La Lettre de change

La Lettre de change, opéra-comique en un acte et en prose, de Planard, musique de Bochsa, 11 décembre 1815.

Théâtre de l’Opéra-Comique.

Titre :

Lettre de change (la)

Genre

opéra-comique

Nombre d'actes :

2

Vers ou prose ?

en prose, avec des couplets en vers

Musique :

oui

Date de création :

11 décembre 1815

Théâtre :

Théâtre de l’Opéra-Comique

Auteur(s) des paroles :

Planard

Compositeur(s) :

Bochsa

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, de l’imprimerie de Doublet, janvier 1816 

La Lettre de change, opéra-comique en un acte et en prose. Représenté, pour la première fois surle théâtre de l’Opéra-Comique, par les Comédiens ordinaires du Roi, le 11 décembre 1815. Paroles de M. Planard ; Musique de M. Bochsa.

Journal des débats politiques et littéraires, 13 décembre 1815, p. 1-4 :

[Le nouvel opéra comique a droit à un fort long compte rendu, surtout quand on songe qu’il est en un seul acte. L’article s’ouvre par une très longue analyse d’une intrigue dont on sent bien qu’elle n’a pas l'agrément du critique, qui ne se prive pas pour contester des éléments qui lui paraissent contraires à tout bon sens (en particulier, la mise au point juridique autour de l’article 781 du code de procédure : passage assez significatif d’une certaine vision du théâtre, mais aussi le jugement sévère de l’abus des déguisements, procédé qui a en plus le tort d’être usé). Une fois le dénouement expédié (et vite expédié, comme s’il n’avait aucun intérêt), c’est la longue série des invraisemblances qui occupe le critique, et qu’il qualifie aussi d’« impossibilités morales ». Il en attribue l’origine dans l’hébitude prise par les auteurs de sacrifier les paroles à la musique, « aux dépens de la vérité, de la raison, des règles même du bon sens », comme si un peu de bonne musique, « un rondeau, trois ariettes, un finale harmonieux, un bruyant sextuor », pouvait remplacer l’invention et le style. Une petite pique contre la salle Favart nous rappelle qu’il existe une hiérarchie entre les genres, comme entre les salles. L’attaque contre l’auteur des paroles s’achève par une accusation de paresse. Quant au musicien, il est lui aussi bien mal traité : un jeune compositeur, trop prolifique, et dont les productions sont bien peu soignées, le critique hésitant entre absence de talent et absence de travail pour décrire son ouvrage. Comme souvent, trop de notes, sans « le feu de l’inspiration, et le caractère de l'expression dramatique ». Conclusion : chute ou succès, le critique ne se prononce pas, mais il ne cache pas qu’il condamne l’accueil favorable que le public a fait à cette Lettre de Change.]

OPÉRA-COMIQUE.

Première représentation de la Lettre de Change, opéra-comique en un acte, paroles de M. Planard, musique de M. Bochsa.

M. Dermont, riche négociant de Paris, est à Bordeaux depuis dix-huit mois, pour y régler des affaires d'intérêt avec M. Sainville, son associé de commerce ; il a laissé à Paris une jeune femme, qui attend son retour avec une juste impatience, et qui, pour charmer l’ennui de son veuvage, de manière à ne point alarmer un mari soupçonneux et jaloux, s'est retirée à Auteuil, dans une maison solitaire, où elle n'a d'autre compagnie qu'une cousine récemment arrivée de Normandie, et dont la main est promise au fils de M. Sainville. Eugénie n'a jamais vu ni M. Dermont ni son prétendu ; ces deux dames n’ont à leur service qu’une petite paysanne nouvellement entrée dans la maison, et à qui par conséquent le visage des deux messieurs est également inconnu.

A l'ouverture de la scène, on apprend que ce jour-là même Mme Dermont attend le retour de son mari. Un pavillon est préparé pour le recevoir. Sa robe de chambre est étalée sur un fauteuil. M. Dermont est un homme rangé qui n'aime pas à chercher ce qu'il doit trouver sous sa main.

Dans le moment où Mme Dermont entretient Eugénie de son prochain changement d'état, un jeune homme accourt tout hors d'haleine et lui demande un asile. Il est poursuivi par des huissiers porteurs d'une contrainte par corps ; il peut avouer, sans rougir, la cause de cette disgrâce. Un de ses amis partant pour l'armée a eu recours à sa signature pour fournir à ses frais d'équipement. Sainville l'a apposée imprudemment sur une lettre de change ; son ami a été tué. La lettre, revenue à protêt, a été présentée à Sainville, qui, faute d’argent n'a pu l'acquitter. De là, assignation et sentence par corps ; de là, la fuite précipitée de Sainville devant les recors chargés de l’exécution.

