Créer un site internet

Célestine et Faldoni, ou les Amans de Lyon

Célestine et Faldoni, ou Les amans de Lyon : drame historique, en trois actes de Hapdé, 16 juin 1812.

Théâtre de l'Impératrice.

Titre :

Célestine et Faldoni, ou les Amans de Lyon

Genre

drame historique

Nombre d'actes :

3

Vers / prose ?

en prose

Musique :

non

Date de création :

16 juin 1812

Théâtre :

Théâtre de l’Impératrice (Odéon)

Auteur(s) des paroles :

Jean-Baptiste-Augustin Hapdé

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Martinet, 1812 :

Célestine et Faldoni, drame historique en trois actes et en prose, Par M. Augustin *** ; Représenté, pour la première fois, sur le Théâtre de l'Impératrice, le 16 juin 1812.

La pièce jouée à Paris en 1812 reprenait un mélodrame du même Hapdé, joué à Lyon en 1809, sous le titre de Thérèse et Faldoni, ou le Délire de l'amour. Les deux pièces s'inspirent d'un fait divers célèbre, le suicide d'un couple d'amants, Thérèse Lortet et Gian Faldoni, les amants d'Irigny (et non de Lyon), en 1770. Ce fait divers a eu une postérité littéraire importante, dont témoigne le site d'Elisabeth Visseaux, http://www.visseaux.org/amants1.htm.

Journal des arts, des sciences et de la littérature, neuvième volume, du 1er avril au 30 juin 1812, n°158 (20 juin 1812), p. 378-379 :

[Le compte rendu s’ouvre sur le résumé de l’intrigue, en insistant sur le caractère dramatique de la situation des deux amants. Il souligne aussi le caractère inflexible du père de Célestine, qui ne veut à aucun prix la marier à un commis condamné à mort par les médecins. Le résumé de l’acte 2 est fait sur le ton de l’ironie envers un texte apparemment grandiloquent : le père est « entêté comme un tyran de tragédie », un « ami de la maison » essaie de le convaincre et pour cela « s'enflamme, fait une apostrophe, une invocation, une prédiction, et termine le troisième point en appelant toutes les malédictions du ciel sur un père insensible et barbare ». L’acte 3, franchement tragique est traité tout aussi légèrement : la mort de Faldoni devient une « épigramme assez vive contre les médecins, puisqu’il résulte de cette mort si prompte, qu’ils se sont trompés de vingt-neuf jours ». Et aussi « le roman fini, Faldoni, Célestine et la toile tombent successivement ». Bien sûr, la suite du compte rendu tire les conclusions qui s’imposent : avec un sujet prêtant au ridicule, « l’auteur a pris beaucoup de peine à l’éviter », mais il ne semble pas y avoir tout à fait réussi, « l’art, à la vérité, n’y gagne rien ; la morale encore moins » (l’art, la morale, les deux piliers du théâtre ?). Mais le succès est au rendez-vous, et c’est peut-être l’essentiel. L’interprétation a été remarquable, tant dans les rôles principaux que dans les rôles moins importants : « tous les acteurs ont arraché des larmes », ce qui n’est pas étonnant, dans le siècle du drame (le critique cite comme exemples les drames de Diderot et de Beaumarchais).]

THÉÂTRE de L'ODÉON.

Première représentation de Célestine et Faldoni, ou les Deux Amans de Lyon, drame en 3 actes.

