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Misanthropie et repentir

Misanhtropie et repentir, drame en cinq actes et en prose de Kotzebue, traduit en français par Bursay, avec des modifications de Mlle Molé, 7 nivôse an 7 [27 décembre 1799].

Théâtre de l'Odéon

Titre :

Misanthropie et repentir

Genre

drame

Nombre d'actes :

5

Vers / prose

prose

Musique :

non

Date de création :

7 nivôse an 7 (27 décembre 1799)

Théâtre :

Théâtre de l’Odéon

Auteur(s) des paroles :

Kotzebue, Bursay, Mlle Molé

Almanach des Muses 1800

Le baron de Melau a souffert de l'injustice des hommes, il a été trompé par sa femme dont il a eu deux enfans. Il fuit le monde, et vit solitaire dans un pavillon du château de Valberg. La baronne de Melau a ouvert les yeux sur sa faute, elle a quitté son séducteur, s'est présentée chez la comtesse de Valberg, lui a demandé asyle sous le nom de madame Miller, et l'a obtenu. Elle habite le pavillon opposé à celui où son mari s'est retiré. Ils sont là depuis deux ans, et ne s'y sont point rencontrés, parce que l'un fuit les hommes, et que l'autre craint de rougir à leur vue. Au reste, ils exercent à l'envi des actes de bienfaisance, et s'estiment, sans se connaître, sur leur bonne réputation.

Le comte de Valberg arrive chez lui avec sa femme et son beau-frère, major au service de l'empereur d'Allemagne. Le major voit madame Miller, il apprend le bien qu'elle fait, il en devient amoureux. Il charge bientôt sa sœur de parler en sa faveur à cette vertueuse femme. La comtesse a dit quelques mots, et ils ont provoqué de la part de la baronne de Melau l'aveu de sa faute. Dans ces entrefaites, le baron de Melau, qu'on ne connaît que sous le nom de l'Etranger, a sauvé la vie au comte de Valberg, qui a risqué de se noyer en passant sur un pont chinois, qui a croulé sous lui. Le major veut voir le libérateur de son beau-frère ; il obtient, avec beaucoup de peine, la permission de l'entretenir deux minutes. Il est avec le baron ; quelle est sa surprise, lorsqu'il reconnaît en lui son ami, son frère d'armes ! Il le décide à recevoir la visite de la famille Valberg. Elle arrive en effet, mais accompagnée de madame Miller, qui s'évanouit tandis que le baron fuit lui-même, confondu de cette rencontre. Le major, qui se trouve ainsi dans la confidence du secret des deux époux, veut les réunir. Il a un entretien avec le baron, qui, en avouant son amour pour sa femme, se sent combattu par le préjugé qui l'en éloigne ; mais le baron consent enfin à un dernier adieu, après lequel il emmènera ses enfans avec lui. Les deux époux se voyent, ils vont se séparer.... pour jamais.... Le major et sa sœur paraissent avec es deux enfans dans leurs bras, ils les présentent aux époux. Melau s'attendrit à cette vue, se tourne vers sa femme, lui tend les bras, et s'écrie : Eulalie, embrasse ton époux !

Traduction presque littérale de la pièce de Kotzebue, auteur allemand.

Du vide dans les premiers actes, des personnages secondaires à-peu-près inutiles ; mais un fonds très-intéressant, une situation neuve, des scènes attendrissantes, des mots du plus grand effet. Succès prodigieux et mérité.

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez le libraire au Théâtre du Vaudeville, an VII :

Misantropie et repentir, drame en cinq actes, en prose, Du Théâtre Allemand de Kotz-Bue, Traduit par Bursay, Et arrangé à l'usage de la Scène française, par la Citoyenne Molé, Artiste du Théâtre français, faubourg Germain. Représentée, pour la première fois, sur ce Théâtre, le 7 nivôse, an 7.

Ah ! que la vertu outragée se venge cruellement !

                                                    Act. III. Sc VIII.

Il ne faut pas confondre, comme le fait la base César, cette pièce en prose avec la pièce en vers de Rigaud, intitulée L'Inconnu ou Misanthropie et repentir. La pièce de Rigaud n'a, semble-t-il, pas été représentée.

La Biographie universelle, ancienne et moderne, tome 69 (1841), p. 104-105, dans l'article consacré à Kotzebue, retrace le destin de la pièce allemande :

  • elle a été jouée en 1787, et publiée à Berlin en 1789 (deuxième édition en 1790) ;

  • elle a été imitée ou traduite en français :

    • en prose, par Louis Antoine Fauvelet de Bourrienne (publiée en 1792 à Varsovie) ;

    • en vers par H. F. Rigaud, Paris, 1799, l'une et l'autre sous le titre de l'Inconnu ;

    • par Weisse, avec l'original en regard, Paris, 1799 ;

    • par Mme Bursay, pour Mme Julie Molé, qui le fit représenter au Théâtre-Français en 1799 (en fait, à la toute fin de décembre 1798). L'attribution à madame Bursay est contredite par les comptes rendus.

La pièce a été l’objet d’une large discussion, dont le Courrier des spectacles a rendu compte :

Courrier des spectacles, n° 675 du 8 nivôse an 7 [28 décembre 1798], p. 2-3 :

Théâtre Français de l’Odéon.

On connoît notre antipathie pour les drames ; nous n’avons cessé de déclarer que nous regardions ce genre comme extrêmement pernicieux à l’art dramatique, par la funeste facilité qu’il offre à ceux qui, entrant dans cette carrière, n’ont pas le courage de se livrer au long travail qu’elle exige. Malgré cette prévention, que nous croyons très-fondée, nous ne pouvons nous empêcher de rendre justice à celui représenté hier pour la première fois à ce théâtre sous le titre de Misantropie et Repentir. Il a obtenu le plus grand succès, et nous pensons qu’il l’a mérité. Ses personnages ne sont pas de vils scélérats, des voleurs, des assassins ; ce ne sont pas des revenans, des fantômes qui mènent l’intrigue ; on n'y voit pas de poignards, d’empoisonnemens : on y reconnoit un homme devenu misantrope par la perversité de ses semblables, une femme coupable par foiblesse, repentante par vertu. On éprouve un vif intérêt pour plusieurs individus, mais les personnages principaux n’en souffrent point et fixent bientôt seuls toute l’attention ; des scènes bien conduites amènent enfin à un dénouement qui a satisfait tous les sprctateurs.

Cet ouvrage est traduit du théâtre allemand. L’original est du président de Kotzbue [sic] et la traduction de Bursay, comédien de Bruxelles. La pièce fut jouée dans cette ville avec le plus grand succès ; la citoyenne Molé y remplissoit alors le principal rôle. Elle fit l’acquisition de cet ouvrage, et c’est elle qui y a fait les changemens nécessaires pour le présenter sur la scène française. Ou doit savoir d’autant plus de gré à cette estimable artiste des soins qu’elle s’est donnée, qu’elle a volontairement abandonné le produit de sa part d’auteur à la veuve de Bursay.

Le baron de Melo, originaire allemand, at taché pendant quelque tems au service de France, depuis lieutenant-colonel dans sa patrie, a quitté l’état militaire dans lequel il a éprouvé des injustices. De faux amis lui ont enlevé une partie de sa fortune ; il a épousé une jeune personne de quinze ans et vivoit heureux avec elle, quand un jeune homme qui lui devoit tout, a pour prix de ses bienfaits, séduit son épouse et a pris la fuite avec elle. Melo, au comble du désespoir, a concu de l’horreur pour tous les hommes. Il a confié à de pauvres gens le soin de deux enfans qu’il a eus de son mariage ; et depuis trois ans il erre de solitude en solitude, accompagné de Franclk, son valet, qui ignore son nom. Quatre mois se sont écoulés depuis qu’il occupe un pavlllon dans le parc du comte de Walker. L’absence de ce seigneur a laissé Bidermann, son intendant, disposer à son gré du château ; et c’est Bidermann qui loue le pavillon à l’inconnu.

L’infortunée baronne de Melo n’a pas été long-tems à se repentir de sa faute. Elle s’est échappée des mains de son séducteur, et, sous le nom de Mad. Miller, elle a obtenu un asyle chez la comtesse de Walker, dont ses qualités lui ont acquis l'amitié. Elle commande dans la maison en l’absence des maîtres, et y vit dans la solitude ; des livres et des actes de bienfaisance adoucissent ses peines. Une lettre lui apprend le retour du comte et de la comtesse, qu’accompagne le major de Horse, frère de cette dernière. Le major arrive le premier, il voit Mad. Miller. Un entretien qu’il a avec elle lui donne la plus haute idée de son esprit ; il ne tarde pas à en concevoir un aussi favorable de son cœur, par le récit d’un malheureux qui vient, malgré elle, lui rendre grâces des services qu’il en a reçus. Le major devient amoureux et fait bientôt part de ses sentimens à sa sœur, dont il implore le secours pour lui faire épouser Mad. Miller. Le vieux comte de Walker va voir les embellissemeus que Bidermann a faits dans le parc : un pont chinois, digne objet de la prédilection de l’intendant, enfonce sous les pas du comte ; il risque d’être noyé quant un inconnu accourt, se jette à la nage, le sauve et disparoît.

