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Les Bayaderes
Les Bayaderes, opéra en trois actes, de Jouy, musique de Catel, ballets de Gardel et Milon ; 8 août 1810.
Académie Impériale de Musique.
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Titre :
Bayadères (les)
Genre
opéra
Nombre d'actes :
3
Vers / prose
en vers
Musique :
oui
Date de création :
8 août 1810
Théâtre :
Académie Impériale de Musique
Auteur(s) des paroles :
de Jouy
Compositeur(s) :
Catel
Chorégraphe(s) :
Pierre Gardel, Milon
Almanach des Muses 1811.
Démaly, jeune prince indien, est forcé par la loi de Brama de prendre une épouse. Le moment approche où il doit faire connaître son choix ; mais il aime en secret la belle Laméa, jeune bayadere, que la religion lui défend d'épouser. En vain le peuple et ses ministres le pressent ; il hésite encore, lorsque Olkar, chef des Marattes, le surprend au milieu des fêtes, pénêtre dans son palais et le charge de fers. Ici, la séduisante bayadere devient une amante intrépide. Elle rassemble en secret les partisans de Démaly. Secondée par ses compagnes, elle arrête les pas des vainqueurs en multipliant autour d’eux les plaisirs ; bientôt le cœur des fiers Marattes s'amollit ; ils se mêlent aux danses des Bayaderes, et finissent par se laisser désarmer. Les conjurés profitent de ce moment. Olkar est vaincu ; mais Démaly ne peut s'unir encore à sa libératrice. Il feint alors d'avoir été mortellement blessé dans le combat. Il doit, avant de mourir, faire choix d'une épouse ; et, d'après les lois du pays, cette épouse doit périr avec lui. Laméa s'offre seule à partager son sort. Les prêtres l'entourent ; elle croit aller au fatal bûcher ; mais une toile se leve ; elle aperçoit Démaly sur son trône, ivre d'amour, et lui offrant une couronne, digne prix de son courage et de sa fidélité.
Des situations dramatiques, mais une double action et un intérêt tout différent de celui que le titre promettait ; musique d'un compositeur savant dans son art, mais doué de peu d'imagination ; de très jolis ballets ; danses pleines de charmes ; du succès.
Page de titre de la brochure, Paris, chez les marchands de nouveautés, 1810 :
Les Bayadères, opéra en trois actes, représenté pour la première fois sur le théâtre de l'académie impériale de musique, le 8 août 1810. Seconde édition.
La page 2 précise, après la liste des personnages :
Poëme de M. Jouy, Musique de M. Catel, Ballets des premier et second actes, par M. Gardel ; du troisième acte par M. Milon.
Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 15e année, 1810, tome IV, p. 390-392 :
[Compte rendu d’une pièce qui a réussi. Après un long résumé de l’intrigue montrant en particulier son caractère spectaculaire (en particulier la scène des bayadères désarmant Olkar, mêlant force des tambourins et volupté des danses), le critique passe en revue les divers aspects du spectacle, pour en vanter la beauté : musique, livret, interprétation, costumes et décors. Il conclut par la liste des auteurs.]
ACADÉMIE IMPÉRIALE DE MUSIQUE.
Les Bayadères, opéra en trois actes, joué le 8 août.
La scène est à Benarès, ville sur le Gange. Au premier acte, le théâtre représente un salon où se réunissent les favorites de Demaly, rajah, ou souverain de la contrée. Ce jeune monarque n'a point encore d'épouse légitime ; pour se rendre au vœu de son peuple, il doit en choisir une parmi les femmes qui l'entourent, et chacune d'elles, jalouse de lui plaire, met en usage toutes les ressources de la coquetterie. La seule qui ait touché son cœur, est une jeune Bayadère, la vive et belle Laméa ; malheureusement les lois s'opposent au mariage d'une prêtresse de Dourga avec le chef de l'Empire, et cet obstacle désespère le rajah. Au moment où le grand brame, suivi des prêtres et du peuple, vient avec pompe déclarer au prince que le choix de son épouse ne peut plus être différé, Olkar, général des Marattes, ennemi de Demaly, attaque brusquement la ville. La belle Laméa, avertie par un secret pressentiment, avoit vainement exhorté son prince à se mettre en défense ; celui-ci, tout
entier à l'amour, et gouverné par de mauvais ministres, n'avoit pas songé à prendre les moindres précautions. Dans un instant il est vaincu, mis aux Fers, et Olkar entre en maître dans Benarès. Mais le vainqueur de Demaly se laisse donner des fêtes qui préparent son ame à la volupté ; séduit par les agaceries des Bayadères, et particulièrement par celles de Laméa, il néglige à son tour de prendre les précautions qu'exige la prudence, et, au moment où le plaisir semble l'enivrer, un signal donné par Laméa fait éclater dans toute la ville une violente insurrection. Demaly, tiré de prison, y est remplacé par Olkar, et c'est à l'intrépide fidélité d'une Bayadère que le rajah doit cette nouvelle révolution.