M. d’Arancourt vient de terminer un procès à Paris, en donnant la main de sa fille à M. Florville, fils de son adversaire. Tout se dispose, au lever du rideau pour le retour de M. d'Arancourt et pour les noces. Mais, depuis trois ans, Célestine est liée par d’irrévocables sermens à Faldoni, commis marchand, dont la boutique touche à l'hôtel de M. d’Arancourt. Ce commis marchand est le héros du drame ; son rôle est rempli d’intérêt : car l’auteur l’a fait orphelin et l’a attaqué d’un anévrisme, maladie plus dangereuse en amour qu’au théâtre. Depuis long-temps, Célestine reçoit en secret Faldoni à la ville et à la campagne ; mais rien n’est plus honnête que ces sortes d’entretiens, attendu que mademoiselle Gertrude, vieille soubrette, y est constamment présente. — Désespoir des amans au sujet du mariage. ——Nouveaux serments. — Faldoni surpris aux genoux de Célestine. — Etonnement et colère de M. d’Arancourt. — Faldoni chassé. — Premier évanouissement. — Fin du premier acte.

On a consulté sur l’anévrisme de Faldoni : les médecins l'ont unanimement condamné à ne plus vivre que trente jours, y compris celui de la consultation, et Faldoni remarque avec beaucoup de sagacité que la fin de chaque jour sera pour lui un degré de moins à descendre dans la tombe ; mais Sedaine, avant lui, l’avait dit à l’Opéra-Comique :

Chaque minute, chaque pas,
Ne mènent-ils pas au trépas ?

Au surplus, Faldoni se résigne ; mais Célestine, placée derrière une charmille, entend le fatal arrêt, et se précipite dans les bras de son amant : Tu mourras mon époux ! s’écrie-t-elle ; et, légère comme Atalante, elle vole aux pieds de son père, lui déclarer qu'elle abhorre M. de Florville, et qu’elle n'aura pour mari que M. Faldoni, dont elle espère être bientôt veuve. M. d’Arancourt,qui ne veut pour gendre ni d’un commis marchand, ni d’un homme qui n’a que trente jours à vivre, trouve fort déplacée,et beaucoup trop hardie, la harangue de la jeune personne. — Nouvelles sollicitations de Célestine. — Refus de M. d'Arancourt, entêté comme un tyran de tragédie. Un ami de la maison (c'est ainsi qu’on l'appelle), prêche alors fort gravement M. d’Arancourt, et lui prouve qu’il n’a rien de mieux à faire que de recommencer le procès, renvoyer M. de Florville à Paris, et contracter le mariage in extremis ; ou du moins de paraître y consentir jusqu’à la fin du mois. — Rien ne détermine M. d’Arancourt. L’ami de la maison s'enflamme, fait une apostrophe, une invocation, une prédiction, et termine le troisième point en appelant toutes les malédictions du ciel sur un père insensible et barbare.

La patience échapperait à l’homme le plus débonnaire ; aussi M. d’Arancourt trouve-t-il fort mauvais qu’on le tutoie par apostrophe, et qu’on l’injurie jusque chez lui ; il envoie au diable l’ami de la maison ; mais l’ami lui proteste qu'il a le droit d’y rester, tant qu’il y rencontrera des victimes du malheur ! — Fin du second acte.

Faldoni, sur le point d’être arrêté par l'effet des démarches de M. d'Arancourt, vient se réfugier dans le château même de son persécuteur. Célestine le rencontre ; lui annonce la résolution qu’elle a prise de se soustraire à un joug odieux, et lui donne rendez-vous à neuf heures dans le parc. La cloche sonne !..... Faldoni est exact, et la scène va devenir tragique. Mais l’ami de la maison a appris que mademoiselle Célestine s’était emparée des pistolets de son père ; il l'annonce ; on accourt ; et Faldoni, suffoqué par l’anévrisme, expire à la lueur des flambeaux : épigramme assez vive contre les médecins, puisqu’il résulte de cette mort si prompte, qu’ils se sont trompés de vingt-neuf jours. — Le roman fini, Faldoni, Célestine et la toile tombent successivement.

J’en ai dit assez pour faire connaître la pièce ; et j'ai voulu l‘analyser comme je l’avais sentie. Le sujet prêtait au ridicule, l’auteur a pris beaucoup de peine à l’éviter : c’est un véritable tour de force dramatique. L’art, à la vérité, n’y gagne rien ; la morale encore moins ; mais ce sont de ces choses dont on s’inquiète fort peu, pourvu qu'on obtienne un succès. — Les Deux Amans de Lyon ont été accueillis par le parterre avec de vifs applaùdissemens. L’auteur a été nommé : Vigneaux a annoncé M. Augustin, connu déjà par d’autres succès.

