Le Jugement dernier des Rois, prophétie en un acte, en prose, de Sylvain Maréchal, 27 vendémiaire an 2 [18 octobre 1793]
Théâtre de la République
Almanach des Muses 1794
Scènes burlesques, bien propres à alimenter l'esprit public et la haine contre les rois.
Un vieillard vénérable, victime du despotisme, est abandonné depuis vingt ans dans une isle déserte et volcanisée. Il y gémit sur les crimes des tyrans, et a même tracé sur un rocher ces mots qui lui sont chers : Liberté, Égalité. Tout-à-coup il voit débarquer une foule d'étrangers, qui lui annoncent que les peuples de l'Europe ont repris leurs droits, et que tous les despotes ont été détrônés. On a arrêté qu'ils seront déportés dans une isle déserte. Le vieillard trouve que son isle est excellente pour recevoir la cargaison. Alors un Sans-culotte de chaque pays amène successivement les rois d'Autriche, de Prusse, d'Angleterre, d'Espagne, de Naples, de Pologne le Saint-Père et l'Impératrice de toutes les Russies. On les abandonne ; ils se querellent : ils se reprochent mutuellement les fautes dont ils sont tous coupables ; et ils finissent par se battre pour une barrique de biscuit de mer qu'on leur a laissée par charité, lorsque le volcan les met tous d'accord en les engloutissant.
Sur la page de titre de la brochure, Paris, de l'Imp. de C.-F. Patris
Le Jugement dernier des rois, prophétie en un acte, en prose, par P. Sylvain Maréchal, Jouée sur le Théâtre de la République, au mois Vendemiaire et jours suivants.
Tandem !....
Le texte de la pièce est précédé des deux textes suivants :
L'idée de cette pièce est prise dans l'Apologue suivant, faisant partie des Leçons du fils ainé d'un Roi, ouvrage philosophique du même auteur, publié au commencement de 1789, et mis à l'index-par la Police.
En ce temps-là : revenu de la cour, bien fatigué, un visionnaire se livra-au sommeil, et rêva que tous les peuples de la terre, le jour des Saturnales, se donnèrent le mot pour se saisir de la personne de leurs rois, chacun de son côté. Ils convinrent en même temps d'un rendez-vous général, pour rassembler cette poignée d'individus couronnés, et les reléguer dans une petite île inhabitée, mais habitable ; le sol fertile n'attendait que des bras et une légère culture. On établit un cordon de petites chaloupes armées pour inspecter l'île, et empêcher ces nouveaux colons d'en sortir. L'embarras des nouveaux débarqués ne fut pas mince. Ils commencèrent par se dépouiller de tous leurs ornements royaux qui les embarrassaient ; et il fallut que chacun, pour vivre, mît la main à la pâte. Plus de valets, plus de courtisans,.plus de soldats. Il leur fallut tout faire par eux-mêmes. Cette cinquantaine de personnages ne vécut pas long-temps en paix ; et le genre humain, spectateur tranquille, eut la satisfaction de se voir délivré de ses tyrans pas leurs propres mains, —30 et 31 pag.
L'AUTEUR DU JUGEMENT DERNIER DES ROIS,
Aux spectateurs de la première représentation de cette pièce.
Citoyens, rappelez-vous donc comment, au temps passé, sur tous les théâtres on avilissait, on dégradait, on ridiculisait indignement les classes les plus respectables du peuple-souverain , pour faire rire les rois et leurs valets de cour. J'ai pensé qu'il était bien temps de leur rendre la pareille, et de nous en amuser à notre tour. Assez de fois ces messieurs ont eu les rieurs de leur côté ; j'ai pensé que c'était le moment de les livrer à la risée publique, et de parodier ainsi un vers heureux de la comédie du méchant :
Les rois sont ici bas pour nos menus plaisirs.
Gresset.
Voilà le motif des endroits un peu chargés du Jugement dernier des Rois.
(Extrait du journal des Révolutions de Paris, de Prud'homme, Tome XVII, page 109, in-8°.)
Les costumes des personnages, et tout particulièrement ceux des rois et reines, sont décrits de façon précise.
