Lolotte et Fanfan ou les Flibustiers, pantomime en trois actes, de Frédéric Dupetit-Méré, ballets de Jacquinet, 19 mars 1814.
Cirque Olympique.
Journal de Paris,, n° 79 du 20 mars 1814, p. 2-3 :
[Le critique accorde une très large place à la question de l'auteur : le romancier dont l'intrigue a été adaptée, et qui est un mal aimé (ses œuvres ne figurent pas dans les bibliothèques, mais dans le sac des femmes du monde, et la poche des servantes) ? L'auteur de la pièce, qui n'a eu qu'à prendre dans le roman tout ce dont il a besoin ? L'auteur de ce Lolotte et Fanfan ne sera pas ingrat et il rendra à Ducray-Duminil l'hommage qu'il lui doit. Après ces longs préliminaires, le critique résume l'intrigue, qui accumule tous les éléments indispensables à une pantomime : un monstre inhumain, une honnête famille victime de ce monstre, un sauvage (la pièce est exotique) qui sert cette pauvre famille. Les deux enfants du titre sont abandonnés sur une île, et on ne sait pas trop comment ils survivent (« un miracle continuel »). Tous les malheurs les menacent : le méchant veut les brûler vifs quand il les a capturés, mais sa mauvaise intention se retourne contre lui, et il prend leur place sur le bûcher. Dans la pièce on a « des combats, une tempête, deux naufrages », on y brûle « une maison et un homme ». « Ces moyens de succès » sont rendus plus efficaces par « des décors pittoresques, des costumes variés », et plus encore une excellente interprétation, en particulier celle des enfants qui jouent le rôle de Lolotte et Fanfan. Le critique croit qu'une telle pantomime esst promise à « un grand nombre de représentations ». Et l'article s'achève comme il a commencé : à qui attribuer le succès ? L'auteur du roman, et celui qui l'a adapté au théâtre, mais qui « lui en doit la dédicace ». Sont également cités l'auteur des ballets, et le peintre des décors.
Le ridicule de la maîtresse : c'est, sous une forme plaisante, son réticule, son petit sac à main.]
CIRQUE OLYMPIQUE.
Première représentation de Lolotte et Fanfan, ou les Flibustiers,
pantomime en trois actes.
Si les romans de M. Ducray-Duminil ne lui out point assigné un rang bien distingué dans la littérature, il peut s'en consoler par le succès populaire qu'ils ont obtenu. Plus heureux que bien des auteurs qui, pour être vengés de l'indifférence et de l'oubli de leur siècle, comptent sur la postérité à laquelle leur nom même ne parviendra pas, M. Ducray jouit d'une gloire contemporaine ; il a reçu comptant toute la portion de renommée qui pouvait lui revenir ; l'espoir incertain d'un honneur posthume vaut-il le plaisir réel et présent ? Non, sans doute, et voilà précisément pourquoi tant d'écrivains placent toute leur réputation en viager. Où ne trouve-t-on pas les romans de M. Ducray ? On me répondra peut-être : Dans les bibliothèques ». A la bonne heure ; mais excepté là, ils sont partout, dans le ridicule de la maîtresse et dans le tablier de la soubrette, au salon et dans l'antichambre ; l'ouvrière et l'écolier oublient le travail et la leçon en lisant Alexis, Victor, Lolotte et Fanfan, etc. Est-il une ville, un bourg, un hameau où les ouvrages et la reputation de ce romancier ne soient parvenus ? Dans des temps plus heureux il s'en faisait une exportation considérable pour l'étranger et pour les colonies, Ses romans étaient lus avec avidité dans les contrées même où la langue française est le moins répandue.
Pour que rien ne manque à sa gloire, les faiseurs de mélodrame sont à l'affût de ses ouvrages et se hâtent de les mettre en pièces ; ils lui volent ses caractères, ses situations et même son style ; ces gens-là ne respectent rien. On en a vu qui, riches de ses dépouilles et parés de ses plumes, osaient méconnaître et même ridiculiser leur bienfaiteur. Les ingrats ! ils ressemblent à ces enfans méchans qui trouvent du plaisir à troubler la source où ils viennent de se désaltérer.
Ce n'est pas ainsi qu'en agira sans doute le mimographe qui lui a emprunté le sujet de la nouvelle pantomime; déjà sur l'affiche il a annoncé que Lolotte et Fanfan qu'il présentait au public, étaient les enfans de M. Ducray, et il ne manquera pas de leur rappeler que c'est à leur premier, à leur véritable père, qu'ils doivent rapporter toute la gloire, toute la reconnaissance de leur succès.