Le rôle de Célestine est parfaitement jouée par mademoiselle Délia ; c’est une excellente acquisition pour le théâtre Français du faubourg Saint-Germain. Clozel a rendu d'une manière touchante la situation de Faldoni. Tous les acteurs ont arraché des larmes, et, dans un siècle où le Père de Famille et la Mère coupable ont paru sublimes, une telle émotion ne doit pas surprendre.

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 17e année, 1812, tome III, p. 445-447 :

[Le compte rendu commence par l’annonce de la source de l’intrigue, un fait divers tragique, mis en drame après l’avoir été en romance, puis en roman. L’intrigue est ensuite résumée, en insistant sur le poids des monologues (ce qui est une mauvaise façon d’arranger une pièce). Le résumé est parfaitement linéaire, acte par acte, jusqu’au dénouement tragique. Et un court paragraphe d’une violence peu ordinaire prend à témoin « tout homme de goût » : comment « un drame ainsi conçu peut réussir » ? Il y faut «le talent le plus diabolique », d’autant que « le style n’ajoute rien à la nullité de la conception ». Ce qui n’a pas empêché l’enthousiasme du public.]

ODÉON. THÉATRE DE L'IMPÉRATRICE,

Célestine et Faldoni, ou les Amans de Lyon, drame en trois actes et en prose, joué le 16 juin.

Une anecdote assez tragique, qui fournit il y a une quinzaine d'années le sujet d'une romance et même d'un roman, vient d'être ressuscitée pour faire un drame, dont les premières représentations ont été données à Lyon.

Voici comment l'auteur a arrangé sa pièce.

M. Darancour, ancien colonel, revient de Paris avec le jeune Florville, qu'il doit unir dans le même jour à sa fille Célestine. C'est ce que nous apprend une vieille servante nommée Gertrude, qui nous informe, en trois ou quatre monologues, que Célestine, sa jeune maîtresse, s'est gâté l'esprit par la lecture des romans ; qu'elle n'épousera certainement pas le Monsieur que lui amène son père, attendu qu'elle est éprise depuis trois ans d'un commis marchand nommé Faldoni, voisin de l'hôtel Darancour ; que c'est elle, Gertrude, qui a favorisé leurs innocentes entrevues ; elle nous instruit encore qu'il y a dans la maison un révérend père Urbain, vieux précepteur qui est fort attaché à Faldoni, car il a fait faire une consultation sur certains étouffemens qui tourmentent ce bon jeune homme;et en effet, l'honnête Urbain sort tout exprès pour savoir le résultat de la consultation. Cependant le père et le prétendu arrivent, Célestine frémit à leur aspect ; mais comme son père, en descendant de-voiture, a demandé des étoffes nouvelles au marchand d'à-côté, et que c'est Faldoni qui doit les apporter, elle l'attend dans le salon, il arrive avec son paquet ; mais le paquet et lui. tombent aux pieds de Célestine, et toute la famille le surprend dans cette attitude. Faldoni est chassé, Célestine est chapitrée, et le premier acte finit.

Le second s'ouvre à la campagne. Cinq à six nouveaux monologues du père, de la mère, d'un valet niais, de Célestine et de Gertrude, nous mettent au fait de -tout ce qui s'est passé depuis quelques heures. M. Darancour se propose de livrer Faldoni à la justice, ou tout au moins de le faire exiler, mais Faldoni ne quitte pas la place si aisément ; il revient dans une maison d'où il a été chassé; il s'assied sur un banc de gazon, et là son ami Urbain vient lui annoncer qu'il a un anévrisme dont il doit mourir au bout d'un mois. Célestine qui les écoute, prend son parti sur cette déclaration ; elle prie son prétendu d'obtenir que le mariage soit remis au lendemain ; elle a aperçu des pistolets dans le cabinet de son père, une chapelle isolée dans le parc. Elle n'en dit pas davantage pour le moment. Tout est accordé; le père Urbain, soupçonné d'être le complice de Faldoni, est prié d'aller coucher ailleurs ; mais il dit au maître de la maison qu'il y reviendra malgré lui, et il tient parole.

