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Le Jeune mari

Le Jeune mari, drame en trois actes et en vers, de Bellin de La Liborlière, 14 brumaire an 14 [5 novembre 1805].

Théâtre de l’Impératrice.

Le nom de l’auteur est donné dans le Courrier des spectacles lors des représentations suivantes, par exemple dans le numéro 3208 du Courrier des spectacles (17 brumaire an 14 [8 novembre 1805]).

Titre

Jeune mari (le)

Genre

drame

Nombre d'actes :

3

Vers / prose ?

en vers

Musique :

non

Date de création :

14 brumaire an 14 [5 novembre 1805]

Théâtre :

Théâtre de l’Impératrice

Auteur(s) des paroles :

Bellin de La Liborlière

Courrier des spectacles, n° 3206 du 15 brumaire an 14 [6 novembre 1805], p. 2 :

[Date indiquée par erreur sur le journal : 8 novembre 1805.]

[D’emblée, le critique affirme que tout dans la pièce est froid : « les caractères, les situations, le dialogue, le style », malgré l’intérêt du sujet. Après un premier acte « bien fait » (bonne expositions, vers réussis, scène touchante de la jeune femme parlant avec son mari au bal), les deux derniers actes déçoivent. Principalement, c’est le caractère du jeune mari qui est bien faible, qui est incapable de résister à la moindre tentation. L’intrigue est simple à résumer : une jeune femme quittée par son mari tente de le faire revenir en entrant en contact avec lui, puis en agissant par ruse : elle fait semblant d’être ruinée, et lui réclame l’écrin contenant ses bijoux, qu’elle a pris soin de lui faire céder contre un prêt. Le jeune mari reconnaît ses torts, et sa femme lui pardonne. Rien n’est dit sur les conditions de la représentation, ni de l’interprétation.]

Théâtre de l’’Impératrice.

Le Jeune .Mari.

Cette pièce pourroit être placée dans le chapitre de Frigidis. Les caractères, les situations, le dialogue, le style, tout est d'une température un peu transie.

Le sujet a pourtant quelqu’intérêt, et le premier acte est assez bien fait pour annoncer que l'auteur de cet ouvrage n’est pas un homme dénué de talent et de goût. L’exposition est présentée avec art ; plusieurs vers sont très-heureux ; et la manière dont la jeune épouse raconte son entrevue au bal masqué avec son mari est d’un effet touchant. Mais le second acte ne tient pas les promesses du premier, et le troisième est encore d’une infidélité plus frappante Le jeune Mari n’a ni les qualités, ni les défauts qui pourroient le rendre intéressant. Rien n’est moins théâtral que l’indécision et la foiblesse de caractère ; lorsqu’on met en scène un jeune homme qui a des torts momentanés, et que l’on veut ensuite le rendre a ses anciennes vertus, il faut au moins que ses égaremens soient mêlés de quelques traits qui lui conservent l’affection de ses auditeurs. Le jeune Mari n’a rien de tout cela ; il abandonne tout avec une facilité extrême ; et quand il est placé entre le vice et la vertu, le combat n’est pas long.

Ce jeune Mari a quitté sa femme depuis deux ans ; il est venu à Paris se livrer à tous les désordres qui entraînent les jeunes gens de son âge. Il joue et perd tous les jours ; il cherche les plaisirs et les aventures, et s’étourdit sur son sort, en se jetant de plus en plus dans tous les genres de désordres.

Sa jeune femme arrive dans la même ville avec son fils ; elle prend un nom emprunté, vient loger dans le même hôtel que son infidèle, ne voit personne, et cherche l’occasion de voir son époux. Elle le trouve dans un bal masqué où elle sait qu’il doit se rendre. Dercourt qui ne la reconnaît point, devient amoureux d’elle. Il tressaille de joie en apprenant qu’elle demeure dans le même hôtel que lui. Il lui écrit pour obtenir la permission d'être admis chez elle ; elle lui répond, et lui accorde ce qu’il sollicite. En attendant l’heure indiquée, il va au jeu. Il perd tout ce qu’il a, et dix mille francs sur sa parole. Il rentre au désespoir, presse le maitre de l’hôtel de lui procurer des fonds ; on les lui apporte ; mais on demande des nantissemcns. Il donne, après quelque résistance, l’écrin et le portrait de sa femme. On lui annonce bientôt que la perte d’un procès a mis sa jeune épouse dans le cas de faire usage de ses dernières ressources, et qu’elle réclame ses diamans. Le désespoir s’empare du jeune et coupable mari ; il pleure sur ses égaremens, et sa femme paroît pour jouir de son repentir, lui avoue que c’est elle qui l’a inquiété à dessein et qui lui a procuré les dix mille francs dont il avoit besoin. Elle lui pardonne ses erreurs et se reconcilie avec lui.