La comtesse tfit part à Mad. Miller des dispositions du major à son égard : l’infortunée baronne se voit obligée de découvrir son secret. Elle trouve dans son amie plus d’indulgence que de sévérité. Après d’inutiles efforts pour engager l’inconnu à venir recevoir les remerciemens du comte, le major entreprend de l’y déterminer. Il obtient, en effet un moment d’entretien et reconnoît en lui son ancien ami, le baron de Melo ; ce dernier ne peut se refuser à lui confier ses peines et consent à aborder la société du comte lorsqu’ils passeront dans le parc. Ils y arrivent en effet ; mais quel est l’étonnement du baron et de la baronne, lorsqu’ils se reconnoissent ! celle-ci se trouve mal et le baron s’enfuit. C’est ainsi que se termine le quatrième acte, par une scène muette la plus expressive.

Eulalie, c’est le nom de la baronne, n’espère pas que son mari puisse jamais lui pardonner ; elle desire seulement l’entretenir un moment, et avoir des nouvelles de ses enfans. Le généreux major obliant [sic] son amour, n’a plus d’autre désir que de réunir les deux époux ; il obtient de Melo ce que souhaite Eulalie. Elle paroît devant lui, veut lui remettre un acte de consentement à leur divorce. Melo, que le préjugé seul empêche de reprendre son épouse, déchire l’acte, et jure de ne jamais contracter d’autres nœuds. Il veut lui assurer un sort pour l’avenir ; elle le refuse, et tandis qu’ils se disent un éternel adieu, la comtesse et le major leur présente à chacun un de leurs enfans. Melo ne peut plus y résister : Eulalie, s’écrie-t-il, embrasse ton époux, et la toile se baisse.

Cette dernière scène est de la plus grande beauté ; on peut dire la même chose de la dernière du quatrième acte et de celle du troisième, où la baronne se découvre à la comtesse, nombre d’autres scènes sont du plus grand intérêt, il est, en général, peu de reprocher à faire à cet ouvrage ; quelques longueurs, des détails minutieux faciles à faire disparaître. Le rôle de femme-de-chambre semble inutile ; quelques expressions peut-être sont excellentes eu allemand, mais peu signifiantes dans la traduction.

Le cit. St.-Phal présente encore un genre nouveau dans le rôle du baron ; le cit. Naudet a montré la sensibilité la plus exquise dans le personnage du vieux Tobie.

La cit. Simon a mis beaucoup d’expression et déployé beaucoup de force dans celui de Eulalie. La cit. Beffroy a joué les rôle de Peter avec intelligence et une aimable légèreté. Les autres rôles sont parfaitement rendus par-les cit. Grandménil, Dorsan et Picard, et par la citoyenne Molé que l’on a doublement applaudie comme artiste et comme auteur. Tous les acteurs ont été appellés.

Le Pan.

Courrier des spectacles, n° 680 du 13 nivôse an 7 [2 janvier 1799], p. 2 :

Théâtre Français de l’Odéon.

La première représentation de Misantropie et Repentir, n’avoit pas attiré beaucoup de monde. La troisième fut donnée avant-hier : le parterre étoit plein, et le reste de la salle assez bien garni. Tel doit être le succès d’un bon ouvrage ; celui-ci n’a pas eu besoin d’être soutenu contre les efforts de la critique. Cet utile défenseur du bon goût s’est tu devant l’ouvrage nouveau. Ces journalistes qu’on accuse de méchanceté et d’envie, ont tous été d’accord pour rendre justice à l’auteur ; et, ce qui n’est pas moins rare, l’auteur a écouté les conseils des journalistes. Il a fait disparaître le rôle de soubrette, qui avoit été généralement reconnu inutile. Il a fait d’autres retranchemens moins importans qui lui avoient été indiqués ; et peut-être croira-t’il nécessaire d’en faire encore quelques-uns. Les fréquens complimens adressés à Mme. Miller, quelques phrases surabondantes, nous semblent mériter encore l’attention de la cit. Molé, qui a si bien su élaguer de cet ouvrage ce qui pouvoit être regardé comme longueur. Nous lui soumettons particulièrement notre observation sur les mots cela me fait plaisir, qui sont dans la bouche du baron de Meno, dans l’avant-dernière scène du cinquième acte. Ce mari outragé, mais sensible, dit à-peu-près à son épouse : Vous aimez à faire du bien, cela me fait plaisir ; il est juste que vous ayez les moyens de vous satisfaire. Les mots cela me fait plaisir sont au moins inutiles ; ils m’ont paru même peu naturels. La situation attendrissante où Meno se trouve, avec sa chère et coupable Eulalie, ferme son cœur au plaisir, et semble lui interdire d’en prononcer le mot.

Quoiqu’il en soit, cette pièce ne peut manquer d’avoir le succès le plus durable. La France doit envier à l’auteur allemand les traits de génie répandus dans cet ouvrage. Nous citerons, pour exemple ces mots : encore une larme qui, dans la bouche de Meno, racontant ses malheurs à son ami (l) ; la reconnoissance admirable de Meno et son épouse, qui termine le quatrième acte, où la défaillance de l’un et la fuite de l’autre produisent l’effet le plus pathétique ; l’avant-dernière scène du cinquième acte, dans laquelle Meno dit à la repentante Eulalie, qui n’ose l’aborder : Eulalie, que veux-tu ? et cette manière admi^hle et précise dont se termine la pièce quand Meno , après avoir embrassé sa fille , que lui présente le major , se tourne du côté de son épouse et lui dit ces seuls mots : Eu~ lalie , embrasse ton époux. Nous avons déjà parlé de l’ensemble avec le quel cette pièce est jouée : la citoyenne Simon , sur-tout y obtient les plus vifs applaudissemens.

(1) Le citoyen Saint-Fal a sans doute le dessein de fixer l’attention du public sur ces mots, lorsqu’on les prononçant il se frappe l’œil d’une manière assez forte : nous pensons que cet estimable artiste pourroit se contenter d’essuyer la larme, sans se frapper le visage, comme s’il vouloit écraser quelque volatile incommode.

Courrier des spectacles, n° 682 du 15 nivôse an 7 [4 janvier 1799], p. 2 :

Théâtre Français de l’Odéon.

Nous avons donné, dans le numéro 675 de ce journal, l’analyse de Misantropie et Repentir, drame en cinq actes ; voici les jugemens qu’en ont porté plusieurs journaux.

Journal de Paris, du 9 nivôse,

Analyse de la pièce.    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .

Telle est à-peu-près l’action principale de Misantropie et Repentir, drame en cinq actes et en prose, joué avant-hier, pour la première fois, sur ce théâtre, avec le succès le plus marquant ; on voit, par ce simple exposé, que l’auteur n’a employé, pour émouvoir, aucun de ces moyens atroces ou surnaturels , dont on ne se fait plus maintenant qu’un jeu. Cet ouvrage n’offre ni sépulcres, ni poignards, ni poison, ni incendies, ni revenans, et pourtant il a ému tous les cœurs. C’est qu’il offre par-tout le véritable langage du sentiment, c’est que tout y est simple comme la nature, c’est que les moindres ressorts y concourrent puissamment à l’intérêt principal, c’est qu’enfin il est rempli de situations attachantes et écrit du style le plus touchant. Nous ne craignons pas de le dire, ce drame est le meilleur qu’on ait fait depuis longtems, peut-être même depuis Eugénie. Les critiques sévères qui ont eu la force d’essuyer leurs larmes pour chercher les défauts de cette pièce, y ont sans doute remarqué des longueurs dans l’exposition, un peu de surabondance dans le dialogue des premiers actes, quelques traits outrés dans la misantropie de Mello, et sur-tout un rôle de soubrette absolument nul ; mais, par bonheur, ce ne sont là que des taches faciles à faire disparaître, et probablement elles n’existeront plus à la seconde représentation.

Petites affiches, du 9 nivôse.

La première représentation de Misantropie et Repentir, drame en cinq actes et en prose, donnée avant-hier à ce théâtre, a réussi.

Suit l’analyse.    .    .    .    .    .

Ce drame comporte un grand intérêt et de belles situations. La scène de l’évanouissement, qui permine le quatrième acte, la réunion des enfants aux deux époux, qui forme le dénouement, ont produit le plu grand effet. On pourroit bien y relever quelques longueurs et quelques négligences de style ; mais il est aisé d’y remédier à une seconde représentation : en général le dialogue de cette pièce est facile et naturel ; il n’y a point d'exagération, point de moyens forcés, ni ces ridicules accessoires des pièces du jour ; la marche en est sage, l’action bien ménagée, et le succès de cet ouvrage tient à son propre fonds.

Courrier des spectacles, n° 684 du 17 nivôse an 7 [6 janvier 1799], p. 2 :

Théâtre Français de l’Odéon.

Malgré l’éloignement de ce théâtre et la rigueur de la saison, Misantropie et Repentir avoient attiré avant-hier à ce théâtre un grand nombre de spectateurs. Rien ne prouve mieux combien les nouveautés ont d’attraits pour le public, et qu’il s’empressera toujours d'accueilir, dans quelque quartier que ce puisse être, celles qui paroîtront mériter son attention.

Courrier des spectacles, n° 687 du 20 nivôse an 7 [9 janvier 1799], p. 3 :

Décorations employées dans Misantropie et Repentir.

Acte Ier. – Le théâtre représente un site champêtre ; un château paroît sur une partie élevée et dans le lointain, à droite des spectateurs. Du même côté, au second plan, est une misérable cabane, entre quelques arbres qui la couvrent, parmi lesquels on doit distinguer un vieux tilleul, du même, au bas de la colline, est un commencement d’allée d’arbres qui mène à la demeure de l’inconnu.

