Le Biscuit de Savoie, ou la Saint-Martin, vaudeville en un acte, 15 novembre 1814.
Théâtre du Vaudeville.
-
Titre :
|
Biscuit de Savoie (le), ou la Saint-Martin
|
Genre
|
vaudeville
|
Nombre d'actes :
|
1
|
Vers / prose ?
|
en prose, avec des couplets en vers
|
Musique :
|
vaudevilles
|
Date de création :
|
15 novembre 1814
|
Théâtre :
|
Théâtre du Vaudeville
|
Auteur(s) des paroles :
|
|
Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 19e année, 1814, tome VI, p. 157-158 :
[Le compte rendu se réduit largement à l'analyse de l’intrigue, sans commentaire. Puis une ligne de jugement : un seul défaut évoqué (le mauvais goût des détails, on aurait pu penser à d’autres défauts), et les sifflets.
Le Biscuit de Savoie, ou la Saint-Martin, vaudeville en un acte, joué le 15 Novembre.
L'avarice est le défaut dominant de Monsieur et Madame Lecoq, vieux marchands plumassiers de la rue S. Denis. Ils renvoyent leur domestique par économie, et lui retiennent ses gages sous prétexte qu'il les a volés. Ils sont brouillés avec leur voisin, M. Gaillard, vieux négociant retiré, dont la cuisinière Babet les a nargués en faisant passer exprès devant eux tous les plats du dernier repas qu'il a donné. Cette Babet, la plus mauvaise langue du quartier, dit, à qui veut l'entendre, que la cuisine de M. Lecoq est la pièce la plus froide de la maison. Le désir de la vengeance l'emporte dans le cœur des deux époux sur l'amour de la lésine ; ils prennent la résolution de célébrer, par un grand repas, la fête de la Saint-Martin.
Pour faire enrager son voisin,
Regarde-t-on à la dépense ?
Afin d'ajouter au dépit de Babet, Lecoq achète un biscuit de Savoie; et, pour parodier le faste du voisin, dont le nougat est resté étalé pendant une heure à sa porte, le biscuit est exposé sur un plat de parade dans un antichambre, et à la vue de tout le monde. Mais le pauvre domestique congédié, pressé par le double aiguillon de la faim et de la vengeance, emporte le gâteau qu'il est résolu à mettre sur sa conscience. Son projet est dérangé par la rencontre inopinée du voisin Gaillard. Pour détourner les soupçons, le voleur de gâteau ne trouve pas d'autre prétexte que de supposer que c'est un présent que le pâtissier adresse à M. Gaillard. Celui-ci n'a garde de refuser ; mais, plus généreux que ses voisins, il leur en envoye la moitié. Cette prévenance est regardée par eux comme une injurieuse plaisanterie. Dans leur dépit, ils portent leur plainte au commissaire du quartier. Mais tout s'explique par l'arrestation du valet. L'éclaircissement amène une réconciliation entre Gaillard et Monsieur et Madame Lecoq, et la réconciliation un mariage entre leurs enfans, dont on parle dans la pièce, mais qui n'y paraissent pas.
Les détails de cet ouvrage ont paru de mauvais goût: il a été généralement sifflé.
L'Esprit des journaux franc̜ais et étrangers, 1814, tome XI, novembre 1814, p. 288-293 :
[Pourquoi un aussi long compte rendu pour une telle pièce ? Martainville a sans doute emporté son secret dans la tombe. On note deux parties très différentes dans son article. La deuxième est un compte rendu presque normal, qui reprend bien des points de l’article du Magasin encyclopédique (je ne sais pas lequel a précédé l’autre). Il s’écarte principalement de la norme par les sarcasmes de la fin, où il cite des exemples des plus belles perles des couplets, avant d’ironiser sur la réaction du public, bien long sans doute à manifester son irritation, retard qu’il attribue à une cause bien discutable. Toujours est-il qu’on finit bien sur les sifflets qui ont empêché qu’on entende la dernière scène et le vaudeville final (des pièces majeures dans un vaudeville). Mais la partie la plus étonnante, c’est la première partie : deux pages entières pour dire qu’il ne vaut pas la peine de recueillir les bruits ayant couru sur la nouvelle pièce : une telle recherche n’est utile que pour une pièce qui en vaut la peine. Et même l’échec est, au Vaudeville peu de chose on ne tombe de bien haut, et l’événement n’a rien de singulier ou de rare. L’anecdote promise arrive enfin, et elle montre un curieux comportement de l’auteur, qui a fait une infidélité au Théâtre du Vaudeville en écrivant une pièce pour le Théâtre des Variétés, mais qui est ensuite revenu à de meilleurs sentiments envers le théâtre auquel il doit tout. Il a donc repris sa pièce donnée aux Variétés, a pris la moitié de ce qu’elle contient (le critique utilise bien sûr la métaphore de la fabrication de la pâte) et en a fait le Biscuit de Savoie. Mais, dilemme, l'opération n’a-t-elle pas produit deux pièces insuffisantes, « deux détestables moitiés ». Car le Biscuit de Savoie n’est pas la première mise sur la scène « des mœurs de la petite bourgeoisie parisiennes, mais elle est bien celle qui est faite « avec le moins d’adresse et de gaîté ». C’est sur cette dernière méchanceté que commence la deuxième partie de l’article : lecteur, reviens en arrière, ou lis l’ensemble et amuse-toi bien.
