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L’ Homme à [grands]sentimens, ou le Moraliseur
L’ Homme à [grands] sentimens, ou le Moraliseur, comédie en cinq actes, 5 brumaire an 9 (27 octobre 1800).
Théâtre Feydeau
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Titre :
Homme à [grands] sentiments (l’), ou le Moraliseur
Genre
comédie
Nombre d'actes :
5
Vers / prose ?
en vers
Musique :
non
Date de création :
5 brumaire an 9 (27 octobre 1800)
Théâtre :
Théâtre Feydeau
Auteur(s) des paroles :
Louis-Claude Chéron
Pour suivre l'histoire de la pièce, voir la page consacrée à l'Homme à sentimens.
Courrier des spectacles, n° 1333 du 6 brumaire an 9 [28 octobre 1800], p. 2-3 :
Théâtre Feydeau.
De grandes beautés et de grands défauts ont mérité tour-à-tour de vifs applaudissemens et des improbations à la comédie donnée hier à ce théâtre, l’Homme à sentimens, ou le Moraliseur. Le public nous a paru rendre la plus grande justice à cet ouvrage. Peut-être seulement on eut pu s’abstenir d’employer les sifflets , qui ne sont destinés qu’à témoigner un mécontentement absolu. L’auteur a été demandé, et a gardé l’anonyme.
Julie, pupille de Gercourt, est aimée des deux frères, Valsain et Florville. Ce dernier est préféré par la jeune personne, mais sa conduite s’oppose au consentement du tuteur. Joueur et libertin, il a dissipé la fortune de ses pères, les dons d’un de ses oncles, nommé Sudmer : et totalement ruiné, il n’occupe plus qu’un très-petit logement dans la maison dont il étoit jadis propriétaire. Valsain, au contraire, est dans l’opulence et semble n’employer ses richesses qu’à soulager l’infortune. Aussi Gercourt est-il décidé à lui donner Julie. Heureusement pour cette jeune personne, Sudmer est arrivé des îles avec une grande fortune. Inconnu à tout le monde, même à-ses neveux, qui étoient très-jeunes lors de son départ, il ne s’est nommé qu’à Gercourt qui, à l’aide de Marton, le tient caché dans la maison, où il veut être à même de juger le caractère de ses héritiers. Envain Gercourt les lui peint-il tels qu’il les voit lui-même. Notre marin ne veut reconnoître dans les vices de Florville que des écarts de jeunesse. L’affectation de Valsain lui paroit plus dangereuse :
Dans la seule vertu trouvant assez d'appas,
Le Sage la pratique et ne l’affiche pas.
Voilà ce que pense Sudmer ; et il veut éprouver ses neveux.
Florville , vivement pressé par ses créanciers, s’adresse à son frère , qui lui donne beaucoup d’avis , mais point d’argent. Valsain ne s’en tient pas à un refus ; ses grandes richesses ont une source, il les doit à l’usure ; mais comme il se sert pour son petit négoce d’un agent nommé Alexandre, il se propose de l’envoyer à son frère, et de venir ainsi à son secours. En attendant, il essaye de le dénigrer aux yeux de Julie, en vantant son propre amour. II est à ses pieds, lorsque Mad. Gercourt entre. La jeune personne s’enfuit, et notre hypocrite feint de n’avoir pris cette posture que pour engager Julie à ne point répandre des discours préjudiciables à l’honneur de madame Gercourt , qu’on accuse d’écouter favorablement Florville. Ce prétendu service enhardit Valsain, il parle bientôt de lui-même, sans parvenir à séduire la femme de son ami, il la fait consentir, bien légèrement sans doute, à venir chez lui.
Sudmer poursuivant le projet d’éprouver ses neveux, se présente chez Florville, sous le nom du Juif Alexandre. Celui-ci n’ayant rien à lui donner pour répondre de dix mille francs qu’il veut emprunter, offre de lui vendre tous les tableaux de famille qui garnissent son logement. Il n’en excepte qu’un seul qu’il garde par reconnoissance, c’est celui de son oncle. Cette scène, très-détaillée, est infiniment agréable.