Sur la gauche des spectateurs, à la 3 me. coulisse , est un espèce de pavillon dont on ne voit qu’une partie ; mais dans lequel on peut entrer. Sur l’avant-scène •, du même côté , en face de la cabane est un banc de pierre.

Acte II. – On voit l’intérieur du salon du château. Dans le 3e, 4e et 5e acte même décoration que pour le premier.

Costumes - Le baron de Mello - Habit bleu croisé à parements tendus, boutons de métal blanc, veste rouge unie, culotte bleue et bottes, point de poudre, point de rosette à la queue.

Franck — Habit gris, veste jaune, culotte grise, bonnet rond de comique.

Le comte – A son arrivée, uniforme bleu, revers jaune, boutons blans, épaulettes et aiguillettes de colonel, veste et culotte blanche, des bottes, chapeau uniforme, uni, épée uniforme avec dragone. A son arrivée au IVe. acte, habit rouge, mise bourgeoise.

Le major – Même habillement, à l’exception des épaulettes et aiguillettes de major.

Bittermann – Habit quarré brun, veste blanche, boutonnières rouges, culotte de même couleur que l'habit, bonnet de velours noir, jusqu’à l’arrivée de ses maîtres, ensuite perruque très-large.

Le vieux Tobie – Veste grise à poches et à revers un peu longue, gilet rouge pâle, culotte semblable à la veste, le tout de- gros drap.

Peters – Simple habit de paysan, gris de fer à poches, fort court, gilet blanc, culotte semblable à l’habit, chapeau à trois cornes fort grand et pointu.

La comtesse – Habillement de campagne, bonnet de velours noir, surmonté de plumes blanches à paillettes.

Madame Miller – Robe ronde à l’allemande de taffetas gris, taille courte et très-plissée sur le derrière, simple chapeau de paille, forme allemande sans aucun ruban.

Une femme de chambre, personnage muet, robe ronde à l’allemande.

Les deux petit» garçons de 4 à 5 ans, vêtus en matelots, la petite fille en chemisette blanche.

Courrier des spectacles, n° 695 du 28 nivôse an 7 [17 janvier 1799], p. 2 :

AU REDACTEUR

du Courrier des Spectacles.

Paris, ce 24 nivôse.

Citoyen,

Que j’ai répandu le 23 de ce mois de douces larmes à la représentation .de Misantropie et Repentir. Né Allemand, ayant toujours idolâtré le spectacle, j’ai souvent vu représenter cette pièce dans sa langue maternelle, je l’ai aussi vu jouer à Amsterdam, traduite eu Hollandais ; dans ces deux langues, la représentation en dure quatre heures et demie, et je ne m’imaginois pas; que l’impatience française put tenir contre les détails immenses et les scenes inutiles que notre théâtre permet.

Grâces soient donc à jamais rendues à la citoyenne Molé du travail immense qu'elle a fait pour déblayer ce cahos ; du soin qu’elle a pris d’en conserver toutes les beautés, et du goût exquis qu’elle a mis dans les changemens heureux qu’elle a faits, sur-tout dans la scène du troisième acte, entre Mde. Walberg et Eulalie ; si ces changemens étoient connus, je ne doute pas qu’on ne regardât cette estimable actrice comme une femme infiniment spirituelle, connoissant parfaitement le cœur humain et la marche d’une scène intéressante ; aussi je m’étonne beaucoup que la galanterie française n’ait pas exigé que la citoyenne Molé communiquât la traduction sur laquelle elle a travaillé, pour que les gens de lettres et le public puissent lui accorder le degré d’estime qu’elle mérite, et ensuite lui témoigner la reconnoissance qu’on lui doit d’avoir arrangé pour la scène française un ouvrage qui, malgré l’intérêt pressant dont il est rempli, devoit, dans son état primitif, en être exclus pour jamais ; c'est vous, citoyen, qui devez être chargé de ce soin ; et en qualité d’Allemand impartial pour les productions de mon pays, je verrai avec le plus grand plaisir ce qui appartient à mon compatriote Kotzbue, et le parti savant qu’en a tiré la citoyenne Molé. L'on a jeté sur le théâtre, à l’Odéon, des vers : à force de soins j’ai appris que c’étoient des éloges adressés au citoyen St.-Fal et à la citoyenne Simon, on ne peut trop leur en donner sur la manière dont l’un représente la sombre mélancolie causée par le désespoir, et l'autre exprime la sensibilité d’un repentir vrai ; mais j’ai vu, avec la peine la plus vive que la cit. Molé n’étoit pour rien dans cette galanterie, et je me suis écrié , dans mon transport :

      Faire des vers à Simon et St.-Fal
C’est bien ; mais oublier qui monta leur génie,
            En divinisant la copie,
            C’est outrager l’original.

Rodolphe Vekman.

Note du Rédacteur.

Depuis la représentation de cet ouvrage, j’ai vu le premier manuscrit de la citoyenne Molé, qui offre dans nombre d’endroits plusieurs pages de suite rayées ; et j’ai été à même de me convaincre que ce n’est que par un très-grand travail, beaucoup de goût et une grande connoissance de la scène, qu’elle a pu parvenir à rendre cette pièce aussi agréable sur notre théâtre.

(*) Cette lettre nous étoit parvenue avant-hier, le défaut de place nous a empêché de l’insérer.

Courrier des spectacles, n° 698 du 1er pluviôse an 7 [20 janvier 1799], p. 2 :

AU RÉDACTEUR

du Courrier des Spectacles.

Ce 29 nivôse, an 7.

Comme femme, j’espère que vous ne me disputerez pas, citoyen, une étude qui nous est particulière, (étude que par goût et par le desir inné que nous avons de plaire) est souvent la seule que nous approfondissions. Ce préambule vous annonce que je veux parle de la toilette.

Celle de la citoyenne Molé dans Misantropie et Repentir est très-inconvenante, très-ridicule, et nuit (j’ose le dire) à l’ensemble de la pièce, parce qu’à chaque entrée qu’elle fait, elle excite ou un rire ou une remarque qui jette sur son rôle une espèce de défaveur.

La comtesse n’est plus une jeune femme ; elle voyage, et son caractère n’admet qu’une toilette simple, noble, sans aucune recherche affectée, tel que des plumes pailletées.

Celle qui, je crois, seroit plus dans l'esprit du rôle, seroit une robe coupée brune sans aucune garniture, un mantelet de dentelle, un bonnet blanc sans fleur et sans plumes, ou un chapeau de paille avec un voile.

Veuillez bien, citoyen, insérer ma lettre dans votre journal et recevoir l’assurance de mon estime.

Une de vos abonnées.

C’est avec raison que notre abonnée critique la mise de la citoyenne Molé, comme n’étant pas celle d’une femme qui arrive d’un voyage, mais les plumes sont nécessaires à sa coëffure, ou bien il faudroit changer un passage de la piece où le baron de Mello parle des plumes qu’il apperçoit, etc. Ce qui prouve que l’auteur a eu intention que la comtesse en portât.

Courrier des spectacles, n° 700 du 3 pluviôse an 7 [22 janvier 1799], p. 2-3 :

AU RÉDACTEUR

du Courrier des Spectacles.

Citoyen,

Je me garderais bien de répondre à la lettre de la personne qui se signe seulement votre abonnée, et qui est insérée dans votre numéro du premier pluviôse ; je la laisserois tomber dans l’oubli où doit être plongé tout ce qui n’est dicté que par l’envie et la jalousie ; mais il importe au succès de la pièce que j’ai eu la satisfaction de mettre à l’usage de la scène française, que les actrices qui joueront mon rôle dans les départemens ne soient point abusées par une injuste critique.

Je connois beaucoup votre abonnée, et je puis vous assurer qu’aucun motif estimable n’a guidé sa plume en écrivant la lettre en question, mais seulement une inimitié que je n’ai méritée à aucun titre, et qu’au contraire j’ai tout fait pour prévenir et éviter.

Cette chère abonnée suppose que ma Comtesse n’est plus jeune ! première erreur ; car toutes les choses aimables que lui dit son mari seroient bien déplacées si elles ne s'adressaient pas à une femme en âge de plaire ; je dis donc que celle-ci a au plus trente-deux ans, et qu’à cet âge l’on peut se permettre une mise agréable. Est-ce donc parce que ma comtesse est bonne et sensible que votre abonnée veut la croire vieille ? Ne peut-elle accorder la bonté avec la jeunesse ? Si cela est ainsi tant pis pour votre abonnée.

Des plumes ne conviennent point à une femme qui voyage. Cela seroit juste si c’étoit un voyage de long cours ; mais si mon critique s’étoit donné le plaisir d’écouter la pièce sans prévention, il auroit sçu que celui-ci est au plus de quatre lieues, puisque le comte et la comtesse l’ont fait avec leurs propres chevaux, ce qui fait dire au comte que le major a mis sur les dents son attelage gris pommelé, pour arriver un quart d’heure plutôt, le voyage est donc au plus de deux ou trois heures, or une femme qui monte dans sa voiture n’a pas besoin d’une toilette particuliére pour se rendre à si peu de distance ; j’ajouterai seulement à cela que l’auteur allemand, et après lui, le traducteur, avoient tellement prétendu que ma comtesse eut des plumes, comme vous l’avez judicieusement observé, que je peux prouver qu’il y a dans mon premier manuscrit, ne vois-je pas s'avancer dans la grande avenue des plumes, des pompons !.... Des pompons supposent une mise bien recherchée, je les ai sacrifiés, cela auroit dû contenter votre sévère abonnée, mais point ; elle veut à une comtesse allemande un grand bonnet ! Ah ! cela est d’une bonne française, elle tient aux usages de son pays, et veut voir par-tout la bourgeoise de Paris et de ses environs.