La nuit enveloppe le jardin au troisième acte. La père ordonne que les grilles soient fermées. Célestine a dit à Faldoni de revenir, malgré les grilles, à neuf heures précises. L'horloge sonne, Faldonî est là. Célestine lui apprend son projet, les feux qui la brûlent ne peuvent s'éteindre qu'à coups de pistolet. A ces mots, l’anévrisme éclate, Faldoni appelle au secours, il conjure toute la famille d'empêcher que Célestine ne se tue, et il expire aux flambeaux entre les bras du vieux Urbain.

Je le demande maintenant à tout homme de goût, n'est-ce pas l'effort du talent le plus diabolique que de réussir avec un drame ainsi conçu? Le style n'ajoute rien à la nullité de la conception, et cependant tout a été vu et entendu avec enthousiasme !
L'auteur est M. Augustin.

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome VII, juillet 1812, p. 286-291 :

[La pièce nouvelle, dont le titre est ici réduit à sa plus simple expression, est la représentation d’une triste histoire, celle d’un double suicide resté célèbre, et dont le critique souhaitait qu’elle ne soit jamais mise sur une scène de théâtre. Il se scandalise d’abord qu’on puisse avoir l’idée d’adapter au théâtre un tel sujet, montrant ce qui est à ses yeux le pire crime qu’on puisse commettre. L’utilisation du nom de Faldoni renforce encore le caractère scandaleux de cette adaptation : il a « des parens, des amis » qu’il fallait respecter. Mais l’auteur a évité le double suicide sur le scène, en faisant de Faldoni un malade du cœur, menacé d’un anévrisme. Mais cette solution ne convient pasau critique, effrayé qu’on ose faire d’une aussi terrible maladie un moyen dramatique. Occasion pour lui de rappeler toutes les horreurs qui ont été utilisées dans des pièces, pour souligner qu’aucune n’atteint le niveau de terreur qu’inspire l’anévrisme. Il ne croit pas qu’on puisse construire un drame sur un tel mal, ce qu’on cherche au théâtre, c’est une « sorte d’attendrissement ». C’est donc ce terrible moyen qui sert au dénouement : au moment où les amants se rendent sur le lieu prévu de leur suicide, Faldoni, refusant d’être « le complice de la mort volontaire de Célestine », étant victime de la crise qui le tue. Pas question pour le critique d’approuver qu’un drame construit sur un tel procédé reçoive l’agrément des « gens de goût » : ce genre de moyens ne peut plaire qu’à la multitude et conduite à des excès sans cesse plus grands. A cela s’ajoutent le manque de liaison et de vraisemblance des scènes et la multiplication des événements. Pour rester dans les limites du raisonnables, le critique croit qu’il fallait donner un tout autre tour à l’intrigue, et modifier le rôle du père de Clémentine pour « rendre l'autorité paternelle respectable ». Sans doute ce drame est une tentative pour l’Odéon de retrouver les faveurs du public. La pièce a été bien interprétée, avec une mention spéciale d’une jeune actrice qui a beaucoup impressionné le critique.]

THEATRE DE L'IMPERATRICE.

Faldoni.

