Molière, ou le Souper d'Auteuil

Molière avec ses amis, ou le Souper d'Auteuil, comédie historique en deux actes et en vaudevilles, par A. F. Rigaud et J. A. Jacquelin, 8 Pluviôse an 9 [28 janvier 1801].

Théâtre des Jeunes Artistes.

Molière, ou le Souper d'Auteuil, comédie historique en un acte et en vaudevilles, par A. F. Rigaud et J. A. Jacquelin, 5 août [1806].

Théâtre Montansier.

Almanach des Muses 1807.

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Fages, an 9 [1801] :

Molière avec ses amis, ou le Souper d’Auteuil, comédie historique en deux actes et en vaudevilles, Par A. F. Rigaud et J. A. Jacquelin. Représentée, pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre des Jeunes-Artistes, le 8 Pluviôse, an IX de la République Française.

Sous la liste des personnages et l’indication du lieu où se déroule la pièce (« La scène se passe à Auteuil, dans la maison de Boileau. », on trouve, comme le veut la tradtion, le couplet d’annonce :

COUPLET D’ANNONCE.

Air : La bonne chose que le Vin.

Le Théâtre est un repas ; mais
Chacun, au gré de son envie,
En payant, y choisit ses mets :
Le premier, c’est la Comédie,
Et le second la Tragédie ;
Les Couplets en sont le dessert,
Après avoir goûté les nôtres ;
Ne renversez pas le couvert,
Pour aller manger des deux autres.

Et, moins habituel, une sorte de certificat d’antériorité : les auteurs tiennent à ne pas passer pour des plagiaires, et ils revendiquent l’antériorité par rapport au Souper de Molière joué au Théâtre du Vaudeville (la pièce de Cadet de Gassicourt) :

Nota. La présente Pièce a été reçue, en Comédie, au Théâtre Français ; le Certificat ci-joint en est la preuve, et notre observation n’est que pour montrer la priorité de date sur le Souper de Molière, joué au Théâtre du Vaudeville, et qui est le même sujet que le nôtre.

Nous soussigné, Comédiens Français, certifions que la Comédie Française a reçu dans le courant de l’été de 1791, une Comédie en deux actes, en prose, intitulée le Souper d’Auteuil. Paris, ce 6 Pluviôse an IX.

Signé Saint-Fal, Dazincour, Saint-Prix, Naudet.

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Vente, an III – 1807 [sic : an 3 de l’Empire ?] :

Molière, ou le Souper d'Auteuil, comédie historique, en un acte et en vaudevilles ; Par MM. J. A. Jacquelin & Rigaud. Représentée, pour la première fois, sur le Théâtre de Montansier, le 5 Août 1806.

Sous la liste des personnages et l’indication du lieu de la pièce (« La Scène se passe à Auteuil, et le théâtre représente le Village ; à gauche du Spectateur un petit pavillon et la maison de Moliere. »), le couplet d’annonce :

Couplet d'annonce.

Air : J'ai vu partout dans mes voyages.

D'Auteuil vous fîtes le voyage
Pour voir le Prévot d'Apollon,
Comme Boileau, dans ce village,
Molière eut aussi sa maison ;
L'un eut le bonheur de vous plaire,
Que l'autre ait les mêmes destins,
Qu'ici Despréaux et Molière
Vivent toujours en bons voisins.

Il s’agit bien de souligner la filiation entre les deux pièces de Jacquelin et Rigaud.

Petit historique de ce souper à Auteuil :

  • on commence par le Souper de Molière ou la Soirée d’Auteuil, de Cadet de Gassicourt, créé sur le Théâtre du Vaudeville en 1795 et qui est joué souvent jusqu’en 1799 ;

  • en 1801, première apparition de la pièce de Rigault et Jacquelin au Théâtre des Jeunes Artistes, sous le titre de Molière avec ses amis, ou le Souper d’Auteuil ;

  • en 1804, Molière avec ses amis ou le Souper d'Auteuil, comédie en un acte et en vers, de François-Guillaume Andrieux est joué au Théâtre Français ; elle le sera jusqu’en 1833 ;

  • en 1806, deuxième apparition de la pièce de Rigault et Jacquelin, au Théâtre Montansier, sous le titre nouveau de Molière ou le Souper d’Auteuil ; il s’agit bien d’une nouvelle version, plus courte, un acte au lieu de deux, avec un nouveau personnage burlesque joué par Brunet et un nouveau lieu : au lieu d’être chez Boileau, on est chez Molière...