Petite énigme : quel est cet auteur dont on moque la stratégie sinueuse pour faire jouer ses oeuvre ? Dupin, dont le nom figure dans l’inventaire analytique des Pièces de théâtre soumises à la censure (1800-1830), sur le site des Archives Nationales, dans la Salle des inventaires virtuelle : il est l’auteur du Biscuit de Savoie, mais quelle pièce a-t-il fait jouer à la même époque aux Variétés ?]
La Saint-Martin, ou le Biscuit de Savoie.
On ne s'applique ordinairement à rechercher l'origine que de ceux qui ont paru avec éclat sur la scène du monde. C'est donc faire trop d'honneur au malheureux vaudeville du Biscuit de Savoie. que de recueillir les on dit qui ont circulé à son sujet, à moins qu'on ne prétende qu'une grande disgrâce ne soit aussi un titre à la célébrité. Oui ; mais ce n'est pas tout que d'être malheureux, il faut que l'infortune soit environnée d'une certaine splendeur, et n'est pas malheureux ainsi qui veut. Si lourdement qu'un auteur puisse tomber au Vaudeville, il ne tombe pas d'assez haut pour que sa chute produise beaucoup de sensation sur d'autres que sur lui. Sa disgrâce n'a point ce merveilleux qui fixe l'attention universelle ; car rien n'est plus commun, sur-tout à ce théâtre, que les pièces mauvaises et sifflées (je ne parle pas des mauvaises qu'on ne siffle point.)
Voici ce que murmure la renommée des petites coulisses ; cette renommée n'est pas celle qui a paré sa trompette de cette devise : Non nisi grandia canto. Elle dit, et je répète ces propos sans les garantir, (pourquoi d'ailleurs le feuilleton n'aurait-il pas, ainsi que le journal, le droit d'annoncer des nouvelles un peu hasardées) elle dit que l'auteur du Biscuit de Savoie, infidèle envers le Vaudeville, qui fut le berceau de sa muse, et le théâtre, je n'ose dire de sa gloire, avait fait recevoir aux Variétés une pièce qui a beaucoup de ressemblance avec cette dernière production. Bientôt il se répentit, non pas de son infidélité, mais de la dépense d'esprit qu'elle lui avait coûté. Il calcula qu'il y avait dans son ouvrage beaucoup plus d'esprit qu'il n'en fallait pour une bluette des Variétés, et qu'il pourrait, sans qu'il y parût, en retrancher une bonne partie. La balance à la main, il a fait le partage, n'a laissé tout juste à la première pièce que la dose d'esprit nécessaire, et du superflu il a pétri son Biscuit de Savoie. Sans doute il regrette aujourd'hui sa cupide parcimonie. Que sera-ce donc si le public ne juge pas comme lui qu'il ait laissé à son autre ouvrage l'aliment nécessaire pour assurer son existence ? il aura appauvri l'un sans enrichir l'autre ; et d'un tout qui aurait pu être passable, il aura fait deux détestables moitiés.
Plusieurs pinceaux burlesques ont déjà peint sur divers théâtres le tableau des mœurs de la petite bourgeoisie de Paris. Jamais les traits n'ont été saisis et présentés avec moins d'adresse et de gaîté que dans l'esquisse qu'en donne le Biscuit de Savoie.
L'avarice est le défaut dominant , le péché mignon de M. et Mme. Lecoq, vieux marchands plumassiers de la rue St.-Denis. Ils renvoient leur domestique par économie, et lui retiennent ses gages sous prétexte qu'il les a volés. Ils sont brouillés avec leur voisin, M. Gaillard, vieux négociant retiré, dont la cuisinière Babet les a nargués en faisant passer exprès devant eux tous les plats du dernier repas qu'il a donné.
