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Molière avec ses amis ou le Souper d'Auteuil

Molière avec ses amis ou le Souper d'Auteuil, comédie en un acte et en vers, par M. Andrieux. 16 messidor an XII [5 juillet 1804].

Théâtre Français

La pièce d’Andrieux porte le même titre que celle de Rigaud et Jacquelin : je renvoie à la page consacrée à Molière ou le Souper d’Auteuil, où j’ai essayé de faire le bilan des pièces mettant sur la scène l’anecdote du fameux « souper d’Auteuil ».

Titre :

Molière avec ses amis ou le Souper d'Auteuil

Genre

comédie

Nombre d'actes :

1

Vers ou prose ,

en vers

Musique :

non

Date de création :

 

Théâtre :

Théâtre Français

Auteur(s) des paroles :

Andrieux

Almanach des Muses 1805

Un trait de la vie de Molière fort connu, et déjà mis plusieurs fois sur la scène. Quelques-uns des grands hommes du beau siècle peints avec beaucoup de charme et de vérité.

Du succès.

Courrier des spectacles, n° 2687 du 17 messidor an 12 [6 juillet 1804], p. 2 :

[Le compte rendu commence sans surprise par rappeler que le sujet, très connu, n’est pas neuf, et le critique en donne les deux utilisations précédentes. Il signale simplement l’ajout d’un élément à l'intrigue, la réconciliation de Molière avec mademoiselle Béjard. Occasion de rappeler que ce grand connaisseur de l’âme humaine soufrait d’une jalousie maladive... Il expose ensuite el plan de la pièce, qui fait défiler les auteurs du temps, « La Fontaine, Chapelle, Boileau, Mignard et Lully » mis sur la scène pour réciter des morceaux de leurs œuvres versifiées et faire le projet de se noyer. Heureusement que Molière, averti par sa servante, intervient ! Comme il s’est réconcilié avec mademoiselle Béjard, il les invite plutôt à son mariage. Puis, dans un assez beau désordre, le critique alterne critiques et compliments : la pièce n’est pas vraiment une comédie, plutôt un « tableau agréable », montrant les grands écrivains du temps de Louis XIV. Elle contient des vers des auteurs mis sur la scène, mais aussi des vers d’Andrieux, et ces vers sont « très-heureux et d’une tournure très agréable ». L’auteur a été nommé, les acteurs ont été excellents, et tout particulièrement celui qui jouait Lully. Il y avait beaucoup de monde ce soir-là, en partie parce que les meilleures comédiennes jouaient dans Tartuffe, et parce qu’il y avait une pièce nouvelle. La pièce d’Andrieux n’est pas une comédie, juste une esquisse, il lui manque détails vraiment comiques, et elle est « en vers libres », ce qui est acceptable pour « un petit ouvrage » (c’est justement le cas ici), mais ne l’est pas pour une vraie comédie, malgré l’exception notable e l’Amphitryon de Molière. Et le critique finit sur une citation de Voltaire contre l’emploi du vers libre, qui n’est pas pour lui « plus propre à la comédie que les rimes plates ».]

Théâtre Français.

Première représentation de Molière avec ses Amis, ou le Souper d'Auteuil.

Tout le monde connoît l’anecdote du fameux Souper d’Auteuil. C’est cette aventure qui a fourni le sujet de la pièce nouvelle. Quoique déjà traité au Théâtre du Vaudeville, et sur je ne sais quel Théâtre du Boulevard, ce sujet étoit encore neuf. L’auteur a joint à cette anecdote le raccommodement de Molière avec mademoiselle Béjard.

Molière, ce grand peintre des mœurs, qui connoissoit si bien le cœur humain, et vouloit corriger ses semblables, ne pouvoit se corriger lui-même du tourment de la jalousie, elle fit le malheur de sa vie, et l’on sait qu’il avoit sujet d’être jaloux. Voici à-peu-près le plan de la pièce.

