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Nephtali ou les Ammonites
Nephtali ou les Ammonites, opéra en trois actes ; paroles d'Étienne Aignan, musique de Blangini ; ballet de Gardel, 6 avril 1806.
Académie Impériale de Musique.
-
Titre :
Nephtali, ou les Ammonites
Genre
opéra
Nombre d'actes :
3
Vers ou prose ,
en vers
Musique :
oui
Date de création :
6 avril 1806
Théâtre :
Académie Impériale de Musique
Auteur(s) des paroles :
Etienne Aignan
Compositeur(s) :
Blangini
Chorégraphe(s) :
Gardel
Almanach des Muses 1807.
Nephtali, fils du grand prêtre des Juifs, est prêt à épouser sa bien-aimée Rachel, lorsque Hareb, roi des Ammonites, et ennemi éternel de sa tribu, le surprend à la chasse et l'enlève ainsi que Rachel. On leur offre la vie s'ils veulent sacrifier à Moloch, divinité qu'adorent les Ammonites ; mais ils aiment mieux mourir que de renoncer au Dieu de leurs peres. Leur supplice se prépare, et ils y marchent avec courage, lorsque Eliezer, frere de Nephtali, s'introduit auprès du traître Hareb, sous prétexte de lui dénoncer une conspiration, l'éloigne, se précipite dans le temple où son frere et Rachel vont périr ; et, suivi d'une partie des siens déguisés en Ammonites, combat les soldats de Hareb, les défait, et délivre les deux amans.
De l'intérêt ; du spectacle ; musique pleine de charme et d'expression.
Sur la page de titre de la brochure, Paris, de l'Imprimerie de Ballard, 1806 :
Nephtali, ou les Ammonites, opéra en trois actes ; Représenté pour la première fois, sur le théâtre de l'Académie impériale de Musique, le 6 avril 1806.
Sur la page suivante :
Les Paroles sont de M. ***.
La Musique est de M. Blangini, Maître de Chapelle de S. M. le Roi de Bavière.
Les Ballets sont de M. Gardel.
Une notice permet ensuite d'éclairer le lecteur sur l'intrigue :
NOTICE.
Israel était entouré de faux Dieux qui pénétrèrent souvent dans son sein ; au nord, Baal ; à l'occident, Astarté ; à l'orient, Chamos et Moloch. Ce dernier, le plus cruel de tous, aimait à s’abreuver de sang humain. Les Ammonites, ses adorateurs, étaient en guerre continuelle avec les Juifs , et faisaient souvent des excursions sur leur territoire pour le ravager et enlever les troupeaux et les pasteurs. M. de Florian a composé sur cette donnée un petit poème en prose, très-agréable, intitulé : Eliézer. Il suppose que le fils du grand-prêtre des Juifs est sur le point d'être enlevé parles Ammonites ; que son frère le délivre, et que tous deux sont épris d'une jeune Israélite nommée Rachel. Cette rivalité des deux frères amène des incidens qui ne s'accordent pas avec la vivacité de la marche dramatique ; l'auteur de cet ouvrage a cru qu'il devait s'ouvrir une route nouvelle, en faisant consommer l'enlèvement qui, dans le poème, n’est que projetté. Il a cherché à présenter une action simple, intéressante, rapide sur-tout, et à faire briller par des contrastes le talent du compositeur.
Encore un mot sur les Ammonites. Tout barbares qu’ils étaient, le luxe et les arts ne leur étaient point étrangers. On lit au douzième chapitre des Rois, que lorsque leur ville fut emportée d'assaut par David, on y trouva d'immenses richesses, et que le vainqueur s'appropria la couronne du roi vaincu, qui était du poids d'un talent d’or, et enrichie des plus belles pierreries de l'orient. On sait aussi que les femmes Ammonites étaient belles et voluptueuses, et que plusieurs captives Israélites séduites par l’exemple, abandonnèrent le culte du Vrai Dieu.