Des flibustiers établis aux Antilles ont, dans une de leurs courses, enlevé la belle Adelina, et elle est tombée en partage à Dom Lescar, chef de ces pirates et gouverneur de San-Verrado. Ce monstre, chez qui l'amour même prend le caractère de la férocité, a fait jeter dans une ile déserte Lolotte et Fanfan, les enfans d'Adelina.
Bientôt son mari, le chevalier Doresty, est fait à son tour prisonnier par Fernandez, lieutenant de dom Lescar. Les deux époux réunis sont obligés de dissimuler et leur joie et leur espoir ; Mioco, esclave sauvage, à la faveur de la nuit, délivre Adelina et met le feu au pavillon dans lequel elle est renfermée. Doresty et son épouse s'échappent et sont jetés par la tempête dans l'ile où l'on a abandonné Lolotte et Fanfan, dont l'existence a été un miracle continuel. Hélas ! leur réunion est de courte durée. Dom Lescar poursuit, et ressaisit ses victimes. Doresty, blessé, est attaché à un arbre ; des caraïbes le trouvent et se préparent à l'immoler. Le fils du chef de cette tribu le sauve et lui offre ses secours pour délivrer Adelina et ses enfans.
Les guerriers sauvages arrivent à l'instant où le cruel dom Lescar, pour punir Adélina de sa résistance à ses desirs, va faire brûler vifs Lolotte et Fanfan. Dejà ces innocentes victimes sont sur le bûcher. Après un combat très-vif, les flibustiers sont vaincus, le bûcher destiné aux deux enfans devient le tombeau du chef odieux de ces brigands, et cette intéressante famille, après tant de malheurs, goûte enfin le bonheur d'être à jamais réunie.
Cette pantomime aura un grand mérite pour les amateurs de ce genre d'ouvrages ; c'est que les événemens s'y succèdent avec une rapidité qui ne permet pas à l'intérêt de se refroidir, ni même à l'attention de se reposer. Le succès a été complet. Pouvait-il être un instant douteux ? Il y a dans la pièce des combats, une tempete, deux naufrages, et l'on y brûle une maison et un homme. Ajoutez à tous ces moyens de succès des décors pittoresques, des costumes variés, et surtout le jeu animé, l'expression vive de madame Franconi et les grâces enfantines et l'intelligence prodigieuse de Lolotte et de Fanfan, et vous prédirez comme moi, à cette pantomime, un grand nombre de représentations.
Quelle sera pourtant la cause première de ce succès ? M. Ducray-Duminil. M. Frédéric, demandé et nommé comme auteur de la pièce, lui en doit la dédicace. Les ballets ont été composés par M. Jacquinet, et les décorations peintes par M. Isidor.
A. Martainville.
Journal des arts, des sciences, et de littérature, Volume 16, n° 285 (cinquième année), 25 mars 1814, p. 405-406 :
[Dans un premier temps, le critique donne la source de la pièce, un roman de Ducray-DUminil, et il marque son approbation de voir utilisée une intrigue toute faite, jusqu'à des scènes entières dont le roman fournit les paroles (sur le plan de la propriété littéraire, on voit que les règles sont plutôt souples). DE toute façon, le public ne se soucie gère de ce problème. La suite de l'article est consacrée à résumer l'intrigue, où l'on retrouve tous les traits de la pantomime ou du mélodrame. Enlèvements, captivités, évasions, tempête et naufrage, bûcher, rebondissements : rien ne manque. Et le sujet repose sur la présence de Caraïbes, qui introduisent l'exotisme d'un autre monde. Et dans une pantomime, les sauvages ne parlent pas : pas de problème de communication verbale. Le dénouement est conforme à ce qui est attendu : les gentils sont saufs, le méchant finit en rôti. Le critique insiste sur le caractère répétitif des pantomimes, où femmes et enfants sont très souvent victimes de monstres affreux. Et toutes ces pièces ne diffèrent que par des détails. C'est le cas ici : ces détails « plairont à force de bizarrerie et de diversité ». Et le critique dresse une petite liste des éléments les plus spectaculaires, qui ont été applaudis. Dernier point : une petite polémique concernant ce qu'a écrit un confrère : il y aurait eu « au dénouement un incendie et une explosion ». C'est une fausse information : la pièce s'achève par des danses de Caraïbes...]
CIRQUE OLYMPIQUE.
Lolotte et Fanfan, ou les Flibustiers, pantomime
en trois actes, par M. Frederic.