Votre citoyenne prétend, faussement, que ma mise excite une sorte de défaveur qui se porte sur moi. Voilà ce qu’elle voudroit faire croire, mais ne croit pas elle-même ; car rien n’est plus doux et plus cher à mon cœur que l’accueil favorable dont le public veut bien m’honorer tous les jours, et plus particulièrement, j’ose le dire, dans cette pièce que j’ai eu le bonheur de produire à ses regards.

Au lieu d’une robe brune, que veut la dame, je mets une chemise de linon, ou redingotte (ainsi que nous l’appellons) en mousseline, et un schall. C’est bien là une mise sans prétention. Votre abonnée devroit être contente ; mais hélas ! elle ne l’est de personne, pas même de cette aimable Simon, qui joue si parfaitement le rôle de Mad. Miller.

Laissons donc cette injuste citoyenne persister si elle le veut dans ses erreurs, et veuillez, je vous prie, insérer celle-ci dans votre agréable journal, pour prouver à toutes les actrices des départemens que, d’après toutes les réflexions convenables au bien de la pièce, je désire que ma comtesse soit mise ainsi :

Chemise, ou petite robe de mousseline ou linon.

Chapeau de forme un peu étrangère ; mais orné de plumes.

Un schall à la première entrée seulement.

Salut et considération,

Julie Molè.

La lettre de la cit. Mole me donnant lieu de penser qu’elle soupçonne une de ses camarades de m’avoir adressé celle à laquelle elle répond, je crois devoir l’assurer que j’en connois l’auteur , et que c’est une personne qui ne tient nullement au théâtre.

Le Pan.

Courrier des spectacles, n° 701 du 4 pluviôse an 7 [23 janvier 1799], p. 2-3 :

Théâtre Français de l’Odéon.

Dira-t-on encore que ce théâtre ne peut réussir parce qu’il est dans un quartier ruiné, perdu et trop éloigné ? Je répondrai que l’on y mette des acteurs aimés du public, et qui joignent aux talens un zèle infatigable ; qu'on y offre un répertoire varié, qu’il soit composé de pièces anciennes montées avec soin ; qu’on y présente beaucoup de nouveautés ; qu’un choix heureux y préside : si elles n’atteignent pas à la perfection, qu’elles soient du moins ou agréables, ou intéressantes.

Il est aisé de voir que je ne fais que conseiller ici que ce que l’on exécute maintenant à l’Odéon. Les nouveautés s’y succèdent rapidement. La tragédie de Briséis montée avec le plus grand soin y a été remise avec beaucoup de succès. On y a vu paroître depuis peu de temps le Voyage interrompu, Périandre, Misantropie et Repentir, le Portrait et Laurent de Médicis. Bientôt on y doit jouer l’Envieux, dont le succès à Nantes paroît être le garant de celui que cette comédie doit avoir ici.

C’est sur-tout sur Misantropie et Repentir que l'attention du public se fixe dans ce moment. Tous ceux qui n’ont pas vu cette pièce désirent la voir, et ceux qui la voyent n’en sortent pas sans désirer la voir encore. Les plus grands froids n'ont point empêché l’affluence, puisque ses jours derniers, toutes les fois que l’on a donné cette pièce, la salle a été pleine, et hier que le dégel avoit rendu les rues impraticables, on a bravé les obstacles de l’éloignement et du temps le plus désagréable de la saison pour venir voir une pièce qui ne doit qu’à elle-même et à la justice qu'on lui a rendu la réputation dont elle jouit. A six heures la salle étoit pleine. On dine tard, l'Odéon est fort éloigné, cependant le désir de voir une pièce estimée fait oublier l’éloignement, la crainte de ne la point voir entière fait que l’on se dépêche de dîner ; et qui sait, le regret de n’en avoir pas vu le commencement , engagera peut-être ceux qui ont pu être paresseux hier, à y revenir de meilleure heure une autre fois.

Au reste, je regarde comme une chose absolument essentielle au succès de ce théâtre, de faire commencer toujours au plus tard à six heures. Il contentera à-là-fois les habitans du quartier qui aiment à se retirer de bonne heure, et ceux des quartiers éloignés qui n’aiment pas à rentrer tard chez eux. Mais revenons à Misantropie et Repentir.

Cette pièce gagne de plus en plus par le jeu des acteurs qui s’efforcent de jour en jour de répondre à la bienveillance du public. La cit. Simon, quoique très-enrhumée, a joué avec la plus grande chaleur le rôle intéressant et pénible de Mad. Miller. On a reproché avec raison à cette jeune artiste d’y mettre plus d’art que d’abandon. On voit avec plaisir qu’elle est pénétrée de son rôle, et qu’elle met tous ses soins à en faire ressortir toutes les nuances ; mais on reconnoît avec peine qu’elle multiple et marque trop ses gestes.

Il est sans doute extrêmement difficile de peindre le désespoir sans faire des mouvemens un peu convulsifs ; mais peut-être seroit-il à désirer que la citoyenne Simon oubliât qu'elle veut paroître désespérée, et qu’elle se contentât de l’être. Elle se rapprocheroit alors davantage de la nature et ne produiroit sûrement pas moins d’effet.

Je suis cependant loin de vouloir critiquer le jeu de cette actrice vraiment estimable ; mais les succès qu’elle obtient ne laissant aucun doute sur ceux qu’elle obtiendra parla suite, font desirer qu’elle les doive au naturel plutôt qu’à l’art.

Les changemens que la cit. Molé a fait à cet ouvrage depuis sa première représentation, m’engagent à lui soumettre deux observations que je fis à la représentation d’hier ; j’ai remarqué que la sortie de Frank au premier acte n’est point motivée, et il me semble qu’il seroit facile de corriger cette faute, si elle existe véritablement, en lui faisant dire qu’il va rejoindre son maître, puisque ce dernier est disparu pendant qu’il étoit allé au pavillon.

Au second acte, quand Mad. Miller veut adroitement changer de conversation avec le major, elle lui di  : Peut-être allez-vous trouver que j’ai pris des leçons de Bittermann ; et alors elle lui demande ce qu’il y a de nouveau à la ville, etc, Cependant Mad. Miller n’étoit pas présente à la conversation du major avec l’intendant : comment donc sait-elle que ce dernier lui a témoigné le desir de savoir des nouvelles ? Le caractère conu de Bittermann suffit-il pour faire soupçonner qu’il a demandé des nouvelles au major ? Je ne crois pas cette raison suffisante, et comme la suppression d’une phrase feroit disparoître cette légèrefaute, j’ai cru pouvoir la relever.

Le Pan.

Courrier des spectacles, n° 705 du 8 pluviôse an 7 [27 janvier 1799], p. 2-3 :

» Une nouvelle lettre nous a été adressée » contre la citoyenne Mole , au sujet de Misantropie et Repentir. Sa longueur, jointe à quelques phrases qui nous ont paru ne renfermer rien d’utile pour le théâtre, nous ont engagé à ne la donner que par extrait ; nous nous flattons que l’auteur ne blâmera pas des suppressions sans lesquelles nous n'aurions pu consentir à imprimer sa lettre. Après quelques préliminaires , il a commence ainsi :

Je conviens d’abord avec la citoyenne Molé que la comtesse, dans Misantropie et Repentir, est encore jeune, et j’ajoute qu’elle doit l’être.

Elle est jeune, puisqu’elle est, si je ne me trompe, la cadette du major, et le major est le cadet de Misantrope qui n’a pas trente-cinq ans suivant le texte.

J’ai ajouté, que la comtesse doit être jeune, et tel est je crois l’intention de l’auteur. En effet, la compassion que doit inspirer Mde Miller à la comtesse est plus dans la nature si celle-ci est à-peu-près de son âge.

Je passe à la guerre des plumes. – En dépit de la citoyenne Molé , je soutiens avec l’abonnée que les plumes sont ridicules, et me servant des expressions de la première, je dis qu'une bourgeoise de Paris et des environs pourroit seule avoir l’idée d’une pareille coëffure pour une course de campagne.

La citoyenne Mole objecte que la comtesse n’a fait qu’un voyage de deux ou trois heures et qu’ainsi elle n’avoit pas besoin d’une toilette particulière pour une si petite course. Oui, le voyage est court ; mais la comtesse ne va pas en visite, elle vient chez elle, elle vient s’y établir pour plusieurs mois, et, comme on dit, les malles doivent être faites. Je le demande maintenant à nos maîtresses de maison, n’est-ce pas le cas d’un accoutrement de campagne.

La citoyenne Mole ajoute que l’intention de 1’auteur a été que la comtesse eut des plumes et des pompons, témoin ce passage : Ne vois-je pas s’avancer dans la grande avenue des plumes et des pompons.

Mais qui sont les personnes qui s’avancent dans la grande avenue ? La comtesse, M. Miller, le major et son beau-frère. Ces deux officiers d’un grade supérieur ne pourroient-ils pas avoir des plumes et des pompons à leurs chapeaux ; Le comte, malgré sa chute, ne peut-il pas avoir- conservé le sien avec ces ornemens ? Qui prouvera donc que l’auteur a eu en vue la coëffure de la comtesse plutôt que celle des deux officiers qui l’accompagnent.

