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Les Créanciers, ou le Remède à la goutte
Les Créanciers, ou le Remède à la goutte, opéra-comique en trois actes, de Vial, musique de Nicolo, 1807.
Théâtre de l’Opéra Comique.
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Titre :
Créanciers (les), ou le Remède à la goutte
Genre
opéra-comique
Nombre d'actes :
3
Vers / prose ?
en prose, avec des couplets en vers
Musique :
oui
Date de création :
1807
Théâtre :
Théâtre de l’Opéra Comique
Auteur(s) des paroles :
Vial
Compositeur(s) :
Nicolo
Journal de Paris, n° 345 du 11 décembre 1807, p. 2470 :
[L'auteur du compte rendu n'est pas pressé d'en faire une véritable critique, et il commence par parler de son succès ambigu, entre sifflets et applaudissements. Pourtant elle a été achevée, les auteurs nommés : l'essentiel est sauf, elle n'a pas chuté. Pour lui, c'est « une bouffonnerie » digne d'un roman de Pigault-Lebrun, dont elle est peut être inspirée (source suggérée ; un chapitre des Barons de Felsheim. Elle comporte aussi bien de l'esprit dans le dialogue, du piquant et d el'originalité dans les situations (ce n'est pas si mal), mais elle est aussi décousue et « de mauvais goût », ce qui justifie les sifflets. Pourtant elle est promise au succès, « tout Paris » ne voulant sans doute pas manquer une telle « bizarrerie ». Et la musique offre « des morceaux charmans », dont une ouverture étonnante, jouée aux deux extrémités du théâtre, orchestre et arrière de la salle, ce qui produit un effet d'écho. L'analyse est promise pour très bientôt. Les chanteurs vedettes de l'Opéra -Comique sont cités : ils ont eu droit à de vifs applaudissements.]
OPÉRA COMIQUE, rue Feydeau.
Les Créanciers (ou le Remède à la goutte) ont été presqu'aussi vivement sifflés qu'applaudis; ils en sont pourtant venu à leur honneur, puisqu'on les a entendus jusqu'à la fin, & que les auteurs ont été nommés. Ce sont MM. Vial (pour les paroles), & Nicolo (pour la musique). Le sujet de la pièce est une bouffonnerie digne de figurer en récit dans un des romans de M. Pigault-Lebrun, & dont un épisode des Barons de Felsheim a peut-être même suggéré l'idée. Le dialogue en est rempli d'esprit ; les situations ont du piquant & de l'originalité ; mais ce qu'on trouve charmant dans un livre, peut paroître forcé, décousu & de mauvais goût en action ; & c'est ce qui est arrivé hier à la pièce de M. Vial : pièce que l'on a dû siffler pour l'honneur de la scènes ; mais que pour son extrême bizarrerie, tout Paris voudra peut-être voir. Le 3.me acte surtout doit piquer la curiosité. Il a des morceaux charmans dans la musique ; on a particulièrement applaudi l'ouverture, dont une partie s'exécute dans l'orchestre, & l'autre derrière le théâtre, de façon à faire croire au public que celle-ci est l'écho de l'autre.
Nous donnerons l'analyse du sujet dans un de nos prochains Nos.
Martin, Elleviou & Chenard ont été vivement & justement applaudis.
Journal de Paris, n° 347; du 13 décembre1807, p. 2484-2485 :
[L'analyse promise est donnée le surlendemain. Elle commence par le rappel de l'opinion du critique : le sujet convient mieux à un chapitre de roman qu'à un opéra-comique en trois actes ». Il se lance ensuite dans une tentative de résumer une intrigue aussi confuse que classique : on y retrouve les clichés habituels de l'opéra-comique, une affaire de mariage soumise à une condition très improbable, et qui se trouve réalisée opportunément quand on ne s'y attend pas. Cette fois, une guérison miraculeuse de la goutte provoquée par l'adversaire du jeune premier, qui obtient la main de celle qu'il aime grâce à la « sottise » de son rival. La fin de l'article est consacrée à porter un jugement sur la pièce. Si elle a de l'esprit et de la gaîté, elle est quand même trop riche en « énormes invraisemblances », comme si on était dans une parodie où elles sont tolérables : ici, elles violent « les premières règles du goût & de la raison ». Le dix-neuvième siècle commençant n'est pas près pour le théâtre de l'absurde.]
