La Clémence de Henri IV

La Clémence de Henri IV, drame en trois actes, en prose, de Dursoy, 14 décembre 1783, publié en Hollande et à Paris en 1791.

Une seule représentation dans César : 1783.12.14 Théâtre Italien (salle Favart).

Sur la page de titre de la brochure, en Hollande et à Paris, chez les Marchands de nouveautés; 1791 

La Clémence de Henri IV, drame en trois actes, en prose.

Pas de nom d'auteur, ni de lieu de représentation.

Le texte de la pièce est précédé d'une longue préface.

PREFACE.

Je n'avois fait qu'esquisser le Tableau de la Réduction de Paris en 1775 : d'ailleurs, la Musique que j'avois unie à cet ouvrage, retardoit la marche de l'action & affoiblissoit l'intérêt.

L'idée de mettre sur la Scene Henri IV, comme Bon & Clément, a séduit mon imagination. Comment ne pas aimer ce Prince, qui a fait de si grandes choses avec de si petits moyens, & qui né peut-être avec moins de génie que de sensibilité, trouva dans son amour pour son peuple & pour la vertu, des ressources telles qu'après avoir relu mille & mille fois les Fastes de son Regne, on est toujours frappé d'un étonnement nouveau ?

Parcourez toute l'Histoire Ancienne, vous n'y trouverez pas un seul Prince qui l'égale. César seul m'a toujours paru au-dessus de tous les hommes de génie, dont les Annales du Monde ayent conservé le souvenir : mais il donna des fers à sa Patrie ; mais s'il fut aussi clément que Henri, on peut toujours objecter qu'il avoit à pardonner à des hommes que lui-même avoit outragés le premier. Le Citoyen qui combat pour sa liberté, lors même qu'il est vaincu, ne reçoit pas un pardon de son vainqueur; il n'est que remis en possession de ses droits primitifs. César fut clément : mais César profanoit alors le plus touchant des sentimens ; il fut même un temps où ce n'étoit en lui qu'une vertu de politique ; lui-même s'étoit trahi en disant ces mots que l'Histoire a conservés : Imperium occupantibus utilis est clementiæ fama.

Rapprocher tous les traits principaux qui caractérisent Henri IV, étoit donc plutôt l'ouvrage d'un Patriote sensible, que d'un Littérateur jaloux de cette vaine fumée que l'on appelle Gloire.

L'un de ces traits les plus frappans, étoit la bonté avec laquelle il avoit comblé de bienfaits le jeune Duc de Guise, fils de cet ambitieux qui à la journée des Barricades ayant forcé son Roi de fuir devant lui, auroit dû prévoir le coup dont il fut frappé aux Etats de Blois, s'ils n'eût été aveuglé par sa haine & par son audace,

On sçait ausi combien de fois on osa former des complots contre la vie de Henri III & contre celle de Henri IV, en croyant faire périr ces deux Princes au moyen de caractères magiques. Le fanatisme & la scélératesse alloient jusqu'à profaner les plus Saints Mystères de la Religion en les faisant servir à ces conjurations exécrables. On plaçoit sur l'Autel, au moment où l'on célébroit la Messe, le portrait du Roi : un stilet empoisonné, des formules cabalistiques, enfin toutes les ressources de l'Astrologie judiciaire étoient réunies dans l'espérance de voir expirer d'une mort lente, mais certaine, l'objet de ces détestables & absurdes chimères. C'étoit-là ce que l'on nommoit envouter. L'Histoire a conservé ces formules, que l'on ne peut lire sans frémir d'horreur. Au moment où je voulois transcrire une de celles qui me paroissoit le mieux caractériser ceux qui en faisoient usage, j'ai senti ma main se refuser à ce pénible effort. Le cœur se crispe & le sang se glace, en relisant de pareilles monstruosités. Henri IV avoit plus d'une fois été averti de ces mystères atroces : il sçavoit que les Guises avoient été les premiers à souiller le Sanctuaire par des sacrifices offerts, le stilet à la main, aux prétendus Génies de la Vengeance & de la Mort. – Il n'en combla pas moins de bienfaits le jeune Héritier de ces terribles Adversaires, qui, sans lui, eussent commencé une nouvelle Race de Rois. Et c'est la bonté qui lui fit multiplier de tels bienfaits & sur de tels ennemis, que j'ai voulu peindre au 3e Acte de ce Drame. J'ai fait quelques changemens aux faits historiques : mais j'ai profité du quidlibet audendi d'Horace. J'ai d'ailleurs tant d'exemples à citer en ma faveur ! Ne fût-ce que celui de l'Auteur de Gaston & Bayard, qui a tout permis à son imagination, en mettant sur la Scène un Héros, qui d'ailleurs offroit tant de véritables traits à célébrer.

