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Le Jeune sage et le vieux fou

Le Jeune sage et le vieux fou, comédie en un acte et en prose, mêlée d'ariettes, d'Hoffman, mise en musique par Méhul, 28 mars 1793.

Théâtre de l'Opéra Comique National.

Titre :

Jeune sage et le Vieux fou (le)

Genre

comédie mêlée d’ariettes

Nombre d'actes :

1

Vers / prose ?

en prose, avec des couplets en vers

Musique :

ariettes

Date de création :

28 mars 1793

Théâtre :

Théâtre de l’Opéra Comique National

Auteur(s) des paroles :

Hoffman

Compositeur(s) :

Méhul

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1793, volume 11 (novembre 1793), p. 324-331 :

[Le compte rendu commence comme devraient commencer tous les comptes rendus, par un résumé de l’intrigue, achevé par une formule rapide jugeant cette intrigue : « Cette piece offre des situations comiques & agréables », ce qui n’engage guère, puis le critique annonce que c’est de la musique qu’il veut s’occuper, et il entreprend de faire saisir toute la richesse de la musique de Méhul, analysée avec précision en des termes très élogieux. Une seule réticence : les deux caractères opposés du jeune sage et du vieux fou sont trop tranchés, et le critique aurait souhaité que la musique montre qu’ils ne sont pas si éloignés l’un de l’autre, à l’image de leurs costumes respectifs, qui n’empêchent pas de voir la jeunesse du sage, et la vieillesse du fou. Et si ces remarques peuvent sembler « trop subtiles », il faut observer qu’« elles sont fondées sur l'observation de la nature, qui ne doit perdre aucun de ses droits », et que le mieux est l’ennemi du bien (« celui qui est fait, comme l'aigle, pour planer dans les cieux, ne doit jamais se borner à voler terre-à-terre, comme la modeste hirondelle ». Faut-il comprendre que Méhul aurait mieux fait de ne pas se commettre à écrire la musique de cette pièce ?]

THÉATRE DE L'OPÉRA COMIQUE NATIONAL.

Le jeune sage & le vieux fou, comédie en un acte & en prose, mêlée d'ariettes, par Hoffmann, mise en musique par Méhul.

C'est un singulier sujet que celui de cette comédie. Cliton, jeune homme de seize ans, a la manie de paroître sage, & son pere Merval, qui en a plus de soixante, est dissipé, libertin même, comme l'étoient autrefois les agréables du Palais-royal. Il ne respire que pour s'amuser, & son fils ne semble vivre que pour soupirer sur la frivolité de son pere. Pour lui faire quitter ce train de vie, Cliton veut que Merval se marie ; & comme il pense qu'il lui faut une jeune personne sage & modeste, il jette les yeux sur l'aimable Rose, tandis qu'il pense lui, que la tante de celle-ci, la prude Elise, quoiqu'un peu sur le retour, pourra lui convenir.

Merval laisse agir son fils, & il épousera même Rose, si cela peut lui être agréable. D'après cet aveu, Cliton a une entrevue avec la charmante niece d'Elise ; il lui propose Merval pour époux ; qu'on juge de sa surprise, elle qui aime Cliton en secret, & qui croyoit s'être apperçue qu'il la payoit de retour. Rose rend cette conversation à sa tante ; celle-ci est au comble de la joie, & elle trouve que Cliton, qu'elle appelloit un pédant, est un jeune homme de beaucoup de bon sens & de goût. Elle vient donc le trouver, dans l'intention de prendre avec lui des arrangemens pour leur mariage, qu'elle croit très-prochain.

Cependant tout est changé depuis quelques instans. Lorsque le vieux Merval a fait, pour se conformer au désir de son fils, une tendre déclaration à Rose, celle-ci lui a avoué son amour pour Cliton ; & Merval est aussi-tôt revenu à son premier projet, qui étoit d'épouser Elise, & de donner à Rose la main du jeune sage.

Cliton , qui est bien aise d'être aimé, accede à cet arrangement, & les choses en sont dans cet état, lorsque la tante se rend auprès de lui. Enthousiasmée de son bonheur, Elise va au-devant de tout ce que veut lui dire Cliton. C'est donc en vain qu'il lui demande la main de Rose. Prévenue comme elle est, Elise croit toujours qu'il est question de la sienne, & ne se possede pas. Malheureusement pour elle, tout s'éclaircit à la fin, & bon gré, malgré, il faut bien, lorsqu'elle est revenue de son premier dépit, qu'elle accepte la main de Merval, puisque sa niece lui a dérobé celle de Cliton.

