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La Manufacture d'indiennes, ou le Triomphe des schalls et de la queue du chat

La Manufacture d'indiennes, ou le Triomphe des schalls et de la queue du chat, parodie des Bayadères, de MM. Dieulafoy et Gersin, 8 septembre 1810.

Théâtre du Vaudeville.

Titre :

Manufacture d'indiennes (la), ou le Triomphe des schalls et de la queue du chat

Genre

parodie des Bayadères

Nombre d'actes :

 

Vers ou prose ?

en prose avec des couplets en vers

Musique :

vaudevilles

Date de création :

8 septembre 1810

Théâtre :

Théâtre du Vaudeville

Auteur(s) des paroles :

Dieulafoy et Gersin

Mercure de France, tome quarante-quatrième, n° CCCCLXXX du samedi 29 septembre 1810, p. 307-308 :

[Compte rendu comparé de deux parodies des Bayadères, l’une au Théâtre du Vaudeville, l’autre au Théâtre des Variétés. La manufacture d’indiennes est jugée « une critique amère », dont les auteurs « ont moins songé à être gais qu'à être méchans ». Les Baladines cherchent surtout à faire rire. Sinon, les deux oeuvres suivent le plan de l’opéra, en le transposant dans deux mondes très différents. Chaque parodie a sa caricature, un acteur qui joue comme une marionnette pour l’une, pour l’autre un acteur travesti dans le rôle de la Bayadère. Elles ont connu un sort différent : la parodie du Vaudeville a été sifflée, celle des Variétés a plu. Les auteurs des Baladines ont été nommés, alors qu’on n’a connu le nom de leurs confrères que par l’affiche, deux jours après.]

Parodies. — Si une parodie contribue toujours, en quelque manière, à constater le succès d'un ouvrage sérieux, on peut dire que deux parodies sont une preuve de son triomphe : les Bayadères ont obtenu cet honneur. On a parodié cet opéra au Vaudeville et aux Variétés, mais avec des intentions un peu différentes. Les auteurs qui ont fait jouer sur le théâtre de la rue de Chartres la Manufacture d'indiennes ou le triomphe des schalls et de la Queue du Chat, avaient pour but principal la critique, et même une critique amère ; ils ont moins songé à être gais qu'à être méchans. Les parodistes qui ont introduit les Baladines sur le premier théâtre des boulevards, ont eu pour première intention de nous faire rire ; ils n'ont été malins que pour être gais. Il y a d'ailleurs beaucoup de ressemblance dans le plan des deux ouvrages, également calqués sur le- poème original. Ce sont plutôt des travestissemens que des parodies. Au Vaudeville le Rajah Démaly est représenté par un bas-normand, nommé Fadoli, propriétaire d'une manufacture d'indiennes. L'oncle qui la lui a léguée, ne l'a fait qu'à condition qu'il épousera, dans le terme d'un an, une vieille cousine, et il en a trois à choisir. Aux Variétés, c'est un marquis italien qui représente un peu plus dignement le Rajah des Bayadères, et s'il est comme Fadoli obligé par un testament à se marier, c'est entre trois jeunes et jolies personnes qu'il doit choisir son épouse. La même différence de couleur continue à se faire sentir dans les deux copies : Laméa et ses compagnes ne sont plus dans la Manufacture d'indiennes que des marchandes de chansons à-peu-près aussi grivoises que leur marchandise, et dont le costume n'à rien d'agréable : dans les Baladines, ce sont des danseuses italiennes fort lestement vêtues, mais qui ne disent rien de trop leste, attendu qu'elles ne parlent pas. Les deux parodies ont chacune leur caricature, et si celle du Vaudeville est plus originale, l'autre nous a paru beaucoup plus plaisante: la première est un rôle de jockey nommé Pupo, que Joly joue en imitant tous les mouvemens d'une marionnette ; la seconde est le rôle de Laméa elle-même, joué par Brunet. Nous ne pousserons pas plus loin le parallèle. Il suffira de dire à la louange du public qu'entre des auteurs dont les uns avaient compté sur son goût pour les méchancetés, et les autres sur son penchant à la gaieté, c'est à ces derniers qu'il a donné hautement la préférence. Le succès des Baladines a été complet ; on a demandé et applaudi le nom des auteurs, MM. Merle et Ourry. La Manufacture d'indiennes a été sifflée, et ce n'est que deux jours après qu'ont paru sur les affiches les noms de MM. Dieulafoy et Gersin.