Demaly, plus épris que jamais de sa libératrice, veut l'épouser, malgré les lois; elle s'y oppose et se dérobe à ses instances. Le rajah se voit forcé de recourir à un stratagème ; il fait publier qu'une flèche empoisonnée vient de l'atteindre, et qu'il touche à sa dernière heure ; les brames annoncent en même temps que si par malheur le prince mouroit sans être mariée [sic],
Le Dieu du Gange, à l'heure solennelle,
Fermerait à ses vœux la demeure éternelle.
Ils ajoutent que l'infortuné Demaly est autorisé à prendre pour épouse, dans cette extrémité cruelle, celle qui, en recevant sa main, s'engagera à le suivre au tombeau : toutes les femmes gardent le silence ; Laméa seule se présente, et la fête nuptiale s'apprête tristement. On élève à la fois, sur les bords du Gange, l'autel et le bûcher qui doivent figurer dans cette lugubre cérémonie. Laméa allume le flambeau d'hymen. Aussitôt un rideau se lève, Demaly paroît sur son trône. Ce coup de théâtre ramène l'alégresse dans tous les cœurs, et la pièce
se termine par une fête. La scène où les Bayadères parviennent à désarmer le farouche Olkar, et celle où elles essayent de couvrir, par le bruit de leurs tambourins, les cris d'alarme et d'insurrection qui partent du fond du théâtre, produisent le.plus grand effet ; le contraste a été parfaitement saisi par l’auteur de la musique, et M. Gardel a disposé, de la manière la plus habile, les danses voluptueuses qui doivent en ce moment fixer toute l'atteniion du conquérant.
La musique de cet opéra est riche et variée; les deux derniers actes surtout sont pleins de mélodie. Le poème est écrit avec élégance. Madame Branchu, Nourrit et Derivis méritent aussi des éloges. Les costumes et les décorations sont pleins de goût et de
richesse.
Les auteurs ont élé demandés. Le poème est de M. de Jouy ; la musique de M. Catel ; les décorations sont de M. Isabey, les ballets de MM. Gardel et Milon.
L’Esprit des journaux français et étrangers, tome IX, septembre 1810, p. 259-267 :
[Le critique pense qu’il est nécessaire de fournir au lecteur des informations sur ce que sont les bayadères du titre de l’opéra. Le début de son compte rendu est un exposé de culture indienne (hindoue ?). On pourrait sans doute faire là le bilan de ce qu’on sait (et plus encore ce qu’on ignore) alors d’une civilisation mal connue. Ce n’est qu’après qu’il aborde la question de l’intrigue. Elle consiste à montrer les bayadères « en libératrices de l’état, en héroïnes vengeresses de leur souverain » : la première Bayadère, amoureuse du Rajah, sauve son maître. S’y ajoute une seconde intrigue (ou « une suite de la première » : unité d’action !), qui permet à la première Bayadère de s’asseoir sur le trône à côté du Rajah. On a reproché à l’auteur de ne pas avoir recouru aux fastes de la mythologie indienne, mais le critique trouve préférable qu’il soit « resté modestement sur le sol de l'Inde ». L’action est jugée intéressante,, avec des situations variées, des tableaux « pleins de charme et d'effet », et la poésie convenant au sujet, par sa mollesse et son élégance ». La musique est à l’unisson de ces paroles, mais aussi des ballets. Le critique approuve largement les choix musicaux du compositeur, dont l'œuvre est jugée « remarquable par l'élégance soutenue et la pureté du style, le travail ingénieux et délicat de l'orchestre ». Autre point fort de l’opéra, les ballets de Gardel qui a su si bien évoquer l’Inde à travers les costumes, la pantomime et les jeux des bayadères. Son ballet de l’acte second est particulièrement réussi. Décors, costumes, accessoires, tout se rencontre pour faire de l’opéra « pour ainsi dire, un voyage dans l'Inde ». Les Bayadères sont promises à un long avenir.]