SPECTACLES.
Les Créanciers, ou Remède contre la Goutte, opéra-bouffon, paroles de M. Vial, musique del signor Nicolo. (Opéra-Comique de Feydeau.)
Nous avons déjà fait connoître, en forme d'à-compte, le succès de cette bouffonnerie dont le sujet extravagant devoit plutôt fournir, selon nous, un joli chapitre de roman, qu'un opéra-comique en trois actes.
Le plus simple aperçu de la pièce justifiera notre opinion.
Le [sic] scène se passe en Hongrie. Le comte de Kemesback, vieux militaire goutteux, promet 100 mille florins au médecin qui le guérira de son mal, & refuse de payer les dettes du colonel Alvinzy, son neveu, quoique ce jeune homme, désolé, ait menacé de se brûler la cervelle. Le comte sert de père à une jeune personne, parente (Stéphanie), qu'il est sur le point de donner en mariage au baron de Cornikoff, personnage sot & ridicule, & le colonel réclame vivement pour lui-même la main de cette aimable fille, dont il possède déjà le cœur. Mais autant le neveu exprime d'amour, autant l'oncle se montre têtu ; & pour cesser d'être tourmenté par d'ennuyeuses supplications, celui-ci prend le parti d'aller s'enfermer dans un vieux cháteau-fort, avec Stéphanie & Cornikoff, dont l'union doit avoir lieu le lendemain.
Le colonel, poussé à bout, prend de son côté la résolution d'assiéger cette forteresse ; il assemble ses créanciers, les harangue, leur délivre des mousquets, &, à la tête de cette armée grotesque, se présente devant le château, qu'il met en état de blocus. Le comte de Kemesback tient bon ; un parlementaire qu'on lui députe, & qui, après lui avoir lu les propositions du chef des assiégeans, offre confidentiellement de déserter avec tous ses camarades moyennant paiement de créances, est renvoyé hors des murs avec mépris. Cependant, une sottise de Cornikoff livre la place à l'ennemi ; on vient annoncer ce malheur au comte, qui, dans un transport de fureur, se lève & marche comme s'il n'avoit jamais eu la goutte ; son neveu paroît, & voyant un si beau mouvement, réclame le prix de cette cure, dont il est réellement l'auteur. Kemesback rit de l'aventure, Alvinzy épouse Stéphanie, & les créanciers sont payés,
Il y a de l'esprit & de la gaîté dans cette caricature; mais l'auteur s'est donné si peu de peine pour en sauver les énormes invraisemblances, qu'elles frappent à chaque scène, les regards les moins exercés. On tolère les défauts de cette espèce dans une parodie, où faisant le plus souvent épigramme, ils portent avec eux leur excuse; mais il seroit trop malheureux pour l'art dramatique, & pour le théâtre Feydeau en particulier, que l'on fût déformais sûr de réussir à ce spectacle, en violant ainsi gratuitement les premières règles du goût & de la raison.