Surdmer satisfait de Florville, se rend chez Valsain, sous le nom de Lisimon, son parent éloigné, réduit à la plus extrême misère : des politesse sont tout ce qu’il peut en obtenir ; il sort furieux. Valsain attend une visite plus agréable, c’est celle de Mad. Gercourt ; elle arrive en effet, mais leur entretien est bientôt interrompu par l’arrivée de gercourt. Son épouse n’a d’autre ressource que de se cacher derrière un paravent. Ce mari vient se plaindre à Valsain que Mad. Gercourt répond à la passion de Florville, et qu’elle est dans ce moment avec lui ; notre hypocrite d’abord troublé, se remet peu-à-peu et défend mal son frère , lorsque l’on annonce celui-ci. Gercourt veut d’abord le faire expliquer, mais sur les observations de Valsain, il se décide à se cacher pour entendre leur entretien, il veut se mettre derrière le paravent, alors le séducteur est obligé de lui dire qu’il cache une jeune enfant qui s’y est réfugiée à son approche. Gercourt entre dans un cabinet, d’où il sort bientôt convaincu de l’erreur où il étoit à l’égard de Florville. Pendant que Valsain sort assez mal-adroitement, Gercourt apprend à Florville l’intrigue de son frère. Le jeune homme veut voir cette charmante enfant : il reconnoît Mad. Gercourt, mais la générosité lui impose silence, et pour tirer son frère d’embarras , il feint d’avoir lui-même connu cette personne, et emmène Gercourt.
Sudmer, sous le nom de Lisimon, prie Valsain de le présenter à son oncle, dont il vient d’apprendre l’arrivée, mais Florville survenant, reconnoît celui qui, sous le nom d’Alexandre, lui a acheté ses tableaux. Les deux frères veulent le faire sortir de force, lorsque Gercourt entrant, leur apprend que c’est leur oncle. Celui-ci qui a retiré des mains du juif Alexandre, en le payant, les titres appartenans à Valsain, et d’après lesquels ce dernier faisoit poursuivre son frère, les déchire, déshérite l’hypocrite, et donne moitié de son bien à Florville, et l’autre à Julie, qui épouse son amant.
N’ayant pas assez de place pour en dire davantage, et pas assez de temps pour abréger celte analyse, nous nous bornerons à ajouter que cette comédi , rien moins que morale, auroit pu garder le titre anglais : l’Ecole du scandale.
Le Pan.
Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 6e année, 1800, tome IV, p. 123-124 :
[Deuxième mouture de l’Homme à sentimens, enrichie d’un sous-titre, mais privé du nom de son auteur (c’est toujours Louis-Claude Chéron). L’analyse de la pièce nouvelle montre la parenté avec la pièce précédente, avec des noms nouveaux pour certains personnages. Compte rendu favorable : si le portrait de Valsain « est peut-être un peu trop chargé, celui de Florville offre un excellent contraste avec celui de Valsain. Pièce « bien écrite et bien versifiée ». Quelques corrections dans les scènes finales assureraient « un succès durables ».]
THÉATRE FEYDEAU.
L'Homme à sentimens, ou le Moraliseur.
Cette comédie, en cinq actes et en vers, jouée le 5 brumaire, avoit été représentée avec succès, au théâtre italien, en mars 1789. Elle est imitée d'une pièce anglaise de Sheridan, intitulée l’Ecole du scandale.
Julie, pupille de Gercourt, est aimée de Valsain et Florville. Ces deux jeunes gens sont frères, et mènent une conduite toute opposée. Valsain est un moraliseur hypocrite, et Florville un jeune étourdi qui, au fond, a bon cœur. Il est aimé de Julie, à qui son père veut donner pour époux Valsain qui a su le captiver par son extérieur sage. Sudmer, leur oncle, revient d'un long voyage, et veut éprouver ses neveux. Il entre chez Florville, sous le nom d'Alexandre, juif dont se sert Valsain pour faire travailler son argent. Florville lui donne, pour caution des 10,000 francs qu'il veut emprunter, tous ses tableaux de famille, à l'exception de celui de Sudmer, qu'il garde par reconnoissance. Sudmer, satisfait de Florville, se rend chez Valsain, sous le nom de Lisimon, vieux parent éloigné, réduit à la plus grande misère. Des politesses sont tout ce qu'il en reçoit ; il sort furieux. Valsain attend une visite plus agréable ; celle de M.me Gercourt, à qui il a fait promettre de venir le voir, et qu'il veut séduire. Elle arrive ; leur entretien est interrompu par Gercourt lui-même. Son épouse se cache derrière un paravent ; et Valsain sort bientôt après, laissant ensemble Gercourt et Florville. Le dernier, qui a reconnu M.me Gercourt derrière le paravent, emmène son mari. Elle sort en accablant de reproches l'hypocrite Valsain. Sudmer revient bientôt sous le nom de Lisimon, et prie Valsain de le présenter à son oncle, dont il vient d'apprendre l'arrivée. Florville survient, et le reconnoît pour le prétendu juif ; ils sont prêts à le chasser, lorsque Gercourt entre et leur apprend que c'est leur oncle. Celui-ci a retiré des mains du juif les titres appartenans à Valsain, et d'après lesquels il faisoit poursuivre son frère. Il les déchire; et, déshéritant le faux sage, il donne moitié de son bien à Florville, qui épouse Julie.