Il y a vingt ans à-peu-près que le suicide mutuel de deux victimes d'une passion aveugle a consacré le souvenir des Amans de Lyon: dans l'impossibilité d'être jamais l'un à l'autre, ils voulurent qu’au moins la mort les réunit [sic] pour toujours : un artifice ingénieux, dont la combinaison est incompréhensible dans un si cruel dessein, leur ôta la vie à tous les deux au même instant : la chapelle solitaire près de laquelle ces malheureux ont consommé ce fatal sacrifice, a reçu le nom de la Chapelle des Amans ; Chénier et Martin se sont réunis pour raconter leurs infortunes dans une touchante romance : c'était assez ; la pitié due à leur égarement déplorable n'en exigeait pas davantage : et il était permis de croire qu'un tel sujet ne serait jamais mis sur la scène.

Ici, en effet, une première observation se présente ; un des crimes les plus dangereux pour l'ordre public, celui qui annonce peut-être le plus l'oubli de tous les devoirs, le relâchement de tous les liens sociaux, est le suicide : l'homme qui s'en rend coupable s'est déclaré en révolte, contre la divinité, contre l'auteur de ses jours, contre les lois, soit qu'elles lui offrissent un recours soit qu'elles lui commandassent un sacrifice ; il n'est pas d'action que ne puisse se permettre celui qui s'est familiarisé avec l'idée de se punir lui-même en se donnant la mort ; il n'est point de pas si dangereux qu'une tête exaltée puisse trouver imprudent, si au bout de sa carrière, elle se réserve une mort volontaire pour perspective et pour issue : nos lois anciennes flétrissaient le suicide après sa mort : les lois anglaises l'ont constamment flétri, et il est à remarquer que le genre du supplice est celui des lâches. Le législateur par cette analogie, a sans doute voulu rendre sensible cette idée, que le principe du suicide, de cet acte de désespoir que la multitude regarde comme une preuve de courage, est au contraire une preuve de faiblesse, et le honteux aveu qu'on n'a pas la force de supporter sa destinée.

Le suicide étant un acte que la législation a cru pouvoir punir même sur ce qui reste du coupable, est-il dans les convenances théâtrales de présenter ce coupable à la scène, et cela sous son nom de famille ? Ce serait trop d'y présenter Werther, personnage d'intention, et il y a sous ce titre, un ouvrage posthume de Chénier ; mais Chénier n'a pas nommé Faldoni même dans sa romance. Faldoni peut avoir encore des parens, des amis : si sa malheureuse histoire est devenue le sujet d'un drame, du moins son nom ne devait pas y être reproduit.

Mais ces observations pourraient faire présumer que l'auteur du drame nouveau a fait consommer le crime sur la scène, et que son dénouement en est ensanglanté ; ce serait une erreur. Il a eu recours à un moyen assurément très-neuf, pour familiariser le spectateur avec l'idée d'un suicide qui va se commettre, et qui cependant ne se commet point. Faldoni ne se donne point la mort, Célestine ne la reçoit pas non plus de sa main ; quel est donc le moyen imaginé par l'auteur? Le voici :

Dans le cours de la pièce on apprend que Faldoni, éperduement aimé de Célestine, mais ne pouvant aspirer à sa main, est attaqué d'un mal incurable, dont le siège est au cœur. De fréquens et longs évanouissemens ont inquiété sur son sort : une consultation a été faite ; les médecins ont reconnu que le malheureux jeune homme avait peu de jours à vivre ; ils ont prononcé le mot fatal d’anévrisme : le mot était à sa place dans une consultation, mais qu'il ait été prononcé à la scène dans un sens malheureusement trop sérieux, qu'on nous offre la victime dévouée à une mort certaine, que le spectateur sache qu'à chaque mot qu'il lui entend prononcer, il peut la voir expirer ; voilà certes un ressort d'intérêt qu'on était loin d'attendre du perfectionnement de l'art chez nos dramaturges modernes. Béverley veut tuer son fils, et se donne la mort, Mélanie s'empoisonne et maudit son père ; le joueur en délire a toujours sous les yeux sa femme ensévelie dans les eaux : Camille meurt de faim avec son enfant : une foule d'autres tragédies bourgeoises, déguisées sous divers titres, ont pour but d'inspirer de vives émotions, et leurs auteurs ont trop souvent confondu l'horreur avec la terreur ; mais on n'avait pas encore pensé à l’anévrisme, à ses efforts convulsifs, à son résultat fatal et inopiné. Voilà une nouvelle source de beautés dramatiques ; toutes les infirmités dont l'humanité est affligée peuvent offrir chacune un sujet, et malheureusement il peut y en avoir pour long-temps.