Le Conservateur: journal de littérature, des sciences et des beaux arts, volume 4 (octobre à décembre 1807) [Amsterdam, 1807], p. 255-260 :
[Un beau compte rendu dans les règles de l'art : méthodique, précis, clair, et soulignant que le critique s'est limité à l'essentiel. Il a su montrer que le pièce lui a plu, sans en nier pour autant les défauts, le plus flagrant étant l'excès d'invraisemblances. Il commence par le constat paradoxal de l'accueil plutôt froid fait à une pièce d'une telle richesse (de quoi « faire deux ou trois opéras conditionnés à l'ordinaire). Il l'explique par une intrigue trop invraisemblable, même pour un opéra bouffon, et par l'abus de « plaisanteries agréables et neuves » mêlées hélas à « d'autres qui sont usées ou de mauvais ton ». C'est que, souligne-t-il, il n'est pas facile aujourd'hui de faire du neuf avec un « caractère mis vingt fois en scène »l'éternel jeune militaire couvert de doutes et qui veut épouser la filleule de son oncle, en concurrence avec un rival imbécile : double objectif, se débarrasser de ses dettes, et obtenir l'accord de son oncle pour son mariage. L'auteur ne peut arriver à ses fins qu'en se jetant dans l'extraordinaire. Le résumé de l'intrigue s'attache donc à montrer combien elle est extraordinaire : d'abord le chantage fait à son oncle pour qu'il promette de « payer ses dettes et lui donner Stéphanie », qui semble réussir, mais qui échoue : l'oncle a signé, mais pas une acceptation des conditions du neveu, mais un refus. Dénouement insatisfaisant, la pièce doit continuer : « nouvelle intrigue ». Le neveu entreprend, avec l'aide ou la complicité des créanciers, de faire le siège du château de son oncle, parti à la campagne et interdisant à son neveu d'accéder à lui. Ce n'est bien sûr pas du tout vraisemblable, pendant deux actes, la pièce devient un récit de siège, avec négociations, ravitaillement des assiégés et ruse pour entrer dans le château en profitant de l'ouverture d'une porte pour recevoir les vivres. L'apparition du neveu fait bondir l'oncle qui en oublie sa goutte : il est guéri, et son neveu peut recevoir le prix de cette guérison, promis à qui lui ferait oublier ses souffrances. Plus de dettes, et mariage du neveu et de Stéphanie : la pièce a duré deux heures et demie, elle peut finir sur ce dénouement facile. Le jugement porté ensuite commence par l'insistance sur les qualités de la pièce, son esprit, sa gaîté, mais aussi ses défauts, un rôle inutile, des plaisanteries douteuses. Mais les applaudissements ont fini par triompher des sifflets : les auteur sont été nommés. La pièce pourra « se soutenir » si on y fait des coupures. « On doit le desirer », en particulier pour la musique, pleine de belles qualités : elle est « agréable et mélodieuse », avec des accompagnemens [...] bien travaillés », et le critique cite quelques morceaux particulièrement réussis : l'ouverture, originale, « un duo d'Elleviou et de Martin », plusieurs airs, et des « morceaux d'ensemble […] très-bien composés ». Seul bémol, l'exécution d'un air par une chanteuse à la justesse approximative. Reste à féliciter les interprètes masculins, tous remarquables à une nuance prêt (un inutile accent suisse chez un rôle secondaire). Il faut dire qu'il s'agit des vedettes du théâtre, habitués à de belles réussites. Par contre, les rôles féminins sont vite et durement jugés : ils « sont nuls » (s'agit-il bien simplement des rôles, ou aussi des interprètes ?).]
THÉATRE DE L'OPÉRA - COMIQUE.
Les Créanciers, ou le Remède à la goutte,
opéra bouffon, en trois actes, de M. Vial, musique de M. Nicolo.
Nous pourrions dire de cet opéra ce qu'un de nos confrères disait, il y a quelque tems, de l'Iphigénie de Racine, que c'est une pièce bien conditionnée où l'on n'a point épargné l'étoffe ; il n'y manque point d'événemens, ni de traits spirituels, ni de mots piquans, ni même d'intentions comiques : au contraire, les Créanciers offrent assez de toutes ces choses-là pour faire deux ou trois opéras conditionnés à l'ordinaire. Pourquoi donc le public, à qui l'on offre si souvent des pièces où tout cela manque, et qui les écoute patiemment, a-t-il accueilli celle-ci d'une manière très-impolie ? C'est que l'intrigue en est d'une invraisemblance que le titre même d'opéra bouffon ne peut excuser ; c'est qu'aux plaisanteries agréables et neuves, l'auteur en a mêlé d'autres qui sont usées ou de mauvais ton ; c'est peut-être aussi parce que la conduite de son héros, tout aimable qu'il peut paraître sous les traits d'Elleviou, n'en est pas moins du plus mauvais exemple.