Il ne me reste plus à parler que de l'Episode de l'amour du Duc de Féria pour cette jeune Sophie, que je suppose fille du Capitaine Saint-Quentin. Il n'y a de contraire à la vérité de l'Histoire, que l'application que j'ai faite de l'amour du Duc à cette jeune personne. Du reste tout en est vrai : plus d'une fois les Chefs des Ligueurs, dans un temps de famine, de désolation & de barbarie, avoient fait racheter, ou la vie de leurs prisonniers, ou des alimens grossiers qui servoient à prolonger les tourmens de quelques spectres faméliques, au prix de l'ignominie de leurs femmes ou de leurs filles. On citeroit cent exemples de cet échange de l'honneur contre la plus vile des nourritures. Souvent une jeune Beauté étoit tombée aux pieds de l'assassin de son pere : elle arrachoit le Vieillard à la mort en expirant ensuite elle-même de honte & de repentir. Encore étoit-il arrivé qu'en sortant des bras de son farouche oppresseur, l'infortunée ne rouvroit au jour ses yeux fermés à l'opprobre & l'ignominie, que pour voir attaché au gibet le pere même qu'elle avoit cru sauver. Voilà encore des traits qui caractérisent ce siecle abominable, & que je dus faire entrer dans mon Tableau.

O combien il eut été plus terrible, plus fièr dans la composition, s'il m'eût été permis de conserver à chaque personnage d'entre les Ligueurs, sa physionomie & l'attitude dans laquelle il est représenté par l'Histoire ! Quels groupes à dessiner ! Mais à chaque coup de crayon, je voyois une main prête à tout effacer. J'étois obligé de me rendre compte du sens dans lequel on pourroit prendre chaque phrase. On est si ingénieux à faire des applications ! la Ligue a dès-lors disparu : chacun de ces Acteurs n'a été qu'entrevu, & dans une demi teinte qui le laissoit dans le plus grand éloignement. Cependant il me sembloit que cette jeune Sophie, obligée de sacrifier son amour pour sauver la vie de son Pere & de son Amant, étoit un Episode assez intéressant, & qui, du moins en partie, servoit à donner une idée vraie des mœurs de ces temps horribles.

Je ne dois pas oublier d'observer ici, que c'est de cette même époque que date en France & sur-tout dans la Capitale, l'avilissante & odieuse coutume de vendre ses charmes à prix d'or, au moins dans la classe des Citoyennes. On s'accoutuma bientôt à faire par luxe ce que l'on avoit fait par indigence. Pendant ce siege de Paris, à jamais mémorable par cette foule d'Anecdotes plus épouvantables les unes que les autres, les femmes du plus haut rang s'étoient vendues pour obtenir le peu d'alimens qui les arrachoit à la mort. La pudeur ne retourne jamais sur ses pas. Et voilà ce que la guerre a de plus horrible ; la paix qui la suit, la paix elle-même est souillée par les mêmes vices qui étoient nés pendant l'horreur des dissensions. Vérité effrayante, & qui suffiroit seule aux bons Rois, pour regarder la guerre comme le premier des fléaux.

Bien que je n'eusse pû peindre ce seul effet de la Ligue, comme je l'eusse desiré, le tableau même que j'en avois présenté eût produit un grand effet au Théâtre, s'il eût été mis sous les yeux des Spectateurs tel que je l'avois imaginé.

Je voulois que d'un côté de la Scène on vît Sophie donnant la parole au Duc de Féria, & lui jurant d'être à lui ; tandis que dans le poste opposé, dans la tour où se rassembloient les Bourgeois restés en secret fideles au bon Roi, on auroit vu l'Amant de Sophie jurer sur un poignard qu'il auroit laissé sur la table du Conseil, d'être le premier à frapper quiconque devoit se lier avec les Ligueurs par quelque engagement. Dans le fond de la Scène, on eût vu le vieux Saint-Quentin entrer dans ce poste, enhardir les Bourgeois par sa présence & leur distribuer des écharpes blanches (*). Pour rendre ces Scènes simultanées plus frappantes, il eût fallu que le Spectateur pût entendre les deux Dialogues. Voilà comme j'avois d'abord composé toute cette partie du 2e Acte ; je l'avois lue telle à MM. les Comédiens.

