Catherine II et Pierre III

Catherine II et Pierre III, tragédie en cinq actes, de Dumolard, composée en 1798.

Pièce publiée, jamais représentée.

D'après le Dictionnaire de la conversation et de la lecture, tome 59 (7e du supplément), Paris, 1846, p. 273, Catherine II et Pierre III est une des cinq pièces que Dumolard « n'est jamais parvenu à faire représenter ». « Composée en 1798; [elle] fut refusée pour raisons politiques, et n'a été jouée ni avant ni après la mort de Paul Ier, que l'auteur, dans sa notice, place par erreur en 1812 » [il est mort en 1801].

Le texte de la pièce se trouve dans le Théâtre de M. H. F. E. E. Dumolard (Orcel.) Contenant plusieurs Pièces inédites outre celles déjà connus; Paris, chez Vente, 1834. La pièce occupe les pages 255 à 316. Elle est précédée d'une notice (p. 255-258). On en retiendra surtout la difficulté de faire jouer la pièce, pour des raisons plus politiques que littéraires.

NOTICE.

A son retour de Russie où il avait en 1762 rempli les fonctions de secrétaire d'ambassade, M. de Rulhières lisait à ses amis le curieux et sincère récit de la révolution dont il venait d'y être témoin.

M. le lieutenant de police , qui avait aussi des amis dans les salons des plus hautes classes de la société, fut bientôt informé du fait ; M. de Rulhières fut mandé et menacé du courroux du roi s'il continuait ses lectures ; le craintif argus allait même jusqu'à blâmer l'imprudence des personnes qui les avaient écoutées.

Au nombre de ces imprudens auditeurs, M. de Rulhières comptait M. le comte de Provence ; ce prince, loin de blâmer le véridique et consciencieux lecteur, pensait qu'il était bon de signaler les causes et les auteurs de semblables catastrophes pour en prévenir le retour ; il prit donc la défense de l'ouvrage et de l'auteur près du roi qui lui-même voulut connaître le manuscrit. M. de Rulhières fut laissé maître de continuer ses lectures à la charge néanmoins de ne point imprimer tant que Catherine Il régnerait. Ce récit, en effet, ne fut imprimé qu'après la mort de la czarine ; mais il était tellement connu, et avait produit une si vive impression sur l'esprit et le cœur du monarque homme de bien, qu'en donnant audience à l'ambassadeur de Catherine, ce prince se trouva mal lorsqu'il vit sur la joue de ce diplomate la balafre qu'en défendant sa vie le malheureux czar lui avait faite avec son diamant. Depuis lors cet ambassadeur ne fut plus admis à la cour de Louis XVI dont le ministre eut ordre de le recevoir seul au besoin,

Ces faits m'avaient été racontés avant la publication du récit de M. de Rulhières, dont la lecture acheva de m'instruire et me fit penser que cette sanglante catastrophe appartenait à la muse tragique (je ne fus pas le seul, car plusieurs auteurs ont depuis traité ce sujet). Sans trop réfléchir aux obstacles que pourraient rencontrer la représentation et le succès d'un pareil ouvrage, j'embrassai avec l'ardeur de la jeunesse un sujet qui me sembla de nature à remplir les conditions et le but de la tragédie. En effet, le grand Corneille l'a dit : un mélange de passions, de faiblesse et de grandeur, rend les héros tragiques plus intéressans que la vertu même ; et, dans la révolution qu'elle fit pour éviter la perte d'un trône, Catherine qui ne voulait point immoler son époux, et qui fut conduite à souffrir ce crime, fit voir à la fois des passions, de la faiblesse et de la grandeur. Pierre III qui, sans cette révolution, allait répudier son épouse, désavouer son fils, et placer sur le trône sa concubine ; en abdiquant la couronne plutôt que de donner le signal d'une guerre civile, ne montra-t-il pas aussi des passions, de la faiblesse et de la grandeur ? Enfin, si, comme le dit encore le grand Corneille, la tragédie purge les passions en montrant les crimes qu'elles traînent trop souvent à leur suite, quel sujet est plus propre à remplir ce noble but, à préserver les palais et les chaumières des fureurs que l'adultère produit, à servir en un mot les peuples et les rois ?

Je n'avais encore rien lu à la Comédie-Française; et avant de tenter cette épreuve je soumis ma tragédie à Saint-Prix et à quelques gens de lettres  ; l'un de ces derniers, M. Andrieux, me fit l'honneur d'assimiler mon ouvrage à une tragédie estimée (le Siége de Paris, du président Hénault). Quant à Saint-Prix, quoiqu'il me parût content de ma Catherine, il ne me dissimula pas qu'il croyait impossible de la représenter tant que le fils de la czarine régnerait. Partageant cette opinion, je laissai dormir la pièce pendant quatorze ans ; et ce n'est qu'en 1812, après la mort de Paul Ier rayé, dit-on, de la liste des rois par l'effet d'une révolution analogue à celle dont son père avait été victime, que je lus à la Comédie-Française ma tragédie, croyant que cette seconde catastrophe l'avait rendue plus intéressante, moins propre à exciter des réclamations diplomatiques, et peut-être plus utile à publier.

Soit bon goût, soit prudence, les comédiens français ne me reçurent qu'à correction, et je crus comprendre que cette sorte de réception cachait un refus poli.

Plus tard, le jury du second théâtre me refusa nettement. Des craintes politiques que je comprends, quoiqu'elles ne m'aient jamais paru fondées, ont pu déterminer ces deux décisions que je ne saurais blâmer, car j'aimerais mieux brûler moi-même tous mes ouvrages que de voir l'un d'eux occasioner à ma patrie le moindre désagrément. Cependant en livrant cette pièce à l'impression, j'ai la ferme conviction qu'en France, comme à l'étranger, tous les lecteurs judicieux et sages reconnaîtront que je l'ai conçue dans un esprit inoffensif et conservateur pour la dynastie régnante en Russie, qui, comme toutes les familles, ne peut devoir son bonheur, son éclat et sa durée qu'à l'union de ses membres et à leurs vertus.

Je laisse mon lecteur juge du plus ou moins de mérite littéraire de cette tragédie dont la composition est antérieure à celle de mon Vincent de Paul.

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