Révolutions de Paris, dédiées à la nation, publiées par L. Prudhomme, à l'époque du 12 juillet 1789, an second de la République, dix-septième trimestre, 1793, n° 212 (du 3 août au 28 octobre 1793 [vieux style]),p. 108-109 :
Jugement dernier des rois.
Le théâtre de la République, rue ci-devant de Richelieu, près le palais de l'Egalité, n'a jamais mieux rempli son titre que depuis qu'il joue une pièce d'un genre original, & qui a pour titre Le Jugement dernier des rois. De chauds patriotes se sont plaints dernièrement à l’opéra de n'y voir représenter que des têtes couronnées ; on ne fera point le même reproche aux artistes de la salle ci-devant des Variétés. Tous les monarques.de l'Europe, à peu-près, y figurent, il est vrai, sur la scène ; mais, pour ainsi dire, muselés, comme les ours que les montagnards de la Savoie faisoient jadis danser dans nos carrefours pour amuser la multitude. Il faut les voir tirés de la cale d'un vaisseau, & mis en possession d'une île volcanisée, par de bons sans-culottes de chaque section de l'Europe ; car l'auteur, Sylvain Maréchal, connu déjà par des prophéties qui ont eu leur entier accomplissement, prédit ici qu'un jour, à l'exemple des français, tous les européens doivent, à la même heure, faire main-basse sur la personne de leurs rois, & les condamner à la déportation sur une terre lointaine, pour y être dévorés par un volcan. Il est curieux & plaisant de les voir tous débarquer avec leur couronne d'or sur la tête, & une chaîne de fer au col, sans en excepter N. S. P. le pape & l'impératrice de Russie. Il ne manque à cette pièce que de pouvoir être représentée en présence de tous les sans-culottes de l'Europe. La fiction théâtrale ne tarderoit pas à devenir un fait historique.
Théâtre de la Révolution, ou choix de pièces de théâtre qui ont fait sensation pendant la période révolutionnaire, introduction de Louis Moland, 1911, p. XXIII :
Le Jugement dernier des rois, par Sylvain Maréchal, fut représenté pour la première fois sur le théâtre de la République (rue Richelieu) le 18 octobre 1793, deux jours après le supplice de la reine Marie-Antoinette.
Cette pièce réussit bruyamment. – « Le concours était immense, disent Etienne et Martainville. L'auteur du Jugement dernier des rois fut demandé à grands cris et couvert d'applaudissements. »
Alphonse Aulard, le Culte de la raison et le culte de l'Être suprême: (1793-1794) [1909, réédition de 2023], p. 300 :
Le 17 octobre 1793, le même Sylvain Maréchal avait pu faire représenter son Jugement dernier des Rois, où le pape était ridiculisé. Le 20 janvier 1794, on proposa aux Jacobins de faire jouer cette pièce le lendemain, 21 janvier, pour l'anniversaire de l'exécution de Louis XVI. La motion tomba, la pièce ne fut pas reprise, et le théâtre de la République donna ce soir-là le Nouveau réveil d'Épiménide.
Le Jugement dernier des Rois partage le sort de la Fête de la Raison, qui n'a pas pu être jouée, et Alphonse Aulard précise : « Il est évident, bien que nous n'ayons pas trouvé d'arrêté conforme, que, dans les deux cas, le Comité de Salut public intervint pour empêcher la profanation du catholicisme par le théâtre. » En note, il ajoute que « c'est ainsi que plus tard, comme nous le verrons, on interdit aux théâtres de représenter la fête de l'être suprême ».
Empêcher la profanation du catholicisme par le théâtre ? Est-ce vraiment ce que le Comité de Salut public veut empêcher ?
D'après la base César, la pièce a été jouée 21 fois, du 17 octobre 1793 au 20 février 1794, au Théâtre français de la rue de Richelieu, et 1 fois, le 6 janvier 1796 au Théâtre du Marais.
D'après la base César, la pièce a été jouée 21 fois, du 17 octobre 1793 au 20 février 1794, au Théâtre français de la rue de Richelieu, et 1 fois, le 6 janvier 1796 au Théâtre du Marais.
Ajouter un commentaire