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La Gageûre imprudente

La Gageûre imprudente, vaudeville en 2 actes ; 11 avril 1808.

Théâtre du Vaudeville.

Titre :

Gageure imprudente (la)

Genre

vaudeville

Nombre d'actes :

2

Vers / prose

en prose, avec des couplets en evrs

Musique :

vaudevilles

Date de création :

11 avril 1808

Théâtre :

Théâtre du Vaudeville

Auteur(s) des paroles :

 

Almanach des Muses 1809.

Mercure de France, littéraire et politique, tome trente-deuxième (1808), n° CCCLII (samedi 16 avril 1808), p. 141 :

[Le point de départ de ce compte rendu, c’est le fait que la pièce présentée est « l'ouvrage de deux Dames ». C’est seulement ensuite que l’intrigue peut être analysée, avant de conclure : pièce qui n’est pas originale, et galanterie du public qui a subi la pièce sans broncher (tous les critiques ne diront pas la même chose), malgré son « canevas usé et rebattu » et l’absence de « couplet digne d’être rapporté ».]

Théâtre du Vaudeville. — Première représentation de la Gageure imprudente, vaudeville en 2 actes.

L'auteur de Bon naturel et vanité [pièce dont il vient d'être question] prétend que tout dégénère ; je ne sais s'il a raison sur quelques points, mais je soutiens que la galanterie n'a jamais été poussée aussi loin qu'aujourd'hui ; entre mille preuves que je pourrais apporter à l'appui de mon assertion, je me contenterai de choisir celle-ci. On a donné lundi dernier la première représentation de la Gageure imprudente, vaudeville que l'on annonçait être l'ouvrage de deux Dames ; en voici à peu près l'analyse.

Un baron de Varbeck parie avec le jeune comte de Presval que, dans l'espace de vingt-quatre heures, il n'aura pas l'adresse de s'introduire dans son château, de donner un baiser à sa fille, et d'en rapporter un reçu ; mais le jeune homme, au moyen d'une lettre, fait sortir le père de son château, y pénètre sous les habits d'une marchande à la toilette, embrasse la demoiselle, et lui en fait signer une reconnaissance ; le père revient, reconnaît qu'il a perdu la gageure, et marie les jeunes gens.

Il est inutile d'observer que cette pièce est calquée sur Ruse contre Ruse et le Baiser et la Quittance, opéra donné à Feydeau il y a quatre ans. Je le répète, le parterre a, dans cette soirée, fait preuve de patience et de galanterie, car si l'ouvrage n'eût pas été de deux Dames, il n'eût pas laissé tranquillement achever un canevas usé et rebattu, et dans lequel il n'y a peut-être pas un seul couplet digne d'être rapporté.                           B.

[Guerre ouverte, ou Ruse contre ruse est une comédie de Dumaniant, jouée à partir de 1786, et dont le succès ne s’est pas démenti.]

L'Esprit des journaux français et étrangers, année 1808, tome V (mai 1808), p. 287-292 :

[Point de départ : la pièce serait l'œuvre de deux femmes restées anonymes, ce qui amène une grave question : « des femmes pouvaient-elles réussir au Vaudeville ? ». La réponse est bien sûr négative : le Vaudeville est synonyme de liberté, de plaisir, de joie, trois mots qu’une femme ne peut guère « s’appliquer dans toute leur étendue, [...] comprendre dans toute leur énergie ». Il y a une infériorité irrémédiable pour une femme osant tenter d’écrire un vaudeville. Le critique développe longuement cette idée : les femmes n’ont pas de place au Vaudeville. Il passe ensuite à l’analyse de la pièce, qui n’est pas choquante, mais qui contient « une scène assez bizarre » (défaut qui s’ajoute au «  vide et [aux] longueurs » d’un premier acte peu vraisemblable). Cette scène, il faut la deviner, parce que le compte rendu propose ensuite un long résumé de l’intrigue (assez étrange en effet), un père qui a promis sa fille à un homme qui s’est absenté et ne revient pas, qui tient sa fille à l’écart de tout et de tous, mais qui autorise un autre homme à la voir, déguisé en femme, pour en obtenir un baiser qui lui fera gagner son pari (la fameuse « gageure imprudente »). Le déguisement déplaît beaucoup au critique (« Ces déguisemens ont presque toujours quelque chose de choquant »). La rencontre entre la jeune femme et l’homme déguisé a provoqué une vive réaction du public (« du brouhaha ») qui a empêché de comprendre le dénouement, et le calme revenu a permis d’écouter « les couplets de la fin ». Conclusion : « Le public, par son silence, a paru vouloir respecter le sexe des auteurs qui avaient imploré son indulgence sous tous les tons ».]