Imbert.

Courrier des spectacles, n° 705 du 8 pluviôse an 7 [27 janvier 1799], p. 3 :

Au Rédacteur du Courrier des Spectacles.

Paris, 7 pluviose.

Citoyen,

J’ai assisté avant-hier, pour la première fois, à la quatorzième représentation de Misantropie et Repentir. Vous vous étonnerez sans doute qu’un amateur des spectacles ait tant tardé à voir un ouvrage d’un mérite reconnu. Mais, vous l’avouerai-je ? porté moi-même â la mysantropie dont mes amis me reprochent d’avoir une forte dose, j'avois craint de voir justifier ce penchant, qu’on pourvoit appeller, selon moi, le résultat de la vie, du moins pour un homme qui a observé.

Revenons au drame nouveau..... Quelle satisfaction n’ai-je pas éprouvée, en voyant cette belle salle pleine de monde et brillante comme aux beaux jours, où la littérature faisoit les plus douces occupations de cette grande cité.... Je conviens que je n’avois point vu un concours aussi brillant depuis les belles chambrées de Madame Angot, du Moine et des autres productions qui ont attiré la vogue.... sur les boulevards. Le drame de Misantropie et Repentir produit sur les spectateurs une vive sensation... Jamais scène pathétique et déchirante à-la-fois, ne fut amenée avec plus d’art, et préparée avec autant de ressorts dramatiques pendant quatre actes... car, à proprement parler, l’exposition n’est finie qu’à la fin du quatrième, et l’action s engage au cinquième.... Mais combien cette situation est intéressante pour les cœurs sensibles ! qu’elle me paroit consolante pour humanité, puisqu’elle nous prouve que même après des erreurs, on peut encore être heureux.

Je soumets une observation à la citoyenne Julie Molé, qui s’est acquis des droits à l’estime de tous les gens de lettres, en enrichissant le théâtre français d’une des meilleures productions que nous ayons eues depuis longtems. Un des interlocuteurs (je ne me rappelle plus lequel) interrogé sur la douleur dont il paroît abimé, répond par une métaphore... Il me semble que ce n’est point là le langage de la douleur, qui ne s’occupe pas de chercher une comparaison. Ah ! que celui qui souffre parle tout autrement !

En rendant au citoyen Picard la justice qu’il mérite, je hasarderai cependant mon avis il m’a semblé qu’il jouoit avec esprit et non dans l’esprit de son rôle. J’ai cru voir en lui l’ingénieux auteur des Visitandines, et non ce bon valet qui compatit aux maux de son maître. Ce serviteur ne doit suivre que les mouvemens d’un bon naturel, qui nous porte à plaindre un être souffrant, et non raisonner, analyser les anxiétés du misantrope. On diroit, à la manière dont il étudie et détaille ses traits, que c’est Lavater qui parle, et non un domestique allemand.

Je soumets cette réflexion au citoyen Picard qui a assez de talent pour les aimer ; car il n’appartient qu’à la médiocrité de repousser tout conseil ; et un artiste qui aime son art comme le citoyen Picard, est digne d’accueillir une observation, quand bien même elle seroit déplacée. Au surplus, cet ouvrage monté avec soin, est parfaitement joué et fait infiniment d’honneur à l’Odéon. Je finirai par réunir mes suffrages à ceux d’un public connoisseur et ami du vrai beau, et par dire que sans établir de comparaisons, la représentation de Misantropie inspire beaucoup plus d’intérêt que celle du Misantrope de Molière, et de la Suite, ou le Philinte ; et qu’après ces deux chefs-d’œuvres, il n’y avoit pas d’autre moyen de reproduire la misantropie au théâtre, que de présenter un être intéressant et malheureux, qui concentre sa douleur et parle beaucoup moins que ses deux aînés, par la raison qu’il souffre davantage.

P. S. Mittié.

La Décade philosophique publie dans son numéro, n° 20 (An VII, 3èmetrimestre, 20 Germinal), p. 116-117, un extrait de la préface que Kotzebue avait publié concernant sa pièce :

Extrait d'une préface de Kotzebue, l'auteur allemand de Misantropie et Repentir.

Ce fut le 9 Octobre 1788 que je conçus l'idée d'écrire Misantropie et Repentir, et le 4 Novembre suivant j'avais achevé cette pièce. Le sujet m'en avait paru si touchant, que je le traitai tout de suite, quoiqu'à cette époque de ma vie ma santé fût très-altérée. Une fièvre lente me consumait..... Mes forces ne me permettaient plus de monter aucune colline, aucun escalier.... et des médicamens étaient toute ma nouriture. Mes nerfs étaient alors si faibles, que la seule idée de la dernière scène-de mon drame, qui n'existait encore que dans mon imagination, me fesait pleurer.

Il n'y a point d'auteur qui n'ait de l'amour-propre ; et l'on m'accuserait d'affectation si je soutenais que je n'ai pas d'avance regardé cet ouvrage comme bon.... Mais, j'en appelle au témoignage de tous ceux qui me connaissent, jamais dans mes rêves les plus séduisans, je n'avais osé me flatter que le drame de Misantropie et Repentir aurait le prodigieux succès qu'il a obtenu. Ce ne fut qu'en tremblant que je l'envoyai à Berlin. Peu de tems après, passant moi-même par cette ville pour me rendre à Pyrmont, je n'osai retirer de ma malle une autre pièce de moi, intitulé les Indiens en Angleterre, ne la jugeant pas digne d'être jouée sur le théâtre. Il fallut le succès de Misantropie et Repentir pour m'encourager ; et certes, je défie tous les critiques d'avoir dit autant de mal de mes productions que j'en ai pensé moi-même. Je ne me suis donc jamais rendu coupable d'une ridicule vanité. On a daigné encourager mes efforts. On a fait plus, grâces au ciel.... et la tête ne m'en a pas tourné.

A présent on tombe dans un autre extrême ; on dénigre, on ravale tout ce que j'écris. On attribue au jeu des acteurs le succès de mes pièces, et l'on me taxe d'immoralité, quoique mes drames soient aussi moraux, et à-coup-sûr moins-ennuyeux que les gros volumes de sermons.

Misantropie et Repentir, bien loin de produire du mal, produit les plus salutaires effets. Cette pièce a ramené vers son mari une femme séduite. C'est une anecdote authentique, dont le souvenir adoucira encore le dernier moment de ma vie. Douce récompense qu'aucun or ne saurait payer, à laquelle les éloges des Journalistes n'ajoutent aucun nouveau prix, et que ne peut, altérer aucune critique.

L’Esprit des journaux français et étrangers, vingt-huitième année, volume V, pluviôse an 7 [février 1799], p. 207-212 :

[Ce drame en cinq actes et en prose fait partie des nombreuses adaptations de pièces de Kotzebue (dont le nom paraît bien maltraité ici). Le critique y voit même « la traduction presque littérale » de l’original. Il commence son compte rendu par un résumé minutieux de l’intrigue dont il souligne le caractère émouvant, depuis la faute de la baronne jusqu’à la rencontre des deux époux, et le pardon spectaculaire qu’accorde le baron. La qualité première de ce drame, c’est de produire « un puissant intérêt » avec une situation dans laquelle l’épouse est indiscutablement coupable d’une faute que la morale sociale ne peut pas pardonner. Ce pardon, au lieu de le justifier par « des raisons philosophiques », l’auteur le fait naître d’une forte émotion qui arrache un cri d’amour au mari. Ce qui pose la question de la moralité d’un tel dénouement : pour beaucoup, « toute faute impunie au dénouement est une immoralité dramatique », principe que le critique conteste : ce qui compte, c’est l’effet produit par ce dénouement (il prend l’exemple du Mahomet de Voltaire, où le triomphe du fanatisme conduit le spectateur à la haine du fanatisme). Il distingue « les crimes irrémissibles & les fautes que peut expier un long & sincère repentir », la faute de la baronne étant à ranger dans la deuxième catégorie. Refuser qu’on puisse « reconquérir l’estime perdue », c’est proclamer « l’inutilité du remords ». La pièce a donc un but moral, qu’elle atteint et a un intérêt fort dans ses trois derniers actes, les deux premiers étant « lents et chargés d’épisodes déplacés ». Le style est jugé maladroit (sentant la traduction), avec toutefois des « mots heureux, imprévus ». L’interprétation est très bien jugée, et le rôle de la citoyenne Molé, à qui « nous devons la mise de cette pièce » est mis en avant.]

Misantropie & Repentir, drame en cinq actes & en prose.

C’est la traduction presque littérale d’une pièce allemande de Koseluk.

Le baron de Mélau, trahi tout à la fois dans ses projets & dans ses espérances, victime de la calomnie & des persécutions, a vu mettre le comble à ses malheurs par la fuite déshonorante d'une épouse adorée dont il avoit deux enfans, & qui s'est laissée séduire par un vil suborneur. Las des hommes & de la vie, il a cherché une retraite & s'est confiné dans le pavillon d'un vieux château. Là il se dérobe à tous les regards, & même à la reconnoissance des nombreux bienfaits qu'il répand autour de lui, seul plaisir qui lui reste & sur lequel son cœur ne se blase point.

La coupable & malheureuse victime de la séduction a très-promptement ouvert les yeux sur sa faute : elle a fui son séducteur, & voulant cacher sa honte à l'univers, s'est résolue à déguiser son nom, à demander du service. Elle s'est présentée au château de, Valberg, elle a
été reçue chez la comtesse qui l'a comblée d'amitié sous le faux nom de madame
Miller.

