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La Jeune fille et les épouseurs

La Jeune fille et les épouseurs, comédie en trois actes et en prose, par M. Rougemont, 24 novembre 1812.

Théâtre de l’Impératrice.

Titre :

Jeune fille et les épouseurs (la)

Genre

comédie

Nombre d'actes :

3

Vers / prose

en prose

Musique :

non

Date de création :

24 novembre 1812

Théâtre :

Théâtre de l’Impératrice

Auteur(s) des paroles :

Rougemont

L'Esprit des journaux, français et étrangers, année 1812, tome XII (décembre 1812), p. 287-291 :

[Le critique nous met en garde : « cette pièce ne ressemble à aucune autre », et il veut le montrer en rappelant que c’est de la nature des jeunes filles de vouloir épouser leur amant plus que quiconque, riche ou noble. Ici, rien de tel : une jeune fille qu’on veut marier successivement à plusieurs personnes, et qui ne semble se déterminer que selon son intérêt : « elle veut seulement épouser le plus riche » (le fermier, puis le peintre, puis l’intendant). Heureusement le seigneur qu’elle a sauvé autrefois se fait reconnaître, et c’est lui qu’elle épouse. Le critique n’est pas très convaincu par la pièce : il considère comme une facilité de retarder le dénouement en ne mettant en présence la jeune femme et le jeune seigneur qu’en toute fin, et il voit encore dans sa réticence à prendre la moitié de la fortune de son prétendu une preuve de son caractère intéressé. Certes, « elle avait dans le cœur un petit faible pour le duc », mais c’est si peu de chose ! Constat : la pièce a plu au public. Succès complet. Cela n’empêche pas qu’elle soit critiquable, l’intrigue et les personnages étant « la partie faible de l’ouvrage ». Pas de vrai comique, juste des intentions. Les acteurs sont plutôt dénigrés sur un point ou l’autre, et seuls ceux qui jouent ‘les deux rôles de villageois » sont félicités pour leur gaieté et leur naturel.]

La Jeune Fille et les Epouseurs.

Cette pièce ne ressemble à aucune autre, et l'auteur a su trouver une combinaison tout-à-fait neuve pour son héroïne.

De temps immémorial, les jeunes fille sont amoureuses dans les comédies, et montrent une tendresse opiniâtre pour leur amant. Leur fidélité est à toute épreuve : rang, fortune, convenances, elles sacrifient tout pour être unies à celui qu'elles aiment. On ne connaît guère, au théâtre, que la fille de Mme. Abraham qui oublie un instant son petit-cousin le conseiller pour écouter le brillant marquis de Moncade ; mais cet exemple dangereux n'a pas été suivi, et les bons principes se sont maintenus parmi les amoureuses. Ces demoiselles résistent, avec une douceur d'ange, aux remontrances de leurs parens. Les pères, les oncles, les tuteurs épuisent en vain tous les lieux-communs de la morale et du raisonnement. La jeune fille la plus ingénue et la mieux élevée n'en tient pas le moindre compte. Si les parens s'obstinent, elle a recours au fer ou au poison. Voilà le drame et la tragédie. Il semble que les poëtes dramatiques présens et passés n'aient eu d'autre but que de mettre en action cette maxime d'un philosophe du 18e. siècle : « Quand un homme et une femme ont l'un pour l'autre une passion violente, quels que soient les obstacles qui les séparent, les deux amans sont l'un à l'autre de par la nature ».

L'héroïne de la nouvelle pièce est-sans passion. Elle s'appelle Jeannette, et demeure chez son oncle, bon et honnête paysan. L'oncle veut marier sa nièce à un riche fermier ; mais Jeannette, qui a été élevée par une grande dame, qui a voyagé en Italie, et qui a sauvé la vie, dans ce pays lointain, à un jeune seigneur français, montre d'abord un peu de dédain pour ce parti. L'oncle la sermone, et comme elle est fort raisonnable, elle accepte le fermier.

Cependant, un jeune seigneur qui habite le château voisin a été fort amoureux d'une jeune fille qu'il a rencontrée en pays étranger. Il l'a quittée en oubliant de lui dire adieu, ce qui arrivait quelquefois aux jeunes seigneurs français dans leurs voyages. Retiré dans son château, le souvenir de la jeune fille le tourmente, et, faute de mieux, il veut la faire peindre de mémoire. Un peintre se trouve là à point-nommé, et malgré son talent, il ne sait trop comment remplir cette tâche difficile. On lui parle de Jeannette ; il se décide à la prendre pour modèle, en devient amoureux, et entre en négociation pour le mariage. L'intendant du seigneur trouve aussi Jeannette fort jolie ; il va la voir, se range parmi les épouseurs, et n'est pas plus mal traité que le peintre. La complaisante Jeannette ne rebute personne. Le fermier a de l'argent ; le peintre peut en gagner avec son talent, et l'on sait que les intendans ne manquent pas de moyens pour en amasser. La coutume voulait que Jeannette fût amoureuse du peintre, qu'elle se moquât du fermier et de l'intendant ; elle ne se soucie ni des uns ni des autres, elle veut seulement épouser le plus riche. Mais on a sans doute déjà deviné que, par un de ces hasards qui ne se rencontrent jamais qu'au théâtre, Jeannette se trouve être précisément la jeune fille dont le duc est amoureux, et dont il veut avoir le portrait.

