L'Inconnu, ou Misanthropie et Repentir

L'Inconnu, ou Misanthropie et Repentir, comédie en 5 actes, en vers, imitée du Théâtre allemand de Kotzebue, par A. F. Rigaud ; lue le 2 Vendémiaire an 4 [24 septembre 1795] aux Comédiens Français réunis au théâtre Feydeau, et reçue par eux le même jour. Prix 1 fr. 25 cent. Paris, Laurent, imprimeur-libraire, rue Jacques, n°. 32.

Pièce reçue, mais non représentée

Almanach des Muses 1800

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Laurens Je, An VII :

L'Inconnu, ou misanthropie et repentir, comédie en cinq actes et en vers ; Imitée du théâtre allemand de Kotz-Bue, Par A. F. Rigaud. Lue, le 2 vendémiaire an 4, aux Comédiens Français, réunis au théâtre Feydeau, et reçue par eux le même jour.

Sic vos non vobis mellificatis, apes.

Virgilii vita.

Une main anonyme a ajouté, dans l'exemplaire consulté sur Internet : « Représentée sur le Théâtre des Jeunes Artistes le       septembre 1799 ».

 

La brochure comporte une préface, p. iii-vii :

Préface.

J'ai balancé long-tems à livrer cette Pièce à l'impression. En effet, un Ouvrage dramatique, qui n'a point été représenté, offre au public un si faible intérêt de curiosité ! Peut-être, cependant, ne sera-t-on pas fâché de comparer celui-ci avec le drame qui a fait couler les larmes de tout Paris.

D'ailleurs, quand on saura que je suis le premier qui ai traité ce sujet, qu'il y a environ quatre ans que l'Inconnu a été fait, que, le 2 vendémiaire an 4, il a été reçu avec enthousiasme par les Comédiens Français, réunis alors au théâtre Feydeau, que les rôles ont été acceptés par les premiers talens de cette aimable réunion ; et qu'enfin, par une manœuvre, que je ne me permettrai pas de qualifier, Misanthropie et Repentir a été substitué à l'Inconnu ; on me plaindra sans doute, on s'intéressera en ma faveur : et ce sera pour moi une consolation, qui adoucira du moins l'amertume des chagrins que j'ai éprouvés, et que j'éprouverai encore long-tems, à l'occasion de cet ouvrage.

Pour mieux mettre mes lecteurs au fait, je vais transcrire ici ma réclamation, qui a été insérée, le 3 nivose dernier, dans le n°. 24 du journal des Théâtres.

Au Rédacteur du Journal des Théâtres.

Citoyen,

» 0n se dispose à jouer très incessamment, au théâtre de l'Odéon, un drame en prose, intitulé : Misanthropie et Repentir, traduit de l'Allemand par un comédien nommé Bursay, et qui est mort actuellement. Séduit par l'intérêt et les situations touchantes de ce sujet, je me suis occupé, il y a environ quatre ans, à adapter cette pièce à la scène française ; je l'ai écrite en vers, et je me suis attaché à l'imiter plutôt qu'à la traduire, sous le titre de l'Inconnu.

» Le 2 vendémiaire an 4, j'ai fait lecture de mon Ouvrage aux Comédiens Français, réunis au théâtre Feydeau ; il a été reçu par eux : et je me rappelle, même avec plaisir les larmes qu'il a fait répandre à la citoyenne Contat.

» Depuis cette époque, l'administration de la comédie française ayant passé successivement de mains en mains, il m'a été impossible, malgré tous mes efforts, d'obtenir la représentation de ma comédie.

» Comment donc se fait-il aujourd'hui que les Comédiens de l'Odéon, dont plusieurs étaient présens à ma lecture de Feydeau, préfèrent à mon Ouvrage, écrit en vers, une traduction en prose, d'un auteur mort, qui sans doute n'a pris d'autre peine que d'élaguer les trivialités allemandes ?

» Comment se fait-il que quelques artistes de ce même théâtre, avec qui je suis lié d'amitié, n'aient fait aucune réclamation en ma faveur ?

» Voici la solution de cette dernière question.

» Mes amis n'ont su que ce drame allait être représenté, qu'à 1'instant où il a été répété, appris, et sur le point d'être offert au public ; et cette fois, le secret de la comédie a été gardé scrupuleusement.