Cette Babet, la plus mauvaise langue du quartier, dit, à qui veut l'entendre, que la cuisine de M. Lecoq est la pièce la plus froide de la maison.
Le désir de la vengeance l'emporte enfin dans le cœur des deux époux sur l'amour de la lésine ; ils prennent la résolution de célébrer par un grand repas la fête de la Saint-Martin.
Pour faire enrager son voisin,
Regarde-t-on à la dépense ?
Afin d'ajouter au dépit de Babet, Lecoq achète un biscuit de Savoie, et, triomphant, l'apporte à son épouse, qui lui dit, que c'est la première fois qu'il lui offre quelque chose de présentable.
Pour parodier le faste du voisin, dont le nougat est resté étalé pendant une heure à sa porte, le biscuit est exposé sur un plat de parade dans un antichambre, et à la vue de tout le monde. Mais le pauvre domestique congédié, pressé par le double aiguillon de la faim et de la vengeance, emporte le gâteau qu'il est résolu à mettre sur sa conscience. Son projet est dérangé par la rencontre inopinée du voisin Gaillard. Pour détourner les soupçons, le voleur de gâteau ne trouve pas d'autre prétexte que de supposer que c'est un présent que le pâtissier adresse à M. Gaillard. Celui-ci n'a garde de refuser; mais plus généreux que ses voisins, il leur en envoie la moitié. Cette prévenance est regardée par eux comme une injurieuse plaisanterie. Dans leur dépit, ils portent leur plainte au commissaire du quartier. Mais tout s'explique par l'arrestation du valet. L'éclaircissement amène une réconciliation entre Gaillard et M. et madame Lecoq , et la réconciliation un mariage entre leurs enfans dont on parle dans la pièce, mais qui ne paraissent pas.
Après avoir fait connaître le fond de la pièce, je veux amuser mes lecteurs en leur citant quelques détails. Les meilleurs traits sont ceux que j'ai soulignés dans l'analyse. Qu'on se fasse une idée du mérite des autres ! En voici quelques échantillons : Le gâteau de Savoie est surmonté d'un geai. « Qu'avez-vous, lui dit la servante ? — Ce que j'ai, ce que j'ai ; voyez ce geai, et demandez-moi ce que j'ai ? »
Veut-on connaître jusqu’où peut aller la spirituelle finesse d'un trait de couplet ? qu'on écoute M. Lecoq, acquéreur du biscuit de Savoie, chanter :
Ce gâteau vaut au moins cent sous ;
Je l’ai payé quat’livres seize.
Voici du sentiment, car il y a de tout dans ce biscuit. Le sensible M. Lecoq déplore l'indifférence de son vieil ami Gaillard, et soupire, en s'essuyant les yeux, les deux vers suivans :
Rien ne console une ame tendre
Du veuvage de l'amitié.
Le public a écouté pendant quelque temps toutes ces platitudes avec une patience qu'inspire sans doute le local, car ce n'est que là qu'on en trouve des exemples aussi bénévoles ; peut-être aussi voulait-il se punir d'avoir fait répéter le couplet d'annonce, qui mérite d'être conservé : depuis longtemps l'esprit n'a plus le droit de se voir élever des monumens au Vaudeville.
C'est Arlequin qui est venu le chanter à la fin du Sultan du Havre, qui précédait la triste nouveauté :
Air : du vaudeville de l'intrigue sur les toits.
A ce repas, je vous invite,
Mais sera-t-il de votre goût ?
Si l'auteur a peu de mérite,
Le pâtissier en a beaucoup.
C'est un biscuit fait à la hâte ;
En le voyant j'ai tressailli :
Il est d'une si bonne pâte !
Puissiez-vous être comme lui.
On avait perdu le droit de témoigner de la surprise, du mécontentement de toutes les niaiseries dont fourmillait la pièce, quand on avait pu applaudir un pareil échantillon.
Cependant, quand les spectateurs ont cru leur faute assez expiée, ils se sont vengés sur l'auteur de la pénitence qu'ils s'étaient eux-mêmes imposée, et ils ont sifflé avec un zèle qui annonçait le désir de réparer le temps perdu. Les acteurs ont perdu le leur à vouloir faire entendre la dernière scène et le vaudeville final ; les accompagnemens couvraient les voix.
A. MARTAINVILLE.
[Alphonse Martainville (1777-1820) est journaliste, chansonnier et auteur dramatique. Partisan de la monarchie, il est en 1814 à un moment important de sa carrière de journaliste, puisque le changement de régime politique lui ouvre largement la porte des journaux du temps, où il peut exercer sa verve caustique.]
Ajouter un commentaire