Le Château de Monténéro

Le Château de Monténéro, opéra comique, d'Hoffman, musique de Daleyrac, 24 Vendémiaire an 7 [15 octobre 1798].

Théâtre de l’Opéra-Comique.

Titre :

Château de Monténéro (le)

Genre

drame en prose mêlé d’ariettes

Nombre d'actes :

3

Vers / prose

prose avec couplets en vers

Musique :

ariettes

Date de création :

24 vendémiaire an 7 (15 octobre 1798)

Théâtre :

Théâtre de l’Opéra Comique

Auteur(s) des paroles :

MHoffman

Compositeur(s) :

Dalayrac

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Vente, an 7 :

Léon, ou le Château de Montenero, drame en trois actes et en prose mêlé d’ariettes. Représenté sur le Théâtre de l’Opéra-Comique, ci-devant Théâtre Italien, le 24 Vendémiaire, An VII. de la République. Paroles du Citoyen Hoffman, musique du Citoyen Dalayrac.

Lors de la publication de ses Œuvres, dans le tome II de son Théâtre, Hoffman a fait figurer avant le texte de sa pièce un « Avertissement » et une « Réponse par anticipation aux journalistes qui doivent déchirer mon ouvrage » (p. 225-232 :

AVERTISSEMENT.

Les Mystères d'Udolphe, roman à brigands et à clairs de lune, ont fourni à M. Hoffman le sujet de son Château de Montenero. Le mélodrame étant alors, comme aujourd'hui, en très-grande faveur sur notre seconde scène lyrique, il fallait bien payer tribut à la mode. Au reste, ce goût du public était déjà ancien, puisque Sedaine avait donné avec succès Raoul-Barbebleue, le comte d’Abert et Richard-Cœur-de-Lion. Quoi qu'on ait dit contre ce genre, il n'en est pas moins très-favorable à la musique qui vit de passions plutôt que d'esprit. D'ailleurs, tous les genres sont bons ; l'essentiel est de les bien traiter. Sous ce dernier rapport, le Château de Montenero repose sur des bases très-dramatiques ; le dénoûment caché avec art, produit une péripétie qui décida le succès à la première représentation. Ce même jour, avant le lever du rideau, on jeta dans la salle, par ordre de l'auteur, un petit écrit intitulé : Réponse par anticipation aux journalistes qui doivent déchirer mon ouvrage. Le lecteur le trouvera à la suite de cet avertissement. M. Hoffman, qui n'était pas encore entré dans la carrière du journalisme, y persiffle d'une manière aussi spirituelle que plaisante ceux dont il devint plus tard le confrère.

La musique de ce drame est une des meilleures partitions de Dalayrac, compositeur aimable et fécond, dont presque tous les airs sont devenus populaires. Dalayrac éprouve le même sort que Grétry ; il est en butte aujourd'hui aux outrages des partisans de la science des notes, parmi lesquels se font remarquer de jeunes fanatiques du charivari ultramontain, qui, jusqu'à ce jour, ne nous ont révélé que leur impuissance. Se montrer insensible à la vérité, à la mélodie des compositions de Grétry, est un signe certain de médiocrité. A cet égard, tout jeune Aristarque pourra devenir un musicien très-riche en contre-point, mais sur tout le reste on ne verra en lui qu'un pauvre musicien ; il sera à l'art musical ce que serait à celui de Thalie l'auteur comique qui méconnaîtrait le génie de Molière.

Le Château de Montenero, plusieurs fois repris à Paris, est constamment joué sur les théâtres des départemens. Peu s'en fallut, cependant, que cet ouvrage ne fût mis à l'index par la censure du Directoire ; nous allons rapporter à ce sujet l'anecdote suivante, comme un nouvel exemple des dangers de l'interprétation et de la sottise des interprétateurs.

