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Léonore, ou l'Amour conjugal

Léonore, ou l'Amour conjugal, opéra en deux actes et en prose, par les Cs Bouilly et Gaveaux. 1er Ventôse an 6 [19 févier 1798].

Théâtre de la rue Feydeau.

L'opéra est aussi qualifié de "fait historique".

Titre :

Léonore, ou l’Amour conjugal

Genre

opéra

Nombre d'actes :

2

Vers / prose

en prose, avec des couplets en vers

Musique :

oui

Date de création :

1er ventôse an 6 [19 février 1798]

Théâtre :

Théâtre de la rue Feydeau

Auteur(s) des paroles :

Bouilly

Compositeur(s) :

Gaveaux

Almanach des Muses 1799

Florestan gémit depuis deux ans dans les cachots d'une forteresse. Son ennemi, qui en est devenu gouverneur, veut l'y laisser mourir de faim. Mais la femme de Florestan s'est présentée comme commissionnaire au geolier principal, et, sous ce déguisement, a gagné la confiance de cet homme. Cependant le gouverneur apprend qu'un ministre philanthrope vient d'être nommé, et qu'il doit visiter la forteresse. Il craint que la victime ne lui échappe ; il ordonne que l'on décombre une citerne placée dans la prison, et que Florestan y périsse avant l'arrivée du ministre. L'ordre s'exécute, et la femme de Florestan est employée à ce travail. Elle a reconnu son époux, mais elle n'ose se découvrir à lui. La citerne va recevoir l'infortuné Florestan ; c'est son ennemi lui-même qui va l'y précipiter, lorsque Léonore, femme du prisonnier, se fait reconnaître, et menace le gouverneur d'un pistolet dont elle est armée. Le gouverneur entend le signal de l'arrivée du ministre ; il ajourne sa vengeance, et se contente de faire enfermer les deux époux. Mais le ministre est bientôt instruit de la conduite du gouverneur ; il rend la liberté à Florestan, et fait enchaîner son ennemi à sa place.

Pièce qui ressemble beaucoup plus à un drame qu'à un opéra-comique.

De l'intérêt, musique expressive, du succès.

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Barba, an VII :

Léonore, ou l'amour conjugal, fait historique, en deux actes et en prose mêlée de chants. Paroles de J. N. Bouilly, Musique de P. Gaveaux, Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre Feydeau, le 1er. ventôse, an 6e de la république française.

Hos natura modos primum dedit.......
                         
Virg. Georg. lib. 2.

Ce sont les primes lois de la mère nature.
                                     Montaigne.

Courrier des spectacles, n° 364 du 2 ventôse an 6 [20 février 1798], p. 2 :

[Voilà un compte rendu bien ordonné : le titre, le succès, la source (une histoire vraie transposée de France en Espagne), et le critique attaque le résumé d’une intrigue passablement compliquée : une affaire d’inimitié, un emprisonnement injuste, une épouse qui tente tout pour sauver son mari, allant jusqu’à se faire passer pour un homme et se lier avec le geôlier qui garde son mari, avec tant de latent qu’il lui propose déposer sa fille. Bien vite, il est question de tuer le malheureux mari, mais l’épouse tente le tout pour le tout pour sauver son époux. Elle tient son ennemi en respect avec une arme. Mais le geôlier lui enlève l’arme, inutilement, puisque arrive le deus ex machina en la personne du ministre venu inspecter la prison. Miracle : le prisonnier est sauvé, et le geôlier qu’on avait pris pour un traître est justifié : il voulait éviter que la jeune femme se suicide ! Le critique peut conclure : « Le crime donc est puni, et la vertu récompensée. » On peut reprendre la succession des éléments d’une bonne critique : sur la pièce (un premier acte un peu vide, mais le second est « d’un effet terrible et douloureux » ; une morale très satisfaisante, l’héroïne étant « un modèle de courage, de patience, de zele et d’amour conjugal » : on fait rarement mieux, surout quand on est une femme !). Sur la musique, de Gaveaux : « dramatique et forte », plusieurs morceaux méritant d’être distingués. La présence de Gaveaux parmi les interprètes permet de passer à l’éloge des interprètes, tous excellents, même celui qui joue le « rôle odieux de Pizarre, qu’il rend néanmoins avec perfection » (ce « néanmoins » mérite qu’on le relève !).]

Théâtre Feydeau.

