La Forêt périlleuse ou les Brigands de la Calabre, drame en trois actes, en prose, de Loaisel-Tréogate, 18 floréal an 5 [7 mai 1797].
Théâtre de la Cité.
L'annonce de la première de la pièce dans le Courrier des spectacles n° 121 du 18 floréal an 5 [7 mai 1797] p. 2 donne un titre inexact : « la Forêt noire, ou les Brigands de la Calabre, com. En 3 actes, à gr. Spectacle ».
Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez la citoyenne Toubon, 1797 :
La Forêt périlleuse ou les Brigands de la Calabre, drame en trois actes, en prose, par J. M. Loaisel-Tréogate. Représenté pour la première fois, sur le théâtre de la Cité, à Paris, le 18 floréal an 5 (17 mai 1797).
La conversion de la date républicaine en date grégorienne est erronée : il s'agit bien du 7 mai 1797.
Courrier des spectacles, n° 122, du 19 floréal an 5 [8 mai 1797], p. 2-3 :
[La pièce a eu un grand succès, et le critique ne ménage pas ses éloges : « exposition sage et naturelle, marche assez vive, intrigue fortement conçue, intérêt toujours soutenu, dénouement bien préparé, et conforme au principe », ce n'est pas si fréquent de lire une telle cascade de compliments, achevée par l'affirmation que la pièce « sera bien accueilli[e] du public ». Suit un long résumé de l'intrigue, très détaillé (le critique a une excellente mémoire et a été très attentif, même s'il n'est pas sûr d'avoir bien entendu le nom du personnage principal : dans la brochure, il s'appelle Colisan). Si le critique n'est pas ironique, il nous fait parcourir une belle série de coïncidences opportunes, qu'un esprit soupçonneux pourrait voir comme des invraisemblances (le critique est-il sérieux quand il parle de la découverte de la clef de la cellule juste au moment où Corysa va tenter d'enfoncer la porte ? Et à plusieurs reprises arrive celui dont le héros a besoin pour échapper au terrible sort qui l'attend). De rebondissement en rebondissement, on arrive enfin à ce dénouement qu'on nous a promis « conforme au principe » et qui provoque un incident grave : la vue du sang indispose certaines spectatrices, et la pièce a bien failli ne pas être achevée. Mais elle l'a été, elle a été « très-applaudie », et l'auteur a été nommé. Le critique apporte finalement quelques correctifs à son jugement si élogieux : la vision d'un Corysa ensanglanté est un « tableau […] trop violent », et le poison mis dans le verre du capitaines « nous semble aussi trop fort » (on aimerait un peu d'explication : est-ce parce qu'il agit trop vite ?). Mais le critique persiste : « cette pièce nous semble une des mieux faites depuis long-temps ».]
Théâtre de la Cité.
La pièce donnée hier à ce théâtre sous le titre de la Forêt périlleuse ou les Brigands de la Calabre, a eu beaucoup de succès, et doit en avoir long-temps. Exposition sage et naturelle, marche assez vive, intrigue fortement conçue, intérêt toujours soutenu, dénouement bien préparé, et conforme au principe.
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D’un secret tout-à-coup la vérité connue,
Change tout, donne à tout une face imprévue.
Telles sont les qualités que nous avons trouvées dans cet ouvrage, et qui nous font croire qu’il sera bien accueilli du public.
Corysa (nous doutons de ce nom) a perdu depuis quatre jours Camille, son amante, dans une forêt de la Calabre. Il l'avoit quittée pour aller à la recherche d’un bracelet qu’elle avoit laissé tomber, et à son retour Camille avoit disparu. Corysa parcourt la forêt avec Fresco, son valet, lorsque ce dernier apperçoit une troupe d’hommes que son maître et lui reconnoissent bientôt pour des voleurs. Ils se cachent ; les voleurs se rassemblent, et leur capitaine leur annonce qu’il va les conduire à une grande entreprise, à deux lieues de leur retraite. Un de ses lieutenans lui amène un renfort de six hommes qu’il a enrôlés dans sa troupe. Un autre entre dans la caverne pour y chercher deux de ses camarades, et en sort sans en avoir fermé la porte : ils partent. Corysa pénètre dans la caverne ; à peine y est-il entré, que le voleur qui s’est appercu de son oubli, vient le réparer, et ferme la porte à triple tour.