La veille de la première représentation défense fut faite par l'autorité compétente de jouer l'ouvrage. M. Hoffman, qui avait pris le sujet de sa pièce dans un roman anglais, et placé le lieu de la scène en Italie, ne pouvait concevoir le motif de cette prohibition. Camerani, semainier perpétuel, négocie aussitôt : on lui répond que le drame de M. Hoffman est rempli d'allusions dangereuses. L'auteur, peu habitué à reculer devant les difficultés, insiste pour que les censeurs s'expliquent d'une façon catégorique ; poussés jusque dans leur dernier retranchement par la logique de leur adversaire, ils finissent par déclarer que l'ouvrage ne sera jamais représenté, à moins que M. Hoffman ne supprime les mots méchant et crime toutes les fois qu'ils seront pris dans un sens absolu : « Il est évident, écrivirent-ils, que les méchans sont les patriotes et le crime le gouvernement. » Possesseur d'une déclaration si naïve, l'auteur leur fit dire que s'ils arrêtaient plus long-temps sa pièce, il publierait les motifs singuliers de leur veto, avec un commentaire explicatif. Alarmés de cette menace, les censeurs capitulèrent, et l'interdit fut levé.

RÉPONSE PAR ANTICIPATION,

AUX JOURNALISTES QUI DOIVENT DÉCHIRER MON OUVRAGE,

Mes chers confrères en littérature fugitive, j'ai l'honneur de vous prévenir que je vais donner un gros et grand ouvrage au Théâtre de l'Opéra-Comique. Il sera du plus mauvais genre, car il y aura du triste, du gai, du lugubre et du bouffon ; il y aura du prestige et des niaiseries, du merveilleux et du trivial, du fracas et du mystérieux, du lamentable et du badin : c'est ainsi du moins que vous verrez la chose, et malheur à quiconque osera voir autrement que vous ! Je me consolerai de tout cela s'il n'y a point d'ennui pour le public ; mais comme vous vous y ennuierez sûrement, et que vous défendrez aux autres de s'y amuser, j'ai cru devoir solliciter votre bienveillance, implorer votre protection, et détourner s'il est possible l'excommunication qui me menace.

Les anciens que vous connaissez mieux que moi, n'entreprenaient rien, sans préalablement se rendre les dieux propices : vous êtes les dieux de la littérature ; vous êtes plus que les dieux, vous en êtes le destin, fatum terribile, irrevocabile. C'est donc à vous que je sacrifie une brebis noire, comme aux dieux Stygiens ; c'est donc pour vous que va brûler mon encens : puisse-t-il amollir vos cœurs, et adoucir la teinte de l'encre qui va couler de vos plumes ! Malgré l'énorme distance qui nous sépare, daignez considérer qu'il y a entre nous une certaine analogie: vous faites des feuilles qui durent un jour, j'ai fait des ouvrages qui ont vécu aussi long-temps ; vous donnez souvent au public des couplets qui l'amusent, j'entends quelquefois sur l'orgue de Barbarie quelques airs faits pour mes paroles; vous faites parler, agir et combattre les rois et les puissances : je les fais quelquefois agir et déraisonner sur la scène. Nous différons en un point essentiel : dans mes opéras je n'ai jamais dit du mal des journalistes, et tous vos journaux ont dit du mal de mes opéras.

Vous voyez donc, chers confrères, que vous m'êtes redevables à cet égard, et j'espère que vous m'indemniserez en indulgence de ce que vous m'avez donné de trop en sévérité. Or, comme le repentir et l'humilité sont deux grands moyens d'obtenir son pardon, je m'accuse, messeigneurs et maîtres, d'avoir fait un opéra peu comique, intitulé Léon, ou le Château de Monienero. Si le titre seul est capable de m'attirer votre colère, je crains bien que la pièce n'excite votre fureur. Genre, situation, style, exposition, nœud, péripétie, dénoûment, voilà autant de chefs d'accusation contre moi; et si vous n'étiez pas plus humains encore que vous n'êtes justes, je craindrais de me voir attacher au pilori du Parnasse: ( Dii omen avertant.)