La Fontaine, Chapelle, Boileau, Mignard et Lully sont invités à souper chez Molière. Chapelle a résolu de profiter de la circonstance pour réconcilier mademoiselle Béjar avec Molière. Mademoiselle Béjard se déguise en jardinier et arrive au moment du souper. Elle s’explique avec Molière, et lui prouve son innocence. A peine Molière s’est retiré pour aller saluer la mère de son amante, que Chapelle amène la conversation sur les misères de la vie humaine. Chacun dit son mot sur ce sujet, et exhale ses plaintes sur les malheurs de l’existence. Chapelle finit par proposer à ses amis de se noyer tous de compagnie, ce qui est accepté. La bonne Laforêt, servante de Molière, témoin de cette folie, court en prévenir son maître, qui soudain arrive, et feignant d’entrer dans les sentimens de ses amis, leur propose de se noyer avec eux ; mais il veut que l’on retarde l’exécution de ce beau projet jusqu’au lendemain matin, afin que tout le monde soit témoin de cette action éclatante.

Tous les amis de Molière se retirent dans leurs appartemens, Molière reste pour travailler à son poème du Val-de-Grace. Il apperçoit La Fontaine qui s’est endormi au bout de la table. Le bonhomme en s’éveillant débite quelques vers, que Molière écrit sous sa dictée. La Fontaine s’apperçoit qu’il n’est pas seul, et reconnoit Moliere, qui lui parle du projet qu’ils ont fait d’aller se noyer ; mais il a changé d avis, et tous ses autres amis, qui arrivent en chantant, n’ont pas plus d’envie que La Fontaine de s’aller noyer. Molière épouse Mlle Béjard, et invite ses convives à sa nôce, ce qui est beaucoup plus gai qu’une noyade.

Ce n’est point là une comédie, c’est un tableau agréable. On aime à voir figurer dans ce tableau les grands écrivains du siècle de Louis XIV, qui font encore les délices du nôtre.

Ce qui ajoute au mérite de cette pièce anecdotique, c’est l’art avec lequel l’auteur met dans la bouche de plusieurs de ses personnages, des vers puisés dans leurs propres ouvrages. Dire que la pièce est digne du personnage, c’est faire l’éloge de l’auteur et c’est dire la vérité.

On a applaudi beaucoup de vers très-heureux et d’une tournure fort agréable. L’auteur a été vivement demandé, on a nommé M. Andricux.

La pièce a été fort bien jouée ; Michot sur-tout a parfaitement rendu le personnage de Lully.

L’assemblée étoit nombreuse, il n’v a rien là d’étonnant, on donnoit la comédie de Tartuffe dans laquelle jouoient Fleury et Mlle Contât ; et de plus on avoit une pièce nouvelle.

Je répéterai à M. Andricux que sa pièce n’est pas une comédie ; quand on en fait de jolies , pourquoi se borner à tracer des esquisses ? Il y a des longueurs dans cet ouvrage, qui auroit besoin d’être animé par des détails comiques, et les détails en sont plutôt gracieux que gais. La pièce est en vers libres ; ce style pouvoit convenir à un petit ouvrage de ce genre ; mais les poètes comiques feront bien de ne pas se dégager des entraves du vers alexandrin qui convient beaucoup mieux à la comédie. L’Amphytrion de Molière fait exception à la règle, mais Amphytrion est la seule pièce que Molière ait écrite en vers libres.

« On a prétendu . dit Voltaire, que ce genre de vers étoit plus propre à la comédie que les rimes plates, en ce qu’il y a plus de liberté et plus de variété ; cependant les rimes plates ont prévalu. Les vers libres sont d’autant plus mal-aisés à faire qu’ils semblent plus faciles. Il y a un rythme très-peu connu qu’il faut observer, sans quoi cette poésie rebute. » M. Andrieux s’est fort bien servi de ce style, mais j’avoue que je préfère celui des Etourdis.