La Gageure imprudente.

On disait dans la salle que le vaudeville nouveau était de deux femmes ; un couplet de la fin nous l'a fait entendre : le public s'en est tenu là, nous n'avons pas su le nom des auteurs ; et puisqu'ils n'ont pas réussi, il suffit de savoir que ce sont des femmes pour être bien aise de n'en pas savoir davantage. Mais des femmes pouvaient-elles réussir au Vaudeville ?

La liberté française en ses vers se déploie ;
Cet enfant du plaisir veut naître dans la joie.

Liberté, plaisir, joie, quels mots pour une femme ! à quel âge osera-t-elle se les appliquer dans toute leur étendue, les comprendre dans toute leur énergie ? Une femme est heureuse, une femme s'amuse ; mais cet excès de plaisir qui s'exhale en folle gaîté, cette ivresse de joie qui, ne tenant plus même à la cause qui la fait naître, devient une disposition d'esprit qui se porte sur tout, dont le rire est le signal et les bons mots le résultat, quelle femme consentirait à laisser croire qu'elle s'y soit jamais abandonnée ? Quelle femme aurait voulu s'y laisser aller pour son propre avantage ? Ce n'est pas-là qu'elle brillera, ce n'est pas elle qui trouyera le bon mot qui fait rire, et au milieu de cette vigoureuse gaîté se perdra toute la grace d'un esprit que les femmes doivent toujours bien davantage aux sentimens qu'elles retiennent qu'à ceux qu'elles épanchent. Ainsi, en commençant un vaudeville, une femme est nécessairement privée de plus de la moitié des avantages qui peuvent le faire réussir ; un genre de gaîté sur-tout lui est interdit, et, il faut l'avouer, c'est de ce genre-là que le Vaudeville tire en partie son sel. Tout passe à ce théâtre-là, et c'est pour cela qu'une femme doit craindre d'y paraître, car le public y va volontiers chercher ce qu'il y permet et ce qu'il ne permettrait pas ailleurs, et il y trouve facilement ce qu'il cherche ; ainsi, quand une femme aura scrupuleusement écarté tout ce qui peut rappeller une idée contraire à la décence, elle n'en sera pas pour cela quitte des allusions, qu'elle peut moins éviter que personne, car elle est loin de les prévoir. Une femme ne se doute guères de toutes les idées que peut réveiller sa phrase la plus innocente dans des imaginations ordinairement gâtées par l'habitude des idées, des images et des plaisanteries libres. Elle n'imaginera jamais et ne le comprendra pas encore après l'avoir éprouvé, de combien de manières on saura tourner ses expressions pour trouver dans ce qu'elle a écrit des pensées qui la feraient rougir, si elle les rencontrait dans le livre qu'elle lit seule chez elle. De telles découvertes ne sont pas sans doute à l'avantage de celui qui les fait, encore moins de celui qui les relève, mais on ne va pas au parterre du Vaudeville pour avoir bon ton. On y rit de beaucoup de choses dont on ne rirait pas ailleurs, et de tous les genres de spectateurs ce sont bien certainement ceux dont une femme doit le plus redouter, et la censure et les applaudissemens.