Courrier des spectacles, n° 3349 du 7 avril 1806, p. 3 :
[Une création remise pour des raisons que le critique croit diplomatiques...]
La représentation de Nephtali n’a pas eu lieu à l’Académie Impériale de Musique, deux des principaux acteurs s'étant, dit-on, trouvé enrhumés tout à-propos , à six heures du soir.
Cette représentation annoncée comme incessante jusqu’au 10 avril ne l’est plus dès le 11 avril. Le dimanche 13, elle est promise pour le mardi 15 avril, date à laquelle elle a eu lieu.
Courrier des spectacles, n° 3358 du 16 avril 1806, p. 2-3 :
[Quand il s’agit de rendre compte d’un opéra, le critique passe par un certain nombre de points obligés, de la source du sujet à l’interprétation et au ballet, en passant par l’analyse du sujet, le jugement porté sur l'œuvre et, la musique. La source de cette pièce a sujet d’invention ? Un poème de Florian, que tout le monde connaît, mais que le livret n’exploite que très partiellement et qu’il modifie fortement (c’est souvent que la source invoquée se révèle peu utilisée...).
L’analyse du sujet commence par une explication à l’allure historique, sur un conflit entre les Ammonites et les Juifs : le roi des Ammonites, un tyran cruel, veut enlever le fils du Grand-Prêtre et sa fiancée, pour les sacrifier à Moloch, son dieu. Tout ce passage mêle la fantaisie de l’invention à des notations historiques.
Puis, sans transition, le critique analyse acte par acte l’intrigue, d’abord, sur les bords du Jourdain, l’embuscade dont Nephtali et Rachel sont victimes, puis, dans le palais du roi des Ammonites, la condamnation des deux amants au supplice, et enfin, dans le temple de Moloch, « un lieu désert et sauvage, la préparation du supplice, qu’interrompt heureusement l’arrivée des Lévites qui délivrent les deux amants : au moment d’être enfermés dans la statue de Moloch chauffée a rouge, le frère de Nephtali et ses hommes tuent le roi et délivrent les victimes.
Le point suivant, c’est le jugement porté sur l’opéra. Il se présente comme une tentative de définir le genre auquel le livret appartient pas le genre héroïque, mais le genre patriarcal. Pas de grands effets de scène, mais un grand contraste, avec « des mouvemens tantôt doux et paisibles », quand il est question d’amour (le critique parle des « mœurs pastorales » des Juifs), des mouvements « tantôt hardis et impétueux », quand on voit le roi voulant se venger, et des mouvemens « tantôt touchans et pathétiques », quand on voit qu’on va sacrifier « deux jeunes et innocentes victimes ». Tout ce passage est rempli des attentes du critique (et du public) en face du spectacle complet que doit être un opéra, avec peut-être un peu de frustration devant ce mélange des genres : l’opéra appartient au genre héroïque, mais Nephtali n’est peut-être pas tout àfait un opéra (d’autres critiques le rapprochent de l’oratorio en action, représenté traditionnellement au moment de Pâques).
La musique occupe une place importante, même si elle est évoquée après le « poëme ». Un premier paragraphe est élogieux : cette musique est tout à fait conforme au sujet, et rend compte de la « différence de couleurs et de tons » de la pièce. Elle est conforme à ce que doit respecter toute œuvre d’art, « peindre la nature ». Le paragraphe suivant est moins élogieux : des longueurs (cela ne surprend pas, c’est le reproche le plus souvent fait pour les œuvres dramatiques, musicales ou non), mais aussi des airs pas tout à fait dignes de « la scène héroïque », proches même de l’opéra-comique. Reproche sérieux, que le critique explique par la « nature mixte » du livret. La même critique peut être faite à l’ouverture, qui « n’a pas non plus un caractère assez décidé ». Mais la jeunesse du compositeur peut expliquer cet état de fait, même s’il est présenté comme très prometteur. Il a d’ailleurs été demandé à la fin de la représentation et a paru sur la scène, honneur que le librettiste n’a pas partagé.
