Lecoq, ou les Valets en deuil, comédie-vaudeville en un acte, de Simonnin [et Chazet], 19 juillet 1814.
Théâtre des Variétés.
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Titre :
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Lecoq, ou les Valets en deuil
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Genre
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comédie-vaudeville
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Nombre d'actes :
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1
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Vers ou prose ?
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en prose, avec des couplets en vers
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Musique :
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vaudevilles
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Date de création :
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19 juillet 1814
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Théâtre :
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Théâtre des Variétés
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Auteur(s) des paroles :
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Simonnin [et Chazet]
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L’Esprit des journaux français et étrangers, tome IX, septembre 1814, p. 287-291 :
[Le critique ouvre son article par une prétendue confusion d’un certain public qui croyait pouvoir donner une interprétation politique du titre de la pièce : il serait la mise sur le théâtre de toutes les girouettes qui ont su garder leur place malgré le changement de régime et sur qui Martainville ironise. Ce n’est bien sûr pas de cela qu’il s’agit, et il passe ensuite des valets du grand théâtre politique à ceux d’un théâtre moins vaste, des valets « moins vils et plus gais ». Et la suite de l’article nous parle d’une intrigue riche en invraisemblances montrant trois valets qui souhaitent se partager au mieux de leur intérêt le legs de leur maître. S’y ajoutent un marchand de vin à qui les valets doivent une forte somme, et un ancien valet qu’ils souhaitent exclure du partage. Ils échouent bien sûr, et la pièce s’achève par un mariage, celui de la fille de l’ancien valet avec son amant, qui a réussi à berner les trois valets. La pièce est finalement vue comme un prétexte permettant à un acteur à la mode de montrer son talent à jouer les niais. Les couplets sont jugés pauvres en esprit (et deux sont donnés en exemple de ce « vuide de l’idée » : à chacun de juger). La pièce a connu un succès timide, mais un couplet du vaudeville final a réveillé le public : il s’agit d’un couplet à la gloire de Louis XVIII. L’auteur, Simonnin, est cité, mais le critique suggère qu’il a un coauteur, réel ou fictif.]
Lecoq, ou les Valets en deuil, comédie-vaudeville en un acte.
Les Valets en deuil ! Ce titre a jetté dans l'erreur tous ces oisifs faiseurs d'interprétation, qui s'obstinent à voir plus qu'on ne leur montre, à entendre plus qu'on ne leur dit, à trouver de la malice où l'on n'a jamais pensé à en mettre. Ils ont cru que les Valets en deuil était une pièce de circonstance dans laquelle l'auteur présenterait en scène certains valets portant le deuil de certain maître. Un instant de réflexion eût pourtant suffi pour les convaincre de la fausseté de leurs conjectures. Les valets en question ne sont pas en deuil ; ils ne croient pas leur maître assez mort pour ne point espérer sa résurrection. Et pourquoi d'ailleurs ces valets s'affligeraient-ils ? Pourquoi porteraient-ils le deuil ? Tous ont conservé leurs gages ; plusieurs même ont gardé 1a livrée.
Heureux ceux qui, dans ces temps d'orages politiques, ont eu l'instinct de se ranger de la faction privilégiée qui a survécu à toutes les autres, qui les a vu naître, combattre et périr, sans que les chocs les plus violens lui aient porté la moindre atteinte : je veux parler de l'éternelle faction des antichambres. Prosterné tour-à-tour devant Baal et devant Jehovah, se régalant de la chair des sacrifices sans se soucier de l'autel sur lequel elle était offerte, ce parti, toujours prêt à renforcer le plus fort, .à courir au secours du vainqueur, a su trouver à toutes les époques du profit sans danger : et sa devise, qui peint bien sa lucrative humilité, est : Se baisser et en prendre.
Que j'aime la noble et sage réponse que fit dernièrement un des coryphées de cette faction. « Eh quoi ! monsieur le comte, lui disait-on, c'est vous qui faites ranger la foule pour ouvrir un passage au roi, vous qu'on a vu il y a peu de jours porter les flambeaux en croix devant.... Ah ! fi ! avez-vous pu changer si vite ? — Moi, changer ! reprit avec fierté le héros d'antichambre, vous me connaissez mal... Les maîtres ont changé, à la bonne heure ; mais, moi, je suis toujours le même. »
Quittons ces valets d'un grand théâtre pour ceux d'un petit ; ces derniers sont moins vils et plus gais.
Il y a dans le petit acte des Valets en deuil, sinon autant d'action et d'esprit, du moins autant d'invraisemblances qu'on en pourrait accumuler dans une pièce beaucoup plus longue.
Trois valets doivent six mille fr. au marchand de vin du quartier, voilà j'espère un marchand bien confiant ; heureux les ivrognes, si tous ses confrères lui ressemblaient ! Nos trois coquins sont bien résolus à ne pas payer cette dette, quoiqu'ils en aient le moven depuis la mort de leur maîlre qui, par son testament, a légué à ses domestiques une partie de son mobilier, de laquelle on a retiré huit mille francs.
Pour ne point voir diminuer leur portion, Champagne, Frontin et Lafleur refusent d'admettre au partage le vieux Dumont, homme de confiance du défunt. Ils lui disputent le titre de domestique, d'abord parce qu'il ne mangeait pas à l'office, ensuite parce qu'il avait quitté momentanément leur maître pour entreprendre un petit commerce dont le mauvais succès l'avait contraint à revenir à ses anciennes fonctions.