Ma bonne foi vous désarmera sans doute, et vous verrez que dans tout cela j'ai été plus bête que méchant. Gardez-vous surtout de me parler de genre, je ne sais ce que c'est qu'un genre, j'ignore encore si les journaux en ont un, et un pauvre auteur n'est pas obligé de connaître comme vous la portée des mots, et la valeur des expressions. Ne me citez, je vous prie, ni Boileau, ni Racine, ni Molière, ces bonnes gens n'entendent rien en opéra comique, et à cet égard vous en savez beaucoup plus qu'eux. Ne me parlez ni de bon goût, ni de génie, ni de sublime : ces trois grands personnages ne sortant pas de chez vous, il n'est pas étonnant qu'on ne les trouve point au Château de Montenero.

Que si vous avez une trop tendre sollicitude pour ma réputation, pour ma gloire, comme vous me l'avez prouvé en temps et lieux, je vous prierai, très-chers frères, de regarder mes malheurs littéraires d'un œil plus philosophique. Je ne vise point à l'immortalité, et quoique j'aie une santé très-faible, j'ai le ferme espoir de vivre autant que le plus robuste de mes ouvrages. Dieu m'a créé et mis au monde pour y faire des opéras ; c'est là le nec plus ultrà de mes facultés et de mes prétentions : s'il m'avait donné plus d'esprit, il est probable que je me serais fait journaliste. Hélas ! quand je songe que tout passe dans ce monde, voudrais-je surnager seul au milieu du néant ? Chers confrères, quand les eaux de l'Océan auront, pour la millième fois, recouvert la surface de l'Europe ; quand les noms de Virgile et de Racine seront perdus dans la nuit des temps et de l'oubli, je sais bien qu'on ne parlera plus du Château de Montenero ; et ce qui m'afflige plus sensiblement, c'est qu'on ne lira même plus vos feuilles périodiques.

Cessez donc, chers amis, de vous mettre l'esprit à la torture pour nous faire voguer à l'immortalité. Faites comme moi, vivez au jour le jour : et si l'on a ri de mes productions, contentez-vous de faire rire de vos articles. Si j'avais le bonheur d'être journaliste, je m'arrangerais si bien que je dînerais du produit de ma feuille, et que je souperais chez les actrices que j'aurais louées dans le jour. Ce genre de vie en vaudrait bien un autre ; et certes, alors je ne dirais de mal de personne : faites donc à autrui ce que vous voudriez qu'on vous fît à vous-mêmes. Laissez vivre ou mourir en paix mon Léon de Montenero ; et si quelqu'un avait assez mauvais goût pour s'y amuser, ne le grondez pas du plaisir qu'il aurait pris sans votre ordre. Si néanmoins mes humbles prières ne montent point jusqu'à votre trône ; s'il est décidé dans votre sacré collège, qu'on me traitera de turc à maure, ou de journaliste à auteur, tâchez au moins de vous accorder dans l'anathème que vous allez prononcer contre moi. Je suis vraiment scandalisé de voir que vous ressemblez aux autres puissances, entre lesquelles l'intelligence est rare, et l'union impossible ; et j'ai vu cent fois, avec honte, que j'étais un homme charmant dans un journal, et un sot dans un autre.

Possible est que la métempsychose ait lieu ; alors, frères très-chers, je pourrai devenir ce que vous êtes, vous pourrez être ce que je suis. Vous ferez de fiers * opéras alors, car je sens qu'ils seront tout autrement que les nôtres. Avouez donc combien il sera doux et gracieux pour vous de trouver un bon homme de journaliste comme moi, qui vous paiera le tribut d'éloges qu'auront mérité vos divines productions.

Salut et fraternité.

L'auteur de Léon.

* Style de journal.

Courrier des spectacles, n° 602 du 25 vendémiaire an 7 [16 octobre 1798], p. 2 :

[La pièce de Hoffmann et Dalayrac bénéficie d’un traitement de faveur : c’est deux pages et demie qui lui sont consacrées, dans deux numéros, l’un résumant l’intrigue, l’autre analysant cette intrigue essentiellement pour en dénoncer les invraisemblances avant de porter un jugement assez peu bienveillant sur la musique de Dalayrac. L’ensemble est très intéressant pour qui veut se faire une idée d’une intrigue de ce qu’on pourrait appeler un mélodrame (mais c’est un opéra-comique), se faire idée de ce qu’un critique du temps appelle la vraisemblance, et de ce qu’il attend de la musique au théâtre.]

