L'Enfant venu par la fenêtre

L'Enfant venu par la fenêtre, mélodrame comique en trois actes et en prose, de Caigniez, 3 novembre 1814.

Théâtre de l'Ambigu Comique.

Pas d'indication du compositeur ni du chorégraphe. Il a dû pourtant y en avoir un.

Sur la page de titre de la brochure, seconde édition, à Paris, chez Barba, 1814 :

L'Enfant venu par la fenêtre, mélodrame comique en trois actes et en prose, de Caigniez, créé sur le Théâtre de l'Ambigu Comique le 3 novembre 1814.

Avant la liste des personnages, l'auteur indique la source de sa pièce :

J'ai puisé l'idée de cet ouvrage dans les premières pages d'un Roman d'Auguste Lafontaine, dont nous avons, je crois, deux traductions, l'une, sous le titre de Théodore, ou l'Enfant trouvé; l'autre, sous celui du Village de Lobenstein.

Une note p. 3 précise :

On trouvera à la fin de la pièce les changemens à faire pour jouer ce premier acte sans Ballet. On a marqué dans ce premier acte, par les signes (a) (b) (c), etc., les endroits à changer,

Journal des arts, des sciences, et de littérature, Volume 19, n° 327 (cinquième année) du 25 octobre 1814, p. 118 :

[L'annonce de l'Enfant venu par la fenêtre est faite sous le signe de la rivalité entre Pixerécourt, le Corneille du boulevard et Caigniez, son Racine, mais qui pourrait bien vouloir en être le Molière, puisque sa pièce est comique.]

Samedi 22 Octobre.

[...]

– C'est mercredi prochain que Charles le téméraire, ou le siège de Nancy, sera joué au théâtre de la Gaîté.

  • On croit que l'Enfant venu par la fenêtre sera représenté à l'Ambigu vers la fin de la semaine prochaine, et les amateurs se font d'avance un plaisir de mettre en parallèle Corneille et le Racine du boulevard. On assure néanmoins que ce dernier a voulu cette fois en être le Molière ; car son Enfant est un mélodrame comique.

Journal des arts, des sciences, et de littérature, Volume 19, n° 329 (cinquième année) du 5 novembre 1814, p. 168 :

[Daté du lendemain de la première, le constat de l'échec de la pièce de Caigniez, pourtant habitué à un meilleur sort.]

Vendredi 4 Novembre.

[…]

L'Enfant venu par la Fenêtre, a eu beaucoup de peine à s'établir à l'Ambigu-Comique ; peu s'en est fallu que ce ne fût un enfant mort-né. Moins bien accueilli que le premier acte, qui offre des détails agréables, le second a cependant réussi  ; mais le troisième a plusieurs fois été interrompu par les sifflets. Les autres enfans de M. Caignez ont eu une meilleure chance que celui-ci, qui est moins une comédie qu'un mélodrame. Nous reviendrons aussi sur cet ouvrage.

Journal des arts, des sciences, et de littérature, Volume 19, n° 332 (cinquième année) du 20 novembre 1814, p. 227-228 :

[En guise de compte rendu, une lettre faussement naïve d'un lecteur anonyme dont on peut penser qu'elle est un article déguisé écrit par un rédacteur du journal, et qui prend la défense de la pièce en insistant sur le fait que la pièce fait rire (l'auteur supposé de la lettre comme l'ensemble du public), et que la rumeur hostile qui la concerne est l'effet d'une cabale, ceux qui jugent la pièce détestable la condamnant sans l'avoir vue.

Les Panoramas, le Cosmorama, la Fantasmagorie sont des salles de spectacle populaires. Les puces travailleuses appartiennent à un genre de spectacle prisé à l'époque faisant appel à des animaux. Le rapprochement de ces spectacles avec la pièce de Pixerécourt a bien sûr une portée ironique.]

CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE

A M. LE RÉDACTEUR DU JOURNAL DES ARTS (1).

Paris, 17 novembre 1814.          

