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L'Homme à sentimens, ou le Tartuffe de Mœurs
L'Homme à sentimens, ou le Tartuffe de Mœurs, comédie en cinq actes et en vers, par M. Cheron ; 14 germinal an 13 [4 avril 1805].
Théâtre Français.
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Titre :
Homme à sentiments (l’), ou le Tartuffe de Mœurs
Genre
comédie
Nombre d'actes :
5
Vers / prose ?
en vers
Musique :
non
Date de création :
14 germinal an 13 (4 avril 1805)
Théâtre :
Théâtre Français
Auteur(s) des paroles :
Louis-Claude Chéron
Almanach des Muses 1803.
Ouvrage précédemment joué, et favorablement accueilli au théâtre Feydeau.
Pour suivre l'histoire de la pièce, voir la page consacrée à l'Homme à sentimens (1789).
Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Huet et chez Charon, an ix (1801) :
L'Homme à sentimens, ou le Tartuffe de mœurs, comédie en cinq actes et en vers. Imitée en partie de the School for Scandal de Shéridan. Représentée pour la première fois à Paris, le 10 mars 1789, par les Comédiens Français du Théâtre Italien, et reprise le 5 vendémiaire an 9 (1800) par les Comédiens Français de l'Odéon, réunis aujourd'hui au théâtre de Louvois.
La pièce est précédée dans cette édition d'une longue préface en vers, adressée à Molière (trois pages, non paginées) :
PRÉFACE.
Pardon, MOLIÈRE,
Pour mon titre un peu vain de Tartuffe de mœurs.
J'en agis avec toi, comme certains auteurs,
D'une façon peut-être un peu trop cavalière.
Je ne l'atteste pas, cependant,
Plus que moi, nul homme vivant
Ne t'admire et ne te révère :
Mais, s'il faut l'avouer, pour de certaines gans
Dont j'honore à la fois et l'esprit et le sens,
Et sur-tout l'amitié sévère,
Mon titre d'Homme à sentimens
Etait beaucoup trop vague et semblait un mystère.
Au surplus, ne redoute rien,
Malgré le mauvais goût qui règne en ce bas monde,
Ne crains par l'on confonde
Mon Tartuffe avec le tien.
En vain mon prgueil en murmure,
C'est un mal for commun, dit-on, à mes pareils,
Combien ne dois-je pas aux excellens conseils,
A la critique fine et pleine de mesure
De deux ou trois amis, gens d'esprit et de goût,
Qui courageusement ont daigné jusqu'au bout
De mon ouvrage entendre la lecture,
Et cela, chose rare en pareille aventure,
Sans avoir dormi du tout.
Mais souvent l'amour-propre, aidé de la paresse,
Dédaigne les meilleurs avis :
De les avoir trop peu fidèlement suivis
Je me repens, je le confesse :
Et c'est beaucoup pour un Auteur
Qu'un aveu fait avec cette candeur.
A nos modernes Aristarques
Je dois aussi mille remercimens ;
Non pour avoir loué mes bien foibles talens,
Mais pour m'avoir servi par d'utiles remarques.
Je veux bien convenir que j'en ai profité,
Dût ma sotte véracité
Me faire perdre dans l'histoire
Mon plus beau titre à la célébrité.
Ainsi donc je leur dois une part de ma gloire,
Si mon Ouvrage arrive à la postérité.
Mon Ouvrage, ai-je dit ? – Monsieur l'Auteur, de grace,
Un peu plus de sincérité :
Même en faisant une préface,
Il faut dire la vérité.
Vous êtes convenu naguères (1)
Que vous deviez à Sheridan (2)
Des situations, presque tout votre plan,
Et vos deux plus beaux caractères :
Vous n'êtes pas un simple Traducteur,
Et vous avez bien fait ; mais, ne vous en déplaise,
Vous n'êtes qu'un imitateur.
Pour être fait à la française,
Pardonnez si je m'y connais,
L'habit que vous portez n'en est pas moins anglais.
Il était, j'en conviens, d'une longueur extrême :
Vous en avez changé les boutons, le collet,
La doublure, la coupe, et vous l'avez refait ;
Mais le drap est toujours le même.
– Je n'en disconviens pas. Je comptais bien aussi
A Monsieur Sheridan payer un grand merci,
Et de peur que je ne l'oublie,
Car un auteur ingrat se voit communément,
Monsieur Sheridan, je vous prie,
De l'agréer en ce moment.