Mais grace à la planimétrie de nos Théâtres, toute action de ce genre nous fera interdite à jamais. Il eût fallu dessiner & composer une décoration tout exprès. – J'ai même essayé de faire comprendre mon idée ; ce que l'on avoit imaginé pour la rendre, étoit si ridicule, qu'il me parut préférable de renoncer à tout l'effet de la situation. -Il est si doux de gagner beaucoup d'argent sans beaucoup de frais ! d'ailleurs de jolis boudoirs bien rians, bien vernis, où des guirlandes de fleurs s'enlacent à des groupes d'oiseaux de différentes couleurs, sont si jolis, si favorables à la volupté ! Comment leur préférer ces Palais que l'on bâtissoit autrefois ? Quelques Amateurs s'écrient encore : Mais l'Art ! l'Art, que deviendra-t-il ? On leur répond l'art d'être heureux, de l'être à sa maniere ; voilà le véritable, Et ce système dont je ne parle ici qu'en raison d'un seul objet, il influe sur tout, oui sur tout; que l'on ne s'y trompe pas. Encore un demi-siecle, & l'on verra où il nous aura conduits.

D'après ces détails que je devois à ma justification, je laisse à penser ce que mon ouvrage a pu devenir, lorsque sur onze Acteurs, cinq à six, peu accoutumés au genre héroïque, ont essayé de s'enhardir eux-mêmes & de soutenir la gaieté bruyante de cette partie du Parterre, qui ne vient toujours que pour saisir le côté ridicule de tout ce qu'il entend, ou pour lancer quelque trait contre le même Auteur, qu'il eût applaudi, si celui-ci se fût annoncé sous un autre nom.

On me pardonnera quelques réflexions que cette derniere phrase arrache à ma sensibilité. Ce font les premieres, ce feront les feules de ce genre que je me serai permises. Peut-être même me les serois je défendues, s'il s'agissoit d'un ouvrage qui n'eût point pour titre ces mots si touchans, La Clémence d'Henri IV.

Titre cher & sacré, vertu du plus grand, du meilleur des hommes, c'est donc pour vous avoir célébrés que j'ai éprouvé la plus horrible des persécutions ! Je suis loin de croire que mon Drame soit un bon ouvrage, j'ai été forcé de lui ôter en partie la vie & la couleur qu'il auroit eues. Nos ménagemens politiques, nos usages, nos bienséances théâtrales ; que d'obstacles à vaincre ! Mais enfin tel qu'il est, je l'ai lu dans des cercles où des hommes connus par leur goût, par leurs lumieres, par leurs talens & leurs ouvrages, ont versé des larmes. Je pourrois les citer ; plus d'un me l'eût permis. – L'ouvrage n'eût-il pas-même obtenu ces premiers suffrages, le seul rôle de Henri pouvoit & devoit trouver grace devant des Français.

Par quel fanatisme étrange suis-je donc en bute à la haine des gens que je ne puis connoître ; moi qui vis loin du monde, concentré dans la société de peu d'Amis irréprochables ; moi qui peut-être aurois pû comme tant d'autres, me ménager un appui, en tenant à quelque parti; moi qui me suis défendu tout écrit polémique ? Ah! si je voulois m'en permettre, combien pourrois-je citer d'ouvrages qui ont obtenu un certain succès, & que l'homme de goût rejette avec dédain, lorsque loin des Prôneurs, des Intrigues & des prétendues Aspasies modernes, il les réduit à leur juste valeur ! Mais loin de moi la pensée d'humilier l'amour-propre de qui que ce soit. Comment oublier que la louange la plus faite pour enivrer, n'affecte pas aussi délicieusement, que la critique la plus foible ne déchire cruellement ? Le plaisir ne fait que nous effleurer en passant ; quelles traces peuvent laisser les ailes d'un enfant qui s'envole ? La peine pese sur nous & se traîne en s'appuyant sur le filet [?] qui nous déchire. Quelles atteines, que celles d'une blessure qui se renouvelle sans cesse que tout envenime & que rien ne peut cicatriser ! Ah ! si ceux qui jugent nos Ouvrages, se pénétroient bien de cette idée, comme ils seroient moins cruels dans leurs plaisanteries ! Je crois les voir hésiter en écrivant sur le choix de l'expression plus ou moins amère qu'ils desirent trouver en raison de la Victime qu'ils ont à immoler. Ils s'applaudissent au moment où la malignité leur inspire un sarcasme plus piquant ; alors leur jouissance est plus parfaite : ils tournent & retournent le poignard dans la plaie qu'ils ont faite ; & souriant à l'idée de la douleur que l'on ressentira, prolongent le supplice pour mieux savourer leur joie. Sentiment cruel, qui me rappelle celui de ce Tyran qui disoit : Frappe, mais de maniere qu'il se sente mourir.