Théâtre Favart

L’opéra donné hier pour la première fois à ce théâtre sous le titre de Léon ou le Château de Montenero a eu un succès assez marqué ; les auteurs ont été demandés, on a nommé les cit. Hoffmann pour les paroles, et Dalayrac pour la musique. Ce succès est-il mérité ? C’est ce dont il est impossible de convenir. Peu de remarques justifieront ce sentiment, et prouveront qu’ici ces deux auteurs sont demeurés au-dessous de leur réputation.

Le roman des Mystères d’Udolphe a fait le sujet de cette pièce, comme il avoit fait celui du drame Montoni.

Romuald et Léon sont divisés par la haine, si long-temps héréditaire qui suscita entre les Guelfes et les Gibelins ; Romuald a succombé dans un combat, et acheté une trève à la dure condition de donner sa fille Laure au féroce Léon, et Laure étoit promise au jeune Edmon qu’elle aime et dont elle est aimée. Voilà le fond d’où dérivent les incidens. Entrons dans les détails.

Romuald reçoit les hommages de ses vassaux, qui célèbrent sa fête ; ils ornent de guirlandes la cour du château, dans le fond sur une hauteur on apperçoit celui de Montenero. Laure, un moment avant l’arrivée de son père, apprend qu’il l’a destinée au féroce Léon, dont une vieille gouvernante fanatique dépeint le caractère, deux inconnus passent mystérieusement près des murs, pendant qu’elle trace ce tableau. Laure pour sauver son père a consenti à se mettre au pouvoir de Léon. Edmond lui en fait d’abord des reproches ; mais tombe à ses genoux, dès qu’il l’a [sic] voit affligée. Cependant Romuald vient annoncer à sa fille que tout est fini, c’est-à-dire que tout est rompu, plutôt que de faire le malheur de Laure, il a mieux aimé courir les risques d’une guerre à forces très inégales ; il veut avant que de voler au combat conduire Laure et Edmond à l’autel ; on se livre à la joie, les deux inconnus reparoissent, et traversent les danses avec le même silence. Un moment après, Laure et sa gouvernante, qui s’étoient un peu écartées, sont enveloppées par des traîtres et conduites hors du château de Romuald ; celui-ci et Edmond se disposent à l’arracher au ravisseur par la voie des armes.

Ces deux femmes sont enfermées dans les souterrains du château de Montenero ; elles ont pour gardiens Ferand, concierge d’une extrême sévérité, Languido, valet poltron du concierge, et une sentinelle placée en dehors d’une grille. Ferand a mis sur la table quelques provisions, et intimé la défense de lier aucun entretien avec la sentinelle ; Languido croit aux farfadets, il annonce aux prisonnières qu’il en est qui rode toutes les nuits. Il fait entendre aussi que Léon a enlevé plusieurs femmes, qui ont toutes disparu.

Léon arrive, fait l’aveu de son amour, exige du retour, éprouve des refus, de la résistance et s’exhale en menaces. A l’instant on apporte la dépouille d’un jeune guerrier qui a succombé sous les murs du château, Laure la reconnoît pour être celle d’Edmond ; elle n’admet plus de ménagement. Léon se retire enflammé de courroux, mais, ô bonheur ! on relève la sentinelle, et celle qui paroît est Edmond lui-même, qui, sous le déguisement de simple soldat, s’est introduit au service de Léon.

Léon vient renouveller ses instances, ou plutôt ses ordres, il reçoit le même accueil. Il veut user de violence, mais Laure, du milieu des hardes déposées sur une table, tire un poignard qu’une main inconnue y avoit caché ; elle va s’en frapper ; Léon crie ; Arrêtez ; une voix plus loin répète ; Arrêtez. Tu mourras, s’écrie Léon dans un autre moment ; Tu mourras, lui répète la voix. Bientôt il apprend que Romuald, est venu livrer assaut au château, et il va le combattre.