Reste à parler de l’interprétation, dans laquelle le critique distingue madame Branchu, aussi bonne chanteuse qu’actrice, et du ballet, tout à la gloire de Gardel, le grand chorégraphe du temps, dont il fait un éloge sans réserve : ses ballets sont pleins « de grâce et de variété », et « il sait peindre avec un jugement exquis les mœurs, les goûts et les habitudes de chaque nation », comme s’il avait vécu chez tous les peuples et dans tous les temps » (on a presque l’impression qu’on attend de lui une forme de réalisme, de conformité avec la réalité historique, ce qui peut surprendre). Les danseurs enfin ont été remarquables.
Conclusion ? Pas d’enthousiasme, « mais une satisfaction générale » dont le critique pense qu’elle vaut finalement au moins aussi bien, le jugement public étant jugé « plus réfléchi ».]
Académie Impériale de Musique.
Nephtali, ou les Ammonites, opéra en trois actes.
Cet ouvrage est une imitation très-libre du petit poëme en prose d’Eliézer et Nephtali, par Florian. Ce sujet est tout entier d’imagination. Florian suppose que les Ammonites étant continuellement en guerre avec les Israélites, un de leurs chefs conçut le dessein d’enlever le fils du Grand-Prêtre, qui tenoit à-la-fois le sceptre et l’encensoir.
Cet incident n’est qu’un épisode très-court de l’ouvrage. Le sujet principal est l'amour d’Eliézer et de Nephtali pour une jeune Juive nommée Rachel, et le généreux dévouement d’Eliézer qui sacrifie sa passion en faveur de son frère, et se retire dans les montagnes pour y vivre éternellement ignoré. Le poème de Florian est trop connu pour s’y arrêter d’avantage. L’auteur du nouvel opéra n’a pris dans toute cette production que le fait de l’enlèvement ; mais il en a créé toutes les circonstances. Les deux frères ne sont plus des rivaux, ce sont deux tendres amis prêts à se sacrifier l’un et l’autre à leur bonheur mutuel.
Nephtali, fils du Grand-Prêtre juge des Juifs, est épris d’une ardente passion pour Rachel, jeune Israélite fille d’Abdias. Son frère Eliézer s’intéresse auprès du Grand-Prêtre en faveur de Nephtali, et le dispose à consentir à l’union des deux amans. Nephtali apprend avec transport cette heureuse nouvelle, et se livre à toute la joie qu’elle lui inspire, lorsqu’un événement imprévu change tout à-coup sa destinée.
Hareb, roi des Ammonites, ennemi déclaré des Juifs, après leur avoir fait une guerre terrible, méditoit en ce moment une trahison cruelle envers Nephtali, fils du Grand Prêtre. Il savoit que ce jeune Israélite aimoit le plaisir de la chasse, et que souvent il se rendoit sur les bords du Jourdain pour y voir la belle Rachel qui venoit y faire paître ses troupeaux. Il s’arme pour surprendre Nephtali, et suivi de ses soldats, ou plutôt de brigands, il passe le fleuve, cache sa troupe dans des antres voisins, et fond tout-à-coup sur Nephtali, qui en ce moment séparé de ses chasseurs, s’abandonnoit auprès de Rachel à la joie de devenir incessamment son époux. Les brigands enlevent les deux amans, et le Prince ordonne qu’ils soient sacrifiés à Moloch. Ce Moloch étoit le Saturne des Phéniciens. On sait qu’on lui immoloit des enfans, tantôt en les enfermant dans de vastes paniers d’osier, où ils étoient brûlés vivans, tantôt en les plaçant dans la statue du Dieu qui étoit d’airain, et qu’on faisoit rougir pour cette cérémonie.