La vérité est qu'un pauvre auteur est aujourd'hui fort embarrassé lorsqu'il veut développer d'une manière neuve et piquante un caractère mis vingt fois en scène, comme celui de ces jeunes militaires étourdis et brillans qu'Elleviou joue avec tant de supériorité. Ce n'est point une chose nouvelle que de leur donner des créanciers, et d'y ajouter un oncle et l'espoir d'un mariage sur lequel ils comptent pour les payer. Il est encore moins nouveau de leur supposer un rival imbécille favorisé des grands parens et détesté de la future. On a même épuisé, ou à-peu-près, tous les tours d'adresse, toutes les ruses vraisemblables dont l'aimable mauvais sujet et son valet fidèle peuvent se servir pour écarter les créanciers, mystifier le rival et obtenir de l'oncle le paiement des dettes et la signature du contrat. Lorsqu'on veut sortir du cercle connu de ce genre d'aventures, il faut se jetter dans l'extraordinaire, à ses risques et périls ; c'est ce qu'a fait M. Vial; et s'il n'a obtenu qu'un succès très-équivoque, c'est moins à son talent qu'il faut s'en prendre qu'à la difficulté du problême dont il cherchait la solution.
Le colonel Alvinzy est un jeune homme très-aimable, très-endetté et amoureux de Stéphanie, fille de son oncle, le comte de Kemmelsbach. Cet oncle est un vieux général fort riche et fort goutteux. Las de ses souffrances et de la mauvaise conduite de son neveu, il a promis au médecin qui le guérira de la goutte, les cent mille florins qui pourraient tirer le colonel d'embarras, et il veut donner sa nièce au baron de Kornikoff, homme d'un âge mûr, très-prudent et très-ridicule. Voilà une situation dramatique assez vulgaire ; mais l'intrigue dont elle est la base, ne l'est pas. Dès le premier acte, Alvinzy se sert d'un moyen tout nouveau pour forcer son oncle à payer ses dettes et à lui donner Stéphanie. Pendant que le comte donne audience aux créanciers qu'il a pris d'abord pour des médecins, le colonel force l'entrée de sa chambre, s'assied auprès d'une table, y pose des pistolets, et, la montre en main, donne huit minutes à son oncle pour signer la promesse de payer ses créanciers et de consentir à son mariage, faute de quoi il se brûlera la cervelle, sans autre délai. Les créanciers se jettent aux pieds de l'oncle, le valet-de-chambre d'Alvinzy et sa livrée en font autant ; l'oncle est vivement combattu, le tems coule, la dernière minute va finir ; le comte se décide ; il signe et remet le papier à son neveu, en lui demandant ses armes ; mais alors celui-ci lui apprend qu'elles n'étaient pas chargées ; l'oncle sort, mais non pas avec l'air d'un homme qui vient d'être joué ; et en effet, Alvinzy découvre un moment après qu'il est de son côté pris pour dupe. Le comte de Kemmelsbach n'a signé qu'un refus au lieu d'une promesse, et le colonel se retrouve aussi loin de Stéphanie et aussi près de ses créanciers qu'au commencement de la pièce.
Elle aurait pu finir là, si les mauvais sujets étaient aujourd'hui moins intéressans, si leurs rivaux n'étaient pas de droit des imbécilles. L'aimable Alvinzy avait renversé, le matin en s'amusant, la voiture de son oncle ; la scène que nous venons de décrire passe toutes les bornes de l'étourderie, et va presque jusqu'à la lâcheté ; il n'y avait donc aucun inconvénient à l'abandonner à son étoile. Mais il a raconté avec tant de grâce à ses créanciers l'aventure de la berline renversée, et le baron de Kornikoff, son rival, est un si plat personnage, qu'il faut bien venir au secours du colonel, ne fût-ce que par pitié pour Stéphanie.
Ici commence une nouvelle intrigue. L'oncle est reparti pour son château de Kemmelsbach, et il en a fait défendre l'entrée à son neveu. Il a emmené avec lui sa fille et le baron ; il veut hâter leur mariage. Alvinzy n'a pas de tems à perdre ; il doit même se presser d'autant plus que ses créanciers le menacent. Que faut-il ? Son oncle a promis cent mille florins à l'esculape qui le guérira. Alvinzy qui sait apparemment qué
Goutte bien tracassée
Est, dit-on, à demi pansée,
se met en tête d'entreprendre cette guérison. Il promet à ses créanciers de les payer avant la fin du jour, s'ils veulent jurer de le suivre et de lui obéir en tout : les créanciers jurent...... et le colonel leur fait prendre les armes pour aller assiéger le château.