L'auteur, qui avait trois actes à remplir, et qui était obligé de développer le caractère conciliant de son héroïne, a eu grand soin de ne faire trouver les deux amans ensemble que pour le dénouement. En effet, au milieu du troisième acte, le peintre présente au duc l'ébauche du portrait. Le jeune seigneur reconnaît sa libératrice, qui bientôt paraît elle-même. Le duc, aussi généreux que le comte d'Olban, que le mari de Paméla et l'époux de Fanchon la vielleuse, offre à Jeannette sa fortune et sa main, et ses rivaux n'essaient pas de lutter contre un tel concurrent, Jeannette ne le rebute pas tout-à-fait, car les ducs qui épousent des paysannes sont à ménager ; mais elle fait quelques petites façons, et débite de grandes phrases sur la disproportion des rangs. Pour vaincre sa résistance, le duc veut lui donner la moitié de son bien ; elle refuse, et finit par accepter l'époux et la fortune toute entière. Ainsi, l'aimable Jeannette est adjugée au plus offrant et dernier enchérisseur. II faut pourtant dire la vérité : elle avait dans le cœur un petit faible pour le duc, mais ce léger penchant est si peu de chose, que ce n'est presque pas la peine d'en parler.

Il paraît que le public a su gré à M. Rougemont de lui avoir présenté une amoureuse sans amour. On a écouté la pièce avec bienveillance, on a ri complaisamment quand les acteurs l'ont voulu, on a applaudi ; enfin le succès a été complet.

Je n'examinerai pas les différens rôles de la pièce, ni la suite de l'intrigue ; c'est la partie faible de l'ouvrage. On y trouve quelques intentions comiques ; mais ce ne sont que des intentions. Mme. Molé, qui n'a qu'un rôle très-court, a paru vouloir le rendre plus court encore, tant elle a mis de précipitation dans son débit. Mlle. Fleury n'a pas joué avec sa grace ordinaire. Closel, dans le personnage du duc, a été un peu froid, et l'on voit trop qu'il n'est pas accoutumé à porter l'habit habillé. Armand et Chazel ont mis de la gaîté et du naturel dans les deux rôles de villageois.

[Le comte d'Olban est un personnage de Nanine, de Voltaire.]

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 17e année, 1812, tome VI, p. 405-406 :

[Après avoir raconté une intrigue romanesque au plus haut point (une jeune fille que trois hommes veulent épouser, et qui finit par épouser le premier rencontré, qui est prince, ce qui ne gâte rien), le critique donne sa sentence : « Voilà du roman sans doute » (ce n’est donc pas du théâtre), et les deux premiers actes sont manqués : « froids, pénibles et privés de motifs suffisans », mais le troisième acte rachète la pièce, grâce à « quelques plaisanteries et des effets comiques » qui « ont fait oublier beaucoup de trivialités, et de déclamations » (les trivialités, les grands discours au lieu de l’action, voilà bien les ennemis du théâtre). M. Rougemont se contentera de la simple mention de son nom, sans commentaire positif.]

ODÉON. THÉATRE DE L'IMPÉRATRICE.

La jeune Fille et les Epouseurs, comédie en trois actes et en prose, jouée le 24 novembre.

Un jeune duc voyageant en Italie a été laissé pour mort aux environs de Naples  une jeune paysanne l'a secouru, et fait porter dans sa chaumière; la reconnoissance a excité l'amour  mais diverses circonstances ont séparé ces amans. La jeune fille est venue en France auprès d'un gros Guillaume, le seul parent qui lui soit resté, et le jeune seigneur s'est retiré dans sa terre, qui est précisément la même qu'habite Guillaume et sa nièce. Jeannette est sur le point d'épouser Benjamin, fermier de l'endroit, mais un jeune peintre, qui a été chargé par le duc de lui faire, d'après ses indications, le portrait de la jeune paysanne qu'il a perdue, croit remarquer sur la figure de Jeannette quelques traits semblables à ceux qu'il cherche à retracer. L'admiration fait ici ce que la reconnoissance a fait plus haut : le peintre devient amoureux à son tour ; et l'oncle, qui ne cherche que l'avantage de sa nièce, n'hésite pas à lui promettre sa main. Mais un plus grand avantage encore lui est offert par Grippard, riche intendant du duc : une place de demoiselle de compagnie auprès de la tante de ce seigneur, une dot superbe, fruit de ses longues rapines, entraînent l'oncle avare et ambitieux. Voilà donc trois mariages sur le tapis, qui vont se dénouer au château.

Benjamin, suivi d'un notaire qui a tout quitté pour son mariage, cherche sa prétendue de salon en salon : Grippard vient faire agréer son hymen à son maître ; le jeune peintre arrive pour le même objet : querelle entre les trois concurrens On ne conçoit pas qu'il puisse s'agir de la même personne. L'ébauche du portrait faite par le peintre va tout expliquer ; mais quelle surprise ! l'heureux duc reconnoît sa paysanne, sa chère libératrice, et son amour, le premier en date est couronné.

Voilà du roman sans doute. Les deux premiers actes ont paru froids, pénibles et privés de motifs suffisans; mais quelques plaisanteries.et des effets comiques semés dans le troisième, ont fait oublier beaucoup de trivialités, et de déclamations.

La pièce est de M. Rougemont.

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