C'est pour la seconde fois que j'éprouve un pareil chagrin, & toujours ayant traité un Sujet National, celui de Richard III. J'avois été seul à le voir sous le point de vue où je l'ai présenté. Ni les Historiens Anglais, ni même les nôtres, encore moins les Auteurs Dramatiques de la Nation notre rivale, n'avoient pensé à mettre en action sur la Scène le Salomon de l'Angleterre, élevé au Trône par les Armes des Français. Les applaudiffemens que le Rôle de Richard a valu à l'Acteur qui l'a représenté, semble me donner le droit de penser que ce Rôle étoit au moins dessiné de maniere à plaire au Public. Comment existe-t-il des hommes pour qui le plaisir de nuire est un besoin ? Des Pamphlets ont été répandus & affichés. On a soulevé le Public contre l'Ouvrage, quelques heures avant la Représentation ; & la prévention fut si générale, que des milliers de personnes qui n'avoient point vu l'Ouvrage, prononçoient sans en connoitre un seul vers. On a fait une Parodie de ma Tragédie : on s'est armé des succès de cette parodie, pour faire craindre de redonner Richard III, bien que cela m'eût été promis de la maniere la plus positive ; & que d'ailleurs j'eusse tout préparé pour mériter ce foible dédommagement. (1) Si je voulois dire ce que l'on osa se permettre encore depuis, l'un des jours où la Parodie fut représentée sur le Théâtre de la Cour !... Mais ceci n'est su que de moi : je pardonne toute bassesse insidieuse que j'ai pu deviner & prévenir. Le méchant alors a perdu sa jouissance, & la mienne est d'oublier jusqu'où l'Etre né absolument nul, & qui prétend à une existence, peut s'avilir en imaginant un moyen de paroître ingénieux à ce qu'il appelle faire sa cour.

C'est d'après ces chocs multipliés, que mon ame a éprouvés, que je sens combien sont injustes ceux qui reprochent à l'immortel J. J. Rousseau ces défiances contre tout ce qui l'approchoit, « cette sensibilité si facile à s'irriter & à s'épouvanter. » Je le sens d'avance; quelqu'un de ces inexorables rédacteurs de Pamphlets, qui épient à chaque mot le moment de hazarder une critique, va s'écrier : que peut-il y avoir de commun entre l'Auteur d'Emile, & l'Auteur de Richard III ? A cela je réponds : l'extrême sensibilité. Voilà ce qui rapproche tous les êtres ; voilà ce qui, dans toutes les classes d'hommes, électrise au même instant & par le même Agent une partie privilégiée d'ames, qui sont déchirées par ce qui cause à peine aux autres une légère émotion.

O si la mort de l'Auteur d'Emile fut une suite de ses chagrins & du dégoût de la vie, dont il étoit tourmenté, soit que la Nature épuisée en lui ait succombé sous le fardeau qui l'accabloit, soit que cet illustre infortuné ait été du nombre de ceux dont Virgile a dit :

      .  .  .  .  .  . Lucemque perosi
Projecere animas..  .  .  .  .  .

quel horrible homicide ont commis ceux qui ont porté le poignard dans le sein de cet Orateur éloquent, qui avoit osé élever un Tribunal entre l'Humanité gémissante & ses Persécuteurs, entre le Vice chargé des dépouilles de la Terre, & la Vertu courbée sous le joug de l'esclavage ! – Il n'a lui perdu que la vie : le chef-d'œuvre de sa grandeur, étoit consommé, & sa statue étoit dès-lors placée sur les fondemens même de l'Univers. Mais qui rendra son Eloquent défenseur à la Vérité que l'on hait parce qu'on la craint ? Ils triompheront désormais ces hommes qui devant lui rampoient dans la poussiere, & cette idée ramene vers le bon Henri IV. Ses ennemis n'avoient pu le vaincre, ils le poignarderent. (1)