Au surplus, ce mot anévrisme, si difficile à prononcer au théâtre l'a été à voix basse ; les loges l’ont à peine entendu ; l'intelligent acteur a semblé ne le prononcer que pour le parterre, et il avait raison ; le parterre de l'Odéon est pour une bonne part composé d'élèves qui siègent sur les bancs de la faculté voisine ; ils n’ont pas dû être fâchés de trouver au spectacle l'application et le sujet des leçons qu'ils avaient peut-être entendues le matin ; pour le reste des spectateurs, on croira facilement que l'impression a pu être différente : si même il existait dans la salle quelque spectateur personnellement inquiet sur une situation analogue, il a dû concevoir quelque reconnaissance pour une invention dramatique qui lui ménageait une si agréable distraction. Envain citerait-on. l'exemple du tableau de quelques maux physiques présentés à la scène ; nous y avons vu souvent des goutteux ; mais la goutte est un mal de bonne compagnie, une douleur, qui, quelquefois, dit-on, s'adoucit par le souvenir : il est rare qu'on ne fasse pas sourire un goutteux, quand on lui dit qu'il a mérité ses souffrances, et d'ailleurs on vit avec ce mal, on se soulage en l'injuriant; mais ici l'atteinte est mortelle ; or, on le demande, un personnage qui compte les jours, les heures, les minutes, qui, dévoué à une mort certaine propose à une femme jeune et belle, d'aller avec lui au-devant de sa destinée, peut-il, dans cet arrangement où il n'a rien à perdre, et où il fait tout perdre à l'objet de son amour, peut-il inspirer cette sorte d'attendrissement que l'on aime à chercher au théâtre ?

On voit par ces réflexions même quel est le dénouement du drame nouveau ; l'instant de se rendre au lieu où des armes cachées attendent les deux amans, est celui d'une crise violente dans laquelle succombe Faldoni ; la nature dispose de sa vie avant qu'il n'y attente ; elle lui épargne un double crime. Il y a de l'art dans cette dernière scène, il faut en convenir ; Faldoni ne veut plus être le complice de la mort volontaire de Célestine ; c'est en refusant de la suivre, c'est en s'opposant à sa resolution, en résistant à ses efforts, en appellant à son secours, qu'il détermine la crise à laquelle il ne peut résister ; mais le défaut essentiel n'en existait pas moins ; Faldoni peut intéresser dans ce seul moment ; dans tout le reste du drame, il n'a pu être qu'un malheureux sans espoir et un objet repoussant.

Il faudrait un prodige de talent, de combinaisons dramatiques et un grand mérite de style pour faire excuser le choix d'un tel sujet : le succès de ce drame sera peut-être fort grand, mais il ne pourra rien changer à l'opinion des gens de goût sur un tel spectacle. La multitude aime ces sortes d'impressions, elle les cherche, elle semble s'en repaître avec plaisir ; ce serait une raison pour désirer qu'on n'alimentât pas ce goût, dont le principal danger est de conduire d'excès en excès, et d'exiger après une exagération, une exagération plus forte encore.