L'auteur a tiré un grand parti de son sujet. Le caractère du Moraliseur est peut-être un peu trop chargé, mais le personnage de Florville est parfaitement en contraste avec celui de son frère. La pièce est bien écrite et bien versifiée ; et, en faisant quelques corrections aux dernières scènes, qui sont les plus faibles, on peut lui assurer un succès durable. L'auteur a gardé l'anonyme.
L’Esprit des journaux français et étrangers, trentième année, tome IV, nivôse an IX [décembre 1800-janvier 1801], p. 223-228 :
[Après avoir annoncé le succès de la pièce, devenue l’Homme à grands sentimens, ou le Moraliseur, le compte rendu se consacre à en indiquer le sujet. Encore un de ces oncles qui a fait fortune loin de France, et revient pour savoir qui héritera de sa fortune. L’intrigue est compliquée par une « action secondaire », la tentative de séduction d’une femme mariée par un des neveux. La place que lui consacre le critique est nettement supérieure à celle qu’il accorde à l’intrigue principale, et il note finalement que l’acte V ne répond pas à ce que les quatre premiers faisaient attendre. La comédie finit sur le ton du drame, mélange jugé coupable de deux genres ayant chacun leurs règles. La pièce est ensuite confrontée à ses modèles, pièces françaises remontant à un original anglais qui a déjà beaucoup servi. Ses insuffisances (« malgré le défaut d'unité, malgré l'embarras de quelques scènes, l'invraisemblance de quelques moyens ») pourraient facilement être corrigés. Son principal mérite, c’est le style, « à la fois naturel, coulant, correct & comique » Chaque rôle important a un ton qui lui correspond bien. Reste l’interprétation, jugée « très-satisfaisante. Un acteur débutant se voit donner des conseils, principalement sur son maintien, qui sont autant d’encouragements.]
THÉATRE FEYDEAU.
L'Homme à grands sentimens, ou le Moraliseur : tel est le titre d'un ouvrage en cinq actes & en vers, joué avec succès par les sociétaires de l'Odéon, réunis au théâtre Feydeau. Voici quel en est le sujet.
Lisimon, après avoir fait au Bengale une fortune considérable, revient en France, dans l'intention de disposer de ses biens en faveur de ses neveux ; mais décidé à reconnoître, avant tout, s'ils sont également dignes de ses bienfaits. L'un d'eux, Valsain, affecte les grands sentimens, garde dans ses démarches la plus scrupuleuse décence, & dans ses discours la plus rigoureuse moralité. Le Tartuffe de Molière est un hypocrite de religion, Valsain est un hypocrite de mœurs. L'un affecte la charité, l'autre la bienfaisance ; comme Tartuffe, sous le manteau de la religion, Valsain, sous le voile de l'amitié, veut séduire la femme de son protecteur & de son ami.
L'autre neveu de Lisimon se nomme Florville. C'est un de ces jeunes gens, déjà si souvent dépeints au théâtre, qui à la plus mauvaise tête joignent un cœur excellent, qui livrés aux égaremens d'une jeunesse impétueuse, dissipent & perdent tout ce qu'ils possèdent, tout, hors les sentimens d'honneur & les affections généreuses qu'une bonne éducation ajoute à un bon naturel.
Pour éprouver ses neveux, Lisimon se présente successivement chez eux sous des habits différens ; & d'abord chez Florville, sous le costume d'un usurier. Florville veut de l'argent ; mais il n'a plus de gages à donner. Sa maison est vendue; son mobilier a disparu ; il ne reste sur les murs que de vieux portraits de famille dont Florville n'a jamais vu ni connu les originaux. Le faux juif propose d'acheter cette galerie, la destinant, dit-il très-plaisamment, à un parvenu qui désire une collection d'aïeux distingués dans la magistrature & le militaire. Florville vend les siens pour 10,000 fr. ; mais en les livrant, il en met un à l'écart. Lisimon fixe le tableau ; il reconnoît son portrait, & apprend que cette exception est un tribut payé par Florville à la reconnoissance. Lisimon met bientôt son neveu à une rude épreuve : il donne du portrait un prix fou, & ne reçoit qu'un refus ; il menace inutilement de rompre le marché. Florville est inébranlable, & son oncle sort enchanté.
Sous le nom d'un parent & sous la livrée de la misère, Lisimon se rend chez Valsain & réclame des secours. Beaucoup de politesses, des phrases mielleuses, des promesses de service, si jamais l'occasion se présente : voilà ce qu'il reçoit de son neveu ; il sort courroucé, en désignant clairement celui des deux jeunes gens qui doit compter sur ses bienfaits.
