et elle reçoit pour gage une bague de la maraine. Bientôt le canon se fait entendre, et l'on ne tarde pas à savoir que les vœux de M. des Abeilles sont pleinement exaucés par la naissance d'un héritier. Pauline reprend alors sa forme ordinaire ; elle montre la bourse et la bague qu'elle a su se procurer par son innocent artifice, et obtient l'avantage d'avoir pour nourrisson le fils du seigneur. Tout se termine par une fête moitié villageoise, moitié militaire, où les fleurs et les étendards composent les hommages qui se pressent autour du berceau du, nouveau-né.
Il y a, dans les accessoires , un rôle de militaire, compagnon d'armes et témoin des exploits immortels de M. des Abeilles, et celui d'un benêt qui croit que depuis trente ans d'un hymen stérile, sa femme va enfin le rendre père, et qu'en conséquence la fête est pour, lui. On trouve aussi une petite amourette un peu étrangère au sujet ; mais qui est presque d'obligation dans une pièce de ce genre, où le sujet principal est un exemple trop beau pour n'être pas imité.
Dans ces pièces de circonstances , où tout se devine par l'effet d'un sentiment qui est dans tous les cœurs, il semble que l'écrivain doit tout au sujet, et presque rien à son talent ; chacun est tenté de dire : Cela n’est pas très-difficile ; j'en aurais bien fait autant ! Je ne sais si c'était là généralement la disposition de la majorité des spectateurs ; mais, excepté l'intérêt qu'inspire l'événement et l'objet de l'allégresse publique, et quelques couplets qu'on a redemandés, on a trouvé l'action principale mesquine, et les accessoires dépourvus de gaité.
[D’après Nicole Wild et David Charlton, Théâtre de l'Opéra-Comique Paris : répertoire 1762-1972, p. 163, le livret du Berceau est de René-Charles Guilbert de Pixérécourt, la musique est parodiée de divers compositeurs (ce sont des vaudevilles). Créée le 23 mars 1811, la pièce a connu quatre représentations.]
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