Créer un site internet

Œdipe chez Admète

Œdipe chez Admète, tragédie en cinq actes, de Ducis, le 7 décembre 1778.

Salle des Machines.

Œdipe chez Admète, tragédie en cinq actes de Ducis, a été créé le 4 décembre 1778, d’après la base César, qui ne lui connaît sinon que trois représentations au Capitole de Toulouse en 1786 et 1788, et trois représentations au Théâtre français de la rue de Richelieu, les 7, 10 et 27 août 1792.

Mercure universel, tome 18, n° 528 du vendredi 10 août 1792, p. 159 :

[C'est principalement de l'interprétation que traite ce bref compte rendu. L'auteur est nommé, mais ce sont les interprètes qui sont mis en avant, d'abord les enfants d'Œdipe, Polynice et Antigone, joués par Talma et mademoiselle Simon, puis, de façon encore plus élogieuse, l'acteur qui joue Œdipe, pour lequel le critique n'a pas assez de mots et laisse la responsabilité du jugement au public. Peut-être que cela lui évite de parler de la pièce.]

Théâtre François de la rue de Richelieu.

On a donné mardi dernier la première représentation, pour ce théâtre, d'OEdipe chez Admete, tragédie de M. Ducis. M. Talma et mademoiselle Simon ont rendu avec beaucoup d'ame les rôles de Polinice et d’Antigone. Il nous reste maintenant à annoncer que M. Monvel a joué le rôle d'OEdipe. Incertains de savoir, s’il suffit de le nommer pour completter l’éloge, ou, s’il faut analyser en artiste toute la profondeur de son jeu, nous prenons le parti de laisser le public juge des beautés de détails, que développe ce grand acteur dans un rôle au moins aussi difficile que celui de Léar. Après la pièce, on a demandé OEdipe, qui a paru avec ses deux enfarts. 

Magasin encyclopédique, ou Journal des sciences, des lettres et des arts, 3e année, 1797, tome I, p. 111-113 :

POÉSIE.

Changemens faits par Ducis à sa Tragédie d'Œdipe chez Admète (1).

Plusieurs de mes amis, et les artistes les plus distingués du théâtre de la République, m'ayant vivement pressé de retrancher les personnages d'Admète et d'Alceste dans ma tragédie d'Œdipe chez Admète, pour n'y conserver que l'action d'Œdipe, j'ai cru devoir céder à leurs instances. J'ai substitué Thésée à Admète, en plaçant la scène à Colonne et à Athènes, et en donnant alors à ma tragédie, réduite en trois actes, le titre d'Œdipe à Colonne.

J'ai donc composé un nouveau premier acte, dans lequel j'ai cependant conservé quelque chose de l'ancien. Voulant d'abord, et dans ma première scène, frapper le spectateur de l'idée de la fatalité qui domine dans ce sujet, j'ai supposé que Thésée, époux d'Antiope et père d'Hippolyte encore au berceau, fatigué des soins du trône et préoccupé de la marche effrayante et mystérieuse du destin, tombé par degrés dans un sommeil pénible et accablant, se réveilloit soudain avec terreur, et confioit à l'amitié compatissante, dans le récit d'un songe, un des plus grands malheurs que le sort en effet lui réservoit dans l'avenir : je veux dira la mort de son fils Hippolyle, précipité de son char et traîné par ses chevaux à travers les rochers et les précipices. Je sentis, non sans crainte, que j'allois me rencontrer avec Racine dans un des plus beaux et des plus célèbres morceaux de la Poésie française. Je songeai aussitôt, sans parler d'autres précautions nécessaires, qu'il faudrait m'arranger sur-tout pour que, dans ce récit, Thésée ne connût rien du crime honteux dont Phèdre devoit accuser l'innocent Hippolyte. J'ai donc eu le courage, sans doute téméraire, de risquer la tentative ; mais quand mon, travail fut terminé, quand la chaleur de la composition cessa de me soutenir, je reconnus ma foiblesse et toute la grandeur du danger. Je pris aussitôt le parti de placer dans la bouche de Thésée un autre songe où le nom de Racine ne seroit plus devant moi, et qui d'ailleurs auroit le- mérite d'un rapport plus direct et plus frappant avec l'étonnante et. malheureuse destinée d'Œdipe. C'est ce second morceau que le public jugera, en entendant, non mon Œdipe chez Admète, maïs mon Œdipe à Colonne, que le théâtre de la République doit bientôt représenter.