Académie impériale de musique.
Les représentations des Bayadères confirment en se succédant l'idée avantageuse qu'avait donnée la première sur l'ensemble de cet opéra ; sur la variété qui en fait le charme, sur l'art du poëte à lier entr'elles des situations musicales, le talent déjà prouvé du compositeur, celui vraiment inépuisable du chorégraphe, l'imagination du décorateur, la magnificence et la fidélité de toutes les parties accessoires qui concourent à l'éclat. de ce beau spectacle.
En fort peu d'années, et il faut en rendre hommage à l'administration active et éclairée de l'Opéra, nous avons entendu les chants des Bardes, nous avons vu Rome et ses pompes triomphales, Cortez et les faux dieux du Mexique ; deux fois l'Olympe des chrétiens s'est ouvert à nos yeux dans sa splendeur et dans sa magnificence infinies ; aujourd'hui le génie qui dispose à l'Opéra des plus merveilleux enchantemens, d'un coup de sa baguette magique nous transporte sur les bords du Gange. Voici l'Inde et ses climats voluptueux, Benarès et les portiques sacrés de cette ville sainte ; voici les Marattes, voisins si incommodes des Rajahs, abandonnés à une dangereuse mollesse ; et ces brames, qui fondent sur la crédulité des peuples le pouvoir qu'ils partagent avec un souverain livré aux langueurs du sérail ; voici surtout ces Bayadêres charmantes, doublement initiées aux mystères de la religion et à ceux du plaisir, consacrées aux autels de Schirven et au culte de la volupté, pour le noviciat desquelles, dès l'âge le plus tendre, une beauté parfaite est la seule condition exigée par les brames, qui pour elles, vont ajouter aux dons de la nature les avantages d'une éducation brillante, et le prestige de ces talens qu'on a si bien nommés les enchanteurs de la vie.
L'auteur qui a dessiné d'une manière si touchante et si pure la belle et noble figure de la Vestale, a employé d'autres couleurs et le même talent à peindre les Bayadères ; nous ne le suivrons point dans la discussion que lui-même s'est borné à ouvrir sur le parallèle qu'on pourrait établir entre les Vestales de l'antique Rome, et les Bayadères plus antiques peut-être de l'Inde ; sans pousser trop rigoureusement le parallèle, M. de Jouy l'indique comme possible : c'est un jeu de son esprit plus qu'un tribut de sa raison ; car enfin si lui-même nous fait pleurer sur le sort de sa Vestale conduite à la mort, c'est pour un crime qui probablement chez sa Bayadère serait une vertu, et nous ne voyons pas trop de rapprochemens possibles entre deux législations, dont l'une punit avec tant de rigueur, ce que l'autre permet avec tant d'indulgence : voyageur éclairé, observateur ingénieux, M. de Jouy a vu les Bayadères ; mais littérateur instruit, il a vu les Vestales par les yeux des historiens de Rome, et ne peut sérieusement vouloir confondre deux institutions aussi différentes dans leur but et dans leur résultat, que sont éloignés l'un de l'autre les lieux où elles ont été fondées.
« La profession de bayadère, dit M. de Jouy, est une prérogative de la caste des artisans, dite des cinq marteaux ; mais ce privilége n'est pas tellement exclusif, que les castes supérieures ne puissent y participer. La jeune fille que ses parens destinent au service des pagodes, doit être présentée au gourou (brame supérieur) avant l'âge nubile ; la beauté est une condition indispensable, qu'aucune considération de naissance et de fortune ne peut remplacer : après un noviciat de quelques mois, et des cérémonies trop étrangères à nos mœurs pour en faire mention, la jeune initiée est marquée, au-dessous du sein gauche, du sceau du temple où elle doit rester quinze ans, et dont, après ce temps-là même, elle ne peut sortir que pour contracter un mariage légitime. Aussitôt après sa réception on la remet aux mains des brames et des maîtres de danse et de musique chargés de son instruction.
