Jean-Jacques Rousseau dans l'isle de St. Pierre, comédie en cinq actes, en prose, 15 décembre 1791.
Théâtre de la Nation.
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Titre :
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Jean-Jacques Rousseau dans l’isle de Saint-Pierre
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Genre
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comédie
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Nombre d'actes :
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5
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Vers / prose
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prose
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Musique :
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non
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Date de création :
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15 décembre 1791
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Théâtre :
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Théâtre de la Nation
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Auteur(s) des paroles :
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Mercure Français, n° 2 du 14 janvier 1792, p. 56-58 :
[La pièce nouvelle n’a pas réussi, même si certains détails ont été applaudi plus ou moins largement. Mais l’ennui qu’elle a suscité provient de sa longueur démesurée cinq actes de scènes décousues, « sans liaison avec le sujet principal », « des conversations philosophiques & politiques, étrangères à l’action », tout cela ne fait pas une pièce. Pourtant l’idée de convoquer sur l’île où séjourne Rousseau les personnages de la Nouvelle Héloïse. fournissait la base d’une « intrigue simple, mais attachante » pouvait retrouver la force du roman, mais il n’en est rien : la pièce est une série de dissertations sans rapport avec l’art dramatique. La pièce souffre de son style : des phrases empruntées aux œuvres de Rousseau, bien exprimées dans un roman ou un essai, ne constituent pas un dialogue « simple & naturel » qu’on attend au théâtre. L’auteur, faiblement demandé, est resté inconnu. Sa pièce, qui parle beaucoup d’éducation, plaide aussi en faveur d’un régime républicain que le critique ne souhaite pas voir s’établir. La principale qualité de la pièce, c’est finalement l’interprétation de Molé, jugée de façon très positive.]
Théâtre de la Nation.
Si l’on peut juger d’un succès sur quelques détails partiels applaudis par une partie de la Salle, & même sur quelques autres applaudis plus généralement, on peut dire que la Piece intitulée J. J. Rousseau dans l’Isle de St-Pierre, a beaucoup réussi : mais si l’on fait quelque attention à l’ennui peint sur tous les visages pendant l’excessive durée de cinq actes dénués d’action & d’intérêt, on en pourra penser différemment. Des scènes épisodiques découses, sans liaison avec le sujet principal ; des conversations philosophiques & politiques, étrangères à l’action, quoiqu’elles puissent ne pas l’être à l’un des personnages ; de la déclamation, des pensées détachées, ne forment pas un tout bien théâtral, & c’est cependant tout ce qu’on trouve dans la Piece dont nous parlons.
On s’était demandé d’avance comment il était possible de trouver un Ouvrage dramatique dans le séjour de Jean-Jacques à l’Isle de Saint-Pierre, où il n’éprouva d’autre événement intéressant que la persécution qui l’en bannit. L’imagination n’avait pas le droit de rien inventer sur Rousseau qui semble vivre encore. Mais l’auteur avait trouvé un moyen très-ingénieux d’éluder cette objection, & il est d’autant plus coupable (dramatiquement parlant) de n’en avoir pas tiré un meilleur parti. Ce moyen est d’avoir donné au Receveur chez lequel Rousseau était retiré, une fille du nom de Julie, une niece du nom de Claire ; d’avoir attaché au Philosophe un Elève nommé St-Preux ; d’avoir amené Milord Edouard dans l’Isle ; en un mot, d’avoir employé tous les principaux personnages de la nouvelle Héloïse, avec les passions si bien décrites dans ce célebre Roman. Comment se peut-il que cette intrigue simple, mais attachante, mais qui a fourni à Rousseau des détail brûlans, soit dans la Piece si froide, si languissante, si dépourvue d’effet ? C’est qu’elle n’est là que pour amener au premier Acte une discussion fort longue sur le suicide ; c’est que la jalousie de St-Preux contre Edouard ne produit qu’une déclamation contre les duels ; c’est que les amours de ces jeunes gens ne sont presque jamais en scène ; & qu’au moment où l’on voudrait s’intéresser à eux, on en est empêché par une dissertation aussi froide, aussi philosophique qu’éternelle sur la Révolution de Corse, sur les Gouvernemens en général, entre Rousseau & le Général Paoli, fort étonné de se trouver là.
