La France régénérée, comédie mêlée de vaudevilles et d'airs nouveaux en un acte, de Chaussard, musique de Scio, 14 septembre 1791.
Théâtre de Molière.
La brochure la décrit comme une « pièce épisodique en vers et à spectacle, précédée d'un prologue », sans parler de la musique.
Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Limodin, 1792 :
La France régénérée, pièce épisodique en vers et à spectacle, précédée d'un prologue. Par M. P. J. B. Chaussard, Auteur de la Théorie des Lois criminelles, &c. Représentée, pour la première fois, sur le Théâtre de Molière le 14 septembre 1791.
On n'éclaire pas les Hommes avec la torche des Haines mais avec le flambeau de la Raison.
L'auteur, Pierre-Jean-Baptiste Chauchard, est un juriste, auteur notamment de Théorie des lois criminelles, ou Discours sur cette question : si l'extrême sévérité des lois diminue le nombre et l'énormité des crimes, suivi d'un tableau analytique des lois criminelles des différents peuples, composés en 1788 , et publiés en 1789. À partir de 1792, il signe d'un très républicain Publicola Chausard, avant de retrouver assez vite une innocente initiale P. Chaussard, puis la liste de ses prénoms (au moins à partir de l'an 13 [1804]).
Liste des personnages :
ACTEURS DU PROLOGUE.
Deux personnages allégoriques.
LA GLOIRE.
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Mme. Boursault.
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LE TEMPS.
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M. Jeannin.
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ACTEURS DE LA PIÈCE
UN CURÉ.
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M. Boursault.
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UN PRÉLAT.
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M. Compain.
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UN JUIF.
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M. Gonthier.
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UN PROTESTANT.
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M. Gosse.
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UN VIEUX PAYSAN.
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M. Duverger ou M. Volange.
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UN FÉDÉRÉ.
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M. Villeneuve.
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UN PROCUREUR FISCAL.
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M. Monet.
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UN CHARTREUX.
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M. Dologny.
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UN PROCUREUR.
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M. Valmon.
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UN MAIRE.
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M. Saint-Amand.
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Grouppe de Paysans & de Paysannes.
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Grouppe de Soldats & de Citoyens.
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AVIS.
Messieurs les Directeurs de Province, qui voudront faire jouer cette Pièce s'adresseront à M. Bourfault, ci-devant Malherbe, Directeur du Théâtre de Molière, rue Saint-Martin, & seul propriétaire de cet ouvrage ainsi que des Solitaires Anglais, drame en 3 actes ; de la Journée de Henri IV, comédie en 3 actes ; des Bons Amis, comédie en 3 actes ; de la Revue des Armées Noire & Blanche d'outre-Rhin ; de Louis XIV & le Masque de Fer, Tragédie ; du Mari confondu, en 3 actes & en vers; de Nicodême de retour du Soleil ; du Bouquet de la Veuve, en un acte & en vers ; de la Femme honnête homme, en 3 actes, &c. &c. Le sieur Boursault, donnera toutes facilités aux Directeurs de Province.
Le décor du prologue est précisé p. 3 :
Le théâtre représente une campagne terminée par des montagnes.
La scène première comporte un tableau :
Un grouppe de nuages s'abaisse, se divise & laisse voir d'un côté la Gloire, & de l'autre le Temps, assis avec les attributs qui les caractérisent : on peut figurer aux pieds de la Gloire, deux petits génies ailés tenans chacun un tableau ; dans l'un seroit indiquée la prise de la Bastille, dans l'autre la déclaration des droits de l'homme : le Temps est tel que dans la fable un vieillard tenant une faulx, un sablier. Sous ses pieds est un hydre renversés [sic], un trait de foudre part du nuage & l'écrase.
La scène première de la France régénérée s'ouvre aussi sur un tableau édifiant :
On voit passer dans le fond du Théâtre, des grouppes de paysans & de paysannes ; des gardes nationales ferment la marche, on entend dans le lointain un air de musette & l'air ça ira : des chants rustiques, des chœurs champêtres se mêlent aux fanfares militaires.