» Les bayadères chantent et dansent au son de quelques instrumens particuliers, dont les principaux sont le mangassarant (sorte de haut-bois) ; le lal, qui diffère peu de nos cymbales, et le matalan (tambourin, dont le diamètre est de moitié plus grand au centre qu'aux extrémités). Leur chant, comme celui de tous les Orientaux, est monotone et mélancolique ; il ne procède guère que par demi-tons ; les accompagnemens sont durs et bizarres, et presque tous les airs finissent par une gamme chromatique et descendante.
« Les bayadères jouissent de priviléges honorifiques, qu'en tout autre pays on aurait de la peine à concilier avec l'irrégularité de leurs mœurs.
» Tous les temples entretiennent, suivant leur richesse, un nombre plus ou moins considérable de bayadères ; les plus grands, tels que ceux de Jagrenat et de Chalambrun, en ont jusqu'à 150 ; qui ne se distinguent pas moins par leur beauté que par l'extrême richesse de leur parure. Dans les cérémonies religieuses, elles dansent devant les images des dieux que l'on promène, et chantent des hymnes sacrées en leur honneur ; elles figurent aussi dans les réjouissances publiques, où elles ont coutume d'exécuter un pas militaire, dans lequel, ces jeunes filles font preuve d'une adresse extrême à manier les armes ».
Voilà les Bayadères qu'a vues notre poète lyrique voyageur, et qu'il a comme transportées de la grande pagode de Benarès dans le temple que Paris consacre à la réunion de tous les arts.
Mais il ne suffisait pas de les montrer développant leurs graces naturelles et leurs talens enchanteurs, il fallait à la scène, épurer leur caractère et enoblir leur mission : M. de Jouy l'a tenté ; il n'a pas craint de convertir en libératrices de l’état, en héroïnes vengeresses de leur souverain, ces femmes qui ne paraissaient destinées qu'à entretenir ses jours dans un cercle toujours nouveau de voluptés toujours égales. Sa première Bayadère, la généreuse et fidèle Laméa, aime le Rajah d'un amour désintéressé : les ministres ont trompé leur indolent souverain ; le Maratte est aux pieds des remparts de Benarès, que Dhémaly ignore encore leur marche ; il est vaincu et chargé de fers avant de savoir qu'il est menacé. La ruse doit donc ici suppléer à la force : les Indiens n'ont pu résister aux Marattes, les Bayadères vont les séduire et les enivrer : leur chef lui-même, Holcar, ne saura pas résister à leurs enchantemens ; le premier il se laissera désarmer, ses guerriers imiteront son exemple, et tandis que le plus dangereux spectacle tient tous leurs sens dans une voluptueuse extase, Benarès se révoltera, le rajah sera délivré, et Holkar, surpris, désarmé, se verra enlever le fruit de sa victoire.
Telle est l'action ou plutôt la première action imaginée par M. de Jouy ; mais il en faut une seconde ou une suite de la première pour couronner la généreuse Laméa, qui refuse de violer les lois du pays en s'unissant au Rajah qu'elle adore. L'auteur donne ici à Dhémaly l'idée qu'eut, disent les traditions, un dieu de l'Inde épris d'une Bayadère ; il feint d'être expirant, et appelle au trône, c'est-à-dire au bûcher, celle de ses femmes qui lui sera le plus attachée, Laméa seule est capable de ce sacrifice ; elle se dévoue ; et lorsqu'elle croit marcher à la mort, elle s'avance vers les degrès d'un trône où Dhémali paraît dans tout l'éclat de la pompe orientale. Quelques personnes, et nous partageons cet avis, eussent préféré que l'auteur eût retracé la fable indienne, et l'eût traitée sous ses formes mythologiques, plutôt que de donner à son action le caractère historique ; il obtenait ainsi plus de liberté et plus de vraisemblance, sans doute autant d'intérêt, mais l'auteur n'a pas voulu nous élever vers les régions qu'habite la trinité indienne ; il a craint de nous offrir encore une apothéose même vers d'autres cieux, et dans le sein de divinités nouvelles ; il est resté modestement sur le sol de l'Inde ; ses tableaux ne sont que terrestres, mais on ignore comment en les plaçant dans une sphère plus élevée, il leur eût donné plus de prestige et d'éclat. Son action est intéressante, ses situations variées, ses tableaux pleins de charme et d'effet ; quant à sa poésie, elle a bien cette mollesse et cette élégance qui réclamait le sujet.