Férand arrive, apporte du vin, affecte toujours la même rudesse et le même attachement à son maître, il invite la sentinelle à boire ; il la sonde sur ses dispositions à l’égard de Léon, Edmond est sur le point de se trahir ; il a pu juger toutefois que Léon étoit abhorré ; chacun se retire. Cependant une lettre est tombée d’une fenêtre, elle conseille l’espérance ; celui qui l’écrit, recommande qu’elle soit aussi-tôt brûlée. Au moment où on se dispose à remplir son vœu, Léon arrive, saisit la lettre, et pour prouver qu’elle est illusoire, il fait amener Romuald chargé de chaînes. Celui-ci doit ou consentir à livrer sa fille, ou lui dire un éternel adieu. Romuald préfère prononcer ce fatal adieu. Léon courroucé, veut lui-même lui percer le cœur, quand tous ses vassaux révoltés, Férand, si cruel en apparence, Edmond lui-même, l'entourent, le désarment et le font précipiter dans un cachot. Il n’est plus d’obstacle à l’union de Laure et d’Edmond auxquels Férand dévoile tout ce qu’il a fait pour amener une catastrophe aussi heureuse, et expliquer ce que les évènemens précédens avoient paru avoir de mystérieux.

Le défaut d’espace nous oblige à remettre au prochain numéro les observations assez graves que nous avons à faire sur la manière dont ce sujet est traité.

Courrier des spectacles, n° 603 du 26 vendémiaire an 7 [17 octobre 1798], p. 3 :

Nous avions promis de donner aujourd’hui nos observations sur la manière dont est traité l’ouvrage représenté avant-hier à ce théâtre sous le titre de Léon, ou le Château de Montenero, mais le nombre des pièces nouvelles données hier, et l’étendue qu’exige cet article, nous obligent à le remettre à demain.

Courrier des spectacles, n° 604 du 27 vendémiaire an 7 [18 octobre 1798], p. 2-3 :

Théâtre Favart.

Il est dans la finalité du roman connu sous le titre des Mystères d'Udolphe, de n’avoir pu encore servir de fond à aucune bonne pièce. Des invraisemblances qui ne sont que supposées, et qu’un dénouement explique, n’en sont pas moins des invraisemblances, et la scène les repousse. C’est le genre ici qui fait le premier vice de la nouvelle production, comme il fait celui du roman même. C’est, en peu de mots, la Magie blanche dévoilée. Nous rendrons cependant à l’auteur la justice d'observer qu’il a su atténuer beaucoup ce que les incidens avoient de trop mystérieux.

L’exposition est confiée à une dame Venerande, gouvernante de Laure ; vieille fanatique, qui, dans toutes les circonstances heureuses ou malheureuses, compte sur les décrets de dieu, et jure continuellement par saint Marc, sainte Jérusalem, etc. Cette exposition est à-la-fois bonne, claire, précise, et même assez plaisante, au moyen du ton solemnel que la dévote ne cesse d'employer. Cet avantage seroit complet, si dame Venerande, dans le portrait qu’elle fait de Léon, ne répétoit à chaque couplet :

Mais comme il peut tout ce qu’il veut,
Et comme il veut tout ce qu’il peut,
etc.

Insignifians concetti , que le goût et le sens réprouvent. Ce rôle, assez bien caractérisé, devient toutefois ennuyeux par les exclamations pieuses dont il est rempli : celle-ci, entr’autres, nous a paru approcher du blasphème : « Le ciel est ordinairement pour la bonne cause. »