J'avois eu l'idée de donner ici un Tableau abrégé de l'Histoire de ce Prince, que l'on ne peut trop célébrer, dont on ne peut trop (1) rappeller les vertus & les travaux à tout homme chargé de quelque partie de l'Administration publique. Mais je sais qu'un Littérateur aussi instruit que sensible a préparé une Histoire de ce Prince infiniment supérieure à tout ce qui a paru de meilleur jusqu'à ce jour fur le même sujet.

M. l'Abbé Brizard a composé trois volumes sur l'Histoire de ce Prince, qui ne laisseront rien à desirer. Des Mémoires aussi curieux qu'instructifs, donneront tous les détails de la vie privée de son Héros. Les points les plus intéressans de l'Histoire de ces temps, y seront discutés, tels que la S. Barthelemi ; l'Auteur prouvera que les Etrangers seuls ont été les Auteurs de cette abominable catastrophe ; l'amour de Henri IV pour les Lettres ; une Apologie de ce Prince contre les accusations de Daubigné ; des Recherches très-curieuses sur l'Edit de Nantes, sur le projet de Paix perpétuelle ; enfin sur la mort de ce Monarque.

Le second Volume renfermera un choix des Lettres de Henri avec des Notes Historiques. C'est M. l'Abbé Brizard qui le premier a fait connoître une Lettre que l'on trouvera ici à la suite des Notes, & dans laquelle on reconnoîtra ce caractere de bonhommie adorable, qui caractérisoit le Vainqueur de la Ligue & le Bienfaiteur des Guises.

Le troisieme Volume contiendra une Notice très-détaillée des Hommes Illustres du Régne de Henri IV, dans tous les genres. Les Littérateurs, & même les Artistes, y trouveront leur place. L'Auteur y a joint des Notes aussi instructives qu'intéressantes & qui sont autant d'honneur aux Enfans des Arts & des Mules, qu'au Héros qui les protégeoit.

Il m'eût été difficile de hazarder un Ouvrage après avoir connu celui que j'annonce ici. Ce n'est même pas tant encore l'importance des recherches que M. l'Abbé Brisard a faites qui ajoute au mérite de son ouvrage, que l'énergie touchante avec laquelle il est écrit. – A force de travail on peut se procurer des matériaux précieux ; mais qui peut donner ce sentiment exquis, cette douce éloquence qui émane d'une ame bien aimante, bien pénétrée de la plus chere des affections ? On a quelquefois, à force de goût, suppléé au génie ; mais comment suppléer au sentiment ? Que celui qui ne sait pas aimer ou verser des larmes, ne prenne jamais le pinceau pour peindre Henri IV : il profane son modèle : or ces larmes délicieuses, le nouvel Historien du bon Roi a mérité de les verser. Tantôt il lui sembloit écrire dans la Tente même de son Héros, tantôt sur cette Tombe où reposent ses cendres, & qu'en 1774 tant de bons Citoyens ont couverte de baisers, ont arrosée de leurs pleurs en s'écriant ; c'est donc ici le Tombeau de Henri IV !

C'est en rapprochant ces idées touchantes,c'est en payant le tribut d'éloge le mieux mérité à un Littérateur aussi estimable qu'estimé, que mon cœur s'est un peu remis de la douleur qu'il éprouvoit en retraçant ce qu'on lui a fait souffrir. Je ne crois avoir rien hazardé ici dont personne puisse s'offenser ; que l'on cherche encore à ridiculiser cet écrit, ou même à prêter à ma défense des intentions dictées par l'orgueil ou par la malignité, c'est ce que je prévois d'avance, Mais j'ai éprouvé depuis quelques années des pertes si cruelles, & dont le sentiment me poursuit tellement à chaque instant, que toutes les autres douleurs sont très-légères au prix de celle-là. Mes plus chers amis sont morts dans mes bras : je pourrois comme Young errer au milieu des tombeaux, & tracer chaque jour sur ces tombes où reposent des cendres qui me font chères, le récit de mes regrets & de mes douloureux souvenirs. Je demande, s'il est même possible que l'orgueil ait des droits sur un Etre ainsi tourmenté. Ceux qui m'ont persécuté croyent imposer des privations à mon amour-propre : ils ne font qu'ajouter en moi au dégoût de la vie ; c'est peut-être un bien pour moi ! mais cela peut-il être un plaisir pour eux ?

