Euphrosine ou le Tyran corrigé, comédie nouvelle en cinq, puis trois actes, mêlée d'ariettes, d'Hoffman, musique de Mehul, 4 septembre 1790.
Théâtre Italien.
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Titre :
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Euphrosine ou le Tyran corrigé
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Genre
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comédie
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Nombre d'actes :
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5, puis 3
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Vers / prose ?
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en vers
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Musique :
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oui
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Date de création :
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4 septembre 1790
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Théâtre :
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Théâtre Italien
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Auteur(s) des paroles :
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Hoffman
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Compositeur(s) :
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Méhul
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Sur la page de titre de la brochure, à Paris, aux adresses ordinaires, 1791 :
Euphrosine, ou le Tyran corrigé, comédie en trois actes et en vers, Représentée pour la première fois à Paris, par les Comédiens Italiens ordinaires du roi, le samedi 4 septembre 1790. Paroles de M. F. Hoffman. Musique de M. E. Méhul.
Dans la liste des personnages comme dans les didascalies, Conradin (forme habituelle de son nom) est appelé Coradin.
L’Esprit des journaux français et étrangers, 1790, tome X (octobre 1790), p. 317-321 :
[Compte rendu méticuleux d’une création qui a réussi, après un accueil mitigé à la première représentation, entre applaudissements et murmures. Après avoir signalé la source romanesque à laquelle Hoffman a puisé, le critique résume l’intrigue compliquée de la pièce. Comme souvent, c’est la longueur de l'œuvre qui est mise en avant : il faut élaguer, ce qui a été fait dès la deuxième représentation, où la pièce reparaît en quatre actes (la version imprimée est en trois actes) et où elle triomphe. Comme souvent, c’est la musique qui a droit aux plus beaux compliments.]
THÉATRE ITALIEN.
On a donné, le samedi 4 septembre la premiere représentation d'Euphrosine ou le Tyran corrigé, comédie nouvelle en cinq actes, mêlée d'ariettes : paroles de M. Hoffman, musique de M. Mehul.
La marche, l'intrigue, le caractere, le nom des personnages, le lieu de la scene & le dénouement de cette comédie, sont pris, ainsi que l'auteur en convient lui-même, du conte de Conradin, qui se trouve dans le volume de la bibliotheque des romans du mois de juillet 1780.
L'orgueilleux Conradin, fils naturel de Robert, comte de Provence, à qui un comte de Sabran, parti depuis 10 ans pour une croisade, a vendu toutes ses terres, à la charge de doter ses trois filles, y mene une vie sauvage, & gouverne ses vassaux avec une dureté qui n'a point d'exemple.
Le caractere atroce de ce tyran, loin d'effrayer la plus jeune des filles, nommée Euphrosine, lui fait naître le désir de l'apprivoiser, & même de lui inspirer de l’amour. C’est en vain qu'Alibour, médecin de Conradin, cherche à la détourner de ce projet : elle y persiste, malgré toutes les difficultés qu'on lui oppose. Pour y réussir, elle s'avise , dès sa premiere entrevue avec Conradin, de le traiter fort lestement, de lui reprocher ses hauteurs, & de lui demander la grâce d'un jeune chevalier qu'il retient prisonnier. Conradin, outré de ce qu'on ose lui parler avec cette familiarité, chasse Euphrosine de sa présence ; mais l'image de cette jeune personne le poursuit sans cesse.
Forcé de quitter son château, pour repousser des ennemis qui viennent l'y assiéger, honteux, désespéré d'aimer, il avoue avec emportement sa passion à celle qui en est l'objet. Euphrosine alors, sûre de sa victoire, l'oblige de déposer les armes dont il est couvert , & de tomber à ses pieds : elle le soumet au point qu'il est prêt à rompre les fers du jeune chevalier, lorsque l'arrivée d'une comtesse met le trouble dans le château. Cette femme , qui prétend à la main de Conradin, & qui est d'un naturel vindicatif, accuse Euphrosine d'aimer en secret le prisonnier, &, après avoir fait évader celui-ci, écrit au tyran, que c'est elle qui lui a rendu la liberté.