Quant au public, malgré l'usage
De mes Confrères les Auteurs,
Que je crois en cela menteurs,
Ou coupables de persifflage,
De mes remercimens pour lui très-peu flatteurs,
Il n'exigera pas le ridicule hommage :
Si cet Ouvrage a plû, je prétends à bon droit
Que c'est lui, le Public, lui-même, qui m'en doit :
Car s'il l'eût ennuyé, de sa dure franchise
Je connais maint Auteur encore désolé,
Et j'en avais grand peur, s'il faut que je le dise,
Il m'aurait joliment sifflé.
La pièce a été de nouveau publiée en 1817, avec son nouveau titre, à Paris, chez Barba :
Le Tartuffe de mœurs, comédie en cinq actes et en vers, de Chéron ; Représentée, pour la première fois, à Paris, en 1789 ; et au Théâtre Français, le jeudi 4 avril 1805. Nouvelle édition, conforme à la représentation.
Une note placée avant la page de titre retrace l’histoire de la pièce :
Cette pièce fut représentée, pour la première fois, sous le titre de L'homme à Sentimens, par les comédiens Italiens ordinaires du Roi, le mardi 10 mars 1789. Elle reparut au théâtre Feydeau, jouée par les comédiens du théâtre de l'Odéon, et ayant pour second litre Le Moraliseur, le lundi 27 octobre 1800. Ils la reprirent le mardi 19 mai 1801, au théâtre de la rue de Louvois, où ils s'établirent alors. Quelques mois après, l'auteur, l'ayant réduite en trois actes, la fit reparaître sous le titre de Valsain Et Florville, le samedi 5 décembre de la même année. Enfin , remise en cinq actes, elle fut représentée au Théâtre Français, le jeudi 4 avril 1815 [erreur pour 1805], sous le titre de L'homme à Sentimens, ou Le Tartuffe de Mœurs; mais à sa cinquième représentation, elle fut annoncée sous le seul titre du Tartuffe de Mœurs, qui lui est définitivement resté.
La première de cette pièce (ou plutôt de sa reprise) est annoncée ainsi dans le Courrier des spectacles, n° 2971 du 14 germinal an 13 [4 avril 1805] :
Théâtre Français.
Aujourd., les Comédiens ordinaires de l’Empereur donneront la première représ. de l’Homme à sentimens, ou le Tartuffe de mœurs, com. en 5 actes, en vers, remise à ce théâtre, suivie de l’Avocat Patelin, com. en 1 acte de Brueys.
Courrier des spectacles, n° 2972 du 15 germinal an 13 [5 avril 1805], p. 2 :
[La pièce n’est pas une nouveauté (mais le parterre ne le savait pas : occasion pour le critique d’ironiser sur l’ignorance de ce pauvre public qui demande un auteur qui vit en Angleterre). Le critique ne peut que se moquer de la prétention des Anglais de faire du bon théâtre : la pièce de Sheridan ne respecte aucune des lois du théâtre que le critique croit universelles, et du pillage auquel ils se livrent : la pièce de Sheridan, dont on pourrait tirer dix comédies tant elle est confuse, est tirée d’une pièce française. Elle n’est pas sans qualités (le style, une vivacité dans certains personnages – une qualité bien française, d’ailleurs, pour le critique), un dialogue spirituel, une situation dramatique (un personnage derrière un paravent : est-ce si original ?), une scène originale. Cette pièce a été adaptée au théâtre français, et l’auteur de cette adaptation a dû beaucoup élaguer (il y avait douze changements de scène dans la pièce de Sheridan). Ce que le critique appelle une « traduction française » est assez bien écrite, bien versifiée, et la cohérence de la pièce ne souffre pas des « retranchemens que l’auteur a été obligé de faire ». Créée en 1789, jouée encore en 1800, elle reparaît en 1805, et le public a pu montrer son absence de culture en ne la reconnaissant pas (petite moquerie de la part du critique...). On a donc pu nommer l’auteur avec 16 ans de retard. Sinon, « l’auditoire étoit nombreux et bien composé » (à interpréter, bien sûr !) et les interprètes ont été bons.]
Théâtre Français.
L'Homme à sentiment, ou le Tartuffe de mœurs.