Fin de la Préface.

(*) Si quelqu'un de MM. les Directeurs des Spectacles de Province aime assez l'Art Dramatique pour lui-même, & sur-tout révère assez la mémoire du bon Roi, pour essayer de faire représenter cet ouvrage, il lui sera facile d'arranger le Dialogue de cette Scène de maniere que le serment de Brisson, suive immédiatement celui de Sophie, entre les mains du Duc de Féria.

Il faudroit sur-tout que la décoration fût assez bien arrangée dans toutes ses parties, pour qu'il parût impossible au Spectateur, que l'on puisse entendre dans un poste ce qui se fait ou se dit dans l'autre.

J'avois également desiré mettre sur la Scène tous les préparatifs du supplice de Sophie & de Brisson. L'Episode de Dorothée & de la Tremouille, dans le Poëme de l'Ariofte du 18e, siecle, m'en avoit donné l'idée. Mais à peine en ai-je pû donner un apperçu, & toujours par les mêmes raisons.

Je prie encore MM. les Directeurs des Théâtres de Toulouse, de Lyon & Bordeaux sur-tout, s'ils pensent à donner cet ouvrage, de ne faire représenter la Scène dont je viens de parler, qu'après avoir lu le Chant du Poëme de Voltaire, qui leur servira de modèle.

(1) J'ose espérer que MM. les Comédiens Français me rendront tôt ou tard cette justice : je n'ai qu'à me louer de leur procédés. Ils ne sont pas faits pour céder à de fausses imputations que leur expérience & leur sensibilité désavouent. C'est d'après de pareilles assertions, que pour la Clémence d'Henri IV, on m'a écrit qu'une Cabale étoit formée, & qu'elle m'attendoit à la seconde Représentation. Les Acteurs, dont l'emploi n'étoit point de ce genre, ont été allarmés de ces menaces : il m'a fallu céder. On n'a point examiné combien cette injustice pouvoit me nuire. Prêt à lire une nouvelle Tragédie, ayant à demander d'être placé sur le Répertoire de Fontainebleau, j'ai du frémir des suites du coup qui m'étoit porté. Mais qu'importe le destin de l'individu dans la masse de l'Ordre Social ? il est écrasé : on le compte pour rien,

(1) J'ai rencontré quelques gens qui disoient en confidence qu'ils n'aimoient pas Henri IV, & j'ai remarqué que ces mêmes gens n'aimoient pas Jean-Jacques ; or je sentois, moi, que jamais je ne pourrois aimer ces gens-là. Mais aussi par la force de je ne sais quel sentiment plus fort qu'eux-mêmes, ils sembloient avoir honte de leur aveu ; & je savois encore que s'il eût été question d'autres aveux, ils eussent rougi d'eux-mêmes bien autrement.

(2) « Eh ! comment voulez-vous que cela réussisse, disoit plus d'un bel esprit des deux Sexes ? Toujours Henri IV ? cela va jusqu'à la satiété. » – Peuple charmant, vous avez couru deux cens fois à Jeannot ; pendant trois ans la Famille des Pointus vous a enivré de plaisir ; depuis encore M. de Marlbourough vous a fait rafoler, – & le bon Henri vous ennuie ! Mais les Grecs, vos Maîtres en tout, s'ennuyoient-ils de voir sans cesse sur la Scène la famille d'Agamemnon, cependant ils ne lui avoient pas les obligations que vous avez au bon Roi. J'avois proposé il y a quelques années qu'il fût établi un Théâtre où l'Histoire de la Nation fût mise en action. Il me sembloit que la Jeunesse auroit pu s'instruire là beaucoup mieux que dans tous ces Cours d'Histoire, où rien ne parle aux yeux. Je le vois trop : un tel Spectacle eût été désert.

La Famille des Pointus : allusion à la comédie en un acte de Guillemain, Boniface Pointu et sa famille, créée en 1782 au Théâtre des Variétés Amusantes et abondamment jouée dans les années 1790. Les Pointu font partir de personnages populaires du théâtre comique.

Marlborough est lui héros de la chanson connue de tous, mais aussi de nombreuses pièces des années 1780 (la base César connaît six pièces dont le titre contient son nom).

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