Comme l’opéra nouveau se compose de trois actes, au premier, l’on voit les bords du Jourdain ; un paysage en domine les flots, une chaîne de rochers se prolonge sur l’une de ses rives. Le Roi des Ammonites arrive avec sa troupe dans des barques qu’il cache sous des rochers ; il se met en embuscade. Le cor sonne ; Nephtali paroît suivi de chasseurs. Eliézer son frère lui apprend qu’il doit dans le jour même épouser Rachel. Nephtali fait entendre de nouveau les accens du cor pour avertir son amante de sa présence. Rachel accourt effrayée, et prévient Nephtali que sa liberté est menacée. Le jeune Israélite ordonne aux Lévites de sa suite de faire des recherches ; la troupe se disperse ; Hareb sort de son embuscade, et c’est en ce moment qu’il se saisit de Nephtali et de Rachel, les fait entrer dans une barque, et passe le Jourdain avant que ses deux victimes puissent obtenir des secours.
Au second acte, le théâtre représente le palais d’Hareb. Le Roi propose à Nephtali de sacrifier à Moloch ; l’Israélite le refuse et le brave. Le Prince engage Rachel à faire usage de son pouvoir sur le cœur de Nephtali pour le persuader. La belle Juive feint d’y consentir à dessein de revoir son amant ; et des qu’elle est auprès de lui, elle fait le serment de partager tous ses supplices, plutôt que de manquer à sa foi. Le supplice s’apprête.
Le troisième acte se passe dans le temple de Moloch. Cet édifice est situé dans un lieu désert et sauvage, il est ouvert, et l’on apperçoit le [sic] statue creuse et colossale du Dieu, qui étend les bras pour recevoir ses victimes. Le Grand-Prêtre de Moloch paroit et se dispose au sacrifice. On remplit de feu l’intérieur de la statue. Nephtali et Rachel s’avancent entourés d’un cortège nombreux à la tête duquel est le Roi des Ammonites. Ils sont chargés de chaines et préparés pour le supplice. Hareb fait une invocation au Dieu ; on détache les chaines pour placer les deux victimes dans les bras de la statue ; Nephtalie et Rachel se disent les derniers adieux, et marchent sur les degrés de l’autel. En ce moment un homme se présente ; il prévient Hareb qu’il est environné d’embûches et de pièges ; il lui indique le lieu où se sont retirés les conspirateurs, il marche avec lui vers la caverne où ils sont renfermés. A l’instant une troupe de Lévites s’élancent sur Hareb et sur sa troupe ; l'étranger s’arme et combat à leur tête, les Ammonites sont vaincus, Hareb tué, les autels renversés, les victimes délivrées, et Nephtali reconnoît son frere Eliézer dans sou libérateur.
Cet ouvrage n’est point du genre héroïque ; mais du genre patriarchal. Il ne se prête point aux grands effets de la scène, parce que l’action en est simple et dépourvue de merveilleux ; il admet des mouvemens tantôt doux et paisibles, parce qu’il présente les amours de deux jeunes amans chez un peuple de mœurs pastorales ; tantôt hardis et impétueux, parce qu’il s’agit d’un Roi féroce, animé par la haine, et méditant une vengeance cruelle ; tantôt touchans et pathétiques, parce qu’il est question de sacrifier sur les autels d’un idole deux jeunes et innocentes victimes.
Le compositeur a très-bien senti cette différence de couleurs et de tons, et c’est sur cette idée qu’il a composé sa musique. Elje a eu beaucoup de succès. Les chœurs sont dramatiques et d’un bel effet. Presque tous les morceaux sont en situation, d’un style simple, naturel et vrai ; c’est sur-tout la mélodie qui domine. On reconnoît un homme de goût, qui ne cherche point de vains ornemens, et ne s’écarte guères de ce principe invariable des beaux-arts : peindre la nature. On a remarqué entr’autres le duo entre Eliézer et Nephtalie, le trio du troisième acte, plein de grâce et d’expression, enfin plusieurs airs d’un style facile et élégant.