Quoique l'auteur ait mis la scène en Hongrie, d'après ce principe très-juste que l'invraisemblance diminue, lorsqu'on nous la présente loin de notre pays et de nos mœurs, le public n'a pu se prêter à cette fiction un peu trop bizarre. Comment admettre que des créanciers, des usuriers se croyent liés par un serment, au point d'aller, tout en tremblant, faire une expédition militaire ? Comment supposer qu'un pareil projet se conçoive et s'exécute dans un pays civilisé et que le vieux général comte de Kemmelsbach soit assez bon pour se mettre réellement en défense et pour traiter sérieusement sa querelle, avec son neveu, comme une guerre de couronne à couronne ? C'est pourtant là ce qui arrive dans les deux actes suivans. Le colonel fait les approches du château de Kemmelsbach. Il envoie à son oncle un parlementaire avec des propositions de paix. L'oncle se renferme dans la place ; le neveu en opère le blocus et la garnison est bientôt affamée. Dans cet état de choses, le valet-de-chambre, Lafleur, faisant les fonctions de trompette, est introduit dans le château. Il renouvelle les propositions du colonel qui sont rejettées. Kornikoff a cru s'assurer les moyens d'approvisionner la place, avec l'aide d'un créancier du colonel, que la garnison a fait prisonnier et qu'il a séduit. Mais lorsqu'il ouvre la porte secrette par où les vivres doivent entrer, au lieu du munitionnaire, c'est Alvinzy qui se présente avec sa troupe pour prendre possession du chàteau. Pour le coup le Remède à la goutte opère. Le comte de Kemmelsbach qui avait déjà fait deux pas à la nouvelle de l'entreprise de son neveu, se leve en pied lorsqu'il le voit, et marche sans bras et sans béquille. C'est ce que demandait Alvinzy : vous êtes guéri, dit-il à son oncle, vous me devez cent mille florins. L'oncle aurait pu chicaner, mais la pièce avait duré deux heures et demie ; c'est autant et plus qu'il n'en faut; il s'est donc réconcilié avec son neveu, a payé ses dettes et lui a donné Stéphanie, au contentement de tout le monde, excepté de l'imbécille Kornikoff.
Tel est le fond de cette pièce, dont l'analyse exacte occuperait deux ou trois feuilletons. Parmi la foule de détails que nous sommes forcés d'omettre, il y en a de très-agréables. Nous citerons de préférence le manifeste du colonel, qui a beaucoup fait rire l'assemblée, et sa harangue à ses créanciers avant de les mener au combat. Nous le répétons encore, malgré les sifflets qui ont percé isolément dès le premier acte, et qui ont fait chorus au dernier, cet ouvrage offre beaucoup de mots heureux et de bonnes plaisanteries ; l'auteur ne peut-être qu'un homme d'esprit. Ce qui a nui à sa pièce autant peut-être que les invraisemblances que nous avons relevées, c'est le rôle ridicule d'une vieille baronne de Kornikoff, mère de l'imbécille futur, qui craint toujours d'être violée ; rôle d'ailleurs tellement inutile que Mme Gouthier elle-même n'a pu le faire tolérer. Quelques plaisanteries du futur à Stéphanie sur sa robe de chambre, ont aussi blessé les gens d'un goût délicat. Malgré toutes ces mésaventures, les amis de la pièce ont repris le dessus lorsque le rideau a été baissé, et ils sont parvenus à en faire nommer les auteurs.
Peut-être, avec des coupures, l'ouvrage pourra-t-il se soutenir. On doit le desirer, surtout pour la musique : elle est en général agréable et mélodieuse; les accompagnemens sont bien travaillés, et rappellent quelquefois ceux de l'Opéra-Buffa. L'ouverture a un caractère original ; c'est une espèce de marche moitié champêtre et moitié guerrière, où le bruit du tambour et même celui du canon se marient au son des musettes. Il y a moins de verve et de piquant dans les airs. Cependant on a justement applaudi un duo d'Elleviou et de Martin au second acte, deux airs des mêmes acteurs au premier, et celui de Martin au troisième. Les morceaux d'ensemble ont paru très-bien composés. Mme Paul-Michu était chargée d'un petit morceau dont l'intention nous a semblé très-originale, mais qu'elle n'a pas chanté aussi juste qu'on aurait pu le desirer.