Léonor , ou l'Amour conjugal, opéra en doux actes, a complètement réussi hier à ce théâtre. Le fonds en est basé sur un évènement arrivé en France il y a quelques années. Ici la scène est en Espagne. Don Pizarre, ennemi juré de Florestan, qui a dévoilé ses excès, l’a fait plonger dans un cachot d’une prison d’état, et s’est fait nommer gouverneur de cette même prison, dans le dessein de faire périr l’infortuné prisonnier. Léonor, épouse de Florestan, ignorant dans quel cachot gémit son époux, a pris un parti extrême. Déguisé en homme, elle a commencé par faire des commissions à la porte du château-fort ; puis elle est devenue porte-clef ; puis enfin elle a su se faire aimer du geôlier au point que celui-ci veut l’unir a sa fille Marceline. Pizarre apprend que le ministre veut visiter lui-même ses prisons, pour juger s’il n’y commet pas des actes iniques ; il forme le projet de faire périr Florestan ; mais comme il a besoin de complices, il met dans sa confidence le geolier et Fidélio (c’est le nom qu’a pris Léonor) ; Fidélio et le géolier doivent aller ouvrir une citerne dans le cachot du prisonnier ; le geolier donnera un signal convenu, et soudain il se présentera un homme masqué qui achèvera le reste..... On juge de l’effroi de Léonor : elle espère néanmoins trouver un moyen de sauver son époux, si c’est lui qu’on veut immoler.

Elle descend avec le geolier dans le cachot, reconnoît son époux, sans oser s’en faire reconnoître, et obtient de son complice la permission de donner un peu de pain et du vin à cet infortuné qui meurt de besoin. L'homme masqué se présente ; c’est Pizarre lui-même, il veut frapper sa victime ; Léonor défend Florestan, avoue qu’elle est son épouse, et menace le scélérat d’un pistolet dont elle s’est munie. Pizarre, troublé, entend des cris de joie qui lui annoncent l’arrivée du ministre qu’il redoute ; il sort furieux, et le geolier, que Léonor implore, a l’inhumanité de lui arracher son pistolet, la seule arme qu’elle possède pour se défendre Les deux époux se croient perdus ; mais bientôt le ministre descend dans leur cachot, brise les fers de Florestan, et en charge l’odieux Pizarre. C’est le geolier qui a découvert au ministre les crimes du gouverneur ; le geolier, touché du dévouement des larmes de Léonor, ne lui a pris son pistolet, que pour l’empêcher d’attenter à ses jours. Le crime donc est puni, et la vertu récompensée.

Le premier acte de cet ouvrage offre bien quelques scenes de remplissage ; mais le second est d’un effet terrible et douloureux : rien n'est plus noir, rien n’est plus déchirant, et rien, en même tems, ne fixe davantage l’attention du spectateur ami du drame sombre et lugubre. Le but moral de cette pièce est néanmoins très-satisfaisant : le personnage de Léonor, qu'on dit avoir existé, offre un modèle de courage, de patience, de zele et d’amour conjugal : elle est cependant mise à des épreuves que peu de femmes, même les plus courageuses, pourroient supporter : elle y résiste, et reçoit le prix de ses rares vertus.

La musique est dramatique, forte, énergique et toujours en situation ; parmi les morceaux qu’on a distingués, je citerai le chœur des prisonniers au premier acte, le récitatif, le trio du second acte, qui sont faits avec un grand talent. Elle doit ajouter à la réputation du cit. Gaveaux, compositeur aimé de tous ceux qui estiment le chant et l’originalité ; lui-même y joue le rôle du prisonnier avec beaucoup d’ame et de chaleur. La cit. Scio est admirable par son jeu et sa belle voix dans le rôle de Léonor : les cit. Lesage, Juliet, sont excellens dans les personnages du geolier et du porte-clef ; enfin on doit savoir gré au cit. Jausserand de s’être chargé du rôle odieux de Pizarre, qu’il rend néanmoins avec perfection.

Ducray-Duminil.

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, troisième année (an VI, 1798), tome sixième, p. 274-277 :

[La pièce est créditée d’un succès complet, pour le livret comme pour la musique. Le compte rendu fait le résumé de l’intrigue, avant de souligner les quelques défauts de la pièce, qui pourraient d’ailleurs être facilement corrigés. Le point essentiel, c’est l’épisode des amours de la fille du geôlier avec Léonore prise pour un homme, et qui ne sert qu’à motiver l’intérêt du geôlier pour Léonore. Tout le monde a droit à son lot de compliments, les interprètes, avec mention spéciale de celle qui joue Léonore, l’auteur des paroles, le compositeur.]

L'opéra de Léonore ou l'amour conjugal, joué sur le théâtre de la rue Feydeau, le premier ventôse, a eu le plus grand succès, tant pour le poëme que pour la musique.