Permettez, Monsieur le Rédacteur, qu’un provincial fraichement débarqué, vous fasse part de ses petites observations. Vous pensez bien que mon premier soin, en arrivant à Paris, a été de visiter toutes les curiosités dont cette capitale abonde : j'ai vu les Panoramas, le Cosmorama, la Fantasmagorie, le Siége de Nanci et les Puces travailleuses. J'ai ouvert de grands yeux, et j'ai trouvé tout cela superbe ; ensuite, j'ai parcouru les spectacles ; mais ce qui m'a étonné, ça été de voir des pièces en réputation ne pas m'amuser du tout, et de m'être amusé beaucoup à d'autres pièces dont on m'avait dit du mal.

Ces jours derniers je lis sur l'affiche de l'Ambigu-Comique, l'Enfant venu par la fenêtre. Titre original, me suis-je écrié  ; j'irai voir cela. – N'en faites-rien, me dit quelqu'un qui avait entendu mon exclamation, c'est une pièce détestable ; elle n'a pas le sens commun, elle a été sifflée à ne pas permettre de l'entendre, le jour de la première représentation, et elle le méritait bien. – Bah ! l'avez-vous vue ? Non; mais mon journal en a rendu compte ; c'est détestable. Là-dessus mon homme s'est éloigné. Comme j'avais déjà été attrappé, je me suis dit : n'importe, allons voir l'Enfant venu par la fenêtre. J'entre à l'Ambigu, je me place comme je peux au parterre ; j'entends, avant le lever du rideau, des voisins qui me crient aux oreilles : c'est mauvais, c'est détestable. L'avez-vous vue, Messieurs ? – Non; mais tout le monde le dit. La pièce commence, et dès la première scène, je ne peux m'empêcher de rire de bon cœur. Plus l'action se développe, plus je ris. Je trouve fort original que cet enfant vienne ainsi par la fenêtre, chez un homme qui ne peut pas souffrir les enfans ; je trouve très-piquant que la sœur de cet homme, personne sage et honnête , soit accusée d'en être la mère ; que l'arrivée de cet enfant, enfin, devienne la cause d'un mariage qui n'aurait peut-être jamais eu lieu sans cela, entre deux personnes qui se croyaient haïes l'une de l'autre, et qui s'aimaient réciproquement, à leur insçu. Trouvant à chaque scène des occasions de rire plus fort, je me dis : « Je suis donc un sot d'éprouver cette émotion à la représentation d'une pièce que l'on dit détestable ! » Alors je jette les yeux autour de moi, et je m'aperçois que dans le paradis, les amphithéâtres, les loges et le parterre, tout le monde partage ma gaité, et dans toute la salle je ne vois que des gens qui s'abandonnent au rire le plus immodéré.

Je vous avoue, M. le Rédacteur, que je ne sais comment expliquer cet effet-là. Je me souviens bien que mon professeur me disait que la comédie avait pour but de faire rire. D'après cela je croyais bonnement qu'un auteur qui atteignait ce but, faisait bien, et qu'on ne devait en vouloir qu'à celui qui ne l'atteignait pas. Apparemment qu'on s'est formé depuis d'autres idées ; et en effet, j'ai vu plusieurs comédies qu'on dit excellentes et qui ne m'ont pas fait rire, tandis que celle qu'on m'avait dit détestable, est justement celle qui m'a fait rire de meilleur cœur.

J'ai eu depuis la curiosité de lire les journaux qui en ont rendu compte, et ce qui m'a étonné aussi, c'est qu'aucun d'eux, même de ceux qui en ont dit du bien, n'a songé à dire qu'on y rit beaucoup. C'est cependant un fait dont j'ai été témoin oculaire et auriculaire ; mais je soupçonne une petite malice à cette omission, qui m'a paru convenue. Si l'on avait dit la vérité à cet égard, bien des gens qui n'ont pas encore perdu l'habitude de rire de ce qui est risible, auraient peut-être eu la fantaisie, sachant ce qui en était, d'aller rire de lEnfant venu par la fenêtre; et c'est ce qu'il ne fallait pas.

J'ai l'honneur d'être, etc.

Hilarion Giocoso.          