C'est à saisir cette nuance, à revêtir cette couleur que s'est attaché surtout le musicien : mêlant habilement les chœurs du chant à ceux de la danse, toutes les fois qu'il met en scène ses Bayadères, il étudie ce ton local de mélancolie et de douceur qui, selon son poète, est le caractère distinctif de la musique des Indiens ; les rôles d'Holkar, les chœurs de ses Marattes, leurs marches, leurs danses, leurs chants de triomphe lui fournissent d'heureuses oppositions : le rôle tout entier de Laméa est écrit avec chaleur, celui de Dhémali est d'un style plein de grace, celui d'Holkar a de la vigueur et de l'effet ; les chœurs sont bien en situation ; les airs de danse sont gracieux et variés : en général cette composition est remarquable par l'élégance soutenue et la pureté du style, le travail ingénieux et délicat de l'orchestre ; cet ouvrage ne peut qu'ajouter à la réputation de l'auteur de Sémiramis, en présentant son talent sous un jour nouveau, et avec des moyens bien plus favorables.
L'auteur et le compositeur auraient vainement uni leurs efforts dans un tel sujet, s'ils n'avaient pu compter sur l'imagination féconde de M. Gardel : mais il devait lui tarder de donner aux Bayadères qu'il a si bien formées, les traits de celles de l'Inde, leur costume, leur pantomime et leurs jeux. Il a réussi même au-delà de ce que permettaient son talent et les moyens mis à sa disposition : son second acte où il a si bien entendu le poëte, et où le musicien les a si bien servis tous deux, est un chef-d'œuvre dans son genre : Mme. Branchu, à laquelle personne à l'Opéra ne dispute le prix du chant, y partage celui de la pantomime avec Mlle. Chevigni. Nourrit chante délicieusement le rôle de Rajah et Dérivis, joue avec une grande énergie et de très beaux moyens celui du farouche Holkar. Les décorations, les costumes, les accessoires sont d'une richesse égale à leur fidélité : les souvenirs de l'auteur et les dessins du véridique Solvyns ont également été mis à contribution ; enfin cet opéra est, pour ainsi dire, un voyage dans l'Inde ; il en est du moins le tableau pittoresque en action. Un tel sujet était bien le domaine de l'Opéra; il est exploité avec art ; les moissons doivent en être abondantes, et durer plus d'une saison. S....
Geoffroy, Cours de littérature dramatique, seconde édition, tome V, p. 211-217 :
[Le compte rendu est ouvert par l’explication de ce qu’est une bayadère, et le rappel de la pièce antérieure mettant en scène une bayadère, la pièce de Mademoiselle Candeille, jouée en 1795, « dans le cours de nos discordes civiles », et qui a été un échec (Geoffroy pense qu’il a été provoqué par des raisons politiques). Celle de 1810 a au contraire réussi. On trouve dans la brochure une « dissertation de M. de Jouy » qui évite à Geoffroy de parler des bayadères, et il peut résumer l’intrigue, acte par acte. L’évocation du ballet du deuxième acte, « mélange d'images voluptueuses et guerrières » (je passe sur la remarque sexiste qui suit !), l’amène à évoquer longuement le ballet de l’opéra comique de Favart, Cythère assiégée (Bruxelles 1748). Il manifeste quelques réserves sur le troisième acte, « d’un héroïsme un peu froid » (pour Geoffroy, « le second acte [...] seul vaut un opéra tout entier, et suffit pour couvrir les défauts du premier, et surtout du troisième »). Après ces longues considérations, on arrive aux caractères : celui de Laméa, « sublime », qui met si bien en valeur « les talens de madame Branchu »; celui de Demaly, « un assez mince héros à côté de sa bayadère »Sur la musique, des compliments au musicien (« plus souvent de beaux airs, de beaux morceaux d'ensemble »), mais aussi des réticences (« quelquefois du bruit, du vague, des réminiscences », dont une, assez cocasse, à une œuvre de Catel : de l’auto-citation – mais ce n’est pas si rare). On finit sur « les machines et les décorations, parties essentielles d’un opéra ». Elles ont été admirées.