Ce château de Valberg est le même dont son époux occupe un pavillon isolé; mais la misantropie de l'un & la honte de l'autre les a tout naturellement empêchés de se rencontrer, quoique depuis deux ans ils rivalisent de bienfaisance.

Des circonstances ramènent à ce château le comte de Valberg, son épouse & son beau-frère le major. Celui-ci ne peut voir les charmes de madame Miller, il ne peut apprendre le bien qu'elle fait, sans devenir subitement épris de ses vertus. L'aveu qu'il charge fa sœur de faire à celle qu'il croit veuve, oblige la malheureuse baronne de Mélau à se découvrir à sa bienfaitrice, & à subir, en se nommant, la nouvelle peine de renoncer à l'estime qu'on lui accordoit.

Dans le même moment le baron de Mélau rend un service essentiel , & sauve la vie au comte de Valberg.

Le major, insistant pour voir & remercier le bienfaiteur de son beau-frère , en obtient deux minutes, & reconnoît en lui son ami, son frère d'armes ; il le détermine à voir un instant la famille Valberg, qui survient en effet ; mais elle est accompagnée de madame Miller, qui s'évanouit à la vue de son époux, tandis que Mélau s'enfuit de son côté, tout éperdu de cette rencontre inopinée.

Le major, qui se trouve, par ce moyen, instruit du secret des deux époux, veut ramener son ami à son épouse repentante. Mélau résiste au penchant de son cœur qui l'entraîneroit encore vers elle, & résiste avec toute l'autorité du préjugé : il consent néanmoins au dernier adieu, & se propose de s'éloigner ensuite avec ses deux enfans.

L'entrevue des deux époux se fait de la manière la plus touchante, &, au moment où ils vont se séparer pour jamais, le major & sa sœur, qui ont été chercher leurs enfans, les leur présentent. Mélau attendri ne peut plus résister ; il se retourne & s'écrie à son épouse en lui tendant les bras, Eulalie embrasse ton époux !

Il n'est pas difficile de sentir que de ce drame doit résulter un puissant intérêt. Le sujet étoit d'autant plus difficile à traiter, que la faute réelle de l'épouse séduite semble aux yeux de la morale sociale & des principes adoptés sur l'honneur, exclure toute possibilité de pardon. L'auteur, pour l'amener avec vraisemblance, a déployé beaucoup d'art ; il a creusé le cœur humain pour graduer l'émotion qu'il vouloit produire, & est parvenu, à force d'adresse, à faire partager au spectateur, même le plus délicat & le plus chatouilleux sur cette matière, les sentimens & l'indulgence du mari trompé. Il s'est abstenu avec talent de chercher des raisons philosophiques, insuffisantes pour amener son dénouement : il n'a pas laissé à la sensibilité le temps de la réflexion, & en faisant tomber la toile sur le seul mot : embrasse ton époux, arraché par une émotion forte, il, a surpris tout à la fois & désarmé le moraliste le plus craintif & le plus froid.

Ce n'est pas que l'ont [sic] n'ait entendu accuser, comme d'usage, ce dénouement d'immoralité. Ce reproche banal vient toujours d'un faux principe répété sans cesse, même par des critiques éclairés, bien sûrs de faire des milliers d'échos. Ce principe, qui condamne d'un mot les ouvrages les plus utiles & les plus intéressans, est que toute faute impunie au dénouement est une immoralité dramatique : ceux qui le défendent ne voyent pas que la moralité théâtrale d'une action dramatique n'est pas dans son dénouement, mais dans l'effet qu'elle produit pendant sa durée : le triomphe d'un scélérat, tel que Mahomet, n'empêche pas que tout son rôle ne me fasse détester le fanatisme & respecter Zopire. Je dis plus : je trouverois bien plus d'immoralité à peindre le vice ou le crime sous des formes séduisantes, quand bien même on le feroit punir à la fin, qu'à le faire craindre & mépriser pendant tout l'ouvrage, & réussir au dénoument.

Il faut d'ailleurs bien prendre garde de trop généraliser un principe sévère, & de mettre au même rang les crimes irrémissibles & les fautes que peut expier un long & sincère repentir. Telle est celle de madame de Mélau, & ici j'en appelle à tout un sexe & à la moitié de l'autre. Quelle est la femme, même prête à faillir, qui en voyant les tourmens, les remords, l'humiliation de cette épouse infidelle, mais repentante, ne se sente plutôt arrêtée qu'encouragée dans le chemin des foiblesses. N'oublions pas ce beau vers de Voltaire :

Dieu fit du repentir la vertu des mortels.

Si le retour à la vertu étoit regardé comme impossible, si les erreurs ne pouvoient plus reconquérir l'estime perdue, l'inutilité du remords enhardiroit les coupables au lieu de les ramener.

L'ouvrage intitulé : Misantropie & repentir, a donc atteint son but moral, quoi qu'on en puisse dire ; il intéresse fortement pendant les trois derniers actes ; les deux premiers sont lents & chargés d'épisodes déplacés, mais on les pardonne en faveur des autres.

Le style est quelquefois affecté & les expressions pénibles, il sent la gêne de la traduction ;
mais il étincelle aussi par fois de ces mots heureux, imprévus & profondément sentis qui lui donnent du charme & qui distinguent l'écrivain penseur.

Le C. Saint-Fal déploye dans le rôle du mari misantrope & sensible, un talent supérieur par les nuances qu'il lui donne. La citoyenne Simon fait voir beaucoup de sensibilité, quelquefois un peu trop d'art dans celui de la baronne, le C. Dorsan beaucoup de noblesse & de chaleur dans celui du major ; on désireroit un peu moins d'apprêt, un peu plus de naturel dans ses tgestes. Les autres rôles ne sont qu'accessoires ; mais l'ensemble de l'ouvrage est soigné ; les artistes de l'Odéon sont louables pour l'attention qu'ils donnent aux ouvrages qu'on leur confie.

On dit que nous devons la mise de cette pièce à la citoyenne Molé, artiste de ce même théâtre, dont le nom rappelle des titres à l'estime du public, & qui dans les rôles de caractères, promet elle-même aux amateurs de la bonne comédie de leur rappeler aussi des jouissances ; elle joue avec esprit, gaieté & intelligence.

Le Magasin encyclopédique, ou Journal des sciences, des lettres et des arts est revenu à plusieurs reprises sur la pièce imitée de Kotzebue.

Première apparition, en 1798-1799 (4e année de parution de la revue), tome V, p. 262-265 :

Misanthropie et Repentir, drame.

Quelque prévention que l'on ait contre le genre du drame, on ne peut s'empêcher de rendre justice à celui représenté sur le théâtre de l'Odéon le 6 nivôse, sous le titre de Misanthropie et Repentir. Cet ouvrage est traduit du théâtre allemand de Kotzebue par Bursay , comédien de Bruxelles. La citoyenne Molé y a fait les changemens nécessaires pour le représenter sur la scène française. En voici l'analyse :

Le baron de Meinau (et non pas Mello, comme l'on dit plusieurs journaux), né en Allemagne, a servi quelque temps en France : de retour dans sa patrie, il a épousé une jeune personne de quinze ans, avec qui il vivoit heureux, quand un jeune homme qui lui devoit tout, séduit son épouse et fuit avec elle. Meinau au comble du désespoir, a conçu de l'horreur pour les hommes ; il a confié à de pauvres gens le soin de ses deux enfans, et depuis trois ans il erre de solitude en solitude. Quatre mois se sont écoulés depuis qu'il occupe un. pavillon dans le parc du comte de Valker, qui est absent.

L'infortunée baronne de Meinau n'a pas été long-temps à se repentir de sa faute ; elle s'est échappée des mains de son séducteur, et sous le nom de madame Miller, elle a obtenu un asyle chez la comtesse de Valker, dont ses vertus lui ont acquis l'amitié.

Le major de Horst, frère de la comtesse de Valker, vient avec son frère et sa sœur au château : il devient amoureux de madame Miller, et engage sa sœur à la lui rendre favorable ; ce qui force la baronne à avouer son secret à la comtesse.

Le vieux comte de Valker va voir les embellissemens qu'on a faits en son absence dans ses jardins : un pont chinois enfonce sous ses pas ; il court risque d'être noyé ; l'inconnu accourt, se jette à la nage, sauve le comte et disparoît. C'est avec beaucoup de peine que le major, qui reconnoît en lui son ancien ami Meinau, l'engage à venir recevoir les remercîmens du comte : il s'y détermine enfin ; le baron aborde la société ; mais quel est son étonnement lorsqu'il y reconnoît sa femme ! Il s'enfuit, et celle-ci s'évanouit.

Le major, oubliant son amour, ne songe plus qu'à réunir les deux époux. Meinau ne veut pas faire divorce ; il veut pourtant se séparer de sa femme ; mais il jure de ne jamais former d'autres nœuds. Tandis qu'ils se disent un éternel adieu, la comtesse et le major leurs [sic] présentent à chacun un de leurs enfans, que le baron avoit envoyé chercher, dès qu'il a eu promis au major Horst d'aller voir la famille du comte, parce qu'il avoit résolu de quitter son séjour, où iï n'espéroit plus vivre en inconnu. Meinau ne peut plus résister ; il embrasse son
épouse en s'écriant : Eutatie ! embrasse ton époux !

Cette dernière scène est de la plus grande beauté.