* * *

Les Étourdis, ou le Mort supposé est une comédie en trois actes et en vers d’Andrieux, créée par les Comédiens Italiens ordinaires du Roi au Théâtre Italienle 14 décembre 1787, et à Versailles, devant Leurs Majestés, le 11 janvier 1788. D’après la base La Grange de la Comédie Française,elle a été reprise au Théâtre Français le 22 juin 1799, et elle y a connu 281 représentations jusqu’en 1849. Elle est considérée comme la meilleure pièce d’Andrieux.

Geoffroy, Cours de littérature dramatique, tome 4 (seconde édition, Paris, 1825), p. 82-88 :

[Article paru le 19 messidor an 12 (8 juillet 1804). Comme à son habitude, Geoffroy s’y montre moraliste sévère (l’épisode choisi par l’auteur est juste bon pour le Vaudeville : il y a une hiérarchie des théâtres ! et oser montrer nos grands auteurs ivres, c’est « peut-être manquer d'égards pour les héros de notre littérature » (apprécions la prudence de ce « peut-être »!), quant à Molière, son ivresse est double, « vapeurs de l’amour » et « fumées de Bacchus », la première « plus ridicule encore » que la seconde. Geoffroy attaque ensuite la vérité de l’anecdote concernant la brouille de Molière et de « la petite Béjart » : encore une inconvenance « mesquine, mal imaginée »). Boileau, lui est bien traité, puisqu’on lui prête « une attitude héroïque », de même que La Fontaine dont Geoffroy approuve qu’on rappelle son attachement à Fouquet. Les essais poétiques de Molière et La Fontaine que la pièce rappelle sont jugés un peu déplacés, mais moins que la présence du peintre Mignard, et surtout de Lulli, dont le caractère dans la pièce n’est pas conforme à la réalité de l’homme, « un intrigant, un débauché crapuleux, un plat bouffon, un bas flatteur, plus avili par ses mœurs qu'honoré par ses opéras ». Mais Lulli est un bon personnage « au théâtre comme dans le monde », par sa faconde et son accent. Pour achever de détruire toute illusion concernant Lulli, Geoffroy, qui n’est pas à une digression près, évoque une épigramme à son sujet. Pour conclure, petite liste des interprètes masculins, bien jugés, et d’une actrice dont il attend le retour dans ses vrais rôles, les rôles tragiques. Quant à l’auteur, il a droit à une ultime volée de bois vert. « J'attends toujours un plan, des situations, des caractères ; c'est là ce qui vaut la peine d'être loué. » Andrieux n’est vraiment pas en progrès, selon l’austère critique.]

MOLIÈRE AVEC SES AMIS, ou LE SOUPER D'AUTEUIL.

Il est plus facile de faire des pièces sur Molière que d'en faire comme Molière : c'est honorer très-médiocrement ce père de la comédie, que de mettre sur la scène ses faiblesses et ses petites misères domestiques : pour le louer dignement, il faudrait l'imiter. Cette bagatelle de M. Andrieux est au-dessous de son auteur, au-dessous du théâtre où elle se produit : ce n'est qu'un vaudeville ; elle en a l'esprit, le ton, la frivolité : les pointes ne lui manquent pas ; il ne lui manque que les couplets.

Nous avons vu, à Louvois, Molière chez Ninon ; nous l'avons vu chez lui avec ses amis, dans la rue de Chartres ; le Théâtre-Français possède la Maison de Molière : Molière est partout ; il n'y a que son bon sens et son génie qui ne se trouvent nulle part. L'anecdote dont M. Andrieux s'est emparé, ne convenait qu'au Vaudeville ; il fallait la lui laisser. Un auteur, il est vrai, est bien aise de se mettre à l'abri des sifflets derrière nos grands hommes. Des personnages tels que Molière, Boileau, La Fontaine, sont de bons garans du succès ; le respect et l'intérêt qu'ils inspirent défendent la pièce et couvrent ses défauts ; mais l'auteur des Étourdis est bien modeste, s'il a cru avoir besoin d'une pareille protection.