La mauvaise foi des valets est punie. Le don que leur fait le testament n'est point absolu ; il ne doit avoir son effet que si un nommé Georget, paysan bourguignon, dont on n'a point de nouvelles depuis quinze ans, ne se présente pas avant la délivrance des legs. Ils imaginent de s'assurer la possession des huit mille francs, à l'exclusion de Dumont, en faisant paraître ce Georget. C'est Frontin, le plus rusé des trois, qui est chargé de jouer ce personnage. Mais l'idée de la même rouerie est venue à Lecoq, amant de la fille de Dumont, et associé du marchand de vin, créancier des trois valets. Les deux faux Georget se rencontrent, se craignent mutuellement, et chacun d'eux croit faire un bon marché en changeant ses papiers contre ceux qui doivent lui assurer le nom et l'héritage. L'un et l'autre sont pris pour dupes, mais Frontin est bien autrement désappointé quand il présente au notaire des papiers insignifians (il faut supposer qu'un fripon aussi adroit ne les a pas lus), tandis que Lecoq prouve, à l'aide des siens, qu'il est Frontin, et reçoit sa part de la succession. Bientôt il faut compter ; Lecoq donne en paiement aux trois valets une triple quittance de la somme qu'ils doivent à son associé, et les deux mille francs excédans sont la part du vieux Dumout dont il épouse la fille.
On dirait que l'auteur n'a composé cette pièce que pour fournir à Brunet une nouvelle occasion de montrer cette niaiserie maligne qui le rend si plaisant dans le rôle du Niais de Sologne, jolie petite comédie qui est bien supérieure au vaudeville nouveau.
Il y a dans les couplets ce qu'on veut bien prendre pour .de l'esprit, et ce qui n'est le plus souvent qu'un cliquetis de mots qui cache le vuide de l'idée ; j'en cite pour exemple les deux couplets suivans :
Air du vaudeville de M. Guillaume.
Dans le commerce une marche est prescrite
En dépit d'un vain préjugé ;
Crac, on arrange une faillite
Lorsqu'on se voit trop dérangé.
Oui, pour le commerce et la banque
C 'est vraiment un très-bon moyen,
Car de nos jours souvent c'est quand on manque,
Qu'on ne manque de rien.
Combien de Crésus spéculent
Sur l'art d'avoir du crédit ;
Sans se tromper ils calculent,
Et c'est là tout leur esprit.
Contre le bon goût ils prêchent ;
Tout prouve qu'ils sont des sots ;
Mais leurs chiffres les empêchent
De passer pour des zéros.
La pièce a été écoutée avec indulgence et applaudie avec modération ; le public ne s'est animé qu'à ce couplet du vaudeville :
Le français en deuil trop long-temps
Voit renaître un destin prospère ;
Il ne pleure plus ses enfans,
Il bénit le retour d'un père.
L'aspect de ses princes chéris
Des cœurs ranime l'espérance,
Et la seule couleur des lis
A fait fuir le deuil de la France.
L'auteur des Valets en deuil est M. Simonnin, qui s'est, dit on, réservé le droit ou imposé le devoir de partager avec un inconnu la gloire et le profit. A Martainville.
Le Spectateur ou Variétés historiques, littéraires, et critiques, par M. Malte Brun,Volume 2, n° XIII, p. 121-122
Variétés. – LECOQ , OU LES VALETS EN DEUIL, vaudeville en un acte.
Trois coquins de valets, Champagne, Lafleur et Frontin, héritent de leur maître commun, pour une somme de 8000 francs. Voilà un maître comme peu de valets en trouvent; aussi les siens portent-ils le deuil. Mais ces fortunés légataires ont contracté une dette solidaire de 6000 francs. On ne sera point surpris de savoir que c'est chez un marchand de vin ; cependant, ivrognes comme trois Suisses, ils ont encore la bonne foi de pareil nombre de Normands, et ils ne seroient nullement fâchés de se libérer sans fouiller à l'escarcelle.
Cette idée leur sourit d'autant plus, que la donation à leur profit est soumise à une condition. Les 8000 fr. ne doivent leur être comptés qu'autant qu'un nommé Georget ne se présenteroit pas avant la délivrance des legs.
Pour accélérer la prise de possession des écus, maître Frontin, l'imperator de ces trois fourbum, imagine de se présenter sous le nom de ce Georget ; mais il en rencontre un second qui n'est pas de meilleur aloi. Ce concurrent inattendu n'est autre que Lecoq, l'associé du trop confiant marchand de vin. Lecoq, rusé comme un renard, dupe les trois dupeurs, les contraint d'acquitter leurs jouissances bachiques, et fait en outre adjuger les 2000 fr. de surplus à Dumont, vieil intendant, dont il devient le gendre.
Cette pièce est bien jouée ; c'est un mérite habituel au théâtre des Variétés. Quelques couplets ont fait plaisir, et Brunet feroit bien plus rire, s'il rioit un peu moins lui-même.
M. Simonin, auteur de quelques jolis vaudevilles joués au même théâtre, l'est encore de celui-ci. A. R.
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