Mais des recors ne lâchent pas facilement leur proie ; ils ont suivi les traces du fuyard, et bientôt on les voit paroître dans le fond du parc de Mme Dermont.

De quel droit et comment s'y sont-ils introduits ? C’est ce que l’auteur se garde de nous apprendre. S'il me souvient un peu de mon ancienne profession, il me semble qu'il existe dans le Code de Procédure un certain article 781, ainsi conçu : «  Le débiteur ne pourra être arrêté dans une maison quelconque, même dans son domicile, à moins qu'il n'eût été ainsi ordonné par le juge de paix du lieu, lequel juge de paix devra .dans ce cas se transporter dans la maison avec l'officier ministériel. » Un auteur comique n'est pas obligé de connoître les lois, et encore moins les formes de la procédure  ; mais tout écrivain est tenu de s'instruire de la matière qu'il traite, et d'en apprendre au moins ce qui a rapport à son sujet. Molière ne se hasardoit point à parler de chasse de médecine ou de chicane, sans avoir préalablement consulté les hommes de l’art.

A la vue des sergens, notre étourdi va se cacher dans le pavillon ; bientôt il en sort, un livre à la main et affublé de la robe de chambre de M. Dermont : à l'aide de ce travestissement, il passe facilement pour le maitre de la maison ; cette folie ingénieuse le tire d'affaire ; les huissiers s'en retournent désespérés de l'inutilité de leurs recherches, et se confondant en excuses.

Il falloit s'en tenir là : le déguisement de Sainville est excellent, parce qu'il a un motif raisonnable, et qu'il produit un joli coup de théâtre ; mais l'auteur n'a pas su s'arrêter à propos...... Sainville, qui s'est fait connoître et qui apprend que la main d'Eugénie lui est destinée, demande à Mme Dermont la permission de continuer son rôle de mari pour sonder plus à son aise les dispositions de sa future, et connoître ses sentimens. Ce stratagème usé, et qui rappelle tous les travestissemens des amoureux de Marivaux, offre ici une double inconvenance, aussi choquante sous le rapport de l’art que sous celui des mœurs. M. Dermont est représenté comme un homme jaloux, et on l'attend à chaque minute. Comment Mme Dermont peut-elle, dans une situation aussi pressante, se prêter à une plaisanterie qui, en permettant à Sainville de prendre le nom de son mari, l'autorise ou plutôt l’oblige à en affecter au dehors la familiarité et les manières ? D'un autre côte. s'il passe aux yeux d'Eugénie pour M. Dermont, comment pourra-t-it lui! parler de son amour, et chercher à lui en inspirer le sentiment ? Comment consentir à passer aux yeux de sa maîtresse pour un vil séducteur, et cela au jour, au moment même où il est censé revoir pour la première fois une épouse chérie, après dix-huit mois d'absence ?

Ces objections. qui se présentent d'elles-mêmes, n'ont point embarrassé l’auteur ; loin de chercher à éluder ces difficultés, il les a abordées franchement, sans paroître en sentir l'importance.

Ainsi, on apprête un déjeuner champêtre. M. Dermont arrive, comme on l'a annoncé ; il voit les préparatifs du repas, et remarque avec inquiétude un couvert qui lui paroît de trop. Les convives approchent, et le mari se cache dans le pavillon d'où il peut tout voir et tout entendre. Là, le pauvre Amphitryon est mis à la torture par les propos, le ton leste et les manières affectueuses du nouveau Jupiter. Cette seconde situation seroit piquante, je le répète, si elle étoit motivée, si Mme Dermont avoit pour objet de punir la jalousie de son mari, en l'irritant par des démonstrations concertées à l'avance avec Sainvillc ; mais elle ignore son arrivée et sa présence : il ne résulte donc de toutcelaa qu'un tableau graveleux, mais cependant plus supportable que la scène où Sainville, passant toujours pour Dermont, fait à Eugénie l'aveu de sa tendresse et des sentimens qu'elle lui inspire.

Dermont reste seul, et bientôt les huissiers, qui l’ont vu entrer dans ton parc, persuadés que c'est leur débiteur, l'entourent, et s'apprêtent à l'arrêter. Sur la présentation de la lettre de change, il reconnoît la signature du fils de son ami, amène les huissiers au cabaret, et acquitte la dette.