C'est peut-être manquer d'égards pour les héros de notre littérature, que de nous les présenter ivres et dans un état qui dégrade l'humanité. C'est un spectacle plus humiliant que comique, de voir les coryphées de la raison humaine déraisonnant comme une troupe d'ivrognes. Je ne dispute point sur la vérité de l'anecdote ; il serait à souhaiter qu'elle fût fausse, et Voltaire n'avait pas tort de la révoquer en doute, pour l'honneur des gens de lettres et des artistes. Il ne faut pas beaucoup de jugement et de délicatesse pour sentir l'indécence de transformer la retraite de Molière, à Auteuil, en un cabaret des Percherons, et de faire d'un souper de beaux esprits une orgie crapuleuse de porte-faix et de cochers de place. Les Lacédémoniens montraient à leurs enfans des esclaves ivres, pour leur inspirer l'horreur de l'ivresse : est-ce pour nous la faire estimer, que l'auteur nous montre de grands hommes abrutis par l'intempérance ?

Molière, sans doute en qualité de maître de la maison, y paraît possédé d'une double ivresse ; les vapeurs de l'amour se joignent aux fumées de Bacchus pour lui tourner la tête, et, quoiqu'il ait moins bu que les autres, il est plus complétement fou, puisqu'il est enivré des attraits d'une jeune fille. La disproportion de son âge avec celui de sa maîtresse, dont il pourrait être le père, rend cette sorte d'ivresse plus ridicule encore que celle du vin.

On suppose qu'il s'est brouillé avec la petite Béjart, laquelle, à la faveur d'un déguisement, vient le trouver à Auteuil pour se raccommoder. Les barbons se brouillent rarement avec les petites filles : ce sont les petites filles qui se brouillent avec les barbons ; ces amans surannés ont toujours tort, et jamais leurs jeunes maîtresses ne font les avances de la réconciliation. Mademoiselle Béjart prend bien mal son temps : un salon plein de buveurs n'est pas un lieu propre pour une entrevue amoureuse. Tous les historiens de Molière nous apprennent que madame Béjart surveillait beaucoup sa fille, qu'elle en était jalouse, et, par conséquent, qu'elle n'avait garde de la mener à Auteuil, chez Molière, pour faciliter un raccommodement.

Si Molière s'est brouillé avec la petite Béjart, ce n'est pas lorsqu'il en était amoureux, c'est lorsqu'il est devenu son mari ; et sa dernière réconciliation avec sa femme lui a, comme on sait, coûté la vie. Toute cette petite fable, que M. Andrieux a cousue à son Souper, est mesquine, mal imaginée, contraire aux convenances, contraire à tous les mémoires du temps : quand on met Molière dans une pièce, il faut tâcher, par respect pour un tel personnage, d'y mettre aussi de la raison.

Pour ennoblir ce que son orgie pouvait avoir d'ignoble, M. Andrieux a rappelé la conduite héroïque de Boileau, qui se déclara le défenseur du grand Corneille à la cour, et fit rétablir sa pension : ce trait prouve que les plus belles qualités du cœur s'allient très-bien avec la satire morale et littéraire. Le courage et la franchise nécessaires pour dire la vérité, ou du moins son avis, sont précisément les vertus qui produisent les grandes actions : n'attendez rien de généreux de ces doucereux flatteurs qui trompent tout le monde et trouvent que tout est bien. L'attachement et la fidélité admirables de La Fontaine pour son bienfaiteur tombé dans la disgrâce, occupent aussi une place dans ce souper d'Auteuil. L'auteur a voulu du moins relever par des souvenirs honorables des personnages qu'il dégradait par leur extravagance bachique.