Mais quelques-uns de ces airs ont paru non seulement trop longs, mais d’une marche lente et d’une couleur indécise. D’autres ont semblé appartenir plutôt à l’opéra-comique qu’à la scène héroïque ; mais en y faisant plus d’attention, on reconnoîtra que le compositeur n’a suivi en cela que le genre de situations qu’il avoit à rendre, et que le poème étant d’une nature mixte, ce» différences ont dù nécessairement exister.
L’ouverture composée d’une manière riche et variée, n’a pas non plus un caractère assez décidé ; elle a été néanmoins vivement applaudie, ainsi que toute la pièce. Si l’on fait attention que le compositeur, M. Blangini, n’a que vingt-deux ans, qu’il est déjà parvenu à se faire une réputation distinguée et à mériter la place honorable de maître de chapelle du Roi de Bavière, on prendra l’idée la plus avantageuse de ses talens ; il a été unanimement demandé après la représentation, et amené sur la scène.
Les rôles de Nephtali, d’Eliézer et de Rachel ont été remplis avec succès par Roland, Lays et Mad. Branchu. Cette dernière a déployé beaucoup d’ame et de sensibilité dans plusieurs scènes pathétiques ; c’est une artiste d’autant plus recommandable, qu’elle unit deux mérites très-rares, la perfection du chant à celle d’un jeu naturel et animé.
M. Gardel a mêlé à cette production son goût élégant et pur. Les ballets qu’il a composés sont d’un effet plein de grâce et de variété ; il sait peindre avec un jugement exquis les mœurs, les goûts et les habitudes de chaque nation. On diroit qu’il a vécu chez tous les peuples et dans tous les tems. Le pas de Mad. Gardel et de St. Amand, celui de Mlle. Bigottini ont obtenu les plus nombreux applaudissemens. Cette représentation n’a point excité d’enthousiasme, mais une satisfaction générale et d’autant plus flatteuse pour les auteurs, que le jugement du public paroissoit plus réfléchi.
Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, année 806, tome III, p. 200-201 :
Théâtre de l'Opéra.
Nephtali, ou les Ammonites.
LE succès qu’ont obtenu les Oratorio en action, surtout celui de Saül, ont engagé les administrateurs de l’Opéra à en faire jouer un tous les ans à l'époque de la semaine sainte. Nephtali n’a pas trompé leur attente. C’est un poëme régulier assez intéressant.
Hareb, roi des Ammonites, fait enlever le jour même de leur mariage, Nephtali, fils du grand Prêtre des Juifs, et Rachel son épouse. Ils sont entraînés et condamnés à périr ou- à sacrifier au dieu Moloch. Ces courageux Israëlites préfèrent 1a mort à l'apostasie : leur supplice se prépare. Mais Eliezer, frère de Nephtali, s’est introduit déguisé auprès d’Hareb ; le roi donne dans le piège d’Eliezer, qui le livre à ses lévites, et arrache à la mort son frère et son épouse : les autels de Chamos et de Moloch sont renversés.
L'auteur de cet ouvrage a gardé l'anonyme ; celui de la musique est M. Blangini. Sa composition est douce et gracieuse ; mais on peut lui reprocher de manquer de force. Il a mieux réussi dans le sentiment et l'harmonie que dans les chœurs et les grands morceaux.
Les décorations et les ballets sont très-agréables.
L’Esprit des journaux français et étrangers, tome V, mai 1806, p. 271-279 :
[De manière inattendue, le compte rendu commence par des généralités sur le sort des nouveaux opéras. Puis on attaque la critique d’un opéra nouveau qui a réussi, malgré les craintes sur ses chances de rester à l’affiche. L’analyse du sujet, considéré comme simple, fait découvrir une histoire faussement biblique, qui ressemble à une histoire de pirates barbaresques. Israélites et Ammonites se battent, et les Israélites gagnent, après une longue opposition sur un fond religieux. Contrairement aux fameux Mystères d’Isis, l’intrigue est compréhensible, et d’un style « coulant, facile, léger de poésie ». La musique est pleine de grâce et de sentiment, plus proche de ce qu’aiment les « mélodistes » que de celle chère aux « Gluckistes ». Le critique prend position sur la question de savoir si tel air ne conviendrait pas mieux à un opéra comique qu’à un opéra : pour lui, l'opposition est artificielle, l’important étant la qualité des morceaux. De même, on ne peut souhaiter que le chanteur exprime des sentiments extrêmes dans son jeu : « il faut, ou renoncer à chanter , ou jouer arec modération ». La fin du compte rendu donne une large place à la prestation des chanteurs. L'œuvre est courte, ce qui est une qualité. Et le ballet de Gardel est porté aux nues. Son évocation tourne à la glorification du grand chorégraphe.]