On doit des éloges aux acteurs qui ont fait valoir cette pièce, Chenard dans le rôle de l'Oncle, Elleviou dans celui du Colonel, Martin dans celui du Valet. Le Sage a été très-comique dans le personnage du Baron, et Saint-Aubin dans celui du principal Créancier. Juliet a rendu fort plaisamment le rôle d'un vieux Caporal, qui, seulement, aurait pu se dispenser d'estropier le français à la suisse, puisque tous les autres personnages qui ne sont pas plus français que lui, parlent correctement notre langue. Les deux rôles de femmes sont nuls.
G.
Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 12e année, 1807, tome VI, p. 416-417 :
[La pièce n’a pas réussi, et le critique explique pourquoi : c’est l’extravagance du sujet qui a provoqué l’orage qui l’a emportée. Le sujet mélange la tentative de guérir l’oncle de sa goutte, et celle de lui faire payer les dettes de son neveu. Il n’y a pas d’oncle « assez bon » pour régler les dettes d’un neveu « jeune fou » au détriment de sa santé, et lui donner de surcroît la main de « sa jeune cousine ». Les excellents interprètes n’ont pu sauver la pièce et ses minces qualités (le défilé des créanciers, les plaisanteries d’un valet). Seule mériterait de rester la musique de Nicolo, « assez jolie », avec une « ouverture d’un genre neuf et singulier ».]
THÉÂTRE DE L’OPÉRA COMIQUE.
Les Créanciers, ou le Remède à la Goutte.
Il est assez singulier que pour guérir son oncle de la goutte, et faire payer ses dettes, un neveu vienne assiéger le château de ce bon homme, et que celui-ci soit assez bon pour payer de son bien une telle extravagance, et donner au jeune fou ce qu'il destinait au médecin, et la main de sa jeune cousine. C’est pourtant là l'idée principale de l'opéra en trois actes, qui a été rejeté avec assez de justice. Le spectacle de l'armée de créanciers, les plaisanteries du valet, le jeu de Martin et d'Elleviou, n'ont pu conjurer l'orage. La musique assez jolie de M. Nicolo, et l'ouverture d'un genre neuf et singulier, sont seules à regretter.
L’Esprit des journaux français et étrangers, année 1808, tome I (janvier 1808), p. 275-281 :
[Compte rendu plutôt favorable d’une pièce qui n’est ni sans défauts, ni sans qualités, et qui se situe dans la foule des pièces à oncles et à tuteurs. Le résumé de l’intrigue est très précis, et permet de situer la pièce dans une Allemagne de convention (un des regrets du critique, c’est justement que, bien que situe en Allemagne, la pièce soit toute française). Il est fait avec humour, en particulier lors de l’intervention de l’armée des créanciers, ou de la guérison de l’oncle, d’où découle le dénouement. Reste à juger cette pièce qui a été copieusement sifflée, et qui a en même temps fait beaucoup rire. Ceux qui ont ri ont su dépasser les conventions et le bon goût pour apprécier le caractère bouffon de l’opéra comique, tandis que les siffleurs refusaient des invraisemblance qu’on ne peut trouver que dans le roman, le théâtre exigeant plus de vérité. Soucieux de concilier les points de vue, le critique propose des améliorations possibles de la pièce : la raccourcir (conseil donné bien souvent !), transformer le personnage de l’oncle, qui est dans la pièce un vieillard respectable, en « maniaque ridicule », les moyens employés contre lui étant alors admis par le public. Il faudrait aussi choisir des personnages de moindre rang social, pour éviter le contraste entre leur dignité et leur langage : il faudrait rendre la pièce conforme aux mœurs allemandes. Bilan pour le livret : « le sujet était très-original, l’idée première vraiment bouffonne ; les détails très-spirituels et très-gais, mais la pièce pouvait être mieux faite ». La musique estr ensuite jugée de qualité, même si elle « manque un peu de verve, de vigueur et de variété ». Les interprètes ont été dans l’ensemble excellents, seule la pauvre Mlle. Michu n’étant pas « convenablement placée dans [son rôle] ». A la fin, les applaudissements l’ont emporté, et les auteurs ont été nommés.]