Bientôt il reparoît, et s’adressant à Sainville, qui a pris son nom, il le paie de retour en lui volant le sien : ce double échange rappelle trop visiblement la situation principale des Projets de Mariage et de la Revanche ; aussi n’a-t-il produit qu’un effet médiocre.

Enfin tout s'éclaircit : Mme Dcrmont reconnoît son mari qui, en sa qualité de jaloux, rit entre ses dents des événemens de la journée, et Sainville épouse Eugénie.

Indépendamment des invraisemblances déjà marquées dans l’analyse de ce petit opéra, que de suppositions bizarres il faut faire pour en expliquer tous les incidens !

On appelle du fond de la Normandie une jeune fille pour la marier à un homme que non seulement elle ne connoît pas, mais que ceux qui veulent la marier n'ont jamais vu. La femme d'un riche négociant se retire à la campagne, et n'a pour sa parente et pour elle ni domestique, ni même de femme de chambre. La paysanne qu'elle prend à son service n'a jamais vu M. Dermont. Un jeune homme se sauve des griffes des huissiers ; il arrive tout en nage au bois de Boulogne ; il entre dans une maison dont la porte est ouverte on ne sait pourquoi, et cette maison est justement celle où se trouve la personne qu'il doit épouser : il la voit pour la première fois le matin, et le soir même il est son mari. Ce jeune étourdi, s'il n’est pas tout-à-fait un mauvais sujet, a dû chercher à voir à Paris ou à Auteuil la femme de l'associé de son père. Depuis qu'on a résolu de le marier à la cousine, les deux familles ont dû s'entendre pour l'attirer dans la maison. Cependant il n'y connoît personne, personne ne l'y connoît ; c'est une série de mystères inexplicables.

Comment expliquer tant d’impossibilités morales réunies dans l’étendue d'un seul acte ? Par une observation que j'ai déjà présentée plusieurs fois, et sur laquelle je ne me lasserai pas de revenir, tant qu'on ne se lassera pas de m'en fournir le motif : c'est que les auteurs des paroles se sont habitués à les sacrifier à la musique, qu’ils croient avoir tout fait quand, aux dépens de la vérité, de la raison, des règles même du bon sens, ils ont trouvé un cadre pour quelques passages brillans, pour quelques morceaux d’ensemble, pour quelques effets harmoniques. Qu'importe à des hommes qui ne vont plus aux théâtres lyriques que pour le plaisir des oreilles, que leur importe la liaison des scènes, la justesse du dialogue et la peinture' des mœurs ? Avec un rondeau, trois ariettes, un finale harmonieux, un bruyant sextuor, qu'a-t-on besoin d'invention et de style ? Pourquoi des spectateurs seroient-ils plus difficiles à Feydeau qu'à Favart. et ne doit-il pas y avoir identité parfaite entre un opéra comique et un opéra buffa ?

Il faut que ces considérations aient séduit M. Planard ; car aucun de nos auteurs peut être n'étoit plus digne que lui de donner, par l’autorité de ses exemples un démenti à ce système déplorable ; il a des intentions comiques, il écrit avec esprit, quand il veut s’en donner la peine ou nous en donner le plaisir ; mais, persuadé probablement qu'une fatigue inutile est une duperie, il entre un peu par paresse dans la conspiration générale, et s'épargne des efforts qu’il a le malheur de croire superflus.

Si cependant il persiste dans sa funeste résolution, s'il veut absolument sacrifier à un musicien la part de gloire qu’il pourroit justement revendiquer dans un ouvrage lyrique, je lui conseille de s'appuyer sur un autre musicien que M. Bochsa. Ce jeune compositeur a une fécondité malheureuse qui se perd et se consume en productions sans sève. sans vigueur et sans vie. Est-ce le génie qui lui manque, est-ce le travail ? Question oiseuse pour le public qui ne juge et qui ne peut juger le talent que sur ses fruits. Si l'on excepte les trois couplets chantés par Mme Boulanger, tous les autres morceaux de la Lettre de Change ont paru sans couleur ; ce sont des notes, et puis des notes, et encore des notes : assemblage mécanique de sons assez artistement combinés, mais auquel il manque le feu de l’inspiration, et le caractère de l'expression dramatique.

On ne peut pas dire que le nouvel opéra soit tombé ; je n'ose pas assurer qu'il ait réussi : mais qu'il ait été applaudi, qu'on ait demandé les auteurs, que leurs noms aient été proclamés au sons de bravos assez nombreux, voilà des faits que j’atteste comme historien, sans cependant les approuver comme amateur.                          C.