Le style même n’est pas exempt de reproche, quoiqu’il y soit très-soigné, très-élégant & très-fleuri. L’auteur prétend qu’il n’y a pas une phrase dans son Ouvrage qui ne soit tirée des Œuvres de Rousseau. C’est de-là peut-être que vient le défaut. Rousseau a écrit ses Ouvrages comme on écrit des Livres, des Traités de Philosophie, les Lettres d’un Roman, &c. mais ce style n’est pas du tout celui qui convient au Théâtre ; & quand il a lui-même travaillé pour la Scène, il s’y est pris tout autrement. Le Contrat Social, ses Discours philosophiques & ses Confessions ne sont point du tout dramatiques, & ces Ouvrages excellens seraient ridicules s’ils avaient cette prétention. Aussi, le dialogue de cette Piece, rempli d’affectation, de recherches & d’antitheses, au lieu d’être naturel & simple, a-t-il paru au moins extrêmement déplacé.
Beaucoup de pensées détachées, favorables à la Révolution, ont néanmoins, comme nous l’avons dit, été fort applaudies. On y a remarqué cette interprétation spécieuse du mot de République donnée par ceux qui voudraient, de gré ou de force, nous amener à cette forme de Gouvernement. On a pu voir qu’elle n’a pas obtenu, à beaucoup près, des applaudissemens unanimes.
De nombreux détails sur l’éducation ont fait attribuer cette Piece à une personne qui s’est, en effet, particulièrement occupée de cette matiere ; mais nous doutons qu’elle puisse avoir produit un Ouvrage qui a paru si mal conçu. Quelques voix ont demandé l’Auteur. On a apporté sur le Théâtre le Buste de J. J. Rousseau, & le vœu des Spectateurs, qui n’était pas bien ardent, s’est contenté de cette réponse.
Mais si cette Piece a paru si faible dans toutes ses parties, il n’en est pas de même de l’exécution des Acteurs. M. Molé surtout, chargé du rôle très-fatigant de J. J. Rousseau, l’a rendu avec une vérité, une bonhomie, une sensibilité dont lui-même jusqu’ici n’avait pas donné l’idée : c’était le dernier degré de la perfection. Son ton seul excitait les larmes en remplissant le cœur d’un intérêt d’autant plus extraordinaire, que le talent de l’auteur n’y entrait pour rien. En cherchant plus à se rapprocher du Philosophe de Genève que du Héros de la Piece, il semblait faire disparaître ce que son rôle a de défectueux, & il n’est pas injuste de lui attribuer l’espèce de succès qu’a obtenu cet Ouvrage.
L’Esprit des journaux français et étrangers, 1792, volume 1 (janvier 1792), p. 333-336 :
[Le compte rendu est partagé entre l’admiration que chacun doit à Jean-Jacques et à ses pensées, qui constituent la trame de la pièce, et les exigences du théâtre : « le style des traités philosophiques & celui des ouvrages dialogués est essentiellement différent ». La pièce n’a pas réussi, parce que le dialogue est une succession de « dissertations ».
Le jeudi 15 décembre, on a donné une premiere représentation de Jean-Jacques Rousseau dans l'isle de st. Pierre, comédie en cinq actes, en prose.
C'est une idée séduisante que celle de composer un drame dont Jean-Jacques soit le héros, & où tout ce que disent les personnages soit tiré de ses œuvres. L'auteur de Jean-Jacques Rousseau dans l'isle de St.-Pierre, a succombé à la tentation de la réaliser. Cette piece est précédée d'un prologue où il expose son dessein : il y prévient que si l'on demande l'auteur, ce sera le buste de Rousseau qui paroîtra, & qui sera couronné.