La pièce a été parfaitement jouée. La citoyenne Simon, dans le rôle d'Eulalie, a été vivement applaudie, ainsi que le citoyen Saint-Phal, qui s'est surpassé dans le rôle du baron.

La citoyenne Mole a obtenu du public les témoignages de la plus grande bienveillance.

Une note de cet article présente à la fois Kotzebue et son œuvre.

M. Auguste de Kotzebue est né à Weimar en 1761 ; il a été, depuis 1787 , président du gouvernement de 1a province d'Esthland. En 1795, il donna sa démission, et vécut pendant quelque temps à Jewe, près de Dorpat ; nous avons parlé tom. III, page 557 de la quatrième année, d'un présent que le baron de Braun, à Vienne, lui a fait, et depuis que sa pièce Misantrhopie et Repentir a été donnée sur le théâtre de l'Odéon, quelques journaux français ont annoncé qu'on lui a accordé de la part de l'empereur une pension, mais sous la condition de s'éloigner de Vienne où, depuis quelque temps, il avoit vécu avec le titre de poëte dramatique du théâtre impérial.

Parmi ses nombreuses pièces de théâtre (qu'on a recueilli en grande partie en 5 volumes) Misanthropie et Repentir (Menschenhass und Reue) est sans contredit la meilleure : elle a eu un grand succès en Angleterre, où Shéridan l'a mise, le 24 mars 1798, pour la première fois, sur le théâtre de Drury-lane : nous en avons parlé dans le Magasin encyclopédique, quatrième année, tome III, page 557. C'est dans cette même pièce que Palmer, jouant le rôle du Misanthrope ou de l'Inconnu, succomba à la douleur de la perte de son fils, et mourut sur le théâtre même. Voyez quatrième année, tom.. IV. page 526 du Magasin.

Nous venons d'apprendre qu'on s'occupe de traduire une autre de ses pièces intitulée : Armuth. und Edelmuth, (Pauvreté et Générosité.) La pièce intitulée die lndianer in England, (les Indiens en Angleterre), pourroit fournir le sujet d'un joli opéra comique.

Voici ce que M. Kotzebue dit dans la préface d'une autre de ses pièces intitulée Das Kind der Liebe (l'Enfant de l'Amour),

« Le 9 octobre 1788, j'eus la première idée d'écrire Misanthropie et Repentir, et le 4 novembre 1788, je l'avois achevée dans un temps où j'étois plus malade que jamais, où la fièvre m'accabloit, où j'étois hors d'état de monter un escalier ou une colline, où je ne prenois presque que des médecines. Mes nerfs étoient à cette époque si foibles, que lorsque dans la rue je pensais à la ' dernière scène de ma pièce (car je ne l'avois pas encore écrite) je ne courais retenir mes larmes. »

Dans le tome 6 de la même année, p. 566-567, une courte notice annonce la publication de la pièce et du théâtre complet de Kotzebue,  :

Misantropie et Repentir, drame en cinq actes, en prose, du théâtre allemand de Kotzbue (1), traduit par Bursay, et arrangé à l’usage de la scène française par la citoyenne Molé, artiste du théâtre français, faubourg Germain, représenté pour la première fois sur ce théâtre, le 7 nivôse an 7. Prix : 1 franc 5o centimes. A Paris, chez le libraire du théâtre du vaudeville, rue de Malthe, et à son imprimerie rue des Droits de l'Homme, n.° 44, an 7.

Cette édition est la seule reconnue par la citoyenne Molé, comme authentique ; elle rend compte dans la préface de la manière dont la traduction de Bursay lui a été remise, et des changemens qu'elle a faits à la pièce ; et elle paie un juste tribut d'éloges à ses camarades, les citoyens Saint-Phal, Naudet, Dorsan, Picard, Grandmenil, et aux citoyennes Simon et Habert, Si un autre qu'elle eût fait cette préface , il ne l'auroit certainement pas oubliée.

(1) Nous ignorons pourquoi le titre porte Kotz-büe, au lieu de Kotzebue, qui est le vrai nom de l’auteur ; mais il n'y a rien à dire contre la fantaisie de l'éditeur, qui annonce que sa pièce se distingue de celle des faussaires qui l'ont contrefaite, parce que dans la sienne on lit Misantropie sans h, et que celle des contrefacteurs porte Misanthropie ; c'est-à-dire, que la sienne est caractérisée par une faute d'orthographe. A. L. M.

Théâtre de Kotzebue, traduit. de l’allemand par Weiss, professeur de langue allemande au Lycée, et L. F. Jauffret, membre de plusieurs sociétés savantes et littéraires : pour servir
de suite au théâtre allemand. Tom. I, première partie qui contient
Misanthropie et Repentir, drame en cinq actes. Paris, chez les éditeurs, rue de Vaugirard , n.° 1201 ; Amand Koenig, libraire, quai des Augustins ; Fuchs, libraire, hôtel Cluny ; Treuttel et Wurtz, libraire, quai Voltaire ; de 213 pages in-8.°

Il parut en 1792 une traduction française de Misanthropie et Repentir, par Louis Fauvelet de
Bourrienne, imprimée à Varsovie, chez Etienne Bacigalupi, sous ce titre :
l'Inconnu, drame en cinq actes, traduit librement d'une pièce allemande du président Kotzebue, intitulée : La Misanthropie et le Repentir. Cette traduction pleine de défauts, et dont il ne se vendit à Paris qu'un petit nombre d'exemplaires, resta tout-à-fait ignorée; et, sans la traduction qu'en fit postérieurement Bursay, comédien de Bruxelles, traduction acquise et arrangée pour notre théâtre par la citoyenne Molé, Kotzebue ne seroit pas encore connu en France.

Le succès qu'a obtenu Misanthropie et Repentir, a engagé les citoyens Weiss et Jauffret à donner une traduction complète des œuvres dramatiques de Kotzebue. Ils ont cru devoir commencer par la traduction fidelle de cette même pièce, pour faciliter aux amateurs de l'art dramatique, la comparaison de la pièce telle qu'elle est sortie de la plume de l'auteur, et telle que la citoyenne Mol » l'a mise au théâtre. Nous ne doutons nullement que la comparaison ne soit tout-à-fait à l'avantage de la dernière ; on verra que dans la pièce française les changements de décorations' sont moins fréquens que dans l'original ; que la citoyenne Mole a fait finir avec la sixième scène le premier acte, et qu'elle a réuni les trois autres scènes du premier acte au second, ce qui évite une grande inconvenance, un changement
de décoration, et la scène vide au milieu d'un acte. Par cette comparaison on pourra de plus se convaincre combien les coupures qu'elle a faîtes sont heureuses, et que la pièce telle qu'on la.joue aux Français, n'a conservé que les beautés de l'original, sans en avoir les défauts.

Cette livraison est ornée du portrait de Kotzebue, gravé par Gaucher. Outre le drame, elle contient le passage entier de la préface de Kotzebue, mis à la tête de son drame intitulé l’Enfant de l'Amour, passage dont nous avons donné l'essentiel dans une
note de l'analyse de Misanthropie et Repentir.

On peut se procurer cette première livraison sans avoir souscrit, moyennant 2 francs pour Paris, et 2 francs 75 centimes franc de port. Le prix de la souscription est de 9 francs pour six livraisons, et 18 francs pour l'ouvrage complet qui en aura douze, ou six volumes.

Nouvelle annonce, dans le tome VI de la même année, p. 565, d’une édition bilingue, dont la revue précise qu’elle « sera très utile à ceux qui sont en état de s’en servir ».

Deux articles commentent des reprises de la pièce, en 1800 et en 1809. Si le succès semble entier en 1800, on ne peut en dire autant en 1809.

Magasin encyclopédique, ou Journal des sciences, des lettres et des arts, 6e année, 1800, tome III, p. 109 :

Théâtre Français de la République.

Misanthropie et Repentir.

La reprise de ce drame, qui n'avoit pas encore été joué sur le théâtre de la République, y avoit attiré, le 12 fructidor, une grande affluence. Les rôles de Meinau, d'Eulalie et du Comte sont toujours confiés au C. Saint-Fal, à M.lle Simon, et au C. Grandménil. Les autres sont changés. Le C. Damas remplit celui du Major ; le .C. Michaut celui de Bitterman ; le C. Monvel celui de Tobie ; le C. Lacave celui de Franz; M.lle Thénard celui de la Comtesse, et M.lle Mars cadette celui de Peters. Cette réunion a offert un ensemble parfait, et a produit presqu'autant d'effet que lors des premières représentations de ce drame. Le C. Damas a joué le rôle du Major, d'une manière qui doit être remarquée ; il lui a donné un caractère tout nouveau. Pour le C. Saint-Fal et M.1le Simon, ils sont toujours les mêmes, et ont été vivement applaudis. Tous les acteurs ont été demandés, et forcés de paroître ensemble après la pièce.

Magasin encyclopédique, ou Journal des sciences, des lettres et des arts, 14e année, 1809, tome VI, p. 396 :

Misanthropie et Repentir,

On vient de remettre ce fameux Drame, qui a fait verser tant de larmes il y a quelques années. Il n'a pas produit le même effet que dans sa nouveauté. Il n'attirera même probablement que quelques amateurs, ou des curieux qui ne l'ont pas encore vu. Le rôle d'Eulalie est joué par Madame Dacosta, dont le talent se développe de jour en jour, et qui a montré beaucoup de sensibilité. Madame Molé, qui avoit quitté le théâtre, vient d'y rentrer, et a reparu par le rôle de la comtesse, qu'elle avoit créé dans cette pièce. On sait que c'est elle qui l'avoit arrangée pour la scène française.