Conradin furieux, commande aussi-tôt à Alibour, de donner un poison lent à celle qui l'a si indignement trahi. Ce bon médecin, sûr de l'innocence d'Euphrosine, lui fait part de cet ordre, & la prévient qu'il va feindre de l'exécuter, en lui faisant prendre, en présence de la comtesse, un breuvage qui ne contiendra rien de nuisible. L'amour ramene bientôt Conradin : il révoque l'arrêt qu'il a dicté ; mais Alibour, pour le corriger, lui dit qu'il a été obéi.
Désespoir de Conradin, qui, persuadé qu'aucun recours humain ne peut plus sauver l'objet de sa passion, court invoquer un hermite dont le peuple vante les miracles. Ce pieux solitaire n'a pas plutôt entendu nommer Euphrosine, qu'il demande à la voir. Elle arrive avec ses sœurs, qui reconnoissent en lui le comte de Sabran, leur pere, que les suites malheureuses de sa croisade & la perte de sa fortune, ont contraint de se cacher dans un désert.
Ce pere, arrivé au terme de ses maux, est au comble de la joie de retrouver ses-enfans, & les ramene à Conradin, au moment où il jure de ne pas survivre à Euphrosine, qui, certaine alors que l'amour a changé son caractere, lui avoue l'heureux artifice d'Alibour, & lui accorde sa main.
Cette piece a excité alternativement, des applaudissemens & des murmures Les deux premiers actes ont généralement fait plaisir ; mais les trois derniers ont été trouvés longs & froids. Le quatrieme sur-tout, n'a paru être qu'un épisode qu'on pourroit facilement retrancher , sans nuire à la marche de l'action. La situation, trop prolongée, pendant laquelle Euphrosine passe pour être empoisonnée, n'a produit aucun effet : peut-être les spectateurs s'intéresseroient-ils davantage au sort de cette jeune personne, s'ils étoient trompés comme Conradin, sur le breuvage qu'on lui fait prendre. C'eut une question que nous laissons à décider à l'auteur, qui, au surplus a donné une nouvelle preuve de son talent dans cette comédie, dont la longueur seule offroit une difficulté de plus à vaincre. Il y a tout lieu de présumer que, s'il a le courage d'y faire des retranchemens considérables , les vers. heureux qui s'y trouvent & les situations piquantes qu'il y a ménagées, lui mériteront alors un succès
complet.
La musique, composée par M. Mehul, a souvent excité le plus vif enthousiasme : elle offre, d'un bout à l'autre, les plus grandes beautés. Entre une foule de morceaux d'un mérite transcendant, on doit principalement distinguer le superbe duo du second acte, qui, par son effet & par l'expression déchirante qui y regne, est digne des plus grands maîtres. Il faut que ce morceau soit réellement supérieur ; il étoit annoncé comme tel, & n'en a pas moins produit d'effet. Il est difficile de s'annoncer d'une maniere plus heureuse ; & cette production doit faire désirer aux amateurs, qu'on les fasse jouir bientôt d'un opéra que ce jeune compositeur a fait répéter, il y a quelques années, à l'académie royale de musique. Mais nous l'engagerons, (car il n'est pas François) à observer plus scrupuleuſement la prosodie de notre langue, à ménager plus souvent les superbes effets de ses basses, & à fréquenter beaucoup la scene françoise, pour y puiser une connoissance plus parfaite du théatre.
Le soin avec lequel les acteurs ont exécuté cette nouveauté de longue haleine est une preuve signalée de leur zele, & du désir qu'ils ont de varier les plaisirs du public, Le rôle d'Euphrosine a été très-bien rendu par madame St. Aubin , ainsi que celui de la comtesse par madame Desforges. Il en a été de même des personnages de Conradin & d'Alibour, que repréſentent MM. Philippe & Solier.