Telle est l'action principale. L'action secondaire est l'intrigue que noue Valsain pour séduire la femme de son ami.
Sous le prétexte d'entretiens littéraires & de lectures instructives, Valsain a trouvé le moyen de faire consentir madame Gercourt à passer dans sa bibliothèque ; elle est à peine arrivée que Valsain change de discours & fait succéder, au ton du philosophe & du sage, celui de l'amant passionné & de séducteur audacieux ; une situation forte, dramatique & comique à la fois, suit cette scène.
L'époux se fait entendre ; madame Gercours est obligée de se cacher derrière un paravent, & Valsain d'avouer qu'il a reçu chez lui une jeune ouvrière dont les parens ont besoin de ses secours. Gercourt lui annonce des soupçons sur la fidélité de sa femme ; Valsain cherche à les détourner de lui en les faisant tourner sur son frère. Florville paroît, & se justifie avec l'accent de la franchise. Gercourt répond à cette justification par un badinage ; il veut que Florville connoisse l'ouvrière cachée.... Florville court au paravent, apperçoit madame Gercourt, & la dérobe avec adresse aux regards de son mari. Bientôt il entraîne ce dernier loin de l'appartement de son frère, ménageant à la fois un époux que Valsain trahissoit, l'honneur d'une femme imprudente, & celui même d'un frère qui venoit de le desservir.
Malheureusement, à cette scène dont la situation est neuve, l'instruction très-forte & l'effet théâtral, succède un cinquième acte froid, où l'aveu de madame Gercourt à son mari pouvoit être amené d'une manière plus adroite, & surtout moins larmoyante. En effet, où l'on ne doit entendre que l'aveu sincère & le langage franc d'une femme sûre de sa vertu, on n'aime point à trouver les gémissemens du remords & les larmes du repentir. Cette scène appartient au genre du drame : ce n'est pas à ce ton que devoit se livrer l'auteur d'une comédie, qui, dans les 2e, 3e. & 4e. actes, remplit si bien son titre. La reconnoissance de l'oncle est aussi foiblement amenée.
Le vers qui termine ainsi l'ouvrage ; on peut
Etre un moraliseur sans être un moraliste,
n'offre pas une expression parfaitement juste. Sans doute, l'auteur désiroit dire qu'on peut être moraliseur sans avoir de la moralité ; mais il ne le dit pas ; car on peut être moraliseur, on peut même être moraliste sans être un homme moral.
On voit que le sujet de cette pièce est au fond celui de l'Habitant de la Guadeloupe, & que la plupart des situations, celle de la vente des tableaux, celle de la femme obligée de se cacher se trouvent dans quelques ouvrages modernes ceux particulièrement des CC. Mercier & Duval. Il paroît que ces derniers dans quelques parties, & l'auteur nouveau dans l'ensemble de son ouvrage, ont pris pour modèle la pièce anglaise, intitulée l'Ecole du scandale, de M. Shéridan. Malgré le défaut d'unité, malgré l'embarras de quelques scènes, l'invraisemblance de quelques moyens, il ne faudroit peut-être que quelques corrections habiles, & surtout un cinquième acte plus plein, pour placer le Moraliseur parmi les ouvrages que l'on distingue le plus au théâtre. Déjà quelques changemens l'ont fait réussir complètement à la seconde représentation.
Indépendamment du mérite de situation, on doit remarquer celui du style, à la fois naturel, coulant, correct & comique. Le rôle de Valsain est ce qu'il devoit être : la période y est étendue, mesurée ; les épithètes y sont nombreuses, les précautions fréquentes. On reconnoît à ce langage l'homme qui, très-peu pénétré de ce qu'il dit, a besoin de préparer ce qu'il va dire. Florville a un tout autre ton. Son style est bref, sa phrase concise, le tour en est piquant, la saillie y domine, quand la mauvaise tête du personnage l'entraîne & le fait agir : quand c'est son cœur qui le fait parler, son vers est toujours concis, mais il est nerveux, fort de pensée & juste d'expression. Le rôle de Lisimon a un mélange de finesse & de bonhommie qui est d'un effet piquant.
La pièce est jouée d'une manière très-satisfaisante, Dorsan rend avec beaucoup d'art le rôle difficile de Valsain ; Barbier, dans le rôle de Florville, mérite d'autant plus d'éloges, qu'il est moins accoutumé à en recevoir. Gaieté franche, débit juste, intelligence exacte du rôle, voilà ce qu'on a justement applaudi en lui. Il doit veiller cependant sur son geste, qui est toujours un peu gauche, sur son attitude encore trop roide ; mais ce sont là des obstacles qu'une longue habitude & un travail infatigable peuvent à peine surmonter. L'art peut ajouter aux grâces, mais la nature seule les donne.
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