Le sujet est espagnol. Pizarre, gouverneur d’un château fort, retient dans les fers Florestan, qui avoit osé dévoiler ses crimes ; Léonore, épouse de Florestan, se doute de l'endroit où il est renfermé, et pour y pénétrer elle prend des habits d'homme, passe pour un jeune orphelin, et parvient à intéresser en sa faveur, le geolier qui l'admet dans le château comme porte-clef ; elle y est depuis deux ans, sans avoir pu encore pénétrer dans les souterrains, où elle suppose qu'est renfermé son époux. Pizarre reçoit avis que le principal ministre doit venir le jour même visiter les prisons, pour en faire sortir tous ceux qui y sont enfermés injustement ; il tremble que Florestan ne soit découvert, et se décide à le faire périr. En effet, il ordonne au geolier et au jeune porte-clef de décombrer une citerne qui se trouve dans le cachot de Florestan, un homme masqué doit faire le reste. Le geolier obéit, il descend dans le cachot avec Léonore, qui reconnaît son époux dans le prisonnier, et qui se fait la plus, grande violence pour ne rien laisser paroître aux yeux du geolier. La citerne est décombrée, l'homme masqué paroît, il s’avance, le poignard à la main sur Florestan, Léonor se jette au-devant de l’arme homicide, et s’écrie : avant d'exécuter les ordres du barbare qui t'envoie, perce le cœur d'une femme, de l'épouse de Florestan ! L'homme masqué s'arrête, le geolier hésite s’il doit secourir le prisonnier ou obéir à Pizarre ; mais l'homme masqué lui demande, si les cris d’une femme sont capables de l'attendrir, il lève la visière de son casque, et on reconnoît Pizarre fui-même ; alors Léonore tire de son sein un pistolet, et menace de la mort quiconque osera approcher. Cependant la trompette annonce l'arrivée du ministre, Pizarre est obligé de sortir pour aller à sa rencontre, le geolier arrache le pistolet à Léonore, et elle est enfermée avec son époux. Bientôt des cris de joie se font entendre, ce sont ceux des prisonniers qui viennent d'être délivrés ; on ouvre les portes du cachot, et le ministre, qui a tout appris du geolier, délivre les deux époux, et fait mettre Pizarre à la place de Florestan.

Cette pièce est très-bien conduite, et du plus grand intérêt ; le premier acte cependant est froid, et l'épisode de l'amour de la fille du geolier pour Léonore, qu’elle croit un homme, n’est là que pour motiver la confiance du geolier dans le jeune homme, et pour rendre vraisemblable qu’il le mette dans le secret de la mort de Florestan. On y remarque encore quelques petits défauts, mais très-légers, et d'autant plus faciles à corriger,qu’ils ne tiennent en rien au fond de la pièce.

Cet opéra a été parfaitement bien joué, sur-tout par la citoyenne Scio, dans le rôle de Léonore, et par les citoyens Gaveaux et Juliet. L’auteur des paroles est le cit. Bouilli, auteur de Pierre-le-Grand, et celui de la musique, est le cit. Gaveaux, acteur de ce théâtre, et déjà connu par plusieurs de ses productions estimées du public.

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1798 (vingt-septième année), tome IV (avril 1798, germinal, an VI), p. 196-199 :

[Le compte rendu s’ouvre par l’affirmation d’un succès extraordinaire. Le résumé de l’intrigue est fait ensuite de façon très précise. Suit un reproche auquel est accordée une place importante : le dénouement est considéré comme incomplet, parce qu’on ne sait pas ce qu’il advient de l’amour de la fille du geôlier et du porte-clef son premier amant. Un tel manque est une contravention aux « règles dramatiques » (on doit connaître le sort de tous les personnages qui ont intéressé le public au long de la pièce). Sinon, ce véritable drame a rencontré le succès, pour le poème, le compositeur et les acteurs, et les auteurs demandés ont paru, de même que l’actrice tenant le rôle de Léonore.]

THEATRE DE LA RUE FEYDEAU.

Léonore, ou l'Amour conjugal, opéra en deux actes.

On n'a vu depuis long-temps sur aucun théâtre un succès aussi complet & aussi universel que celui de la première représentation de cette pièce.