Depuis la premiere réprésentation d'Euphrosine, M. Hoffman ayant eu le courage de faire à sa comédie des retranchemens très-considérables, en la réduisant à quatre actes, elle a obtenu, ainsi que nous l'avions prévu, un succès complet. Les spectateurs, qui ne se sont plus trouvés refroidis, comme le premier jour, par des longueurs nuisibles à la rapidité de l'action, ont encore mieux goûté les beautés transcendantes de la musique. Nous croyons pouvoir assurer qu'étant pleine de grands effets, & d'un style extrêmement varié, plus elle sera entendue, & plus elle fera honneur à M. Mehul.
Mercure de France, tome CXXXIX, n° 48 du samedi 27 novembre 1790, p. 146-149 :
[L’article du Mercure est destiné à rattraper le retard provoqué par l'interruption de la rubrique des spectacles, et après avoir fait le compte rendu des Rigueurs du cloître, il s’agit de parler d’une pièce « à grande prétention » qui nécessite un traitement plus détaillé. Inspiré d’un roman, le sujet a déjà servi à plusieurs auteurs. L’analyse de l’intrigue est faite ensuite « en peu de mots », dit le critique, qui ne néglige pourtant aucun détail (l’intrigue nous paraît aujourd’hui aussi confuse qu’invraisemblable). Un tel sujet revêt plusieurs aspects (plusieurs actions ?), et le critique reproche à l’auteur de n’avoir pas choisi entre ces divers « rapports », et il a bien fallu alléger la fin de la pièce, passant de cinq à trois actes. Et il a eu bien du mérite de tirer un parti clair de cet ensemble confus d’événements. Sa pièce est pleine de finesse et d’esprit, et elle est écrite bien mieux que celles qu’on joue habituellement à ce théâtre. Quant à la musique, elle marque le début d’un jeune compositeur prometteur (Méhul...), et il a droit lui aussi à des compliments (harmonie maîtrisée, sens du drame) auxquels se mêlent bien vite des reproches : trop de perfection qui finit par lasser le spectateur, des réminiscences, un emploi insuffisant des ressources du rythme.
La seconde Nouveauté est une Pièce à grande prétention, & qui mérite un examen plus détaillé. Elle est intitulée Euphrosine ou le Tyran corrigé. Ce sujet, qui se trouve dans la Bibliothèque des Romans, a paru à plusieurs Auteurs propre à être mis au Théatre. Le voici en peu de mots.
Conradin, bâtard d'un Comte de Provence, est un Tyran féroce, enivré d'orgueil. Elzear, Cemte de Sabran, en partant pour une Croisade, lui vend ses terres, à la charge de pourvoir ses filles. Euphrosine, l'aînée, se met en tête de l'épouser. Elle emploie toute l'adresse de la coquetterie pour apprivoiser ce caractère farouche ; elle y réussit, & parvient à voir tomber l'orgueilleux Conradin à ses genoux. Il part pour la guerre. Sur ces entrefaites, une Vicomtesse de Martigues, jalouse du triomphe d'Euphrosine, forme le noir projet de le troubler. Abusant de la facilité de son caractère, & de l'indulgence avec laquelle elle traite un jeune prisonnier de Conrad,n, cette Mégère suppose un complot d'infidélité. Le Tyran furieux ordonne à son Médecin Alibour, de préparer pour Euphrosine un poison lent, mais sûr, qui ne la laisse vivre que jusqu'à son retour. L'honnête Docteur ne lui donne qu'un innocent breuvage, mais l'engage à feindre des douleurs & des convulsions. Conradin revient plus amoureux, est désabusé, & devient la proie du remords. Pour rappeler Euphrosine à la vie, il s'adresse à un pieux Hermite, nouvellement établi dans les environs. Cet Hermite est Elzear lui-même, le père d'Euphrosine & de ses sœurs. On juge de sa situation lorsque Conradin lui confesse qu'il a empoisonné sa fille. Il apprend bientôt la supercherie, & au moyen d'un miracle facile à supposer, Conradin obtient le prix de ses regrets & de son amour.