ACADÉMIE IMPÉRIALE DE MUSIQUE.
Nephtali, ou les Ammonites.
Les opéra nouveaux réussissent bien rarement, et ne tombent presque jamais ; cela était encore plus vrai autrefois : un opéra coûtait si cher à monter, qu'il fallait bien que, bon ou mauvais, le public en essuyât les représentations. II est vrai que le public, comme je l'observais dernièrement, avait alors des ressources ; l'opéra n'était pas sur le théâtre, mais dans les loges : les beautés fameuses faisaient les frais du spectacle, et les spectateurs pouvaient toujours compter sur des actrices intéressantes. Aujourd'hui même, si un opéra ne plaît pas dans la nouveauté, il n'est pas perdu pour cela ; on le donne avec un ballet qui plaît, et qui lui sert de véhicule. Ces jours-là le public paie deux fois son plaisir ; à la porte, avec son argent ; et dans la salle, par l'ennui que lui cause la première moitié du spectacle.
Nephtali a réussi, et je crois d'une manière assez solide, pour que dans la suite il puisse se soutenir par lui-même, et marcher tout seul. On craignait pour l'ouvrage , parce que l’auteur est jeune, parce qu'il est étranger, et parce que sa musique est étrangère à l'opéra. Les deux premiers sujets d’allarmes devaient être plutôt des motifs de confiance : les jeunes gens obtiennent une grande faveur, et l'on a beaucoup de prévention pour les étrangers. Tous nos chefs-d'œuvres lyriques ont été composés par des étrangers ; ce sont des Italiens et des Allemands qui ont meublé notre Opéra. Quant à la musique de M. Blangini, il est vrai qu'elle ne fait pas autant de fracas que celle du pays, et que sous ce rapport elle a un air étranger qui surprend : mais en y réfléchissant on sentira que les acteurs et les auditeurs y gagnent.
Le sujet est simple et fondé sur la haine des Ammonites contre les Israélites leurs voisins. Le roi des Ammonites, comme un pirate de Tunis ou d'Alger, fait une descente sur les rivages des Israélites, et enlève deux jeunes amans, Nephtali et Rachel. On est d'abord tenté de croire que le ravisseur va devenir amoureux de la belle Rachel, et en faire sa proie; mais le roi Hareb est plus dévot que ne le sont la plupart des tyrans de l’opéra ; sa piraterie est une bonne œuvre, il n'a fait des captifs que pour les convertir et pour acquérir deux adorateurs de plus à son dieu Molock.
Les Israélites, fidèles à leur culte, témoignent pour Molock un grand mépris, et lui disent même quelques injures. Le roi Hareb, dans l'ardeur de son zèle religieux, condamne Nephtali et Rachel à être brûlés en l'honneur de Molock. Ce Molock est un très-vilain dieu, si l'on en juge par sa statue que l'on voit au troisième acte : il a une tête de veau, deux grands bras qu'il étend pour saisir ses victimes ; ses flancs sont une fournaise ardente. On lui sacrifiait sur tout des enfans ; et l'Ecriture-Sainte reproche souvent aux juifs eux-mêmes, d'avoir fait à Molock de pareils sacrifices, tant était grande la vogue de ce dieu des Ammonites !
