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Élisabeth du Tyrol ou les Hermites muets

Élisabeth du Tyrol ou les Hermites muets, pièce en trois actes, de Hapdé, 5 vendémiaire an 13 [27 septembre 1804].

Théâtre de la rue de Bondy [Théâtre des Jeunes Artistes].

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, se vend au Théâtre (seconde édition), an 13 – 1804 :

Élisabeth du Tyrol ou les Hermites muets, pièce en trois actes, à grand spectacle, Mêlée de Pantomimes, de Chants et de Danses ; avec Combats, Évolutions, Explosion, Incendie et Démolition, Décors et Costumes nouveaux ; Paroles et Mise en scène de M. Hapdé, Musique arrangée par M. ***. Représentée, pour la première fois, sur le théâtre de la rue de Bondy, le 5 vendémiaire an 13.

Courrier des spectacles, n° 2770 du 6 vendémiaire an 13 [28 septembre 1804], p 2 :

On a donné hier au Théâtre des Jeunes Artistes la première représentation d'Elisabeth du Tyrol, ou les Hermites muets; cette pièce a obtenu beaucoup de succès ; c’est un mélodrame où les situations sont amenées et accumulées selon la coutume, c’est-à-dire tant bien que mal ; mais enfin on y a tour-à-tour frémi, espéré, ri, pleuré; et un auteur de mélodrame a gagné sa cause lorsqu’il a sçu produire ces différens effets. Celui de la pièce nouvelle est M. Hapdé ; il a été demande et amené sur le théâtre. Demain, nous reviendrons sur cette représentation

Courrier des spectacles, n° 2770 du 6 vendémiaire an 13 [28 septembre 1804], p. 2-3 :

[De ce très long compte rendu, on retient d'abord le premier tiers, consacré à déplorer l'évolution des théâtres. C'est désormais le mélodrame qui est « le spectacle en faveur », au détriment de la tragédie et de l'opéra : les théâtres dédiés à ces deux genres sont menacés par le mélodrame, et le critique voit venir le temps où « nous serons dignes du théâtre des Anglais et des Allemands », où nous verrons avec délice « les têtes de mort et les fosses des cimetières ». Il a d'abord énuméré tout ce qui fait le fond de ces théâtres faits de violences. La suite de l'article est consacré à la pièce nouvelle, dont il détaille soigneusement l'intrigue, fort compliquée et riche de tous les clichés du mélodrame, sans porter de jugement : l'enfant caché échappe à la mort, mais pas le tyran... Trois rapides paragraphes donnent enfin l'opinion du critique : cette pièce, comme tous les mélodrames, est pleine de bruits guerriers et de fumée ; elle est mal écrite, imitant dans un style négligé d'autres mélodrames ; et elle est mal interprétée, les interprètes ne sachant pas leur rôle et étant des escrimeurs plus que des acteurs.]

Théâtre des Jeunes Artistes.

Elisabeth du Tyrol, ou les Hermites muets.

Il ne faut plus juger les théâtres des Boulevards comme autrefois. On alloit auparavant n'y chercher que des tours-de-force, des pasquinades, des farces, qui amusoient cette sorte de spectateurs qu’Horace a désignés sous le nom de fricti ciceris, et nucis eruptores, c’est-à-dire d’avaleurs de pois-chiches et de casseurs de noix. Aujourd’hui les choses sont changées. Le mélodrame a opéré une révolution complette ; les grugeurs de noix et de pois-chiches vont se percher aux ceintres et dans les secondes galeries du Théâtre Français ; les chevaliers et l’élite de la société se réunissent aux Boulevards. Un mélodrame de M. Guilbert-Pixérécourt attire plus de monde que les tragédies de M. Carrion, ou les opéra de M. Mandouze. Le mélodrame est devenu le spectacle en faveur.

On court après les combats, les assauts, les prisons de ville, les incendies, et tout le bruit et l’attirail de la guerre. Les coulisses se sont changées en bastions et en forteresses ; Arlequin, Gilles, et Pierrot sont devenus des généraux d’armées qui renversent des empires, poursuivent les tyrans, changent la face des états. La scène est une espèce de champ de bataille où l’on peut apprendre la tactique et toutes les évolutions militaires. Nos petites-maîtresses, que l’odeur d’une tubéreuse fait évanouir, supportent avec une admirable intrépidité les vapeurs du souffre et les nuages épais de fumée qui se répandent dans la salle et 1'obscurcissent. Des ruines, des morts, des mourans, des blessés sont devenus des objets délicieux pour nos sens délicats. Dans quelque tems nous serons dignes du théâtre des Anglais et des Allemands ; les têtes de mort et les fosses des cimetières seront des images délicieuses.

On doit remarquer que ce goût dépravé ne s’est introduit que depuis très-peu de tems. C’est parce que le Théâtre Français et l’Opéra n’ont pas sçu nous amuser, que nous avons été chercher de la variété aux Boulevards. L’Opéra a senti le premier ses torts, et les a glorieusement réparés ; le Théâtre Français ne paroît point encore songer sérieusement à s’amender, mais les exhortations de son caissier et ses besoins opéreront nécessairement sa conversion, et alors les mélodrames pourront bien avoir le sort de ces mets vulgaires que l’on sert sur la table des grands dans les tems de disette, et que l’on renvoye à la cuisine quand l’abondance est de retour.