Ce sujet se présentoit sous plusieurs aspects ; le manége qu'emploie Euphrosine pour soumettre un orgueil barbare ; le développement de la jalousie dans le cœur de Conradin, qui le conduit à empoisonner celle qui l'aime ; & la situation touchante d'un Souverain devenu Hermite, qui ne revient dans ses Etats que pour voir sa fille prête à périr victime des fureurs de celui à qui il l'avoit confiée. Le seul tort peut être de M. Hoffman, Auteur de la Pièce, est d'avoir voulu embrasser tous ces rapports. Ce dénouement terrible n'ayant pu être préparé par la gaîté du commencemcnt, a perdu tout son effet : aussi a-t-il fallu le sacrifier par la suite, & de cinq grands actes, réduire la Pièce en trois. Il faut avoir lu le Roman,conté avec assez de grace, mais tissu sans adresse, pour juger de tout le mérite avec lequel M. Hoffman en a tiré parti. Le caractère de Conradin & celui de la Comtesse sont tracés avec beaucoup d'énergie. Les détails de la victoire d’Euphrosine sur le cœur d'un Tyran farouche, quoiqu'un peu trop ressemblans aux scènes de Roxelane, sont remplis de finesse, d'esprit & de traits piquans. Le style, en général, est infiniment supérieur à celui de la plupart des Pièces de ce Théatre, & nous croyons que si le plan avoit été conçu du premier jet, comme il pouvoit l'être, il y auroit peu d'Ouvrages à opposer à celui-là.
La musique mérite aussi une attention particulière, c'est le début du Compositeur (M. Méhul,) dans la carrière Dramatique , & il y montre déjà de très-grands talens. Il possède parfaitement l'harmonie, il en connoît tous les effets, il en raisonne très-bien l'emploi. Pénétré des situations du Drame, il sait leur donner le caractère qui leur convient. On ne peut lui reprocher que trop de soin dans ses détails, une prétention trop continue ; sa marche, toujours savante, est souvent laborieuse. Elle a cette perfection qui fatigue, & manque de cet abandon nécessaire qui repose l'attention. Nous passerons sur quelques réminiscences très-pardonnables à un jeune Compositeur, dont la tête est encore remplie du fruit de ses études. Mais-nous l'inviterons à s'attacher davantage à l'emploi du rhythme, partie presque inconnue aux Compositeurs Frai:çois, & d'où naît cependant le plus grand charme de la mélodie. On trouve d'ailleurs dans sa musique, beaucoup de chaleur & de verve. On cite sur-tout un duo de jalousie, dont l’effet est prodigieux. En rendant à ce morceau la justice qu'il mérite, nous croyons qu'il en est d'autres dans cette Pièce qui, sans produire une situation aussi vive, n'en décèlent pas moins un talent très-précieux.
D’après la base César, la pièce de Hoffman, musique de Méhul, qui comporterait 3 actes, a été jouée 62 fois au Théâtre Italien, du 4 septembre 1790 au 20 juillet 1793 (23 fois en 1790, 21 fois en 1791, 11 fois en 1792, 7 fois en 1793). S’y ajoutent une représentation à Caen en mars 1792 et trois représentations à Bruxelles en octobre 1792.
De plus, la base César propose une autre pièce pour Euphrosine, Euphrosine et Conradin, des mêmes auteurs, également en 3 actes, et jouée 58 fois au même Théâtre Italien, du 20 août 1795 au 18 septembre 1799 (11 fois en 1795, 17 fois en 1796, 6 fois en 1797, 18 fois en 1798, 6 fois en 1799) : s’agit-il bien d’une autre pièce ?
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