Bibliophile Jacob, Bibliographie Moliéresque, p. 185 :

Molière avec ses amis, ou le Souper d'Auteuil, comédie historique en deux actes en prose et en vaudevilles, par A.-F. Rigault et J.-A. Jacquelin, représentée le 28 janvier 1801 sur le théâtre des Jeunes Artistes. Paris, Fages, an IX (1801), in-8.

Cette pièce fut reprise le 5 août 1806 au théâtre Montansier, et réimprimée en 1807, sous le titre réduit de Molière, ou le Souper d'Auteuil.

Martial Poirson, Ombres de Molière : Naissance d’un mythe littéraire travers ses avatars..., introduction générale :

Ce type de production [les pièces biographiques sur Molière] entre dans la catégorie du « fait historique », revendiqué par le « Sans-culotte » Charles-Louis Cadet de Gassicourt, bien que sur le mode de l'anecdote, dans Le Souper de Molière ou La Soirée d'Auteuil, créé au Théâtre de Vaudeville le 14 octobre 1795, sans cesse repris en 1799. Le même épisode, cette fois dans la maison de Boileau, en présence de Baron, Chapelle et La Fontaine, donne lieu à une réadaptation par Rigaud et Jacquelin sous le titre Molière avec ses amis ou Le Souper d'Auteuil, présentée, à en croire le certificat joint à l'édition (p. 4), au Comité de lecture des Comédiens-Français dès l'été 1791. Elle est représentée au Théâtre des Jeunes artistes le 8 pluviôse An IX (1801), et désignée comme une « comédie historique ». Le sujet fait fortune, puisque les mêmes auteurs en donnent, cinq ans plus tard, une nouvelle version, portant à une trentaine le nombre d’œuvres mettant directement Molière en scène au sein de la seule dramaturgie des Lumières.

Courrier des spectacles, n° 1431, du 9 pluviôse an 9 [29 janvier 1801], p. 2 :

[La pièce de Rigaud et Jacquelin a eu du succès. Mais ce n’est pas dû, d’après le critique, à son intérêt, limité comme dans toutes les pièces construites autour de « grands hommes » à qui on fait dire sur scène ce qu’ils ont écrit. Ce qui sauve la pièce, c’est le piquant des couplets. Le sujet, par ailleurs, n’est pas neuf : on connaît déjà le Souper de Molière, joué au Vaudeville. L’intrigue est vite résumée : un mariage sert de prétexte à la réunion des grands écrivains, qui boivent plus que de raison, sauf Molière, qui, malade, n’a pas bu, et peut donc se moquer de ses confrères et de leur intention de se noyer de désespoir. Un acte de générosité de Molière sert aussi de source de réflexion tout à fait morale. La pièce finit par une ronde. Les auteurs sont cités. Et un couplet est chargé de nous faire sentir combien les auteurs ont su être spirituels.]

Théâtre des Jeunes-Artistes.

Molière avec ses amis, ou le Souper d'Auteuil, vaudeville en deux actes, donné hier pour la première fois à ce théâtre, y obtint beaucoup de succès.

Ce n’est pas que l’ouvrage comporte beaucoup d’intérêt, car toutes les fois qu’on a introduit en scène les grands-hommes seulement pour mettre dans leur bouche ce qu’ils ont écrit, ça a été naturellement froid. Mais les auteurs du Souper d'Auteuil ont su l’assaisonner de couplets assez piquants, et c’est ce qui fait le mérite de ces sortes de productions. On connoit au Vaudeville le Souper de Molière, en un acte. Le fonds de Molière avec ses amis est à-peu-près le même.

Antoine, jardinier d’Auteuil, est sur le point d’épouser Mathurine, et Boileau, son maître, a invité à la nôce de ces jeunes gens Chapelle, Molière, Baron et Lafontaine. Ces grands hommes rassemblés à table, après avoir souvent vuidé leurs verres, parlent philosophie, bref déraisonnent et finissent par vouloir renoncer à la vie et se jetter à la rivière.

Molière, qui seul n’a pas été du repas à cause d’une indisposition, entend leur projet et se promet de rire le lendemain aux dépens des philosophes. Il obtient d’eux de remettre à demain leur projet de se noyer. Moliere les raille sur leur belle résolution ; et un pauvre aveugle à qui il a donné un louis, et qui le lui rapporte dans la persuasion qu’il s’est trompé, leur fait faire de sérieuses réflexions.