Je ne conçois pas comment La Fontaine, ivre d'une autre liqueur que celle de l'Hippocrène, peut, après avoir cuvé son vin par quelques momens de sommeil, se trouver la tête assez libre pour composer les plus beaux vers qui soient sortis de sa plume. Quant aux vers de Molière sur les peintures du Val-de-Grâce, ils ont bien pu être faits dans l'ivresse, et il eût été sage de n'en point parler ; car le peintre Mignard est, je crois, le seul qui ait pu les trouver bons. Ce peintre est assez déplacé dans une société de gens de lettres, et le musicien Lulli encore plus. Celui-ci était un intrigant, un débauché crapuleux, un plat bouffon, un bas flatteur, plus avili par ses mœurs qu'honoré par ses opéras, dont tout le monde se moque aujourd'hui. On prétend que c'est lui que Boileau avait en vue dans ces vers énergiques :

En vain par sa grimace un bouffon odieux
A table nous fait rire et divertit nos yeux ;
Ses bons mots ont besoin de farine et de plâtre ;
Prenez-le tête à tête, ôtez-lui son théâtre :
Ce n'est plus qu'un cœur bas, un coquin ténébreux ;
Son visage essuyé n'a plus rien que d'affreux.

Les hommes du caractère de Lulli réussissent toujours au théâtre comme dans le monde. Ce personnage est celui qui a le plus diverti l'assemblée : entre autres plaisanteries assaisonnées de l'accent italien, il fait un récit comique de la manière dont il a dupé son confesseur. Ce bon père, appelé auprès de lui dans le cours d'une grande maladie, exigeait que le malade brûlât ce qu'il avait noté de son dernier opéra ; il fut très-édifié de voir le pénitent se prêter de bon cœur à ce sacrifice, si douloureux pour un musicien. Le confesseur étant parti après avoir bien et dûment brûlé cette œuvre du démon, un jeune seigneur arrive, et reproche au malade d'avoir eu une pareille complaisance pour un janséniste. « Paix, monseigneur ! répond Lulli, j'en ai là une copie. » Ce petit conte était tout propre à égayer la verve de M. Andrieux, déjà célèbre par quelques pamphlets philosophiques du même genre. Une petite pointe d'impiété est, pour ce poète, ce qu'est pour les convives une petite pointe de vin ; elle le met en belle humeur. Cependant quelques compilateurs d'anecdotes racontent l'aventure d'une manière moins réjouissante : ils prétendent que Lulli crut en effet avoir trompé le confesseur, mais que ce fut lui-même qui fut pris pour dupe, puisqu'il mourut de cette même maladie peu de temps après.

Pour achever ce qui concerne ce musicien, voici quelques vers de Pavillon, sur le magnifique tombeau que la veuve de Lulli fit élever à son mari, dans l'église des Petits-Pères. On y voit la Mort qui, d'une main, tient un flambeau renversé, et de l'autre soutient un rideau au-dessus du buste de Lulli,

        Pourquoi, par un faste nouveau,
    Nous rappeler la scandaleuse histoire
    D'un libertin indigne de memoire,
    Peut-être même indigne du tombeau ?
S'est.il jamais rien vu d'un si mauvais exemple !
L'opprobre des mortels triomphe dans un temple
Où l'on rend à genoux ses vœux au roi des cieux !
Ah ! cachez pour jamais ce spectacle odieux ;
        Laissez tomber, sans plus attendre,
Sur ce buste honteux votre fatal rideau,
        Et ne montrez que le flambeau
Qui devrait avoir mis l'original en cendre.

Il y a peu de charité et de modération dans ces vers ; mais ils nous apprennent ce que les honnêtes gens pensaient de Lulli. Pavillon, auteur de cette satire, était neveu du saint évéque d'Aleth, avocat-général du parlement de Metz, et membre de l'Académie-Française. Que ne joignait-il à tous ces titres celui de philosophe tolérant !