Article publié dans le Journal de l'Empire le 10 avril 1810.]
M. CATEL.
LES BAYADÈRES.
Les bayadères sont des danseuses indiennes, et, en même temps, des religieuses attachées au culte de Brama. Leur office est d'inspirer la volupté par des danses que la sévérité de nos mœurs nous fait regarder comme indécentes et lascives. Les Orientaux ne sont pas si scrupuleux : ils aiment, dans ces danses, précisément ce que nous y blâmons ; les moyens leur semblent justifiés par la fin, et l'effet leur en paraît trop beau pour en condamner la cause. Les peuples dont la religion s'accorde avec les sens, chez qui la volupté est une partie de la morale, peuvent fournir de bons sujets d'opéra.
Dans le cours de nos discordes civiles, il parut une Bayadère au théâtre de la République. Ce théâtre était un peu grave pour un pareil personnage. L'auteur était une femme, et cette femme était l'actrice qui représentait la bayadère : elle était plus belle que toutes les bayadères de l'Inde ; elle n'en fut pas plus heureuse. Au lieu de s'en tenir à son esprit et à ses grâces, on ne s'attacha qu'à sa secte : elle était très-dévote à Schirven ; les dévots de Wistnou, qui se trouvaient en force au parterre ce jour-là, s'emportèrent contre l'actrice avec une sainte fureur, et, par dévotion, déchirèrent la pièce.
Les Bayadères de l'Opéra ont eu un autre sort que la Bayadère de la République : les spectateurs se sont trouvés de la même religion que les actrices ; les actrices ont inspiré beaucoup de volupté aux spectateurs, et leurs services ont été libéralement payés en applaudissemens. L'histoire des bayadères m'offrirait beaucoup de détails curieux, que je n'irais pas chercher bien loin : la dissertation de M. Jouy laisse peu de chose à désirer sur cet agréable objet, mais il faut aller au plus pressé ; et l'histoire de la première représentation de cet opéra, long-temps attendu, vaut mieux, en ce moment, qu'un traité complet des faits et gestes de tous les couvens de bayadères.
Un prince indien, dont la capitale est Bénarès, ville où les brames ont un fameux collége, se trouve dans une situation cruelle. Il est arrivé à l'époque où la loi de Brama ordonne qu'il choisisse une épouse parmi ses femmes : le malheureux n'en aime aucune : son cœur est enflammé pour une bayadère que la religion lui défend d'épouser. Je n'ai pas fait d'assez bonnes études au collége de Bénarès, pour savoir bien précisément si le rajah ou prince indien, qui se nomme Demaly, ne pouvant faire son épouse de la bayadère Laméa, n'aurait pas pu en faire sa concubine : cet article doit se trouver dans les constitutions des religieuses du Gange. Je serais tenté de croire que Brama ne leur assignait que la fonction d'exciter les désirs, sans leur permettre de les satisfaire, puisque le rajah Demaly est si désespéré, et se fait tant prier pour choisir une épouse. En vain le chef des brames, en vain ses ministres le pressent ; mais un chef des Marattes, nommé Olkar, vient le tirer d'embarras : pendant que ses prêtres et ses ministres l'endorment au sein des plaisirs et des fêtes, Olkar surprend Bénarès, force le palais, met aux fers le rajah. s'empare de ses femmes, et par là lui épargne l'embarras d'en choisir une. Tel est le premier acte, assez vide d'action, mais rempli de danses charmantes et de morceaux de musique fort agréables.