(1) Quoique l'auteur de cette lettre ait gardé un scrupuleux anonyme, elle renferme pour les mélodrames nouveaux des intentions si paternelles et si bienveillantes, que nous n'avons pas cru devoir refuser à celui qui l'envoyait, le plaisir de l'insertion. D'ailleurs, c'est une charité vraiment nécessaire, que d'accueillir les réclamations, quelles que soient leurs formes, tant que le journal qu'on veut leur consacrer ne sera point établi.

 

La fausse lettre du Journal des arts, des sciences, et de littérature accuse la presse d'avoir rendu compte de façon très sévère de la pièce. La lecture du Journal des débats du 7 novembre ne confirme pas vraiment ce jugement.

Journal des débats politiques et littéraires, lundi 7 novembre 1814, p. 2-4 :

[Si le titre stimule l'imagination, le reste de la pièce est tout à fait commun : « un mariage secret comme on en voit tant au théâtre, qui finit par se découvrir, et qu'autorisent enfin ceux qui s'y étoient le plus vivement opposés », attendris par les larmes du jeune couple et par leur enfant. Le résumé de l'intrigue permet de confirmer ce jugement sévère. L'intrigue n'évite ni les invraisemblances (ce bébé con fondu avec un paquet et reçu sans réfléchir), ni les clichés concernant les sages-femmes. Et ces gens qui refusaient le mariage, le leur ou celui de ceux qui dépendent d'eux finissent par changer leur conception égoïste du bonheur. On voit que la pièce est plus proche de la comédie que du mélodrame : « il n'en diffère que par quelques morceaux de musique qui lient les scènes et marquent les entrées ». La première représentation a été houleuse, la seconde, que le critique raconte, a été plus heureuse. La pièce a bien des qualités : sa conduite, son style. Il y manque simplement un peu d'invention. Mieux écrite que les pièces du même genre au boulevard, elle « aurait peut-être réussi davantage en étant de moindre qualité (paradoxe dont le critique ne donne pas al clef).]

AMBIGU-COMIQUE.

Première Représentation de l'Enfant venu par la Fenêtre,
mélodrame en trois actes; par M. Caigriez.

Les titres de la plupart des mélodrames

                   Ont toujours quelque chose de rare :
A cent beaux traits d'esprit leur nouveauté prépare.

Malheureusement dans la pièce de M. Caigniez, il n'y a de neuf que le titre : rien de plus commun que le fond de l'ouvrage. C'est un mariage secret comme on en voit tant au théâtre, qui finit par se découvrir, et qu'autorisent enfin ceux qui s'y étoient le plus vivement opposés, vaincus par les larmes des jeunes époux, et par l'intérêt que leur inspirent les fruits innocens d'une union clandestine et réprouvée.

Le président Lidner est un personnage flegmatique qui a horreur du mariage, de tous les tracas qui en sont la suite, et qui redoute surtout l'embarras d'un ménage et les criailleries des enfans. Mais il a une sœur et un neveu qui sont loin de partager ses goûts et ses préventions. Sa sœur a une inclination secrète pour un militaire, mais par ménagement pour son frère, elle dessimule [sic] ses sentimens, et lui persuade que la tendresse fraternelle est la seule passion de son ame. Eugène, son neveu, a poussé les choses beaucoup plus loin : il s'est marié à l'insu de son oncle, et sa femme, encore plus coupable que lui, a forcé, pour l'épouser, la volonté d'un tuteur riche et puissant, qui se venge en faisant perdre à Eugène une place utile et honorable, de laquelle seule il tiroit les moyens d'entretenir sa nouvelle famille. Dans cette situation désespérante, le jeune étourdi se déterminé à venir demander un asile et des secours à M. Lidner qui le reçoit avec bonté, et lui promet de lui faire trouver dans son château un sort plus agréable que celui qu'il a perdu, s'il consent à se dévouer, comme Adèle et comme lui, au célibat, et à cette occasion il lui fait un tableau énergique des inconvéniens du mariage, et des douceurs d'une existence solitaire et indépendante.