Rien, dans le vaudeville d'hier, ne blessait assurément les convenances que doit respecter une femme ; cependant une scène assez bizarre a achevé de déterminer d'une manière peu favorable le sort de la pièce, déjà menacée de malheur dès le premier acte, dont le vide et les longueurs n'étaient pas rachetés par des couplets assez piquans, et dont la gaîté ne couvrait pas l'invraisemblance. Un vieux baron allemand a promis sa fille, Laure, à un comte de Milniez, depuis quatre ans parti pour voyager. On en reçoit peu de nouvelles de Paris, où il est depuis long-temps malgré les instances du baron qui le presse de revenir, et le peu qu'on en reçoit n'est pas à son avantage ; cependant le baron tient bon, et pour empêcher que sa fille ne se prenne de goût pour un autre, ce baron, d'ailleurs le meilleur père du monde et qui a les idées les plus libérales sur le mariage, la tient enfermée sans lui laisser parler à qui que ce soit, et sous la surveillance d'une duègne telle qu'on les suppose en Espagne, où pour la vérité du costume la scène devrait être placée. Un autre baron plus jeune était, il y a quatre ans, amoureux et aimé de Laure ; il a voyagé aussi, il a été à Paris ; mais il en revient pour voir sa maîtresse. Le père lui déclare qu'il ne la verra pas ; qu'il a interdit sa vue à des hommes moins dangereux que lui, qui voulaient absolument la voir ; qu'un entr'autre a été assez ridicule pour parier qu'il verrait Laure malgré son père, lui donnerait un baiser et en rapporterait le reçu signé de sa main. Le jeune homme trouve ce pari piquant et le propose. Le père, dont on a annoncé la manie pour les gageures, accepte. Deux beaux chevaux sont consignés pour les enjeux, et ce bon baron qui ne veut pas, depuis quatre ans, laisser voir un homme à sa fille, l'expose à recevoir, Dieu sait à quelle heure, car on a les vingt-quatre heures, une visite et un baiser de celui-ci à qui il recommande la décence. C'est ici que la pièce, rappellant la jolie comédie de M. Dumaniant, Ruse contre ruse, sans en rappeller la gaîté, a commencé à mécontenter sérieusement le public. Au second acte, le baron se repent un peu de la gageure. Il reçoit un faux avertissement qui l'écarte ; pendant ce temps-là le jeune homme est introduit déguisé en marchande de modes. Cette entrée n'a pas été heureuse, et il faut avouer que l'acteur chargé du rôle, très-bien en homme, faisait, sous ces nouveaux habits, une terrible femme. Ces déguisemens ont presque toujours quelque chose de choquant. Une femme en homme peut plaire et ne blesse jamais ; ses espiégleries ne sont que divertissantes ; son habit excuse ses vivacités, et son sexe détruit toute espèce de crainte. Au contraire chaque mouvement, chaque regard d'un homme habillé en femme fait trembler ; il semble que celle qu'il trompe par son vêtement n'a plus auprès de lui aucune sûreté, aucune sauvegarde, aucun moyen de surveillance, et une idée pénible se mêle au dégoût qu'il inspire presque toujours. C'a été bien pis lorsqu'après avoir fait présent à la vieille duègne d'un bonnet couleur de rose, en reconnaissance duquel elle l'embrasse deux ou trois fois, il demande à Laure la même marque de bonté ; puis profitant de ce qu'elle veut avoir un de ses chiffons et ne se trouve pas d'argent pour le payer, il lui fait signer un reçu dans lequel il ne manque pas d'insérer le baiser. Alors le bruit est monté à son comble ; c'est au milieu du brouhaha que l'amant, dépouillant toute fausse apparence, est tombé sous sa véritable forme aux pieds de sa maîtresse, que le père arrivé tenant à sa main une lettre du comte de Milniez, dont nous n'avons pu entendre le contenu, et dont il paraît que le résultat a été de marier les deux amans. Le calme s'est rétabli pour écouter les couplets de la fin, et n'a pas été troublé ensuite. Le public, par son silence, a paru vouloir respecter le sexe des auteurs qui avaient imploré son indulgence sous tous les tons.                 P

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, année 1808, tome III, p. 171-172 :

[Compte rendu rapide et un peu condescendant : «  Le théâtre est un terrein glissant, et des femmes » sont bien imprudentes de « s’y risquer ». Le public a ri, mais de la pièce (et des auteurs). On ne parlera plus de la pièce.]

THÉATRE DU VAUDEVILLE.

La Gageure imprudente, vaudeville en deux actes , joué le 11 avril.

Les deux femmes qui ont livré cette pièce au public, avoient-elles fait une gageure ? En tout cas, elle étoit bien imprudente. Le théâtre est un terrein glissant, et des femmes auroient dû réfléchir que lorsqu'on y voit tomber tous les jours ceux qui ont l'habitude d'y marcher, elles ne devoient pas s'y risquer. Au reste, le public a ri depuis le commencement jusqu'à la fin de la représentation : mais, hélas ! c'étoit aux dépens des auteurs. La pièce a été enterrée; ne l'exhumons pas.

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