Dans le second, on voit le chef des Marattes occupé du soin de se rendre maître du fameux bandeau de Wistnou, qui, par sa richesse, vaut tous les trésors de l'Asie. Le rajah prisonnier a caché ce superbe joyau, et les plus terribles menaces ne peuvent l'engager à s'en dessaisir. Olkar croit ne pouvoir mieux faire que de s'adresser à la bayadère Laméa, qui a tant de crédit sur l'esprit du rajah : mais Laméa n'est pas seulement une bayadère, c'est une héroïne ; ce n'est pas seulement la volupté qu'elle inspire à son amant, c'est le courage. Elle a déjà rassemblé les sujets les plus fidèles de l'infortuné rajah : elle médite une révolution. La volupté a perdu Demaly ; il faut que la volupté perde Olkar. Laméa conspire avec ses compagnes contre le vainqueur ; et c'est cette conjuration de danseuses qui va remettre Demaly sur le trône, c'est cette conjuration qui assure le succès de l'opéra.
Laméa accepte la négociation dont Olkar veut la charger : elle voit le prince prisonnier, comme pour lui persuader de céder au vainqueur le bandeau de Wistnou, mais, en effet, pour ranimer son courage par l'espérance, et lui communiquer ses projets. La bayadère revient trouver Olkar, le trompe par un faux rapport, l'enivre de l'idée de posséder bientôt le précieux bandeau. Ce Maratte féroce est déjà à demi vaincu par la volupté qui l'assiége de toutes parts : les bayadères l'environnent, le pressent, et désarment, en badinant, ce fier guerrier. La même manœuvre s'exécute contre les soldats, qui font encore moins de résistance que leur chef : les bayadères leur ôtent leurs armes pièce à pièce, et s'en revêtent en se jouant ; ainsi travesties, elles forment une danse militaire d'un genre nouveau. Ce mélange d'images voluptueuses et guerrières est plein de charmes ; et le sexe faible, prêtant sa mollesse et ses grâces aux exercices du sexe fort, offre la plus piquante et la plus jolie des mascarades. La bataille et la victoire des bayadères sur les Marattes rappellent, il est vrai, le combat et le triomphe des nymphes sur les Scythes, dans Cythère assiégée, opéra comique de M. Favart, représenté à Bruxelles en 1748, puis à l'Opéra-Comique en 1754. L'idée de cette espèce de guerre amoureuse est même beaucoup plus ancienne, puisque Favart, en société avec Fagan, fit représenter à la Foire, en 1738, la première ébauche de ce sujet en prose et en couplets. Dans ces derniers temps, cet opéra comique a été transporté au grand Opéra avec une musique de Gluck, et cependant avec peu de succès. L'opéra comique de Favart, plein d'esprit, d'allusions, d'équivoques galantes, est encore meilleur à lire qu'à voir représenter ; et, pour le bien représenter, il faut une espèce de talent qui n'est point celui des danseuses de l'Opéra. Le spectacle des Bayadères perdrait la moitié de son agrément si on y parlait ; les nymphes de Favart flattent continuellement l'esprit de ceux qui en ont : les bayadères agissent sur tous ceux qui ont des yeux ; elles réveillent toutes les idées qui proviennent naturellement des sens. Cette scène, où la danse joue le principal rôle, n'en est donc pas moins neuve, même après Cythère assiégée ; délicieuse allégorie, où l'on voit les Scythes, par l'ordre de Mars, venir assiéger Cythère, la principale forteresse de l'infidèle Vénus, mais où il n'y a, pour toute garnison, que cinq ou six nymphes. Après quelques sorties et quelques combats singuliers, qui forment des scènes plaisantes, les Scythes sont faits prisonniers, enchaînés avec des fleurs, et conduits en triomphe par les nymphes. Ces scènes sont des beautés de comédie plus ingénieuses que sensuelles ; les beautés des Bayadères appartiennent à la pantomime, à la danse, à la musique, et dépendent d'un grand ensemble : elles produisent plus de sensations que d'idées, et occupent singulièrement les yeux et les oreilles, au grand soulagement de l'esprit et du cœur.
Pendant que les Marattes rendent les armes aux bayadères, les partisans de Demaly prennent les armes, délivrent leur prince, fondent sur les Marattes désarmés, les mettent en fuite ; et cette seconde révolution termine le second acte, qui seul vaut un opéra tout entier, et suffit pour couvrir les défauts du premier, et surtout du troisième.