La Revue, philosophique, littéraire et politique, an XIV, 1er trimestre, n° 6, 30 Brumaire (21 Novembre 1805), p. 374 :

[Compte rendu défavorable d’une pièce à qui on reproche la faiblesse des caractères et de l’intrigue, qui a certes un but moral, mais manque de « ressorts dramatiques ». Et aussi un « style lâche et souvent affecté ».

L'article consacré à la programmation du Théâtre de l'Impératrice commence par un compte rendu mitigé des Portraits infidèles dont l'auteur a gardé l'incognito.]

Le Jeune Mari n'a pas eu un meilleur sort, quoique ce fût un drame en trois actes et en vers. Point de caractère prononcé, point de but moral bien marqué. L'auteur a voulu nous montrer que des jeunes gens mariés de trop bonne heure faisaient rare ment un bon ménage. Rien de plus louable que cette intention; mais encore fallait-il trouver une action, des ressorts dramatiques.

Dercour, à l'âge de dix huit ans, a épousé une femme qui n'en avait que quinze. L'ennui et le dégoût ont bientôt suivi cette union trop précoce. Le mari, fatigué de la vie monotone de la province, est venu chercher à Paris, dans les maisons de jeu et auprès des Phrynés, quelques distractions. La femme au contraire, restée fidelle à la foi conjugale, entreprend de ramener son mari au sein, de son ménage, et voici comme elle s'y prend.

Elle arrive à Paris, loge dans le même hôtel que Dercour, le tout sans qu'il en sache rien. Elle suit bientôt son infidèle au bal masqué, lui parle et obtient un rendez-vous. Mais Dercour, au lieu de s'y trouver, est allé dans un tripot où il perd, avec tout son argent, dix mille francs sur parole. Cet événement le plongé dans le plus grand embarras ; il ne,sait où trouver cette somme ; mais sa femme la lui fait donner par le maître de l'hôtel, à condition que Dercour remettra pour nantissement le portrait et l'écrin de sa femme. Un reste de sentiment le retient : après quelques façons il livre le tout, à l’exception cependant d'un bracelet des cheveux de sa femme. C'est alors que sa malheureuse épouse tente un dernier effort ; elle envoie à Dercour leur fils unique babillé en mendiant : il ne peut tenir à cette vue. De-là les remords,et puis le raccommodement.

Ce drame romanesque, faible de fonds, est écrit d'un style lâche et souvent affecté. L'auteur a trouvé prudent de garder l'anonyme.                  J.

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome III, frimaire an XIV [novembre 1805], p. 279-285 :

[La pièce nouvelle s’insère dans une série de comédies mettant en scène des personnages jeunes. Ici, c’est le jeune mari d’une femme parfaite qui, las de ces perfections, quitte le domicile conjugal à la recherche de ce que le critique appelle « de véritables femmes ». Commence alors l’analyse d’une intrigue qui montre assez bien le peu de considération qu’on avait en ces temps lointains pour les femmes. Le mari est prêt à toutes les vilenies pour obtenir un rendez-vous d’une femme dans laquelle il n’a pas reconnu son épouse (la vraisemblance n’est pas non plus le point fort de la pièce).La fin de la pièce est présentée d’une manière très étonnante : ce dont le mari se réjouit in fine, c’est que sa femme ne soit pas ruinée, bien plus que d’obtenir son pardon. Le jugement porté sur la pièce est sévère : « petit drame », « homélie très édifiante, « mauvaise comédie ». Si c’est de bonne morale de plaider pour la conversion des libertins, ce n’est pas du bon théâtre : invraisemblance et romanesque des moyens employés ; faiblesse du caractère du mari, sans intérêt possible ; même la femme est d’un héroïsme outré (elle « affadit la scène par un ton langoureux et de perpétuelles doléances »). Les acteurs n’ont pas été très bons, à l’exception de Picard aîné (qui est « fait pour la comédie ») : la pièce n’était pas faite pour le Théâtre de l’Impératrice, où l’on vient pour rire. La représentation a été ennuyeuse, et ce n’est qu’à la fin que quelques sifflets ont troublé le calme. L’auteur a été demandé, mais sans conviction.]

THÉATRE DE L'IMPÉRATRICE.

Le jeune Mari, comédie en trois actes et en vers.

Nous avions la jeune Femme, la jeune Mère, voici le jeune Mari. Ces titres prouvent que nos auteurs ont l'esprit bien jeune. Le jeune mari s'est marié à dix-huit ans et s'en est repenti à vingt ; il a cependant la femme comme il y en a peu(1), ou plutôt la femme comme il n'y en a point : esprit, beauté, douceur, sagesse, etc... ; c'est un ange. Il semble que le sort de ces anges femelles soit toujours d'avoir quelque diable de mari qui les persécute pour faire éclater davantage leur vertu. Bref, le jeune mari est excédé des perfections de sa femme ; ce roman l'ennuie : il quitte son ménage et vient chercher à Paris des femmes qui aient des défauts, de véritables femmes.