THÉÂTRE DE L'OPÉRA-COMIQUE.
Les Créanciers, ou le Remède à la. goutte.
L'Arlequin afficheur du Vaudeville dit à M. Cassandre dans beaucoup de pièces, nous avons des pères : l'Opéra comique pourrait dire, nous avons des pères, des oncles, des tuteurs ; c'est à qui d'entre eux se laissera duper de la meilleure foi, et Chénard qui est en possession exclusive de représenter ces sortes de personnages, constamment sacrifiés au génie d'intrigue des amans, des filles, des nièces, des pupilles, de leurs valets et de leurs soubrettes, Chénard pourrait, à cet égard, être, utilement consulté.
Dernièrement encore, il avait un rôle de cette nature ; on l'avait affublé de l'uniforme d'un vieux prince allemand, brave militaire, couvert de blessures, rongé de goutte, et ne connaissant de remède à son mal que le Tokai corroboré de rhum et de rack. Ce malheureux podagre a un neveu, colonel distingué, brillant et dissipateur, lequel est sur le point de loger à Presbourg, sous la surveillance de ses créanciers, si son oncle ne paie ses dettes, et ne lui donne en mariage sa fille Stéphanie, très-aimée, très-éprise du colonel, et très indiscrettement promise à un certain baron de Kornikoff, dont le nom malencontreux semble fait tout exprés pour le personnage.
Les créanciers du colonel Alvinzi ne le quittent plus, et son valet-de-chambre Lafleur leur donne des inquiétudes mortelles en leur disant que son maître, brave comme un Français, les paiera comme on paie à Paris. Sur ces entrefaites arrivent à Presbourg l'oncle d'Alvinzi, sa fille et le baron futur époux : le vieux général vient chercher un remède à sa goutte, Stéphanie son amant, Kornikoff le titre de mari : l'oncle cependant ne veut entendre parler de son neveu, ni de ses dettes : le hasard les réunit dans le même hôtel, et Alvinzi, disposé à obtenir par une folie le succès de ses vœux, vient faire à son oncle une sommation respectueuse assez étrange : il lui donne cinq minutes pour payer ses dettes et signer son contrat de mariage ; les cinq minutes passées, il lui demande la permission de se brûler la cervelle. Le vieux générai hésite, pense au proverbe sur l'espèce de gens qu'il ne faut jamais défier ; il dissimule, feint de signer, écrit un refus formel, désarme son neveu, reprend des chevaux et court s'enfermer dans son château.
Alvinzi, furieux d'être pris pour dupe, imagine qu'il ne se fera pardonner sa première impertinence que par une extravagance plus forte, et celle à laquelle il se détermine part
D'une Imaginative
Qui ne cède en effet à personne qui vive.
Il rassemble ses créanciers, non pour les payer, mais pour leur mettre le sac sur le dos et le fusil sur l'épaule ; Lafleur est nommé major de cette grotesque armée : elle fera le siége du château qui renferme le coffre fort de l'oncle. On s'attachera principalement à couper les vivres des assiégés ; toutes les échelles du voisinage seront mises en réquisition ; on montera aux créneaux en prenant garde de se blesser ; chaque soldat recevra un florin par jour, payé par le plus riche usurier de la troupe. Le mot d'ordre est amour et quittance.
Le journal historique de la campagne du siége, des sorties, des surprises, des captures, des pourparlers, des négociations, nous entraînerait trop loin. On sait que le colonel a des intelligences dans la place ; une ruse de guerre l'en rend maître au moment où elle allait se rendre par famine ; mais heureuse folie, siége mémorable, heureux assaut ! Au fort du danger, et voulant se porter rapidement aux endroits menacés , le podagre a ressenti une révolution soudaine, il a marché, il a couru, il est guéri ; il promettait sa fortune à son médecin, il la donne à< son neveu.