Elisabeth du Tyrol a tout ce qu’il convient pour obtenir un grand succès ; c'est une princesse inconnue, qui s’est mariée en secret, qui a eu un enfant, qu’un tyran veut enlever à son amant, mais qui triomphe enfin de son persécuteur.

Voici plus en détail le sujet de cette pièce : Un comte Tyrolien, nommé Rodolphe, a assiégé et emporté d’assaut le château de Wasberg, situé dans son voisinage. Le vieux Baron, propriétaire du château, a été mis à mort ; ses héritiers ont disparus [sic], et Rodolphe est persuadé qu’ils n’existent plus. Soyez vainqueurs et vous ne manquerez ni de courtisans ni de maîtresses. La main de Rodolphe a été recherchée par plusieurs princesses  ; mais le cœur du tyran ne ressent de tendresse que pour une jeune orpheline qu’il fait élever dans son château, et dont il ignore la naissance. Malheureusement Elisabeth refuse de répondre à ses vœux ; car, sans consulter son seigneur, elle a épousé clandestinement un orphelin nommé Fritz, que son talent a élevé au grade de sous-lieutenant dans le régiment de Rodolphe. Elle a fait plus, elle a donné le jour à un enfant qu’elle fait élever en secret. Rodolphe qui soupçonne son penchant pour Fritz, donne à ce dernier l’ordre de sortir de ses états.

Fritz persuadé qu’il vaut mieux obéir à l’Amour qu’aux tyrans, se cache adroitement, et profite d’une fête pour s’introduire dans le château avec des paysans. Rodolphe étoit absent ; on donne des fêtes à Elisabeth ; et afin que rien ne manque à sa satisfaction, on apporte son enfant dans une corbeille. Tout se passoit à merveilles, lorsque Rodolphe arrive tout à-coup. On n’a que le tems de cacher l’enfant dans des touffes de fleurs, et Fritz dans un coin du jardin. Rodolphe renouvelle à Elisabeth l’expression de ses feux et de son dévouement, et la presse d’accepter sa main. En ce moment un domestique, espèce de niais, en se pro menant dans le jardin, découvre la corbeille et le joli nourrisson qu’il apporte à Rodolphe. Le nouvel Hérode entre dans une colère horrible, et veut qu’on tue le petit garçon ; Elisabeth se jette à ses pieds et défend son enfant ; D’un autre côté, Fritz sort de sa cachette et se présente au tyran avec deux pistolets dans les mains. Rodolphe frissonne de peur, et Fritz, en homme qui sait profiter de l’occasion, le force d’entrer, avec son valet et son concierge, dans la tour du château où il les enferme à clef. Il s’esquive ensuite lui-même avec Elisabeth et le petit Fritz. Mais Rodolphe fait sonner le tocsin du beffroi ; ses gardes accourent et le délivrent. On court après Fritz, on l’atteint sur le sommet d’une montagne, et on le remet entre les mains du vainqueur. Alors on découvre le secret de sa naissance ; car Fritz n’est autre chose que le (ils du Comte de Walberg. Rodolphe qui sent de quelle importance est un prisonnier de ce genre l’envoie dans une maison d’Herrnites que l’on croit muets, mais qui parlent très bien. Il veut en même tems profiter de ses avantages, et ne pas achever la journée sans épouser Elisabeth ; et pour rendre la cérémonie plus intéressante, c’est dans la maison des Hermites qu’il veut que son mariage soit célébré. Ceux-ci paroissent se soumettre aux ordres de leur seigneur ; mais au moment où Rodolphe s’y attend le moins, ils sortent de leurs cellules armés de pied-en-cap. Une femme marche à leur tête et l'épée à la main. Ce singulier bataillon en impose à Rodolphe. L’Amazone lui déclare qu’Elisabeth est sa fille ; Rodolphe veut faire le mécréant, et ordonne à ses gardes de saisir Elisabeth et de tuer son enfant ; mais Frilz qu’on a délivré de ses fers s’élance du souterrain où il avoit été enfermé, et en gage avec Rodolphe un combat particulier qui se termine par la mort du tyran.

Cette multitude de faits, cet amas d’incidens, de scènes extraordinaires, ces périls, ces combats sont l'ame du mélodrame. Les décharges d’armes à feu font un grand effet ; les coups de sabre tiennent l’œil en action, et la toux que la fumée occasionne parmi les spectateurs a aussi son mérite.

Elisabeth du Tyrol est un ouvrage conçu, écrit, et appris à la hâte. L’auteur a emprunté quelques situations à Damoiselle et Bergerette, où un amant arrête aussi son ennemi le pistolet à la main ; il a imité 1'Hermite de Savernes dans la scène où Rodolphe, pour se faire aimer d’Elisabeth , la manace [sic] de lui faire tuer son enfant. Le style est négligé.

Les rôles ont été foiblement rendus ; les acteurs ont paru manquer quelquefois de chaleur et de mémoire ; mais ils ont couvert ces défauts par une grande dextérité ; il est difficile de porter et d’esquiver des coups de sabre avec plus de prestesse et d’agilité ; ces acteurs sont de fort bons maîtres en fait d’armes.

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