Au moment où les deux Israélites vont être précipités dans le ventre embrasé de l'idole, Eliézer, frère de Nephtali, arrive déguisé en Ammonite ; il fait accroire au roi qu'il vient lui dénoncer une conjuration des Lévites pour la délivrance des deux captifs. Sous prétexte de lui découvrir la retraite des conjurés, il conduit Hareb dans une embuscade ; et le roi des Ammonites, tout habile pirate qu’il est, donne dans le panneau. Il s'établit alors deux combats : l'un sur un rocher, entre Eliézer et Hareb; l'autre dans la plaine, entre les Ammonites et les Lévites. La victoire se déclare pour Eliézer et les Lévites.
Florian avait composé sur ce sujet un petit poème doucereux et sentimental ; M. ** en a presque fait une tragédie sainte. L'ouvrage marche bien, l'intrigue en est claire; et l'on ne dira pas, comme des Mystères d'Isis et autres opéra, qu'on n'y entend rien. Le style est coulant, facile, léger de poésie, tel que la musique le demande.
La musique est tout dans un opéra : celle de M. Blangini a le mérite de la grace et du sentiment. Les Gluckistes la trouvent en plusieurs endroits un peu faible; les mélodistes doivent en être satisfaits. Des critiques prétendent que l'air ô ma douce amie, convient plus à l'opéra comique qu'à l'opéra sérieux. Je ne sais pas ce qui convient à l'opéra comique ; je sais que cet air convient parfaitement à la situation. Je voudrais bien entendre souvent à l'opéra sérieux des airs tels que ceux de Belinde dans l'opéra comique de la Colonie ; des airs, tels que ceux d'Azor dans l'opéra comique de Zémire et Azor ; je ne m'en plaindrais pas.
D'autres voudraient que le roi Hareb fût beaucoup plus féroce dans son chant ; moi je voudrais qu'il fût plus agréable, et qu'il chantât mieux. Quelques-uns trouvent les prêtres de Molock doux et fades ; ils voudraient que le temple retentît d'une .harmonie plus qu'infernale ; il leur semble que l'opéra déroge, et que la musique se compromet quand elle ne dégénère pas en sabat : ces gens-là confonent la vigueur avec le bruit.
Cela me rappelle la disgrace qu'éprouva, il y a quelques années, le Pluton de Paësiello dans son opéra de Proserpine. Les grands amateurs de l'Opéra français, accoutumés à une musique du diable, furent très-scandalisés de rencontrer un boudoir dans les Enfers, et d'entendre un chant mélodieux, au lieu de hurlemens diaboliques. Proserpine fut jugée indigne de l'Opéra.. Comment veut-on qu’on puisse pardonner à Blangini d'avoir fait chanter les prêtres de Molock dans leurs sacrifices, comme les élèves du Conservatoire dans leurs exercices ?
Sérieusement, cet opéra annonce dans le compositeur un goût délicat, une bonne école, d'excellens principes, et promet un grand maître quand l'âge et la réflexion auront mûri le talent : il y a quelques morceaux qui honoreraient même un artiste consommé, tel que l'air de Rachel, Votre cœur est-il inflexible, et le trio qui termine le second acte.
Roland, chargé du rôle de Nephtali. n'a pas un organe puissant, mais il prononce bien ; son jeu est aisé : on veut qu'il ait été froid ; mais l'action violente du corps dérange la voix, déconcerte la méthode ; il faut, ou renoncer à chanter , ou jouer arec modération. Les grands mouvemens tragiques qui même altèrent le son de la voix dans la déclamation parlée, ne permettent au chant que des cris : il n'est plus possible à l'acteur d'attaquer le son méthodiquement, quand il est lui-même attaqué d’une convulsion théâtrale. Est-ce lorsqu'il ne se possède plus, qu'on prétend qu'il soit maître de sa voix ? C'est une chose ridicule et inconcevable de faire chanter sur la scène des gens furieux et forcenés qui écument de rage, et dont tout le corps est dans la plus terrible agitation. On conçoit mieux un mourant qui chante, parce que du moins il est tranquille. L'orchestre peut exprimer la colère et les passions les plus violentes ; mais la mélodie n'a pas de moyen de rendre ce désordre des sens et de la raison, de même qu'elle ne peut exprimer le désordre de la nature et des élémens. Essayez de faire chanter sur la scène cette même tempête que l'orchestre décrit si bien, et vous verrez ce qui en résultera.