Cette piece offre des situations comiques & agréables ; mais ce n'est pas ce qui doit nous occuper à présent ; c'est de la partition que nous rendrons compte, & nos observations vont entiérement porter sur la musique.

L'ouverture est à la partie lyrique d'un drame, ce que le titre est au drame lui-même. Ils doivent donc l'un & l'antre en annoncer le sujet ; & cette annonce est plus ou moins satisfaisante, en raison du plus ou moins grand rapport qui regne entre cette instruction préliminaire & le poëme & sa musique. D'après ce principe, que nous croyons bon, la meilleure ouverture n'est-elle pas celle qui, en retraçant d'une maniere sensible le caractere de l'ouvrage qu'elle précede, nous dispose à l'entendre favorablement, en nous mettant d'avance dans le secret du poëte & du musicien ? Le jeune sage & le vieux fou, voilà le titre & le sujet de la piece ; un mouvement grave, imprégné du goût de l'ancienne musique & un allegro sautillant & gai, voilà les deux caracteres distincts que présente l'ouverture. Elle est donc ce qu'elle devoit être, puisque, du premier abord, elle nous indique avec clarté l'opposition de la sagesse avec la folie ; puisqu'elle nous prépare, en confondant ensuite ses chants graves & gais, à voir & à. entendre ce qui peut résulter de la combinaison des caracteres d'un jeune sage & d'un vieux fou.

Mais il ne suffisoit pas d'indiquer ces caracteres, il falloit encore les développer, les soutenir, & leur donner la teinte qu'ils devoient conserver pendant tout le reste de la piece. C'est aussi ce que M. Méhul a fait dans le premier morceau de Cliton, tout est changé, &c. & dans le duo qui le suit, où l'ironie du vieux fou, qui se moque de la caricature d'un philosophe de vingt ans, & la gravité de Cliton, qui gémit sur les erreurs d'un étourdi de soixante, sont fort bien exprimées. La chanson de ce jeune homme, qui commence par ces mots : Entre l'esprit & la beauté, & l'ariette à roulade qui la suit immédiatement, & que Merval chante, achevent d'imprimer le cachet du ridicule sur ces deux personnages. Rien de plus plaisant que de voir un jeune homme chanter, comme on le faisoit dans le bon vieux tems, de la musique françoise, où les gosiers chevrotans de nos peres entonnoient avec délices : Paisibles bois, & autres psalmodies semblables ; tandis qu'un vieillard voulant imiter dans ses amours, comme dans son chant, la légéreté du papillon, fait des volates & des roulades toutes les fois que dans volage, vole, léger & muguet, il trouve des a des é & des o qui lui en fournissent le prétexte. Aussi le saisit-il avec autant d'empressement que peuvent en montrer en pareil cas un virtuoso ou une cantatrice : espece de personnages plus ridicules encore que notre vieillard, & que le bon goût devroit chasser de la scène, parce que leur chant roucoulé étouffe l'expression dramatique, comme le masque d'Arlequin, aussi peu naturel que leurs notes intempérées, étouffe l'expression que pourroient nous transmettre les traits de la figure de ce personnage.

Le récitatif & l'allegro que Rose chante, au moment où Cliton vient de lui proposer la main de son pere, à elle, qui ne pense qu'à obtenir celle de ce jeune homme, qu'elle aime, sont d'une belle facture & d'un grand effet. L'andante peint à merveille l'étonnement où la conduire de Cliton jette cette jeune personne, & l'embarras qu'elle éprouve ; & l'allegro définit bien l'état où doit nécessairement se trouver son cœur. La conversation animée & dialoguée des violons, exprime son agitation & son inquiétude ; ses doutes sont rendus par les syncopes & les tenues gémissantes des basses, des violons & des instrumens à vent, & par une espece de trépignement que les altos font entendre. Mais lorsque, vers la fin du morceau, le dépit & le désespoir dominent toutes les facultés de l'ame de Rose, toutes les parties entraînées par le chant fougueux des violons, viennent se confondre avec eux, ou ne font entendre que des sons entrecoupés, qui décelent & le désordre qui regne dans les sens du personnage, & la crainte qu'il a de voir dédaigner par Clíton, un amour dont il ne sauroit plus désormais faire un mystere. Voilà de ces traits, de ces beautés qui caractérisent l'homme de génie fait pour être musicien, & qui, par malheur, ne sont pas toujours sentis par le plus grand nombre.