Ce n'est pas que ce troisième acte ne soit rempli d'héroïsme, mais d'un héroïsme un peu froid. La bayadère, après avoir employé tous ses charmes au rétablissement de Demaly sur le trône, refuse de partager ce trône avec lui, et ne consent à l'épouser que dans l'idée que le lit nuptial doit être pour elle un bûcher. Demaly, moins pour éprouver sa générosité que pour lui donner un droit à la couronne, feint d'avoir été blessé mortellement dans un combat qu'il vient de livrer aux Marattes ; de son côté, le grand-brame déclare que le salut de Demaly est fort incertain, s'il meurt sans avoir la qualité de mari. Il faut donc une femme à ce prince mourant, pour le bien de son âme ; mais comme en ce pays toute veuve accompagne son mari dans l'autre monde, les femmes de Demaly se sentent peu capables de cet excès de fidélité : aucune ne se présente pour lui donner la main dans ce fatal voyage. Laméa seule se dévoue avec une ardeur héroïque ; mais au moment où elle va mourir avec son cher Demaly, une toile se lève; elle le voit très-vivant sur le trône : au lieu.de la mort qu'elle attendait, les honneurs et les plaisirs l'attendent dans l'union la plus fortunée, digne prix de son amour et de son courage.
Ce rôle de Laméa est sublime : cette bayadère, comme il n'y en a point, est une grande princesse tragique, et presque une héroïne de Corneille, du moins par l'exaltation des sentimens. Rien n'est plus propre à développer les talens de madame Branchu, comme actrice, et je ne suis pas surpris que, sous ce rapport, elle ait été très-flattée du rôle. La cantatrice ne doit pas être moins contente ; car elle a de beaux airs à chanter : ces airs sont semés de traits de chant qui ne lui présentent des difficultés que pour lui préparer des triomphes. Ainsi, madame Branchu, soit comme actrice, soit comme cantatrice, ne laisse rien à désirer, et n'a plus elle-même d'autres vœux à former, si ce n'est que tant de gloire soit durable, et qu'elle ait assez de force pour la soutenir longtemps.
Le rajah Demaly est un assez mince héros à côté de sa bayadère : son rôle est bien moins fatigant ; on le détrône et on le rétablit presque sans qu'il y mette quelque chose du sien. La tendresse est le fond de son rôle ; et ce qu'il a de meilleur, c'est un air tendre qu'il chante fort tendrement, avec une voix douce et mélodieuse. La musique est en général agréable et variée, bien adaptée au sujet ; plus souvent de beaux airs, de beaux morceaux d'ensemble ; quelquefois du bruit, du vague, des réminiscences. On doit pardonner à M. Catel de s'être mis lui-même à contribution, et d'avoir reproduit à peu près, dans les Bayadères, son pas des Scythes dans Sémiramis : si le public a droit de faire répéter un morceau de musique qui lui plaît, pourquoi l'auteur de ce morceau n'aurait-il pas aussi le même privilége ?
Je ne dois pas oublier les machines et les décorations, parties essentielles d'un opéra. Le plus grand éloge qu'on puisse faire de celles des Bayadères, c'est de dire qu'on y a trouvé encore de quoi admirer, après tant de merveilles, tant de gloires, tant de ciels, tant de paradis, qui depuis quelque temps se sont succédé sur ce théâtre, et semblaient avoir épuisé l'admiration. (10 avril 1810.)
Carrière à l'Opéra :
19 représentations en 1810 (08/08.23/12)
15 représentations en 1811 (22/01 – 26/11).
7 représentations en 1812 (07/01 – 27/09).
5 représentations en 1813 (12/01 – 31/10).
10 représentations en 1814 (24/05 – 20/12).
10 représentations en 1815 (05/03 – 31/12).
66 représentations de 1810 à 1815.
La Bibliothèque musicale du Théâtre de l’Opéra, tome 2, p. 74, parle d’un immense succès, de 140 représentations jusqu’en 1828. L’opéra a été réduit en deux actes avant de revenir à 3.
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