» Je proteste, citoyen, qu'en vous adressant ces réflexions, je n'ai point l'intention de décrier l'ouvrage du comédien Bursay. Le sujet est si intéressant que d'avance je suis persuadé de sa réussite ; mais comme je suis révolté de l'injustice qui m'est faite, comme d'ailleurs l'Inconnu peut être joué sur un des théâtres de cette commune, et que je ne suis pas bien aise d'être accusé de plagiat, je vous prie, de vouloir bien insérer ma lettre dans un de vos plus prochains numéros.

Salut et estime.

L'Auteur de L'Inconnu».

C'est assez s'appesantir sur des détails qu'il était important pour moi de publier, mais qui, prolongés davantage, cesseraient peut-être d'exciter l'intérêt. Il ne me reste plus qu'à présenter quelques observations sur le fond de mon travail en lui-même.

Mon premier, mon plus grand soin, dans la composition de cette pièce, a été de me rapprocher, le plus possible, du genre de notre théâtre.

J'ai supprimé le rôle du comte de Walberg, parce que je l'ai regardé comme parasite, et entravant même la marche de l'action; il ne paraît presque jamais que pour dire des niaiseries : et dans l'ouvrage qui a été représenté, il a fallu tout le talent toute la gaîté du citoyen Grandmesnil pour le faire supporter. D'ailleurs, est-il présumable qu'un homme de quarante ans, bien fort, bien vigoureux, tombe, se noie, dans le petit ruisseau d'un jardin anglais, et qu'il faille appeller du monde pour le secourir ? La vraisemblance n'est-elle pas blessée de la manière la plus choquante ? Je crois avoir paré à cet inconvénient, en supposant que le château, où la scène se passe, appartient à une veuve qui a une jeune fille de huit à dix ans, & que c'est cette jeune personne qui tombe dans l'eau. Ce changement m'a paru très-essentiel, puisque c'est sur l'histoire du pont chinois qu'est bâtie toute la fable de la pièce.

Il est étonnant que Bursay ait conservé ce rôle, puisqu'il fait dire à ce personnage : (Acte V, scène première) « Je me retire, persuadé que je vous suis au moins inutile ».

Dans la scène du troisième acte où Eulalie, que j'appelle Léonore, se découvre à madame Volmour, (c'est encor ainsi que je nomme ma veuve) je n'ai pas poussé, comme dans l'original, la déclaration jusqu'au bout ; Léonore ne dit point qui elle est, elle ne raconte point sa faute toute entière, elle est prête à en faire l'aveu, mais elle est retenue par la honte, le remords qu'elle éprouvé à dévoiler son fatal secret, même aux yeux d'une amie qui lui témoigne tant de bonté. La situation, prise ainsi, me semble plus vraie, plus naturelle, elle ne nuit pas d'ailleurs, ce qui n'est pas moins important, à l'effet de la reconnaissance des deux époux, au quatrième acte J'ai donc cru devoir ne dire en ce moment que ce qui pouvait tenir le spectateur en suspens, éveiller la curiosité. Quoique ceci n'ait point été sensible à la représentation, je n'en regarde pas moins cette observation comme fondée.

On sera peut-être surpris que j'aie donné à cet Ouvrage le titre de comédie, mais la Gouvernante, mais Mélanide, mais presque toute les pièces de la Chaussée ne sont-elles point des drames ? elles portent cependant le nom de comédie.

Un autre motif plus peremptoire qui m'a déterminé, le voici. L'Ouvrage de Kotz-Büe devait avoir une brillante réussite, on ne pouvait s'y méprendre. Il était à craindre que l'exemple d'un succès si prodigieux n'enfantât beaucoup d'imitateurs, qu'on ne négligeât la bonne comédie, la comédie de mœurs, la comédie nationale pour exploiter les mines étrangères. J'ai voulu en quelque sorte diminuer l'effet de cette dangereuse impulsion, et sur-tout endormir l'attention de nos infatigables dramaturges. Mais ce qui me rassure, c'est qu'on ne trouvera de long-temps un sujet comme Misanthropie et Repentir.

Enfin, j'ai mis cette pièce en vers parce que j'ai cru que, dans un sujet qui n'est point d'invention, il n'y avait aucune espèce de mérite à présenter au public une traduction bien prosaïque, bien languissante, où l'on parle plus qu'on ne veut, allemand en français.

Telle est la tâche que je me suis imposée, on jugera si elle est remplie.

 

[En décembre 1798, à l'Odéon, a été joué Misanthropie et Repentir mais c'est, semble-t-il la pièce en prose traduite par Bursay.]

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