M. Shéridan est un génie presqu'universel ; il fait des harangues politiques, des comédies, des drames ; et l’année dernière, il vouloit même commander un corps de troupes légères pour courir sus aux Français, dans le cas où ils tenteroient d’envahir l’Angleterre. A cette époque tous les poètes et les comédiens avoient contracté une humeur martiale, qui auroit pu fournir de fort bous sujets de caricature.
De tous les ouvrages dramatiques de M Shéridan, celui qui lui a valu le plus de renommée en Angleterre est The School of Scandale, (l’Ecole du Scandale). On a vanté cette pièce comme le chef-d’œuvre de la comédie ; elle a été traduite en France , et tous les anglomanes se sont récriés sur les innombrables beautés qu’elle renferme. La vérité est qu’on y trouve des traits ingénieux et des intentions vraiment comiques ; mais toutes les règles de l’art et du goût y sont violées d’une manière étrange. On feroit dix comédies de ce que M. Shéridan fait entrer en une seule. Les Anglais sont plus riches en vanité qu’en idées neuves. Ils pillent le Théâtre français, et quand ils se sont parés de nos dépouilles, ils nous regardent avec dédain, et se croient vraiment les propriétaires de qu’ils nous ont emprunté. L’idée priucale de l’Ecole du Scandale est tirée de l’Habitant de la Guadeloupe. Plusieurs scènes ne sont que des imitations plus ou moins heureuses de nos meilleures pièces de théâtre ; mais M. Shéridan a revêtu tout cela d’un style piquant, il a donné â quelques-uns de ses personnages cette vivacité française si aimable dans la comédie ; il a animé son dialogue de traits spirituels, a conçu une situation dramatique (celle du paravent) ; il a composé une scène d'un effet original, celle de la vente des portraits, et son ouvrage a obtenu un succès prodigieux.
Il y a quinze à seize ans qu’un de nos auteurs imagina d’adapter cet ouvrage à la scène française. Ce travail n’étoit point facile ; car Shé ridan s’est mis fort à son aise ; la scène change chez lui, dit-on, douze fois, et l’on sent combien il est facile par ce moyen d’arriver aux effets qu’on se propose. La traduction française n’est point sans mérite ; elle est écrite en vers assez faciles, et malgré les retranchemens que l’auteur a été obligé de faire, toutes les parties sont bien liées. On sait depuis long-tems que cet ouvrage est de M. Chéron. Cette pièce a été jouée en 1789, en 1800 et depuis encore. Néanmoins le parterre s’est persuadé que c’étoit une pièce nouvelle ; il l’a applaudie avec beaucoup de bonne-foi, et à la fin de la représentation il a demandé l’auteur avec une innocence tout-à-fait amusante. On auroit pu lui dire que l’auteur étoit à Londres, qu’il étoit occupé des intérêts du Parlement, que les passages n’étoient pas libres, et qu’au prochain départ du paquebot on lui transmettroit le vœu du parterre de Paris ; mais après une itérative injonction, Damas a pris son parti, et est venu annoncer que la pièce étoit de M. Chéron. L’auditoire étoit nombreux et bien composé ; la pièce a été très-bien jouée.
L'Esprit des journaux français et étrangers, prairial, an 13, Mai 1805, p. 278-281 :
[La pièce a une longue histoire depuis 1789, et le début du compte rendu parle de la variation du titre. Puis il fait l’habituelle analyse du sujet, qualifié de simple. On y retrouve un oncle revenant de loin et voulant « éprouver ses deux neveux » pour savoir qui héritera (l’oncle a fait fortune, bien entendu). La pièce utilise le fonds proposé par « le célèbre roman de Tom-Jones », déjà exploité dans une pièce anglaise dont la pièce française ne reprend que deux scènes, mais de façon remarquable. Le sujet est présenté comme difficile : l’adaptation du caractère de Valsain, le mauvais neveu, l’hypocrite, posait bien des difficultés (on ne peut lui donner comme au Tartuffe de Molière le langage mystique qui masque si bien l’hypocrisie). Le plus remarquable dans la pièce, c’est la qualité du style : dialogue naturel et piquant, vers appelés à devenir des proverbes. La pièce a sa place parmi les « meilleures comédies modernes du théâtre français ».]
Le Tartuffe de mœurs, comédie en cinq actes et en vers, par M. Chéron.