Mémorial dramatique, ou Almanach théâtral pour l’an 1817, p. 63-65 :

[Le rédacteur, qui est décidément fâché avec le nom du compositeur (Bochsa !) se fait un devoir de démêler les fils d’une intrigue compliquée et pleine d’invraisemblances, tout autant que d’inconvenances. Puis il porte un jugement plutôt positif sur la pièce : « quelques scènes comiques, quelques traits dans le dialogue » font oublier les inconvenances, et la musique de Bochsa montre des progrès par rapport à ce qu’il a déjà fait entendre.]

LA LETTRE-DE-CHANGE, opéra comique en 1 acte, par M. Planard, musique de M. Bocsha [sic]. (11 décembre.)

Un jeune étourdi, nommé Sainville, fils d'un négociant de Bordeaux, a souscrit une lettre-de-change. Mais ce jeune homme, dont le cœur est aussi bon que la tête est légère, n'a contracté cette dette que pour venir au secours d'un ami qui ne l'aurait certainement pas laissé dans l'embarras, si son courage ne lui eût fait trouver un [sic] mort glorieuse au champ d'honneur. Sainville, dont l'humeur est moins belliqueuse, fuit devant la noire cohorte des huissiers. Pour se soustraire à leur poursuite, il se sauve au village d'Auteuil. Il entre dans un pavillon, dont il trouve la porte ouverte ; et le hasard fait qu'il arrive dans la maison même de M. Dermont, associé de son père. M. Dermont est absent. Sainville est bientôt affublé de sa robe-de-chambre ; et, sous ce déguisement, met en défaut la perspicacité des recors. Mad. Dermont survient, et demande l'explication d'une pareille mascarade. Sainville se nomme ; et, pour surcroît de bonheur, il se trouve qu'on l'attendait pour épouser la cousine de Mad. Dermont, l'aimable Eugénie, jeune personne élevée loin de Paris, et qui, depuis quelques jours seulement, habite la maison d'Auteuil.

Notre étourdi, qui devrait tout naturellement se faire connaitre à celle que ses parens lui destinent pour épouse, désire garder l'incognito, et passer encore aux yeux d'Eugénie pour l'époux de Mad. Dermont. Celle-ci se prête volontiers à ce bizarre projet, dont l'exécution est d'autant plus facile, qu'Eugénie ne connaît point le véritable Dermont. Mais il en résulte une forte inconvenance, que l'auteur pouvait éviter, celle de faire écouter avec plaisir par la jeune personne une déclaration d'amour de celui qu'elle croit être le mari de sa cousine.

Enfin, le véritable époux de Mad. Dermont arrive de Bordeaux. Il apprend, de la bouche de sa jardinière, qu'un inconnu a pris son nom et usurpe ses droits. Au lieu d'éclaircir sur-le-champ un mystère qui pourrait alarmer bien des honnêtes maris, il se cache dans le pavillon qui a servi de retraite à Sainville, et là il écoute patiemment une petite conversation, de laquelle il doit conclure qu'en son absence un autre l'a remplacé. Il dissimule toujours ; mais bientôt les huissiers, qui, le matin, ont manqué leur prise, reviennent à la charge, et s'emparent de Dermont, qu'ils prennent pour Sainville. Le quiproquo des huissiers donne à Dermont le mot de l'énigme ; il leur ordonne de le suivre ; et ces messieurs, à la vue d'une bourse bien garnie, ne se le font pas dire deux fois.

Sainville, qui ne veut plus avoir aucun doute sur les sentimens d'Eugénie, la presse de répondre à son amour. Dermont vient troubler ce doux tête à tête. Il demande à parler au maître de la maison, et prend soin d'annoncer qu'il ne l'a jamais vu. Sainville effrontément se sait encore passer pour Dermont, et celui-ci usant d'un moyen de comédie un peu banal, prend, à son tour, le nom de Sainville. L'arrivée de Mad. Dermont met fin à cette double mystification. La Iettre-de-change du jeune homme a été payée par le débonnaire époux, et mademoiselle Eugénie devient Mad. Sainville.

Ce petite acte a été écouté avec plaisir. Quelques scènes comiques, quelques traits dans le dialogue ont fait pardonner les inconvenances que l'auteur n'a pas eu l'adresse d'éviter, la musique est de M. Boscha ; Elle nous a paru meilleure que celle des autres opéra de ce jeune compositeur.

Nicole Wild et David Charlton, Théâtre de l'Opéra-Comique Paris : répertoire 1762-1972, p. 304, disent que la Lettre de change a été jouée à l’Opéra-Comique jusqu’en 1837.

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