Fleury représente Molière ; Michot, Lulli ; Damas, Boileau ; et Saint-Fal, La Fontaine : ils contribuent beaucoup par leur talent à soutenir ce vaudeville. Mademoiselle Volnais est chargée du petit rôle de la petite Béjart, et s'en acquitte avec l'ingénuité et la grâce convenables. Depuis fort long-temps on ne la voit plus que dans quelques petits bouts de rôles comiques ; on ignore quand elle fera sa rentrée dans la tragédie.

Cet ouvrage n'annonce aucun progrès dans le talent de M. Andrieux : il y a des mots heureux parmi plusieurs autres fort médiocres, de jolis vers agréablement tournés, de l'esprit, et toujours de l'esprit. Quel pauvre éloge pour un poète comique ! J'attends toujours un plan, des situations, des caractères ; c'est là ce qui vaut la peine d'être loué : les arides spéculations de la politique ont sans doute étouffé l'heureux germe que l'auteur avait fait paraître dans les Étourdis. Helvétius, le Trésor et le Souper d'Auteuil, sont des argumens contre le système du perfectionnement successif de l'espèce humaine. (19 messidor an 12.)

Le Nouvel Esprit des journaux français et étrangers, tome onzième, thermidor an XII [juillet 1804], p. 262-266 :

[Compte rendu favorable à une pièce sur une anecdote connue, vraie ou fausse, déjà mise an théâtre, et que le talent d’Andrieux a su adapter en prêtant à chaque personnage le langage qui lui convient. Ce Souper d’Auteuil est présenté comme un tableau plus que comme une comédie : presque pas d’intrigue, des scènes adroitement liées au fond presque nul, mais riches en détails et en développements. Le résumé de l’intrigue montre assez bien ce caractère décousu de la pièce où les situations montrent successivement les grands hommes du temps, jusqu’à l’annonce de l’inévitable mariage (puisque le souper est l’occasion choisie pour raccommoder Molière avec sa fiancée). Le critique semble croire à la vérité de ces portraits, ce qui nous permet de voir comment on pouvait les imaginer à cette époque. Il y voit « des hommes excellens, vertueux, bons amis et hommes aimables ». Morale de la pièce, applicable aujourd’hui où elle serait si utile : « le charme d'une étroite et franche union, d'une douce intimité ».]

THÉATRE FRANÇAIS.

Le Souper d’Auteuil.

Tout le monde connaît l'historiette du souper de Molière avec ses amis réunis à Auteuil, de cette résolution fatale prise au milieu des fumées bacchiques, et démentie avec le retour de la raison ; de ce projet de suicide qui, en un moment, eût privé la France de tant de talens qui, heureusement, ont encore long-temps vécu pour sa gloire. Voltaire dément cette historiette ; elle a déjà été mise sur la scène du Vaudeville, par M. Cadet Gassicourt; sa pièce a été remarquée dans un temps où le genre du vaudeville venait de nous être rendu, et nous était, offert sous ses plus aimables traits. Vraie ou supposée, l'anecdote pouvait aussi appartenir à la scène française : à cette seule condition, qu'on trouverait un auteur assez familiarisé avec le style de Molière et de ses illustres amis, et assez sûr de la flexibilité du sien, pour prêter à chacun de ces hommes illustres le langage qu'on peut supposer avoir été le leur. Cet auteur s'est trouvé. En annonçant la difficulté de le rencontrer, nous l'avons désigné peut-être ; c'est M. Andrieux, dont un spectateur très-nombreux vient d'accueillir avec distinction la production nouvelle.

Le Souper d’Auteuil n'est pas une comédie : c'est un tableau, nous dirions presqu'un tableau de famille ; et pourrait-il en exister un plus intéressant que celui que nous présente Molière et ses amis ? L'intrigue est extrêmement légère. La pièce ne consiste, à bien dire, que dans quelques scènes adroitement liées, dont le fond est presque nul, mais dont les détails et les développemens constituent le mérite. Voici une idée du sujet :

Molière a été malade : ses amis, Boileau, La Fontaine, Chapelle, Mignard, Lulli, se sont réunis chez lui pour fêter sa convalescence. Un autre motif anime Chapelle : confident d'Isabelle Béjard avec laquelle, dans un mouvement de jalousie, Molière s'est brouillé, il a le projet de raccommoder les deux amans ; il arrive le premier, et prépare l'entrevue en annonçant à Laforêt qu'une jolie femme doit le venir demander, et qu'elle doit être introduite : Isabelle doit, en effet, se présenter déguisée en jardinière.