La pièce fait se succéder les divers personnages : d'abord le prélat seul, puis le prélat et le curé, jusqu'à ce que le prélat sorte. Le curé, resté seul, voit arriver un Juif et un Protestant, habitués à être persécutés : le curé, acquis aux idées nouvelles, les rassure : ils sont des citoyens à l'égal des autres. Alors qu'ils s'apprêtent à partir, ils sont rejoints par des paysans et des paysannes qui font l'éloge de leur curé, un homme généreux, soucieux d'améliorer le sort des pauvres, et aussi un esprit ouvert qui permet aux humbles de danser après le travail. Arrive un vieillard qui se lamente sur l'ingratitude de ses enfants l'un devenu moine, comparé à un arbre stérile), l'autre est procureur, « brigand en robe », le troisième s'est enrichi de la misère du peuple : il ne reste plus qu'un dernier fils « au berceau », tandis que sa fille l'a quitté. Tous s'empressent de le consoler. Un groupe de soldats vient rejoindre tout ce petit monde. Ils sont accueillis comme des défenseurs, et le Juif et le protestant se montrent prêts à prendre les armes pour défendre la patrie. Ils sont les garants des libertés, et non plus des oppresseurs. La scène suivante est celle du procureur fiscal, qui arrête sans qu'on sache trop pourquoi un fédéré il se montre bien réticent devant les changements qui affectent la France et souligne les dangers multiples qui la menacent. Le soldat lui répond en insistant sur la solidarité de tous. Le procureur ne croit guère à la transformation de la société : il y voit « un beau songe ». Lorsqu'entrent un chartreux et un procureur, le vieillard reconnaît ses enfants. Tous deux, conscients de l'indignité de leur situation, décident de changer de vie : le chartreux sera soldat, le procureur laboureur. Le vieux paysan les reçoit avec émotion, et veut leur présenter leur petit frère qu'ils ne connaissent pas. Il dissipe les scrupules du chartreux qui s'inquiète de trahir les règles de l'Église. La scène dernière est l'occasion d'un nouveau tableau :
Le Maire, tenant en main une couronne de lauriers, descend par les montagnes, il est suivi d'un cortège de Citoyens & de Citoyennes : le cortège s'ouvre sur le milieu du théâtre & laisse voir le buste de Mirabeau, porté par les Municipaux. Des philosophes, des gardes nationales placent sur un côté celui de Voltaire, & de l'autre, un grouppe de mères & d'enfans apportent celui de Rousseau.
Tous célèbrent avec enthousiasme les philosophes, Mirabeau, Voltaire, Rousseau. Tous chantent la tolérance, avant de clamer leur amour pour Louis, « premier Roi citoyen ».
Mercure universel et correspondance nationale, tome 7, n° 202 du dimanche 18 septembre 1791, p. 286 :
[Compte rendu plein d'enthousiasme d'une pièce qui par ailleurs est « plutôt une pièce de vers qu’un ouvrage dramatique » (pas besoin d'une analyse donc). Le critique y a vu « la destruction des abus, le règne de la liberté, l'apothéose » de grands hommes dont il propose une liste, le dernier nom étant celui du premier entré au Panthéon, et de premier sorti... (mauvais choix !). En guise d'analyse donc, un assez long extrait, une tirade prononcée par un prêtre et dénonçant vigoureusement les abus de l'Église. Puis, sans transition, un bref éloge du décor et de madame Boursault, que l'auteur, Chaussard a eu bien de la chance d'avoir comme interprète.]
Théatre de Moliere.
La France régénérée offre un tableau trop riant pour ne pas lui sourire. La destruction des abus, le règne de la liberté, l’apothéose de Voltaire, Rousseau, Mirabeau, voilà ce que présente cette production, qui est plutôt une pièce de vers qu’un ouvrage dramatique ; on nous saura gré, sans doute, de rapporter cette tirade adressée à un prélat, par un vénérable curé :
« Que vois-je ? les états tombés en interdit ;
» Prêtres d’un dieu clément, vous apportez la guerre ;
» Vous unissez, pieux usurpateurs,
» L'évangile, l’orgueil, l’humble croix aux grandeurs,
» Et la foudre s’allume au fond du sanctuaire.
À nos lys indignés vous dictez des arrêts ,
Des arrêts !..... vous, homme de prière !
Vous prêchez la vertu, tout noircis de forfaits,
Au lieu de l’éclairer, vous embrâsez la terre......
Je ne vois que rapine, et meurtre, extorsions
Les rois brigands qu’on canonise,
Qu’on damne, s’ils n’ont rien à donner à l’église.....
Je vois couler le sang et l’or des nations
On achete l’autel, et le prêtre, et Dieu même.....
Mais que dis-je, à prix d’or les crimes sont absous.....
Approchez, adultère, assassin, venez tous ;
Payez, ne craignez plus la justice suprême :
« Vous pouvez même à l’avenir
» voler, tuer , le tout sans repentir ;
» Mais payez un peu plus, Voyez cette madone,
» Payez encor, l’église vous la donne....
» On trompe le mourant au nom de l’éternel ;
» On dérobe à ses yeux un reste de lumière ;
» Il voit l’avidité comme un spectre cruel,
» Se traîner sur sa tombe à son heure derniere,
» Et la bourse à la main, il marchande le ciel ».
Les décorations répondent au sujet. Peu d’auteurs sont aussi heureux que M. Chaussard. Pour faire aimer la gloire, il a emprunté les traits de Madame Boursault.
La régénération de la France est une question importante à ce moment clé de l'histoire de France. On peut se procurer La France régénérée, ouvrage publié par numéros, œuvre de « M. Brun de la Combe, Prêtre, Licencié ès Loix, &c. », publié à Londres en 1788 (le lieu de publication peut bien sûr être une précaution contre la censure), la France régénérée, poème civique en un chant d'Alexandre-Louis Baudin, « Citoyen François, né à Sedan, Commis de la Marine, & Membre de la Société des Amis de la Constitution, à Cherbourg » publié en 1790, le Beau jour des Français; ou la France régénérée, « poëme en deux chants, Avec des notes historiques sur la Révolution », d'Étienne de Lafarge, publié à Paris en 1791.
Les adversaires de la Révolution s'empareront aussi de la formule. En témoigne la France régénérée, ode à Louis XVIII, par J. A. R. (Antoine Reynes) publié à Paris en 1814, qui s'ouvre sur un prophétique « Le calme enfin renaît après tant de tempêtes ».
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