Geoffroy, Cours de littérature dramatique, tome IV (seconde édition, 1825), p. 174-178 :

[Dans cette critique de 1803, Geoffroy juge avec une sévérité extrême le drame allemand, sur les critères habituels de la vraisemblance et de la morale. Il y fait preuve aussi d'un beau nationalisme.]

KOTZEBÜE.

MISANTHROPIE ET REPENTIR.

Le baron de Meinau, abandonné de sa femme, vit en misanthrope sauvage : de son côté, la baronne, maltraitée par son séducteur, l'a bientôt quitté, et se consume depuis trois ans dans le repentir et dans les larmes. Pour opérer la réconciliation des deux époux, il faut les rapprocher et les mettre sous les yeux l'un de l'autre : ce n'est qu'un jeu pour le dramaturge, qui jouit de tous les priviléges des romanciers. Le hasard, qui, selon Janot, peut faire gagner à la loterie ceux même qui n'y ont pas mis, peut, à plus forte raison, amener le misanthrope et la repentie dans le même village. La femme est concierge du château, sous le nom de madame Miller ; le mari habite un petit pavillon dans le parc, et n'a point de nom.

La scène s'ouvre par un petit garçon naïf et niais, qui court après des papillons : c'est le très-sot et très-babillard commissionnaire de madame Miller ; c'est le ministre de ses œuvres pies, le dispensateur de ses aumônes : car madame Miller, de même que Fanchon et toutes les héroïnes de drames, est un prodige d'humanité, de sensibilité, de bienfaisance ; c'est la règle. Cette coquette, qui a quitté son mari parce qu'il ne se prêtait pas assez à ses folles dépenses, donne maintenant aux pauvres le peu qu'elle a ; cette libertine, qui, deux ans après le mariage, a disparu avec un galant, abandonnant sans regret son époux et ses enfans, est maintenant la plus tendre des mères, la plus délicate et la meilleure des femmes ; c'est un modèle de modestie, de bonté et de vertu. Kotzebüe peut le disputer au meilleur prédicateur dans l'art de faire des conversions.

Le vieux Tobie, objet des bienfaits de madame Miller, est un personnage assez intéressant par lui-même, mais un hors-d'œuvre dans la pièce ; il ne sert qu'à rehausser la gloire de madame Miller, en prônant sa générosité. Le chien du bonhomme Tobie est encore bien plus inutile ; mais l'auteur en avait besoin pour amener ce mot fameux d'un pauvre qui répondit, à ce qu'on prétend, à ceux qui lui reprochaient d'avoir un chien : Si je n'en avais pas, qui est-ce qui m'aimerait ? Jamais pauvre n'a fait cette réponse : ce trait de sensibilité n'est point dans le caractère du pauvre, trop occupé des besoins du corps pour songer aux besoins du cœur. Quant aux chiens, si les pauvres en ont pour se faire aimer, ils en ont aussi pour mordre les passans. Cette grande sensibilité des pauvres est très-nuisible à la société, puisqu'elle produit cette foule de chiens malfaisans dont il y a tous les ans plusieurs victimes. Voilà pourquoi la police, qui n'est pas si sensible , leur fait impitoyablement la guerre.

Le rôle du mari est meilleur que celui de la femme, parce qu'il est moins absurde. On peut encore supposer à la rigueur qu'un homme jeune soit assez amoureux et assez faible, après deux ans de mariage, pour ne pouvoir supporter, sans devenir fou, la trahison d'une femme débauchée ; mais il est absolument impossible qu'une femme bien élevée, une femme honnête, sensible et vertueuse, telle qu'on nous présente Eulalie, quitte son mari et ses enfans, et prenne la fuite avec un vil suborneur, sous le prétexte ridicule que son mari ne lui donne point assez de bijoux et de parures. La raison d'une femme qui a de l'éducation et de l'esprit, est assez avancée à dix-sept ans, pour qu'on ne puisse pas, même à cet âge, mettre cette odieuse démarche sur le compte de l'inexpérience : il n'y a que la passion et la débauche qui puissent porter une femme, adorée du meilleur des maris, à cet excès d'infidélité et d'infamie. Kotzebüe a donc fait lui-même la critique la plus sanglante de son drame, lorsqu'il a fait dire à son Eulalie que sa fatale aventure est incompréhensible. Oui, certes, elle est incompréhensible, et jamais auteur raisonnable n'a pris pour sujet d'une pièce de théâtre une aventure incompréhensible.

Quodcumque ostendis mihi sic, incredulus odi.

Que de machines le poète allemand n'a-t-il pas entassées pour motiver la rencontre des deux époux ! Quelles grandes causes pour un si petit effet ! Il faut que le comte de Valberg quitte le service, et prenne le parti de se fixer dans son château où il ne venait presque jamais ; il faut que, par le plus singulier hasard, le major de Hortz, beau-frère du comte, se trouve être un ancien ami du baron de Meinau ; il faut que l'intendant du château ait eu l'idée de faire construire un pont chinois sur une rivière ; il faut que ce pont s'écroule sous les pas du comte ; il faut que le baron de Meinau, qui fuit les humains, se trouve là à point nommé, contre toute vraisemblance, et se jette dans l'eau pour sauver le comte : tout cet échafaudage est nécessaire pour que les deux époux se reconnaissent ; jamais situation pathétique ne fut achetée plus cher.

La famille du comte de Valberg est la famille extravagante. Le comte est presque amoureux de madame Miller ; la comtesse fait son amie de cette inconnue très-suspecte, et qui ne peut que passer pour une aventurière: Son frère le major est encore plus insensé ; car il prend feu à la première vue, et veut épouser madame Miller après un quart d'heure d'entretien ; cependant ce major est philosophe, grand ami de l'égalité. Sa sœur, à qui il communique ce projet, lui dit : « Doucement, mon frère... ; ces maximes sur l'égalité des états ne me sont point étrangères ; mais nous vivons en société, et il faut savoir lui sacrifier.... » Le major répond : « Prêche-moi tout à ton aise ce protocole de la vanité : une passion aussi invincible qu'elle fut prompte, me subjugue et m'entraîne. » Ce sont toujours des passions soi-disant invincibles qui s'appuient de ces maximes aussi fausses que dangereuses sur la liberté et l'égalité, et l'unique effet de cette philosophie spécieuse est d'autoriser des folies, des sottises, et trop souvent des crimes.

L'auteur de Misanthropie et Repentira la réputation de s'être lui-même laissé séduire par ces théories incendiaires, si favorables aux passions et si funestes aux empires : on assure qu'étant fonctionnaire public, à Revel, sa philosophie déplut beaucoup à l'impératrice Catherine, qui aimait les éloges des philosophes, et ne goûtait nullement leurs aphorismes. Le poète allemand s'écarta depuis de la rigueur des principes, en faveur de Paul ; ce qui semble annoncer peu de stabilité dans les idées. Au reste, le dramaturge allemand a plus de talent que de goût, et, quoique grand déclamateur de morale, il est souvent très-immoral dans l'action de ses pièces : il a beaucoup de rapport avec notre Beaumarchais, pour l'audace, le fatras, le romanesque, l'emphase philosophique et le charlatanisme théâtral. La mère coupable a quelques traits de ressemblance avec Eulalie.

Il me semble que Kotzebüe, dans ses ouvrages dramatiques, aurait dû ménager davantage la France, comme étant le foyer où les illuminés d'Allemagne ont puisé leurs lumières politiques. C'est toujours un mauvais genre de comique que celui qui divertit une nation aux dépens d'une autre. Rien de plus sot et de plus pitoyable que les caricatures des Français, dont les Anglais ont aimé de tout temps à égayer leur scène. Dans une pièce de Kotzebüe, intitulée la Preuve et le Cheval de selle, la veuve d'un officier français épouse deux autres maris, et le mari français y joue le rôle d'un escroc. Dans une autre comédie qui a pour titre la Fausse Honte, un Français amoureux d'une Allemande parle comme un sot et un fanfaron, et s'enfuit comme un poltron, quand son rival tire l'épée. Il faut avoir un grand travers dans l'esprit, pour imaginer de faire d'un Français un lâche. ( 22 brumaire an 12. [4 novembre 1803])

La base César donne une longue liste de représentations, qu'il attribue à la pièce de Rigaud :

  • 37 représentations au Théâtre de l'Odéon, du 27 décembre 1798 au 18 mars 1799,

  • 7 représentations au Théâtre des Amis de la Patrie, du 23 mars au 9 avril 1799,

  • 4 représentations au Théâtre du Marais du 30avril au 10 mai 1799,

  • 2 représentations au Théâtre Italien, et 1 au Théâtre du Marais, en mai 1799,

  • 10 représentations au Palais des Variétés du 29 juin au 27 août 1799.

Jusqu'à la fin de l'année, la pièce connaît encore 29 représentations dans plusieurs théâtres (Théâtre des Jeunes Artistes, 22 fois ; Palais des Variétés, 2 fois ; Théâtre Molière, 3 fois ; Théâtre du Marais, 2 fois).

D’après la base La Grange de la Comédie Française, la pièce, créée au Théâtre de l’Odéon le 28 décembre 1798, a été jouée 140 fois à la Comédie Française (salle Richelieu) de 1800 (le 30 août 1800) à 1843.

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