Mucius Scevola, tragédie nouvelle en cinq actes, de Luce de Lancival, 23 juillet 1793.
Théâtre de la République.
Le nom du personnage principal devient parfois Mutius Scevola (ou Scævola).
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Titre :
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Mucius Scevola
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Genre
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tragédie
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Nombre d'actes :
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5
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Vers / prose ?
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en vers
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Musique :
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non
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Date de création :
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23 juillet 1793
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Théâtre :
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Théâtre de la République
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Auteur(s) des paroles :
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Luce de lancival
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Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Louvet, an 3 :
M. SCŒVOLA, tragédie en trois actes, en vers. Représentée pour la première fois sur le Théâtre de la République, le 27 juillet de l'an 1793 (v.sle.) Par le Cen. LUCE, Professeur de belles-lettres, en la ci-devant Université de Paris.
Le texte de la pièce est précédé d'une préface qui revient sur la difficile carrière de la pièce : première représentation interrompue dans un climat d'agitation inquiétant, arrêt des représentations après la quatrième, malgré l'afflux des spectateurs. Luce de Lancival se présente comme la victime d'« ultra-révolutionnaires ». Et la reprise des représentations quelques semaines après a été éphémère. L'auteur tente maintenant de la publier, en insistant sur son caractère républicain, et non pas révolutionnaire, sur l'amour de la liberté et la haine de la tyrannie qu'elle manifeste. Il justifie en particulier le choix du dénouement, qui exonère Mucius de l'accusation de lâcheté.
Après la préface, on trouve une dédicace à
PRÉFACE,
Malgré le favorable accueil que cette tragédie a reçu du public, je ne crains point de dire que les circonstances où elle a été jouée ont nui beaucoup à son succès, Alors dominoit une classe d'ultra-révolutionnaires, qui, dés la première représentation, s'indignèrent des applaudissements du public, et résolurent de faire tomber la pièce, ou du moins d'en arrêter la représentation. S'ils réussirent dans ce dernier projet, ils furent bien trompés dans le premier, car ce fut à la 4eme représentation qu'on cessa de jouer Mutius, et à la 3eme, l'affluence des spectateurs étoit telle qu'ils occupoient jusqu'aux places de l'Orchestre. Mais malgré le suffrage constant et unanime d'un public impartial, malgré l'autorité même de la Convention nationale qui avoit compris Mutius Scœvola dans le petit nombre de pièces patriotiques qu'on devoir jouer pendant le tems de la fédération, les acteurs se laissèrent intimider par les murmures de certains individus qui alloient par-tout répétant que la tragédie de M. Scœvola n'etoit point à la hauteur des circonstances , que la générosité de Porsenna étoit un scandale, que Mutius n'étoit qu'un modéré, et qu'enfin pour que la pièce fut à l'ordre du jour, il falloit que l'on accablât d'injures l'ennemi qui lui rendoit sa liberté et s'engageoit encore à respecter désormais celle de sa patrie, et que l'autre s'enfuit épouvanté des menaces d'un homme dont la vie étoit entre ses mains. Enfin le temps de la fédération écoulé, la tragédie de Mutius Scœvola fut reprise, mais on ne tarda point à la suspendre de nouveau, d'après les observations d'un journaliste ; depuis elle n'a joint reparu.
Aujourd'hui que les esprits sont plus calmes, je la livre à l'impression avec quelques légers changemens : Content d'avoir trouvé dans l'histoire un sujet vraiment républicain, je n'ai pas prétendu en faire une pièce révolutionnaire : J'ai osé croire que l'amour de la liberté et la haine de la tyrannie étoient traces dans les rôles de Junie et de Mutius Scœvola avec une énergie à laquelle la feinte modération de Porsenna ne faisoit rien perdre de son effet ; que Mutius dcvoit quitter Porsenna avec fierté, mais sans l'insulter, et qu'enfin Porsenna lui-même, en se retirant pénétré des vertus de Mutius et de Junie, et en disant : Je ne veux plus combattre un peuple que j'admire, offroit un dénouement aussi théâtral et non moins flatteur pour les Romains , que s'il fut parti en disant : Je m'enfuis parce que j'ai peur.. Que le public juge.
Na. B. Je ne rappellerai point ici ce que j'ai emprunté ou imité du Scœvola de du Ryer, tragédie en 5 actes ; je me suis fait un devoir dans le temps de reconnoître les obligations que j'avois à cet Auteur, dont j'ai taché de rajeunir plusieurs beautés.
Après la préface, une dédicace à Anne-Marie de Beaufort d'Hautpoul (1763-1837), auteure de Zilia, un roman pastoral et de poèmes.
A LA CITOYENNE BEAUFORT
J'ai balancé long-temps avant de vous offrir l'hommage de cette tragédie : Dédier Mutius Scœvola à l'Auteur du roman de Zilia, de l'Idille sur l'absence, de l'Idille aux Violettes !.. je craignois d'effaroucher les grâces ; mais en me rappellant l'Héroïde de Sapho, en reliant sur-tout celle de Lucrèce, je me suis dit : la Muse de Beaufort est amie de Melpomène, et je vous ai dédié Mutius Scœvola.
LUCE.
Almanach des Muses 1796.
Trait, si connu, de Mutius Scœvola, qui refuse de révéler les noms de ceux qui ont conspiré avec lui contre Porsenna. Il tient sa main suspendue sur un brasier ardent, pour prouver qu'il sait se taire. Générosité de Porsenna, qui a paru fort scandaleuse à l'époque de la première représentation.