II faut se rappeller que ce philosophe, poursuivi par le peuple à Motiers-Travers, se retira dans l'isle de St.-Pierre. C'est une petite isle du lac de Bienne, qui n'est habitée que par un receveur & sa famille. L'auteur du drame donne à ce receveur un jeune fils, & suppose que Jean-Jacques se charge de son éducation : voilà un Emile tout trouvé. La fille du receveur est Julie ; & un jeune-homme qui est venu visiter Rousseau est transformé en St.-Preux. II y a toujours la même difficulté pour le mariage : car si Julie n'est pas fille d'un baron, St.-Preux est gentilhomme. Avec ce cadre, l'auteur amene d'abord d'excellentes leçons au petit Emile sur le droit de propriété. Ensuite St.-Preux, à qui Julie n'a donné aucune espérance, veut se débarrasser d'une vie qui lui est à charge, & Rousseau lui débite presque toute sa lettre de la nouvelle Hèloïse contre le suicide. Milord Edouard revient de ses voyages pour visiter notre philosophe. Bientôt épris de Julie, il veut aussi l'épouser : St.-Preux se prend de querelle avec lui ; ils se donnent un rendez-vous : autre occasion pour Jean-Jacques d'opposer à ce jeune-homme tout l'appareil de ses raisonnemens contre la fureur du duel. D'un autre côté, Julie en proie à une grande agitation, vient confier au lord ses sentimens pour St.-Preux, & les inquiétudes que lui cause le rendez-vous qu'ils se sont donné : le flegmatique Edouard, dont la réputation de bravoure est hors de toute atteinte, ne croit pas s'abaisser en faisant des excuses à St.-Preux. Ce dernier ne sachant s'il est aimé, veut encore se défaire de la vie, & monte sur un rocher pour se jetter de-là au milieu du lac : Julie, qui est restée en bas, se prosterne à genoux pour l'en empêcher, & lui découvre ainsi tout son amour.
Cependant le défenseur de la liberté des Corses, le général Paoli, arrive aussi pour faire une visite à Rousseau, & lui propose de composer pour sa patrie un code de loix : de-là, de longs discours sur la législation, & des détails sur la révolution de l'isle de Corse, détails qui contiennent beaucoup d'allusions à la révolution françoise, & qui ont été entendus avec enthousiasme.
Au dernier acte, on apporte la nouvelle que les persécuteurs de Rousseau sont encore parvenus à le faire bannir de l'isle de St.-Pierre ; l'union de St.-Preux & de Julie paroît décidée, & Jean-Jacques fait à tous ses amis de touchans adieux.
La représentation de cette piece a duré près de trois heures. Plusieurs des situations qu'on y a rassemblées sont belles en elles-mêmes : mais l'effet qu'elles pourroient produire est presque entiérement détruit par les dissertations éternelles dont elles sont entourées. Comment les spectateurs prendroient-ils un vif intérêt à. ces situations, tandis que les personnages eux-mêmes en sont assez peu affectés pour discourir sans cesse & très-philosophiquement, au-lieu d'agir avec chaleur ? Les pensées de Rousseau ont toujours paru sublimes & d'une grande énergie, comme elles le sont effectivement ; elles ont fait le même plaisir qu'à la lecture, & ont été fort applaudies : mais l'expérience a montré combien le style des traités philosophiques & celui des ouvrages dialogués est essentiellement différent. En total cet essai anti-dramatique est long & fatiguant. On pourroit diminuer cet inconvénient en élaguant les dissertations.
Le parterre n'a pas manqué de demander l’auteur; & M. Molé, qui venoit de déployer son talent dans le rôle de Rousseau, aidé d'un autre acteur, a apporté sur le théatre le buste du philosophe, qui a été couronné comme le prologue l'avoit annoncé.
Cette piece n'a pas fait, & n'a pas dù faire fortune, car les drames de parti ne peuvent plus faire la fortune d'un théatre, quand tous les bons François n'en doivent plus former qu'un, celui des amis de la loi, de la patrie, & du vertueux monarque qui donne tant de preuves de son amour pour elle.
D’après la base César, l’auteur de ce qui est considéré comme un drame, est inconnu. La base ne connaît que la première représentation du 15 décembre 1791.
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