Eugène affecte d'entrer dans les vues de son oncle ; mais dans le moment même où il promet de n'avoir jamais d'enfans, sa femme, recueillie dans un château voisin, vient de donner le démenti le plus formel a sa promesse : elle a mis au jour un fils, et l'amie qui lui a donné l'hospitalité imagine comme moyen d'être utile aux époux, et de changer les principes de M. Lidner, de lui adresser le nouveau venu. L'occasion est favorable, le président est à l'affût d'une caisse de livres qu'il attend ; et, à la vue d'un commissionnaire chargé d'un paquet, son impatience ne lui permet pas d'aller à la porte : il ouvre la fenêtre, tend les bras, et reçoit le doux et innocent fardeau. On se figure sa surprise et son mécontentement quand il reconnoît la vérité ; mais le sourire aimable de l'enfant désarme bientôt sa colère, et il mande une sage-femme du voisinage, qu'il charge de trouver une nourrice, et de veiller aux besoins du dépôt qu'il lui confie.

Il est convenu sur la scène que toutes les sages-femmes sont des commère curieuses, babillardes et médisantes ; la discrétion est cependant la vertu principale de leur état, et leur intérêt, d'accord avec leur devoir, garantit l'exactitude qu'elles mettent à la pratiquer. Mais la sage-femme de M. Caigniez est fidèlement calquée sur celle du Voyage interrompu et de M. et Mad. Denis. Quel est cet enfant ? d'où vient-il ? comment est-il chez M. Lidner ? par quel charme a-t-il triomphé de sa répugnance bien connue ? Il est évident qu'il lui tient de près, et que la simple humanité n'auroit pas opéré en lui une si admirable métamorphose. Cet enfant est évidemment le fils d'Adèle et de Belval. La bonne femme fait si bien, à force de propos et de conjectures, qu'elle inspire une grande partie de ses soupçons au président; mais dans le moment où il est prêt à avoir une explication avec sa sœur, on ramène le commissionnaire. Eugène, indigné de voir attaquer aussi injustement l'honneur d'Adèle, se jette aux genoux de son oncle. Par ses larmes et par ses prières, il fléchit son opiniâtre résistance ; Lidner, ému, commence à concevoir qu'il peut y avoir de la douceur à être époux et père. Belval profite de cette disposition pour avouer son amour: Lidner ne veut pas que sa sœur continue à avoir pour lui seul une complaisance qui lui coûte le bonheur. A l'exemple de la maîtresse, Brigite, sa suivante épouse un villageois qu'elle aimoit depuis longtemps ; et M. Lidner laisse entrevoir qu'il pourra lui-même suivre ces exemples quand l'expérience lui aura prouvé que la félicité et le mariage ne sont pas incomptibles [sic].

L'analyse de cet ouvrage suffit pour montrer qu'il n'est point taillé sur le patron des mélodrames ordinaires : c'est au fond une véritable comédie, et il n'en differe que par quelques morceaux de musique qui lient les scènes et marquent les entrées. Le public, accoutumé à chercher au Boulevard de grands coups de théâtre, de la féérie, des effets monstrueux, a trouvé du mécompte à la première représentation, et a puni l'auteur d'avoir été trop sage et trop raisonnable. La seconde, la seule que j'aie pu voir, a été plus heureuse, et les applaudissemens m'ont paru d'assez bon aloi. En général, la pièce est conduite avec art. et les scènes naturellement amenées, Le plus grand défaut de cette pièce est d'offrir peu de situations nouvelles, et des caractères, tels que ceux d'Eugène et de Belval, mille fois exposés au théâtre. Le style en est plus clair, plus coulant que celui des autres ouvrages du même genre. L'auteur, s'il eût fait plus mal, auroit peut-être réussi davantage.

C.          

Le site Thérepsichore de l'Université Clermont-Auvergne signale les incidents qui ont marqué une représentation de la pièce à Rochefort, le 12 février 1815 :

La représentation de l'œuvre est vivement troublée par plusieurs officiers du 3e régiment d'artillerie. Dès le lever de rideau, ils crient : « À bas la pièce, nous n'en voulons pas ! ». Le spectacle se joue dans un tumulte croissant. Les huées et sifflets émaillent la représentation, jusqu'à ce que le commissaire de police décide de faire baisser la toile et éteindre les lumières pour inviter les spectateurs à quitter les lieux.

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