Cette pièce avait été originairement représentée sous le titre de l'Homme à sentimens ou le Tartuffe de mœurs. Le premier titre présentait une idée trop vague. Le mot sentiment au pluriel se prend toujours en bonne part, quand on n'y joint point d'épithète. Quelques auteurs ont risqué le mot de femme à sentimens, pour exprimer une femme d'une sensibilité romanesque et exaltée ; mais cette expression n'a jamais été du bon style. L'Académie ne l'a point adoptée, et elle ne se trouve dans aucun ouvrage classique. M. Chéron a donc sagement fait de s'en tenir au titre de Tartuffe de mœurs. Ce caractère manquait à la scène française ; et il s'y trouve maintenant établi d'une manière très-distinguée.
Le sujet est simple. Sudmer, de retour du Bengale, veut éprouver ses deux neveux. Valsain affecte le dégoût de la société et des plaisirs, l'amour de la retraite, la pratique de la plus pure morale. Sudmer découvre qu'il n'est en effet qu'un hypocrite qui ruine son frère, séduit la femme et la pupille de son ami, s'enrichit par des gains usuraires. Son oncle se présente à lui sous le nom d'un vieillard malheureux. Il l'éconduit et lui refuse le plus léger secours. Florville, joueur, étourdi, prodigue, livré à tous les plaisirs, est doué d'un excellent cœur. Il est franc, plein d'honneur et de délicatesse ; toujours gai, toujours aimable, il fait le bien sans éclat et sans ostentation. Il se montre en toute occasion plein de reconnaissance et de tendresse pour Sudmer, dont il ne cesse de publier les bienfaits. Enfin, le fourbe est démasqué et puni ; l'oncle le déshérite et donne toute sa fortune à celui dont l'excellent cœur fait oublier les défauts.
Le fonds de cet ouvrage se trouve dans le célèbre roman de Tom-Jones que M. Delaplace avait plutôt imité que traduit, et dont M. Chéron a publié, il y a quelques mois, une traduction complette aussi fidelle qu'élégante. Blifil et Jones sont le vrai type du Valsain et du Florville de la pièce française. M. Shéridan, en puisant dans la même source, a placé ces deux caractères au milieu d'une foule d'autres originaux, dont se compose sa comédie de (the School for Scandal) l'Ecole de la médisance. M. Chéron n'a profité que de deux scènes principales de cette comédie, qu'il a parfaitement adaptées à la scène française, en embellissant beaucoup son modèle. La première est la vente que Florville fait à Sudmer son oncle, qu'il rend pour un juif, de tous ses tableaux de famille, seul reste de sa fortune dissipée, en exceptant le portrait de son oncle, que Sudmer offre de lui payer plus que tous les autres ensemble. La seconde est celle où Florville, découvrant derrière un paravent la femme de Gercour, son tuteur, sauve l'honneur de cette femme inconséquente, en refermant le paravent sur elle, et emmène Gercour pour donner à sa femme le temps de sortir de l'appartement de Valsain. Ce trait de générosité de Florville appartient tout entier à M. Chéron, et cette scène traitée, avec une grande habileté, est d'un effet admirable et parfaitement dans le caractère du jeune étourdi.
Il fallait beaucoup d'art pour développer au théâtre un caractère comme celui de Valsain, sans le rendre trop odieux. Le langage mystique du Tartuffe de dévotion, a servi parfaitement Molière. Cette ressource manquait absolument à l'auteur du Tartuffe de mœurs. Quoi qu'il en soit, il a souvent vaincu les difficultés du rôle de Valsain ; et celui de Florville présente un contraste si charmant, qu'il soulage le cœur quelquefois attristé par la noirceur de son frère.
Cette comédie est sur-tout remarquable sous le rapport du style. Il y a long-temps que l'on n'a présenté, sur la scène française, un ouvrage aussi bien écrit. Le dialogue est toujours naturel, piquant, et souvent plein de chaleur. Il y a une foule de vers qui doivent devenir proverbes. Cet ouvrage fait le plus grand honneur à M. Chéron, et doit être mis au nombre des meilleures comédies modernes du théâtre français.
La base La Grange de la Comédie Française présente le Tartuffe de mœurs sous le titre ancien de l’Homme à sentiments ou le Tartuffe de mœurs. Reprise de la pièce créée au Théâtre Italien le 10 mars 1789, elle est créée à la Comédie Française le 4 avril 1805 et a connu 77 représentations jusqu’en 1833.
(1) Avant la première représentation, dans le Courier des Spectacles et plusieurs autres journaux.
(2) Célèbre membre de l'Opposition du Parlement d'Angleterre.
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