A l’exception de ce rôle et de celui de Feraud, dont nous parlerons plus bas, les autres sont ce qu’ils devoient être dans un sujet de cette nature ; c’est-à-dire toujours outrés, par conséquent peu nouveaux, et de plus fatiguans. Aussi la plupart des situations du premier acte ont-elles le double inconvénient d’être souvent brusquées, et de manquer presque toutes leur effet. Laure consent à se lirier à Léon pour éviter à son père une perte certaine ; elle a le noble orgueil de mourir victime de la piété filiale ; mais c’est le sentiment de cette belle action, et non l’éclat qu’en recueillera sa mémoire, qui doit l’occuper ; il ne falloit donc pas qu’elle appuyât sur son sacrifice , au point de jetter ses regards dans l'avenir, et de tracer d’avance en quelque sorte son épitaphe. De son côté, Edmond loin d'admirer tant de vertu ; Edmond, jeune et plein de sentimens d’honneur, accable Laure de reproches. Ce n’est plus par tendresse pour son père qu’elle se rend aux demandes impérieuses de Léon, c’est par le secret orgueil d’appartenir à un souverain riche, puissant et formidable ; enfin c’est lui, Edmond, que l’on sacrifie, parce qu’il est sans fortune ; on sent combien ces sujets d’indignation sont peu naturels, sur-tout articulés avec un ton farouche.

Laure verse des larmes, et aussi-tôt Edmond est à ses pieds ; il implore le pardon de ses soupçons injustes, nous ajouterons invraisemblables. La rapidité de ce contraste d’expressions nuit beaucoup à l’intérêt que cette scène devoit offrir. Enfin ce qui blesse encore dans ce premier acte est la manière tout-à-fait ridicule dont Laure et Vénérande sont enlevées ; la fête se donne dans le jardin du château de Romuald, les deux femmes s’écartent un peu, et elles sont tout-à-coup enveloppées par quelques affidés de Léon, qui se sont introduits, on ne sait comment. Ce mouvement est si heurté que si les femmes ne paroissoient au milieu des gardes de Léon, sur une hauteur qui domine les murs du jardin, on ne se seroit point appercu de cet escamotage.

Le second acte a plus de vérité ; il offre des situations d’un intérêt sage et soutenu. Il s’ouvre par un entretien de Férand, concierge, avec Languido, son valet, excessivement poltron ; ces deux rôles sont très-bien faits, le premier sur-tout, qui sert de pivot à tous les incidens ; par quelques demi mots lancés aux deux prisonnières, obscurs pour elles, intelligibles pour les spectateurs, il pique et alimente la curiosité de ces derniers, et prépare le dénouement auquel on paroît avoir tout sacrifié ; mais sans anticiper, relevons quelques défauts : heureusement ils appartiennent encore presque tous au sujet.

Il étoit par exemple impossible de donner la moindre vérité à un caractère qui n’a jamais pu exister que dans l’imagination du romancier ; un homme qui déclare son amour, et qui veut être aimé de gré ou de force, qui accompagne ses tendres aveux des plus épouvantables menaces, et qui présente toutes les contradictions à la fois est trop gratuitement odieux pour fixer une attention particulière ; il rentre dans la classe des accessoires indispensables pour faire ressortir les principales situations, et n’en est point le mobile.