Cet opéra-bouffon a été souvent et très-vivement sifflé ; mais en revanche, il a fait rire d'un bout à l'autre : les détails du siège ont sur-tout singulièrement amusé ceux qui ne croient pas la sévérité de leur goût compromise, et la république des lettres perdue, si un opéra-bouffon a quelque chose de conforme à son titre : le dialogue en est très-piquant; il y a une foule de mots heureux ; le rôle du jeune colonel est très-agréable, celui de Lafleur très gai ; celui de l'armée est fort original, sur-tout lorsque son parlementaire demande au chef des-assiégés le paiement des mémoires, et promet de déserter en donnant quittance. Il faut pourtant rendre justice à tout le monde même à ceux qui ont sifflé : ils avaient sans doute de très-bonnes raisons; ils voulaient peut-être faire sentir à l'auteur qu'un roman de Pigault-Lebrun, les barons de Felsheim, par exemple, peuvent être très-plaisans à la lecture, et que leur imitation à la scène peut paraître moins amusante, parce que la scène exige plus de vérité, au moins plus de vraisemblance.
L'auteur aurait pu répondre que ma Tante Aurore avait, par son succès, semblé justifier ce genre de bouffonnerie ; à quoi les siffleurs auraient pu répliquer qu'ils étaient à la première représentation de ma Tante Aurore, où ils avaient aussi notablement fait leur devoir ; ce qui n'a pas empêché cet opéra d'avoir cinquante représentations. Mais si je devine bien le motif que pouvait donner avec plus d'assurance le parti contraire à la pièce nouvelle, le voici : la pièce est une mystification fort gaie, mais elle est un peu longue : abrégez-la, s'il est possible ; sur-tout que le personnage qu'elle a pour objet, ne soit pas un vieillard respectable : par son rang, son état, son caractère, mais un maniaque ridicule ; faites-en un de ces originaux toujours bastionnés dans leur donjon, et entourés de quelques valets cuirassés, qui ne rêvaient jadis que combats, et, jamais assiégés, étaient toujours en défense : en lui proposant la guerre, servez-le dans sa manie. Le public alors entendra mieux la plaisanterie ; mais il est difficile qu'il ne se refuse pas à trouver vraisemblable l’emploi de pareils moyens envers un homme qui n'est pas un fou.
On peut trouver aussi également étrange et mal-adroit que l'auteur donne à ses personnages un rang très-distingué pour leur faire jouer de pareils rôles, et qu'il n'ait pas senti combien de fois il faisait contraster leur langage avec leurs noms, et sur-tout avec les mœurs, le ton, les habitudes du pays où il les place. Hors des noms et des habits étrangers, la pièce est toute française. Son dénouement pouvait être meilleur, et le rôle du baron ridicule moins chargé. Au total, le sujet était très-original, l’idée première vraiment bouffonne ; les détails très-spirituels et très-gais, mais la pièce pouvait être mieux faite.
La musique de cet opéra est agréable ; elle est une preuve nouvelle de la facilité de son auteur, nourri à une école étrangère, et cherchant à en allier la grace et la mélodie à la raison dramatique, à l'esprit du théâtre français, problème qu'il n'est pas réservé à tout le monde de résoudre. L'ouverture offre un motif heureux et des effets assez neufs ; les airs d'Elleviou et de Martin, leur duo, les morceaux d'ensemble paraissent bien écrits, mais en général peu saillans : au total, cette composition manque un peu de verve, de vigueur et de variété : on pourrait dire qu’elle se laisse entendre, mais qu'elle ne se fera probablement pas retenir. Elle est exécutée avec un soin particulier; Martin et Elleviou y sont en présence, et se livrent un de ces assauts dont le public aime tant à se trouver le juge. Mlle. Michu n'est pas convenablement placée dans le rôle de Stéphanie; Mme. Gonthier est comique dans le sien comme dans tous ceux qui lui sont confiés ; quelques choristes chargés ici de rôles secondaires s'en acquittent très passablement.
Après la représentation, les applaudissemens ont repris un avantage assez marqué pour que Chénard vînt nommer le« auteurs : celui des paroles est M. Vial, auquel on doit une très-jolie petite pièce, au Théâtre de l'Impératrice, le Premier Venu et à l'Opèra-Comique Aline, reine de Golconde. Le compositeur est M. Nicolo. S....
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