Les autres morceaux de cet opéra, & conséquemment ceux que chante Elise, &.la finale qui le termine, sont finalement bien raisonnés. On remarque dans tous une harmonie pure, une sage ordonnance, un caractere convenable, & ils concourent plus ou moins au but que l'auteur s'est proposé, celui de former un ensemble agréable. II y a réussi; & s'il faut convenir que M. Méhul, comme le prétendent certaines personnes, n'a pas produit dans cet opéra de si grands effets que dans Euphrosine ; c'est qu'il ne le devoit pas, c'est qu'il ne le falloit pas. Voltaire écrivit-il l'Ecossoise avec la même plume dont il se servit pour écrire Mahomet ? & Préville jouoit-il le rôle de Bourru bienfaisant comme il jouoit celui de M. Pincé ? Non sans doute. Chaque ouvrage doit différer dans son caractere & dans sa teinte- Malheur au musicien & au peintre qui employeront toujours les mêmes tons & les mêmes couleurs ! la postérité n'entendra point parler d'eux.

Il n'en sera pas ainsi de M. Méhul, à qui nos neveux payeront comme nous, sans doute, un tribut d'éloges, parce qu'il aura contribué pour beaucoup à leur apprendre qu'il n'est de véritable musique que celle qui est dramatique. Maintenant, que nous avons rendu à cet estimable compositeur la justice qui lui est due, nous sera-t-il permis de lui faire quelques observations, que l'amour seul de l'art nous inspire ? Pourquoi non ? il a tout le mérite qu'il faut pour savoir pardonner à quelqu'un qui se tromperoit en voulant dire la vérité.

Nous aurions désiré que les caracteres du jeune sage & du vieux fou fussent tracés avec moins de franchise, & que différens traits eussent rappellé de tems-en-tems dans la mélodie, que ces caracteres n'étoient que factices. Le costume du vieillard, dont Cliton est affublé, ne fait pas disparoître en lui la fraîcheur de la jeunesse ; ni l'élégant habit de Merval n'efface pas les rides que le tems a sillonnées sur son front. Nous voudrions donc que ce costume, si toutefois il est permis de s'exprimer ainsi, fût observé dans le chant de ces deux personnages, afin que leur visage harmonique pût contraster avec lui. Ainsi nous désirerions que, dans l'air de bravoure où Merval cherche à nous retracer la légéreté du papillon, le vieillard fût trahi, démasqué par une Rosalie, ou telle autre tournure antique de chant ; & que le jeune homme fût lui-même décelé par une certaine tournure nouvelle, mise en opposition avec la vétusté de ses accens ; sauf au compositeur de placer ces traits dans la partie qui lui auroit paru la plus convenable. D'après cela, il nous semble que les chants de Cliton, de Merval, & leurs accessoires, sont trop véritablement ceux d'un vieillard ou d'un jeune homme, & nous croyons que c'est ce qu'il ne faudroit pas tout à fait.

Ces remarques paroîtront peut-être trop subtiles à certaines personnes ; mais nous leur ferons observer à elles-mêmes que nous nous sommes permis de les hasarder, parce qu'elles sont fondées sur l'observation de la nature, qui ne doit perdre aucun de ses droits. Nous terminerons cet article en disant à M. Méhul : celui qui comme vous peut le mieux, ne doit pas se borner au bien : les Italiens , qui ont été nos maîtres dans presque tous les arts, nous crient sans cesse : II meglio è il nemico del bene. Pénétrez-vous de cette vérité, vous qui, dès les premiers pas que vous fîtes dans la carriere de l'art, sûtes dérober à Polymnie les plus ardentes étincelles, & souvenez-vous toujours que celui qui est fait, comme l'aigle, pour planer dans les cieux, ne doit jamais se borner à voler terre-à-terre, comme la modeste hirondelle.

César : première le 28 mars 1793. 10 représentations en 1793, jusqu'au 1er août. 3 représentations en 1794. 6 en 1796. 5 en 177. 9 en 1798.

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