Mais ces qualités, qui eussent été indispensables pour rendre indulgens sur le choix du sujet, ne nous ont pas paru réunies chez l'auteur du drame nouveau ; et cela se conçoit ; s'il les avait toutes possédées, il en aurait fait une toute autre application : il paraît n'avoir envisagé que le besoin de situations qui, pour être nouvelles, après toutes celles que les romans ont transmises au théâtre, doivent être nécessairement d'une exagération voisine du ridicule. Il y a peu de liaison et de vraisemblance dans ses scènes ; elles ne présentent presque jamais les développemens qu'elles comportaient ; on y trouve un mélange de tous les tours, une confusion de tous les genres, caractère distinctif du genre le plus mauvais de tous, et aujourd'hui le plus à la mode; l'enflure et la déclamation prés d'un naturel bas et trivial ; il manque de raison et de vraisemblance dans l'ordre des evénemens, leur précipitation est extrême, les acteurs se succèdent sans relâche sur la scène, et ne l'occupent que rarement dans une position naturelle et raisonnable; Deux fois chassé de la maison du père de Célestine, Faldoni trouve toujours les moyens d'y rentrer : ce père est déraisonnable et furieux ; la mère est le rôle le plus insignifiant de l'ouvrage ; un certain abbé modelé sur le curé de Mélanie, ne tient au père que des discours propres à l'irriter. Chassé comme Faldoni, il y rentre comme lui. Deux fois Célestine trouve le moyen de s'échapper, tant ses parens et son futur font d'attention à elle, et tant dans un moment aussi critique la surveillance est exacte dans la maison.

Une seule chose était raisonnable dans la situation donnée ; Faldoni n'a que quelques jours à vivre ; au lieu de l'irriter par d'indignes traitemens, au lieu de le menacer dans sa liberté, un père autre qu'un père de drame eût cherché à calmer cette tête ardente, eût éloigné sa fille, et n'eût apporté à l'infortuné que des paroles de consolation, et il eût été obéi, et il n'y eût point eu de suicide ; mais celui-ci, sous la menace de la malédiction, exige que Célestine se marie dans le jour même, au moment où son amant succombe ; il trouve un futur assez dépourvu de sens et d'humanité pour ne pas refuser d'arracher un tel consentement ; la tête des deux amans se perd, et on sait le reste. Que signifie dès-lors un tel sujet, et à quel but moral atteint-on après de si violentes commotions ? Ce n'est pas sans doute à rendre l'autorité paternelle respectable, car ici, si elle a raison au fond, elle se trompe étrangement dans les moyens ; d'un autre côté, si le résultat moral du drame est de présenter les pères comme des tyrans aux préjugés et à l'autorité desquels une passion effrénée doit se soustraire, même en cherchant la mort pour asyle, quelle leçon encore, quel exemple et quels moyens ! Les romans qui ont donné l'idée de tels sujets sont moins dangereux peut-être ; ils ne frappent que l'imagination d un individu, ils n'ébranlent pas celle d'un immense auditoire. Celui qui assistait à cette représentation était très-nombreux ; des ouvrages pleins de gaîté, quelques jolies comédies, ou modernes ou anciennes, n'attiraient personne à l'Odéon. Faldoni y parait sous les tristes auspices de la nécessité ; peut-être sera-t-il un talisman favorable et déplorable à-la-fois ; cependant l'excès du mal rassure un peu ; comme il est difficile d'aller plus loin, et de se soutenir à une telle hauteur, il faudra bien rétrograder, et c'est dans ce seul espoir qu'on peut voir de tels succès sans en être trop affligé.

Au surplus, les acteurs principaux ont fait merveille : Clauzel a trouvé avec une justesse effrayants la figure de sa situation. La jeune Grecque de l'Odéon, Mlle. Délia jouait Célestine ; très-heureusement pour la comédie, sa figure expressive, mobile et riante ne convient pas au rôle dont elle a été chargée, et cependant elle y a fait preuve d'un talent qui donne de hautes espérances ; elle n'a point eu d'exagération, point de cris, point de contorsions ; son accent a été énergique, ferme, juste, son geste naturel ; elle a conservé même dans le drame les qualités qui déjà la distinguent dans la comédie ; ou les apparences nous abusent fort, ou cette actrice est un sujet précieux dont les études doivent être suivies avec intérêt.

Ajouter un commentaire

Anti-spam
 
×