Pendant que Dercourt, c'est le jeune mari, vit en garçon dans la capitale, livré au jeu, à la galanterie, à tous les désordres de son âge, on se doute bien que sa merveilleuse moitié gémit au fond de la province comme une tourterelle ; elle adore son infidèle époux, et quoiqu'elle jouisse d'une fortune indépendante, cette veuve n'a garde de se consoler ; sa passion conjugale devient même si forte, que n'y pouvant plus tenir, elle vient chercher à Paris son cher fugitif.

Le hasard la mène dans l'hôtel où loge son mari ; un second hasard non moins heureux le lui fait rencontrer au bal de l'Opéra. Dercourt ne reconnaît pas sa femme sous le masque ; il en devient amoureux, et sachant qu'elle loge dans la même maison que lui, il se promet bien de tirer parti du voisinage. Mais la belle ne voit personne ; il lui écrit pour demander un rendez-vous, et, en attendant la réponse il va jouer et se ruine. Dix mille francs à payer, dans le jour même, l'occupent alors plus que son amour.

Mais son ange n'est-il pas là pour le secourir ? Sa femme a les dix mille francs qu'elle lui fait tenir par son hôte, M. Dubreuil, bonhomme, curieux des affaires d'autrui, mais officieux et entremetteur. Cependant la femme de Dercourt veut éprouver si son mari n'est pas tout-à- fait indigne de ses bontés : elle exige que les dix mille francs soient hypothéqués sur une terre que Dercourt possède en Provence. Le mari libertin conserve assez de délicatesse pour ne pas engager le seul bien qui reste à son fils ; il est plus accommodant sur l'article des diamans de sa femme qui sont entre ses mains : après quelques petites façons de bienséance, il consent à les engager.

Quoique fort scandalisée de la facilité de son mari à disposer de ses bijoux, la femme hasarde encore une épreuve qui ne lui réussit pas mieux : elle exige, pour le prix du rendez-vous qu'on lui a demandé, le sacrifice d'un certain portrait. Ce portrait est le sien, et à son grand regret cet article de la capitulation est accordé. Voilà donc madame Dercourt fort mal payée de sa générosité : son volage époux livre ses diamans et son portrait. Il y avait là de quoi rebuter une autre femme ; mais une héroïne telle que madame Delcourt se roidit contre les obstacles, et ne trouve d'autre moyen pour convertir son mari que de lui faire accroire qu'elle est ruinée, et que son fils est réduit à l'hôpital. Dercourt, consterné de tant de malheurs, rentre en lui-même et donne des signes d'une sincère contrition ; c'est alors que sa femme se montre pour recueillir les fruits de son repentir. Dercourt, frappé de sa présence comme d'un coup de foudre, est prêt à mourir de douleur à ses pieds ; mais bientôt il est au comble de la joie, lorsqu'il apprend que le désastre de sa famille n'était qu'un stratagême imaginé pour sa conversion.

Ce petit drame est une homélie très-édifiante, mais une assez mauvaise comédie ; le but en est très-moral, mais l'idée n'en est point théâtrale. C'est fort bien fait assurément de chercher à convertir les maris libertins ; mais les moyens de conversion sont invraisemblables et romanesques : le mari est sans caractère, et n'a aucune des qualités qui inspirent l'intérêt. La femme affadit la scène par un ton langoureux et de perpétuelles doléances ; son héroïsme est outré. Mlle. Adeline réussit beaucoup moins dans les rôles lamentables que dans les ingénuités. Les drames, qui ne sont pas trop bons sur le Théâtre Français, sont encore plus déplacés à Louvois : ce n'est pas le pays des soupirs et des larmes ; les acteurs ne sont point exercés au tragique bourgeois. Clozel est froid dans le rôle de Dercourt. Picard, aîné, est le seul qui réveille un peu les spectateurs ; son personnage de Dubreuil est quelquefois comique, et il le rend plus piquant encore par sa manière de le jouer : cet acteur est telle-
ment fait pour la comédie, qu'il serait presqu'impossibie de lui faire jouer le sentiment et le pathétique. Le style de la pièce est facile, mais faible et négligé. Si l'auteur est jeune, il s'égare et prend une mauvaise route : c'est dans la société qu'il faut chercher des sujets , et non dans les romans ; c'est la nature qu'il faut peindre, et non pas des chimères.

On a écouté avec patience ; on s'est ennuyé décemment et avec politesse. Ce n'est que vers la fin que le calme a été légèrement troublé par quelques sifflets modestes ; on a même demandé l'auteur, mais de manière à ôter l'envie de le nommer.

(1)Titre d'une pièce jouée aux Variétés.

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