Madame Branchu a chanté avec une belle voix et beaucoup de goût son rôle de Rachel : elle a joué aussi bien qu'elle a chanté, et cette actrice ne laisse rien à désirer que le plaisir de l'entendre et de la voir plus souvent. Lays, représentant Eliézer, a développé à son aise cet organe heureux et ces sons enchanteurs dans lesquels il a l'air de se complaire : le musicien lui a donné à cet égard toute la latitude qu'il pouvait désirer ; mais les airs composés pour satisfaire le caprice d'un chanteur, ne peuvent avoir la variété, la mélodie, l'expression de ceux où le musicien ne consulte que le plaisir du public et la nature du sujet. Lays, resté fidèle à l'ancienne simplicité, qui s'accorde mieux avec ses moyens que le luxe moderne, mérite beaucoup d'éloges pour la constance et la pureté de son goût ; mais puisque la vertu même a ses abus, Lays doit prendre garde que la simplicité ne dégénère en langueur et en monotonie, et qu'on ne finisse par l'admirer en bâillant : c'est un genre admiratif, plus commun qu'on ne pense, quoiqu'il n'en soit pas meilleur. Lays ne ferait donc pas mal, pour réveiller les auditeurs et dégourdir sa voix, de commander au musicien des airs plus légers, plus brillans et plus vifs, dont l'exécution serait pour lui une nouvelle source de gloire.
Au mérite d'une composition agréable, cet ouvrage joint encore l'avantage précieux d'être court, et de ne point émousser ces sensations fugitives que produit le plaisir si vif de la musique : les ballets sont distribués avec la même économie, mais on n'en sent que mieux l'élégance et la grace que le compositeur y a répandus. Le seul pas de trois exécuté par Saint-Amand et mesdames Gardel et Bigotini, vaut un ballet tout entier : dans les arts, c'est toujours la qualité de la chose et non son étendue qu'on recherche.
M. Gardel ne s'est pas borné à donner dans cette occasion une nouvelle preuve de la supériorité de son talent : il a signalé encore d'une façon toute particulière son zèle et son attachement pour l'Opéra. Quoiqu'il ait éprouvé dans ces derniers temps quelques chagrins très-amers pour un homme qu'un long amas de succès et de gloire a dû rendre excessivement sensible aux moindres désagrémens, dès que l'intérêt de l'Opéra s'est fait entendre, il n'a plus écouté ses ressentimens personnels : tout entier au bien du théâtre, et ne calculant point ses devoirs, il ne s'est pas imaginé en avoir fait assez en composant des ballets pleins d'agrémens ; il a voulu soigner encore tous les détails de la représentation, et s'occuper de tous ces ornemens extérieurs qui pouvaient rendre l'action plus intéressante : on négligeait un peu dans les répétitions cet ouvrage d'un jeune étranger, dont la faveur soudaine excitait une secrette envie ; M. Gardel, uniquement sensible à la gloire du théâtre et à la dignité des arts , s'est livré tout entier aux soins qu'exigeait la mise en scène : il a indiqué les positions, il a choisi les costumes, et n'a rien oublié de ce qui pouvait donner quelqu'intérét à l'exécution théâtrale. Ce dévouement de M. Gardel, qui tient à son caractère, doit lui attirer plus d'estime et de considération personnelle que ne pourrait faire la composition du meilleur ballet.
L'anonymat de l'auteur du livret n'a pas résisté au temps : il s'agit d'Etienne Aignan.
Nephtali a été représenté 27 fois, de 1806 à 1809 : 16 fois en 1806, 9 fois en 1807, 1 fois en 1809, 1 fois en 1809.
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