Quelques belles scènes. De l'inégalité dans le style.
L’Esprit des journaux français et étrangers, 1793, volume 7 (juillet 1793), p. 376-379 :
[Compte rendu peu enthousiaste, sans être négatif : on commence par rappeler une pièce ancienne sur le même sujet, pour dire d’abord que la pièce nouvelle a abandonné à juste titre un « personnage méprisable, Tarquin, puis que Luce de Lancival a suivi l’auteur ancien, mais plus encore l’Histoire. La question de l’originalité de la pièce est plutôt compliquée ! Les défauts de la nouvelle pièce sont nombreux : le personnage du tyran Porsenna est trop sympathique, la conception de l’ouvrage est faible, lente (mais le sujet est pauvre : il « ne présentoit tout au plus que deux scenes ». Les personnages sont mal dessinés, le mieux tracé étant celui de Porsenna le tyran. L’interprétation ne rachète pas la pièce qui « a été jouée foiblement ». On attendait mieux des grands acteurs qui l’ont interprétée. L’auteur, réclamé, mais non nommé, est pourtant désigné : Luce de Lancival, professeur au collège de Navarre, ce qui explique la qualité de son style, « toujours pur, toujours soigné, & quelquefois élégant & poétique ».]
Mucius Scevola, tragédie nouvelle ; par M. Lancival.
On connoit le Scevole de du Ruyer, jouée, il y a quelque tems, au théatre de Montansier. Cette piece, dont la premiere représentation date de 1646, est pleine de beautés & d'inégalités choquantes. Un jeune littérateur vient de faire jouer, sous le même titre, une nouvelle tragédie, sur le théatre de la République. Sans doute, il étoit difficile de travailler d'après du Ruyer, & de ne pas profiter de ses erreurs pour les éviter, & de ses beautés pour les imiter. Du Ruyer a mis en scene un Tarquin, espece d'imbécile qui ne fait autre chose que se cacher & demander à Porsenna quand il pourra le faire rentrer chez lui. L'auteur du nouveau Mutius s'est passé de ce personnage méprisable, il a bien fait. Son action est à-peu-prés la même que celle de du Ruyer, ou plutôt elle est telle que l'histoire l'indique. Porsenna, roi des Toscans, a réduit Rome aux horreurs de la famine : c'en est fait de la liberté, dans cette république naissante, si un grand homme ne se dévoue pour sauver sa patrie. Mutius s'est chargé de ce devoir sacré : il passe déguisé en soldat, dans le camp de Porsenna, au moment où Junie, son amante & la fille de Brutus, vient d'être faite prisonniere par cet ennemi de Rome. Mutius veut assassiner Porsenna : Junie l'engage à suspendre ses coups, jusqu'à ce qu'elle ait essayé l'empire de la raison sur l'esprit de Porsenna. Le tyran est insensible à toutes les remontrances de Junie : cette courageuse Romaine engage Mutius à frapper : Mutius arrive au moment où Porsenna offre un sacrifice aux dieux : son bras se trompe de victime, au-lieu de Porsenna, il immole Arons, un des courtisans. Porsenna éclate contre Mutius ; mais ce dernier lui prouve son courage & sa fermeté, en plongeant son poignet dans les flammes du trépied sacré. Porsenna, étonné de tant de caractere, donne la paix à Rome, y renvoie Junie & Mutius, & leur donne même, avant leur départ, des leçons de républicanisme ; ce qui paroît assez singulier dans sa bouche.
L'auteur a tracé son Porsenna d'après du Ruyer, d'après l'histoire même, & ce personnage a paru trop grand, trop généreux pour un tyran : voilà, sans doute, un des torts de l'auteur du nouveau Mutius. L'ouvrage, en général, est d'une conception foible, lente, & c'est un peu la faute du sujet, qui ne présentoit tout au plus que deux scenes. Le rôle de Mutius ne pouvoit pas être plus fort qu'il ne l'est : celui de Junie est tracé d'une maniere vigoureuse ; celui d'Arons est prononcé avec énergie ; mais on est fâché d'en convenir, c'est le rôle de Porsenna, qui, tracé comme l'auteur l'a conçu, c'est-à-dire, comme un despote très-estimable, est le mieux fait de la piece.
Elle a été jouée foiblement aussi : nous le dirons avec franchise à la Vestris & à Talma, on devoit attendre davantage de leurs grands talens, dans les rôles de Junie & de Mutius. Dugrand a prouvé, dans Porsenna, qu'il sait travailler un rôle, & Monville a su tirer parti du rôle odieux d'Arons. En un mot, l'ouvrage a réussi : il annonce un littérateur nourri des anciens, & digne de se faire une réputation : on a demandé l'auteur ; Tatma ne l'a point nommé : mais nous le trahirons ; nous dirons que ce nouveau Mutius est d'un jeune homme, de Luce (Lancival), professeur au college de Navarre. Son style, sans être souvent très-fort, est toujours pur, toujours soigné, & quelquefois élégant & poétique.
Claude Mossé, L'Antiquité dans la Révolution française (Paris, 1989) :
Ce même été 1793, Talma créait le Mucius Scœvola de Luce de Lancival, un ancien professeur de rhétorique du Collège de Navarre. Mais la pièce était bientôt interdite, Scœvola y apparaissant comme trop modéré face à un Porsenna trop sympathique.
D'après la base César, 8 représentations, du 23 juillet au 10 septembre 1793, au Théâtre français de la rue de Richelieu, et 1 le 29 août 1793, au Théâtre de Montansier.
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