Le tout se termine par une ronde que chante le nouveau marié.

Cet ouvrage est des citoyens Jacquelin et Rîgaud.

Parmi les couplets justement applaudis, nous citerons le suivant :

Antoine explique ainsi à sa fiancée Mathurine, comment M. Boileau, son maitre, fait ses ouvrages :

Air nouveau du cit. Robineau.

    C’tila qui fait des volumes
        Il l’y faut du papier,
        Un’ table, un encrier,
    Un canif avec des plumes ;
Alors il s'met à son métier ;
        Et quand queuqu’chose l’arrête,
        Tout d’suite il s'grattc la tête,
        Il se lève, il s’assied,
        Puis il frappe du pied,
        Et s’mord vingt fois
            Les doigts.
        Il est constant
            Un instant ;
        Et puis après
        Sur nouveaux frais
        Quitte sa place,
        Fait la grimace.
    Enfin il écrit...
    Eh bien ! je t’ai dit
Comme on fait de l’esprit. (bis)

Le Courrier des spectacles, n° 3468 du 6 août 1806, p 3, se contente d’une très courte mention de la première de la nouvelle version de la pièce :

Molière, ou le Souper d’Auteuil, vaudeville joué hier au Théâtre Montansier, a obtenu du succès? Les auteurs sont MM. Jacquelin et Rigaud.

Le Courrier des spectacles, n° 3469 du 7 août 1806, p. 2, fait un vrai compte rendu de la pièce :

[Le compte rendu commence mal : rien de neuf dans cette pièce : le sujet a déjà été traité, et le critique rappelle la pièce homonyme d’Andrieux, qui n’était lui-même pas le premier (c’est exact). Et il avait déjà été traité par les mêmes auteurs sur un autre théâtre. Rappel du jugement porté alors : ouvrage froid, quelques couplets non dénués de mérite (ce n’est pas très positif). Et il a fallu ajouter à la pièce, puisqu’on est au Théâtre Montansier, un personnage burlesque, joué par l’incontournable Brunet, qui participe à une scène neuve et gaie (son personnage joue les critiques...). L’article cite un couplet qu’« on a remarqué » et s’achève sur un jugement désabusé : difficile de faire parler de tels personnages quand on n’a pas leur esprit. On doit se contenter d’une pâle copie.]

Théâtre Montansier.

Le sujet et la pièce n’ont rien de neuf. Il n’est personne qui ne commisse l’avanture de Molière, Chapelle, etc., qui après avoir dîné avec Boileau, formèrent la résolution de terminer leur vie d’une manière éclatante et philosophique, eu se noyant dans la Seine. M. Andrieux a traité cette anecdote avec beaucoup d’esprit ; elle l’avoit été avant lui, et peut-être le sera-t-elle encore sur quelque Théâtre subalterne.

La pièce jouée hier au Théâtre Montansier avoit déjà paru au Théâtre des Jeunes Artistes. C’est un ouvrage froid, mais écrit avec sagesse et animé de quelques couplets qui ne sont pas sans mérite. Comme le Théâtre Montansier a besoin de quelques personnages burlesques, l’auteur a composé un rôle pour Brunet ; c’est celui d’un garde-messier qui fait l’orateur, et prétend à la main de la célèbre Laforêt cette servante de Molière, d’un goût si juste, d’un tact si exquis ; ce Messier à aussi la prétention de juger et pour éprouver sa capacité ! Molière lui lit d’abord une scène, qu’il trouve admirable, puis des vers de Cottin, qu’il juge comme ils le méritent. Cette scène, qui est neuve, est fort gaie. On a remarqué le couplet suivant, où Boileau a peint les ouvrages de Molière :

On s’invite au Festin de Pierre,
Chacun est fou de l’
Etourdi ;
Par son
Malade imaginaire
Plus d’un vrai malade est guéri.
Tartuffe inspire l’épouvante
Aux cagots de tous les pays.
Fille devient
femme savante
A son Ecole des Maris.

C’est en général se charger d’une tâche fort difficile que de faire parler des hommes tels que Moliere, Lafontaine, Chapelle et Boileau, il faudrait avoir leur esprit. Mais au defaut d’un tableau original, il faut savoir se contenter d’une estampe.

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