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome XI, novembre 1810, p. 278-283 :

[Conforme à une tendance à ce théâtre, le sort de cette parodie n’a pas été heureux. Le jeu de mot initial sur « tomber la toile » n’a rien changé, la pièce a fait une de ces chutes dont on ne se relève pas. Le critique n’a vu « ni invention, ni sel ni gaieté dans cette parodie », et l’intrigue est pour lui une copie servile de celle des Bayadères, ce qu’il montre en comparant les deux intrigues. Cette façon de parodier n’est acceptable que si la parodie contient « de la gaieté et des critiques ingénieuses », ce qui n’est pas le cas ici : un seul couplet a été redemandé, et une seule critique trouve grâce aux yeux du critique, celle qui souligne le manque de liaison entre deuxième et troisième actes. Les autres critiques « n’annoncent que la méchanceté ». En particulier l’accusation de plagiat lancé contre la pièce de Jouy est bien malvenue dans une parodie qui n’hésite à piller Molière. La liste des défauts de la pièce est longue, « ses calembourgs mal-adroits, ses plaisanteries grivoises, le ton général qui y règne, et qui conviendrait à peine aux plus grossières farces du boulevart » ont empêché qu’on entende la fin. Une nnovation a marqué toutefois le public, la transformation de l’acteur Joly en marionnette, dont il imitait tous les mouvements. On pourrait toutefois craindre que le procédé « ne cessât bientôt d'être efficace ». Pour le critique, ce n’est pas à la nature d’imiter l’art ». Et l’acteur-marionnette a vite cessé de faire rire.]

La Manufacture d'indiennes, ou le Triomphe des schalls et de la queue du chat, parodie des Bayadères.

Nous avons déjà remarqué que depuis quelque temps les parodies ne faisaient pas fortune à ce théâtre ; mais aucune n'y avait encore été aussi maltraitée que celle-ci. Les sifflets l'ont interrompue de bonne heure et n'ont pas permis d'en entendre la fin. Vainement le couplet d'annonce avait-il prévenu le public que le nouveau marchand d'indiennes, bien éloigné de la jalousie que l'on reproche à ses confrères, ne prétendait pas faite tomber la toile ; la toile, à la vérité, n'est pas tombée, mais la pièce a fait une chûte si lourde qu'il est bien douteux qu'elle puisse se relever.

Il n'y a, en effet, ni invention, ni sel ni gaieté dans cette parodie ; pour l'intrigue, on a suivi pas à pas celle de l'opéra parodié ; le rajah Démaly n'est plus, sous le nom de Fadoli, que le propriétaire d'une manufacture d'indiennes : mais l'obligation de se marier lui est imposée, comme s'il était encore rajah, non par la loi de Bramah, mais par le testament d'un oncle. Il doit choisir entre trois vieilles cousines dont il ne se soucie guère, et il est amoureux d'une marchande de chansons qu'il a entendue à la foire de Guibray ; Larira est le nom de cette Bayadère normande. A la place du chef des Marattes, Olkar, figure le procureur Roquart, qui, à l'aide des faux titres qu'un voisin de Fadoli lui a mis entre les mains, vient déposséder le pauvre marchand de sa fabrique. Fodoli ne résiste pas mieux que Démaly ; mais Larira, comme Laméa, répare ses fautes. De même que le Maratte Olkar convoitait le diadème de Vichnou dans les Bayadères, de même dans la parodie le procureur Roquart veut s'emparer d'un petit coffre de couleurs qui fait le succès de la manufacture. Larira promet de le lui procurer, et sous ce prétexte elle et ses compagnes désarment Roquart et ses compagnons, s'emparent de toute la procédure qui le rendait maîtres de la fabrique, et les obligent à s'en aller. Le reste est pareillement calqué sur les Bayadères. Larira refuse d'épouser Fadoli, et Fadoli feint d'être malade. Son Jockey annonce qu'un de ses médecins lui a fait couper la jambe gauche, un second la droite, un troisième le nez, et conseille aux cousines de se dépêcher de l'épouser avant qu'un quatrième opérateur survienne. Aucune ne veut de Fadoli dans le triste état où l'on vient de le mettre. Larira seul consent à recevoir sa main ; et son dévouement est couronné, comme à l'Opéra par un changement de décoration qui lui fait voir Fadoli descendant de son trône, frais et bien portant, pour récompenser sa constance.