J'étois donc bien résolu à garder dans mon porte-feuille le morceau de poésie où j avois tâché d'offrir en partie et de mon mieux des objets déja connus, si éclatans sous l'admirable pinceau de Racine. J'avois pris ce parti sans peine, justement épouvanté de la perfection de ce grand poëte ; mais un de mes collègues à l'Institut national, très-connu depuis long-temps par ses odes et son goût sévère (2), m'ayant assuré d'abord que je pourrois conserver ce morceau quand je ferais la collection de mes ouvrages, et m'ayant ensuite engagé à l'exposer d'avance au jugement du public dans quelque journal intéressant, principalement consacré à la littérature, c'est sur la foi de son conseil et de son amitié que je me décide à le faire paraître dans le Journal des Muses. Je souhaite qu'il réponde aux vues et au zèle de la Société des Genss de-Lettres qui ouvre cette nouvelle lice à notre émulation. Puisse-t-il au moins piquer la curiosité des lecteurs, assez justes sans doute pour croire que je sens plus que personne, et sans avoir besoin de le déclarer, à quelle distance je dois me ranger au-dessous de l'immortel auteur de Phèdre !                      Ducis.

Suit, p. 114-119, un long « fragment d'Œdipe à Colonne ».

Magasin encyclopédique, ou Journal des sciences, des lettres et des arts, 3e année, 1797, tome I, p. 557 :

Le citoyen Ducis a refait sa tragédie d'Œdipe chez Admète ; il en a séparé l’Alceste d'Euripjde qu'il y avoit amalgamé, et la pièce a repris son véritable nom d'Œdipe à Colonne. Elle a excité peu d'enthousiasme, ce qui tient à plusieurs causes ; au foible vintérêt que doit inspirer Thésée, qui n'est malheureux qu'en songe ; de sorte que tout l'ouvrage n'offre que deux scènes véritablement attachantes, l’arrivée d’Œdipe, et le pardon qu'il accorde à son fils coupable et repentant.

La cause existe encore dans le dépérissement des bonnes études ; les jeunes spectateurs, ceux qui avoient quatorze ans à l'époque de la révolution, et qui sont aujourd'hui dénués d'instruction, ne peuvent goûter que les beautés naturelles et de sentiment, mais sont insensibles à ce plaisir qu'éprouve un esprit cultivé en comparant les chef-d'œuvres de la scène grecque et de la scène française, en portant un jugement sûr et motivé qui satisfait l'amour-propre, et devient la source de l'intérêt qu'on trouve à entendre les différentes compositions littéraires. C'est ce défaut d'instruction qui fait déserter les spectacles et tous les lieux où l'esprit et le goût sont nécessaires. Nos jeunes gens courent en foule à Bagatelle, à Tivoli et chez les glaciers, dont ils sont plus en état d'apprécier les productions.

Geoffroy, Cours de littérature dramatique, tome III (Paris, 1819), p. 302-306 :

[C’est d’Œdipe chez Admète que s’occupe longuement Geoffroy, pour porter un jugement assez sévère sur la pièce de Ducis, sans aborder la question de sa transformation en Œdipe à Colone.]

ŒDIPE CHEZ ADMÈTE.

On rencontre des beautés dans la tragédie de M. Ducis ; deux ou trois situations sont d'un intérêt assez vif ; il y a quelques belles tirades, quelques beaux vers ; tout cela coûte un peu cher, il est vrai, et se mêle à beaucoup de langueur et d'ennui. Il y a deux pièces pour une, deux actions dans la pièce, et la pièce est sans action. Œdipe n'est jamais allé chez Admète : Admète et son époux Alceste n'ont jamais rien eu de commun dans l'ancienne mythologie avec Œdipe et sa famille.