Les romans de M. Ducray-Duminil sont une mine dans laquelle plus d'un auteur des théâtres secondaires a puisé, et dont la plupart se sont fort bien trouvés. Il est fort agréable, en effet, de trouver un sujet préparé, des scènes écrites, et de pouvoir s'en emparer sans façon. On se fait ainsi une réputation à bon marché, et l'on n'en est pas moins cité comme un homme de lettres. Mais le public, toujours reconnaissant des efforts que l'on fait pour l'intéresser ou lui plaire, ne s'inquiète point si la pièce qu'on lui donne est ou non le fruit de l'imagination de l'auteur qu'il applaudit. On a donc eu raison de mettre en scène Lolotte et Fanfan, et le succès du roman est d'un favorable augure pour la pantomime nouvelle.
Dans une de ses courses à la Martinique, Don Lescar, chef des Flibustiers, a enlevé Adelina, femme du chevalier Doresty, et ses enfans, Lolotte et Fanfan ; il a abandonné ces derniers dans une ile déserte, mais il a gardé la mère et veut la forcer de céder à sa passion ; celle-ci, par le conseil d'un serviteur dévoué, feint d'écouter favorablement son farouche persécuteur. Lescar lui donne le spectacle d'une fête, dont le but est de célébrer la victoire de son lieutenant. Parmi les prisonniers qu'on amène au chef des Flibustiers, Adelina reconnaît son époux..... Mais elle attribue le trouble extrême qui l'agite à la peine que lui cause l'aspect des captifs. Elle obtient leur liberté; et bientôt après, secondée par le jeune sauvage Mioco, qui met le feu au pavillon qu'elle habite, elle se sauve avec Doresty. Don Lescar arrive au moment de leur embarquement ; il se met aussitôt à leur poursuite. Chacun sait que dans les pantomimes et mélodrames, comme dans les romans, on ne peut s'embarquer sans essuyer une grande tempête, et c'est ce qui arrive aux époux fugitifs et à Mioco, qui les a accompagnés. Ils font naufrage dans l'ile où se trouvent Lolotte et Fanfan, dont la Providence a pris soin. – Reconnaissance. – Mais l'heureuse famille ne jouit pas long-temps du plaisir d'être réunie. – Père, mère, enfans, tout est surpris par D. Lescar, qui enlève de nouveau Adelina, et fait attacher Doresty à un arbre, pour qu'il y meure de faim. A peine est-il parti, que les Caraïbes, reunis par Mioco, délivrent le chevalier et partent pour le venger. Ils ont le bonheur de sauver Lolotte et Fanfan, prêts à périr sur un bûcher; ils combattent les Flibustiers, triomphent, et célèbrent leur victoire en se donnant le plaisir de rôtir D. Lescar.
Dans beaucoup de pantomimes, on a déjà vu des femmes et des enfans, victimes de monstres, tels que Lescar ; mais si ces pièces se ressemblent par le fond, elles diffèrent par quelques détails. Ceux de Lolotte et Fanfan plairont à force de bizarrerie et de diversité. On a surtout applaudi le tableau qui termine le premier acte, le naufrage et les exercices des Sauvages au second, le bûcher et les combats du troisième.
Un journal a dit qu'il y avait au dénouement un incendie et une explosion; le programme peut les indiquer, mais cela n'a pas été exécuté. La pièce est terminée par des danses de Caraïbes, et il n'y a eu d'autre explosion que celle des applaudissemens.
Sarrazin.
La pièce est encore l'objet, dans le même journal, de courts articles à contenu polémique : dire du mal des collègues, c'est, semble-t-il, bien agréable !
Journal des arts, des sciences, et de littérature, Volume 16, n° 285 (cinquième année), 25 mars 1814, p. 407 :
Le Journal de Paris, en rendant compte de la pantomime de Lolotte et Fanfan, a cru devoir faire les honneurs de l'article à l'auteur du roman, M. Ducray-Duminil. « Ses ouvrages, dit-il, se trouvent partout, excepté dans les bibliothèques, et sont lus avec avidité, dans les contrées même où la langue française est la moins répandue. » Beaucoup de gens ont pensé que cet éloge ressemblait singulièrement à une épigramme.
Journal des arts, des sciences, et de littérature, Volume 16, n° 285 (cinquième année), 25 mars 1814, p. 408
[Le rédacteur mis en cause est celui qui signe Y dans la Gazette.]
Le même redacteur pretend que Lolotte et Fanfan se termine par l'incendie d'une ville et l'explosion de deux vaisseaux, qui sautent avec un fracas épouvantable. Cette dernière phrase n'a pas permis de supposer que le rédacteur se fût endormi avant le dénouement; mais alors, comment a-t-il vu sauter autre chose que les danseurs qui exécutent le ballet du dernier acte ?
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