Rien de plus aisé que de travestir de cette manière un ouvrage sérieux ; c'est la ressource banale des parodistes ; mais il est si difficile de faire du neuf aujourd'hui, qu'on ne doit pas les chicaner sur l'emploi de ce moyen usé, lorsqu'ils en font sortir de la gaieté et des critiques ingénieuses. Malheureusement c'est là ce qui manque à la parodie dont nous nous occupons. Il n'y a rien de spirituel ni de plaisant dans cette pensée, que lorsque la danse rehausse un drame sans raison, on peut dire que la sauce fait manger le poisson; et cependant le couplet dont elle fait la pointe a obtenu les honneurs du bis. On peut juger, d'après cela, du mérite des autres. Quant aux critiques, une seule, bien qu'exagérée (et dans une parodie ce n'est peut être pas un défaut) , nous a paru ne manquer ni de gaieté ni de justesse. Elle porte sur un défaut justement reproché aux Bayadères, sur le peu de liaison du troisième acte avec les deux premiers. Les parodistes l'ont relevé en faisant paraître sur le théâtre, après la fuite du procureur et de ses recors, des spectateurs qui croient la pièce finie. Mais, pour cette observation que le bon goût avoue, combien d'autres qui n'annoncent que la méchanceté ! Elle nous a paru surtout aveugle dans le reproche de plagiat fait à M. Jouy. On l'accuse d'avoir pris à Armide les danses voluptueuses et les séductions de son second acte, comme si les unes ne pouvaient pas se trouver partout, comme si les autres n'avaient pas des résultats tout opposés dans les deux ouvrages. On l'accuse encore d'avoir emprunté ses couleurs à Favart, et nous avouerons franchement que nous n'avons rien compris à ce reproche. Mais ce que nous comprenons. encore moins peut-être, c'est qu'on se montre si sévère envers les plagiaires dans un ouvrage où l'on pille Molière ouvertement.

Tous les discours sont des sottises,
Partant d'un homme sans éclat ;
Ce seraient paroles exquises,
Si c'était un grand qui parlât.

dit le bon Sosie dans Molière.

Le public, dans nos entreprises,
Juge selon notre crédit.
N'a-t-on rien ? Ce sont des sottises ;
Quand on a tout, c'est de l'esprit,

disent les auteurs de la pièce nouvelle ; et l'on peut même croire, qu'à tout prendre, la version de Molière vaut bien la leur.

Mais nous ne finirions pas, si nous voulions citer tout ce que cette pièce offre de repréhensible ; ses calembourgs mal-adroits, ses plaisanteries grivoises, le ton général qui y règne, et qui conviendrait à peine aux plus grossières farces du boulevart ; le public d'ailleurs en a fait justice, et peut-être plus que justice, puisqu'il n'a pas voulu l'entendre jusqu'à la fin. Une nouveauté assez bizarre a cependant retenu quelque temps les sifflets, et mérite une mention particulière. Le seigneur Rustan, premier eunuque et confident de Démaly, dans les Bayadères, est représenté dans la parodie par Puppo, jokey de Fadoli. Ce Puppo, joué par Joly, ressemble, en effet, comme l'indique son nom, à une véritable marionnette, et l'acteur en imita tous les mouvemens avec une extrême perfection : autant dans une marionnette l'art reste au-dessous de la nature, autant, dans la personne de Joly, la nature s'est rabaissée pour se mettre au niveau de l'art. Des yeux fixes, une bouche en cœur, une figure carrée, des bras roides et des jambes obliques, tout contribuait à la vérité de l'imitation. L'effet en a été d'abord extraordinaire ; on riait, on se récriait, on applaudissait; mais je ne sais pourquoi le succès de ce personnage nous a fait concevoir des craintes sur celui de la pièce. Il nous semblait qu'une grande défiance de leurs propres forces avait pu seule engager les auteurs à la soutenir par un moyen aussi singulier. Nous avons craint en même-temps que ce moyen ne cessât bientôt d'être efficace, attendu que le premier moment passé, on ne pouvait manquer de s'appercevoir que la singularité était son seul mérite, et de trouver même quelque chose de triste dans ce mode inverse d'imitation, où la nature se rabaisse à copier les plus informes productions de l'art, tandis que l'art doit au contraire s'élever à ce qu'il y a de plus parfait dans la nature. Nous ne nous sommes pas trompés : les lazzis du Puppo ont paru toujours moins risibles ; il a fallu les outrer de plus en plus, et Joïy les a vainement employés à conjurer la tempête des sifflets lorsqu'elle est devenue sérieuse. On n'a plus fait attention à lui ; et la pièce est si bien tombée qu'on n'a même pas demandé les auteurs.

G.          

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