L’imprudent Corysa reconnoit sa faute, et le danger auquel il s’est exposé. Il ne lui reste plus que l’espoir de vendre chèrement sa vie, lorsqu’il entend une voix plaintive : découvrant bientôt le côté d’où elle part, il tire un rideau, et voit sa chère Camille au fond d’un cachot ; il veut briser la porte, mais son valet apperçoit la clef ; Camille vole dans les bras de son amant ; le plaisir qu’ils ont à se retrouver est bientôt troublé par l’impossibilité où ils sont de fuir. Camille a quelque espoir, ayant entendu une voix qui lui disoit de ne pas perdre courage. Corysa persuade à sa maîtresse de feindre de céder aux désirs du capitaine, d’obtenir de lui un souper tête à tête, et de profiter d’un moment pour glisser dans son verre une poudre qu’il lui remet, et dont l’effet est infaillible. Malgré la répugnance de Camille, l’extrême danger où elle se trouve, celui de son amant, la déterminent. On entend revenir les voleurs ; Camille rentre dans le cachot ; Corysa et Fresco se cachent dans des lieux djfférens. Le valet est découvert ; on veut le faire périr, mais ses supplications, et encore plus celles de Camille, lui sauvent la vie : il devient le cuisinier de la troupe. Camille et le capitaine se mettent à table ; tandis que ce dernier se lève pour aller prendre une guitare, Camille fait usage du poison ; le brigand la voit, il dissimule, et lui demande, pour preuve d’amour, de changer de verre ; Camille, saisie d’effroi, refuse de boire ; le voleur, confirmé dans ses craintes, fait boire le verre de vin à son premier lieutenant, qui meurt au moment même. Le brigand, furieux, veut percer Camille ; Corysa vient la défendre, mais il est saisi et condamné à être fusillé par les six hommes nouvellement enrôlés. Ils doivent, après l’exécution, le ramener mort aux yeux de son amante ; les coups de fusil se font entendre ; Camille tombe évanouie, et ne se relève que pour voir le spectacle le plus horrible : mais son amant n’est point mort ; un homme de la troupe, en lui bandant les yeux, lui a promis que l’on feroit semblant de tirer sur lui, et qu’il falloit qu’au même instant il se laissât tomber. On entend du bruit ; Corysa retourne sur le brancart où on l’a apporté : c’est le capitaine qui vient insulter à Camille ; tandis qu’il la brave, Corysa se lève, saisit des pistolets que le brigand a laissés sur une table, et le renverse mort. On accourt ; Corysa songe à défendre Camille, mais c’est le même homme qui lui a mis le bandeau, et qui a parlé à Camille, qui se présente à la tète des six nouveaux venus, avec le secours desquels il a massacré toute la troupe prise de vin, et n’a gardé que deux des chefs pour les livrer à la justice.
Au moment ou [sic] Camille découvre son amant, le bandeau plein de sang dont son front est couvert, a fait jeter des cris à plusieurs femmes qui sont sorties de la salle. Le spectacle a été interrompu et sur le point de ne pas être achevé. Quelques personnes crioient que l’on baissât la toile ; mais la pièce a été continuée et très-applaudie. L’auteur est M. Loysel Théogate.
Après l’éloge que nous venons de faire de cet ouvrage, nous ne dissimulerons pas que le tableau de Corysa massacré a paru trop violent. Le moyen du poison mis par Camille dans le verre du capitaine, nous semble aussi trop fort ; mais malgré ces défauts, dont le premier disparoîtra aisément, cette pièce nous semble une des mieux faites depuis long-temps.
L. P.
Courrier des spectacles, n° 125 du 22 floréal an 5 [11 mai 1797], p. 3-4 :
[L'article du 19 floréal concernant la pièce a fait réagir certains, et le critique tente de se justifier, en distinguant soigneusement le genre auquel elle appartient, le drame, genre exécrable pour lui, et la pièce elle même dont il persiste à penser du bien : elle est « conforme aux règles de l’art », elle « a de l'intérêt, de la conduite, une marche naturelle, un dénouement heureux ». La formule finale résume bien le débat : le genre de la pièce, « c’est un très-mauvais genre, puisque c'est un drame », et cette affirmation n'a pas besoin d'être justifiée.]
Plusieurs personnes se sont plaint [sic] de l’éloge que nous avons donné à la pièce intitulée : La Forêt périlleuse ou les Brigands de la Calabre. Elles paroissent croire que nous avons changé d’opinion sur les drames, que nous sommes réconciliés avec ce genre bâtard : nous nous empressons de détruire leur erreur. Nous n’aimons pas les drames ; nous sommes persuadés que ce genre est né de l’impuissance ; nous la regardons comme destructeur du bon goût ; nous ne doutons pas qu’il n’ait nuit à l’art, qu’il n’en ait amené la chute, et nous craignons qu’il l’empêche de se relever ; mais nous ne pensons pas que toutes ces considérations doivent nous empêcher de reconnoître qu’un ouvrage, dont nous oublions le genre pour un moment, est d’ailleurs conforme aux règles de l’art, qu’il a de l'intérêt, de la conduite, une marche naturelle, un dénouement heureux. Nous avons remarqué quelques défauts dans l’ouvrage de M. Loaisel : nous l’avons dit ; mais nous n’avons pas cru devoir taire ce qui nous y avoit plu. Nous n’avons point parlé du genre, sans quoi nous serions convenus que c’est un très-mauvais genre, puisque c'est un drame.
[L'article se poursuite par une explication sur l'absence d'article concernant la Mère coupable, récemment reprise : ce n'est pas une nouveauté.]
L. P.
D'après la base César, ce drame en trois actes et en prose de Loaisel de Tréogate a été fréquemment joué jusqu'en 1799, et peut-être après (César s'arrête en 1799).Elle a été jouée sur plusieurs théâtres à partir du 7 mai 1797 : 32 fois en 1797, 1 fois en 1798, 21 fois en 1799 (soit 54 fois en deux ans et demi).
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