Ce rôle est bien inférieur à celui à peu près semblable que nous avons dans Camille ; cependant il produit de l’effet au moment où Laure, pour se soustraire à la violence de Léon , veut se percer d'un poignard ; comment cette arme s’est-elle trouvée sous sa main ? C’est ce qu'explique le dénouement, mais c’est ce qui, jusques là, reste une bien étrange invraisemblance, dont l'impression désagréable n’en subsiste pas moins, jusqu’à ce que Férand, à la dernière scène, ait expliqué l'énigme. Nous ne nous arrêterons pas sur la foiblesse et le peu de nouveauté de l’incident d’une lettre lancée d’une croisée, et qui est bientôt surprise par le tyran ; nous n’appuierons pas non plus sur la réponse, comme tant d'autres, que fait Languido, lors qu’on lui demande comment est morte la dame au manteau blanc : nous nous hâterons d'arriver au dénouement, qui est très-bien amené par la scène où Férand boit et chante avec les vassaux de Léon et avec Edmond, caché sous l’armure d’un simple soldat. Cette dernière catastrophe est d’un bien grand effet, le tableau est savamment dessiné, chaque personnage y paroît dans l’attitude et avec l'expression qui lui conviennent, et l’enthousiasme qu’il cause est d’autant plus vif, que la surprise a été adroitement ménagée. Nous y avons cependant remarqué une faute,. mais une faute légère, une faute de costume ; il nous semble que Romuald ne doit point paroître ici avec les riches vêtemens qu’il avoit dans son palais, il est venu attaquer le château de Léon ; il a dû s’armer, puisqu’il a combattu, et tout, même dans son armure, (mais non pas dans un costume brillant qui n’a rien perdu de sa fraîcheur) doit offrir un certain désordre. Quant à la musique, elle offre peu de morceaux frappans. On en remarque plusieurs semblables à d'autres du même auteur dans ses précédens ouvrages ; il est quelques passages de néologie, c’est-à-dire où l’auteur a placé de ces superflues dont l’emploi ne sauroit être trop rare pour produire de l’effet. Celles-ci nous ont parues peu nécessaires où elles se trouvent. Nous dirons encore que l’ouverture, d’ailleurs un peu bruyante, n’a point assez de caractère, et que les effets d'instrumens à vent n’y sont point contrastés ou amenés avec assez d’art. Mais nous devons dire aussi que le duo du second acte, le trio dans lequel on s'invite respectueusement au silence, et en général les romances sont parfaitement composées.

Loin de nous la pensée révoltante de vouloir jamais déchirer la réputation d’hommes dont le mérite est universellement reconnu, qui ont enrichi la scène lyrique des meilleures productions, et qui doivent l’enrichir encore.

C’est un jugement impartial que nous portons ici, et non point une satyre amère que nous lançons avec envie. Cet ouvrage, nous le répétons, nous paroît ne devoir son imperfection qu'à la nature du sujet, moitié dramatique, moitié merveilleux et le goût aujourd’hui amélioré, répudie ce genre hermaphrodite.

Nous ne dirons rien du jeu des acteurs, il faudroit entrer dans de trop longs éloges ; leur nom seul en tient lieu, tous ont été constament et justement applaudis.

Les acteurs sont cités dans le numéro du 15 octobre : le citoyens Solié, Philippe, Gavaudan, Chenard, Dozainville, Aller, Fleuriot, et les citoyennes Crétu et Gonthier.

Magasin encyclopédique, ou Journal des sciences, des lettres et des arts, 4e année, 1798, tome III, p. 550 :

Le citoyen Hoffmann, déjà connu par d'heureuses productions, vient de donner, au théâtre de l'Opéra comique, un ouvrage qui a été bien accueilli, quoiqu'il ne soit pas tout-à-fait dans le genre de ce théâtre. En effet, c'est un drame mêlé de bouffonneries, de mystérieux, de trivial et de lamentable, dans le genre des pièces à grand spectacle qui abondent au boulevard.

Léon, possesseur du château de Montenero, et chef d'une horde de brigands, devient amoureux de Laure, fille de Romuald son voisin. Sur le refus de celui-ci, on fait enlever Laure, que l'on enferme dans un souterrain du château. Edmond son amant, se déguise et pénètre dans le château ; et le geôlier le secondant, ils essayent tous les moyens de délivrer Laure. Une voix inconnue et lugubre essaye en vain d'effrayer-Léon ; mais Edmond vient à bout de gagner les gardes ; il combat Léon, et triomphe.

On trouve dans cet opéra beaucoup de situations connues, l'énergie du dialogue, la beauté des costumes : la musique de Daleyrac, et sur-tout le jeu des acteurs, ont contribué à son succès.

D’après la base César, la pièce, dont l’auteur est donné comme inconnu, a été jouée 6 fois au Théâtre Italien, salle Favart, du 27 août au 28 octobre 1799. Mais le Courrier des spectacles donne comme date de première le 24 vendémiaire an 7 [15 octobre 1798].

Dans le Magasin encyclopédique, 10e année (1805), tome II, p. 158, une brève note signale que cet opéra-comique a été joué au théâtre de Vienne, « avec peu de succès ».

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