Don Pizarre, ennemi juré de Florestan, le dénonce & le fait enfermer comme prisonnier d'état dans une forteresse ; il a même le crédit de s'en faire nommer gouverneur. Pizarre, naturellement cruel, met beaucoup de sévérité avec tous les prisonniers ; mais avec Florestan, il y met de la férocité. Décidé à le faire mourir, il le fait passer pour mort, & lui fait retrancher chaque jour un peu de sa nourriture. Léonore, femme de Florestan, désespérée de la situation de son mari, au moment même de la détention, quitte sa maison & sa famille, & déguisée sous l'habit d'un jeune homme, elle se transporte au lieu de la forteresse, & se propose pour faire les commissions du geolier. C’est sous ce rapport, & en le servant avec zèle & fidélité, qu'elle parvient à gagner sa confiance & à trouver un accès libre dans sa maison. La fille du geolier, trompée par les apparences, en devient amoureuse, & leur mariage est arrêté & convenu avec le père. Parvenue à ce degré d'intimité, elle demande & obtient de pénétrer dans les cachots pour soulager le geolier dans la multiplicité des soins qu'entraîne cette partie de son état. Florestan réduit à deux onces de pain par jour, est prêt d'y succomber, lorsque Pizarre apprend que le ministre doit arriver incessamment pour visiter cette prison. Il est question de hâter la mort de Florestan, de ne laisser aucune trace de son cadavre. Les ordres sont donnés, le geolier & Fidelio, c’est le nom de sa femme de Florestan, sont chargés d'ouvrir une citerne, & un homme doit arriver qui se chargera de le tuer.

Fidelio, introduit dans le cachot, reconnoît son mari ; mais craignant de se trahir, sa situation devient à tout moment plus critique. Elle obtient pour lui un peu de vin & un peu de pain. La citerne ouverte, un homme masqué descend dans le cachot pour consomer le crime, il veut frapper. Le faux Fidelio peut plus ni se contenir, ni se cacher ; il se jette dans les bras de Florestan, se déclare sa femme, & armé d'un pistolet, il affirme la mort de Pizarre, s'il fait un seul pas en avant. Un grand bruit se fait entendre, Pizarre & le geolier sortent ; mais en partant, le geolier , profitant de la confiance de Fidelio, le désarme, & suit Pizarre. Dénués de tout secours, le mari , la femme tombent dans le plus grand désespoir ; ils attendent la mort. Enfin, le ministre, suivi de tous les prisonniers, descend dans le cachot, il brise les fers de Florestan, déclare que c'est aux avis donnés par le geolier qu'il doit sa liberté, & fait mettre aux fers Pizarre, pour lequel intercèdent en vain & la femme & le mari. Le geolier déclare à son tour à Fidelio que s'il l'a désarmé, c'étoit pour lui ôter le moyen de se donner la mort.

Nous observerons cependant que le dénouement est incomplet. Au premier acte, la fille du geolier est recherchée par un porte-clef qu'elle refuse, à cause de son amour pour Fidelio, qu'elle veut pour mari, & que son père lui accorde. Il est dans les règles dramatiques que le spectateur connoisse le sort des personnages qui l'ont intéressé pendant le cours de la pièce. Dans celle-ci on ignore l'effet qu'a produit sur la fille du geolier & sur son premier amant la conversion de Fidelio en madame de Florestan, & ce que vont devenir ces deux personnages, pour lesquels on s'est intéressé pendant le cours entier du premier acte.

Cette pièce que l'on peut appeler un véritable drame, a été écoutée avec enthousiasme, ce qui fait nécessairement l'éloge & du poëme & de la musique & des acteurs ; car il falloit le concours complet de ces trois moyens.

Les auteurs ont été demandés ; le poëme est du C. Bouilly, auteur de Pierre le Grand, & la mufique, du C. Gaveaux. Nous observerons à l'égard de ce dernier, qu'il compte ses succès par le nombre de ses pièces, & qu'il a le talent de varier sa manière & son style, relativement à la variété de ses sujets.

Les acteurs ont montré le plus grand talent & pour le jeu & pour le chant. Cette société d'artistes fait en commun des progrès très marqués, & tous les genres lui conviennent également. Le public a demandé les deux auteurs, qui ont paru, ainsi que la citoyenne Scio, qui a reçu des applaudissemens bien mérités.

Le Dictionnaire lyrique ou histoire des opéras de Félix Clément et Pierre Larousse, p. 400, rappelle que le sujet a été traité par Beethoven : « Il devient sans intérêt de s'occuper de la musique fade qu'a pu écrire sur un tel poëme l'auteur dont le chef-d’œuvre est le Bouffe et le tailleur. » On peut tout de même aller jusqu'à dire que le livret du Fidelio de Beethoven est une trafuction de delui de Bouilly. Sur la pièce de Bouilly reprise par le librettiste de Fidelio, on peut lire le livre de Maurice Kufferath, Fidelio de L. van Beethoven (Paris, 1913). Tout le chapitre 2 (p. 9-23) est centré sur Léonore.

D'après la base César, la pièce a d'abord été jouée 5 fois à la Gaîté, du 1er au 21 octobre 1794, puis 47 fois du 19 février 1798 au 22 octobre 1799, au Théâtre Feydeau.

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