Boileau arrive à Auteuil en revenant de Versailles, où il a vu le roi. Il lui a demandé la suppression de sa pension de 3000 livres, parce que, dans le dernier travail, on a supprimé celle du grand Corneille. L'effet de cette demande peu commune a été de faire rétablir la pension du Sophocle français. On voit que l'occasion de placer ce trait était heureuse : M. Andrieux ne l'a pas laissé échapper.

Le bon La Fontaine est venu de Paris à pied, en composant sa belle élégie sur Fouquet, tombé le jour même dans la disgrace du monarque. Le poète déplore le sort de son bienfaiteur, il voudrait la servir ; mais que tenter, que faire ?

                                  Espérance trop vaine,
.    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .
Moi qui n’ai ni crédit ni bien,
Moi qui suis.... quoi ?.... Jean la Fontaine....

Les convives se réunissent : Isabelle paraît sous son déguisement ; Chapelle parvient à la réconciliation ; Molière sort pour se rendre chez la mère de son amante : c'est alors que la conversation s'établit sur le chapitre des misères humaines ; on boit, et l'on se plaint ; on parle de philosophie, et l'on perd la raison au point de vouloir perdre la vie ; on décide de profiter à l’instant de la proximité de la Seine.... Laforêt a couru avertir Molière de cette burlesque délibération ; Molière représente qu'une si belle action ne doit pas être ensevelie dans les ténèbres, qu'elle mérite le grand jour.... Le sommeil, qui gagne les convives, seconde Molière ; il les envoie coucher, La Fontaine seul s'est complettement endormi à table.

Molière saisit ce moment de repos pour travailler à son poème du Val-de-Grace.... Tout-à-coup La Fontaine s'éveille et compose quelques vers.... Molière quitte à l'instant son poème et écrit les vers qu'il entend sortir de la bouche de son ami.

Je ne crois plus mes vers dignes de m'occuper,

dit-il,

Quand je puis recueillir ceux que fait La Fontaine.

Cependant les convives, réveillés par les chants et les bouffonneries de Lulli, dont le rôle répand beaucoup de gaieté sur l'ouvrage, rentrent sur la scène. Le fatal projet est rappellé ; mais la raison est revenue, et l'on consent encore à supporter la vie. Molière saisit cette occasion pour déclarer son mariage à ses amis.

Nous avons dit, que cette jolie pièce brillait sur-tout par les détails : elle en renferme de charmans. L'auteur a su conserver à ses personnages la physionomie que leurs ouvrages et leur conduite nous ont appris à leur prêter. Ce sont les hommes, plutôt que les auteurs, qu'il a voulu peindre. Il semble avoir désiré leur rendre un hommage nouveau, pour eux qui en ont tant reçu, en prouvant que ces grands hommes étaient aussi des hommes excellens, vertueux, bons amis et hommes aimables. Cette pièce est de nature à faire sentir aux hommes de lettres le charme d'une étroite et franche union, d'une douce intimité. On prétend que la leçon est de nos jours assez utile ; nous l'ignorons. Cependant, en fait d'auteurs distingués par des succès, et liés par une étroite et sincère amitié,

Il en est jusqu'à trois que je pourrais nommer....

Le public ne les sépare jamais, et quand il applaudit l'un, il pense aux deux autres.

D’après la base La Grange de la Comédie Française, la pièce de François-Guillaume Andrieux a été créée le 5 juillet 1804 (soit le 16 messidor an XII) et elle a été jouée dans ce théâtre 48 fois jusqu’en 1833.

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