Ducis avait déjà donné deux tragédies anglaises, Hamlet et Roméo et Juliette, lorsqu'il s'avisa de vouloir faire une tragédie française de deux tragédies grecques, l'Alceste et l'Œdipe à Colonne : de ces deux tragédies, il n'y en a qu'une dont il ait tiré un assez bon parti, c'est l'Œdipe à Colonne. L'Alceste n'est qu'un remplissage, et tout l'avantage qu'il en ait retiré, c'est le rôle froid d'Admète qui attend, pendant toute la pièce, que quelqu'un veuille bien mourir pour lui ; et le rôle inutile d'Alceste, qui se dévoue à la mort pour son mari, mais qui a soin de l'en avertir, afin qu'on s'oppose à ce beau projet : semblable à ces faux braves qui ne tirent l'épée que devant témoins, afin qu'on les sépare.

Polynice va chez Admète demander du secours contre son frère Etéocle ; refusé par Admète, il devrait sortir de sa cour, où il ne peut plus faire qu'une triste figure ; il reste cependant, parce que le poëte a besoin de lui : il ne pourrait pas faire sa tragédie si le fier Polynice ne savait pas supporter l'affront d'un refus. Dans cet entretien d'Admète avec Polynice, Admète fait part très-indiscrètement de ses chagrins domestiques à un étranger qu'il renvoie mécontent ; et Polynice, encore plus imprudent, fait confidence de ses crimes au roi dont il sollicite le secours : ces deux fautes de jugement sont nécessaires au poëte qui ne saurait autrement comment se retirer de son exposition, et cette exposition elle-même n'apprend rien. La pièce ne commence qu'au second acte ; c'est alors que l'oracle demande la vie d'Admète ; Alceste n'en sait rien, et croit son mari sauvé ; ignorance très peu vraisemblable, mais qui produit une scène intéressante entre le mari et la femme : l'une, dans l'ivresse de la joie, s'abandonne à des transports de tendresse ; l'autre, accablé de l'amour de sa femme, lui fait ses adieux qu'elle prend pour des remercîmens. On annonce dans le second acte l'arrivée d'Œdipe ; Alceste veut qu'on le renvoie, et Admète ne se presse pas de l'aller recevoir. Il ne se passe rien entre les deux actes ; Œdipe paraît au troisième, sans avoir vu le roi. Il fallait que le poëte amenât la scène où Œdipe est reconnu par les habitans qui veulent l'arracher du temple des Euménides. Il n'y a point de beauté dans la pièce qui ne coûte à l'auteur plusieurs fautes graves ; il a bâti sur de mauvais fondemens.

Œdipe, en arrivant, écrase Admète et Alceste. Ce pauvre mari ne manque pas de gens qui veulent mourir pour lui, sans parler de sa femme. Œdipe et Polynice se dévouent ; mais rien n'est plus froid que ses dévouemens ; et ce roi qui est là en attendant la vie ou la mort, est le plus pitoyable personnage qui jamais ait paru sur la scène ; on lui a donné, pour l'amuser, des récits à faire et des sentences à débiter : tout l'intérêt se concentre sur Œdipe et sur Polynice. Ce n'est pas qu'on se soucie beaucoup des remords d'un scélérat tel que Polynice ; mais les reproches de son vieux père, et le le pardon qui les suit, sont touchans pour nous, qui sommes toujours très-faibles au théâtre, et dupes d'une fausse sensibilité. Les Grecs, plus fidèles observateurs des caractères, étaient persuadés qu'il y a des crimes qu'un père ne doit pas pardonner. Chez Sophocle, Œdipe reste inflexible : cette opiniâtreté lui convient mieux ; le scélérat Polynice n'éprouve point, dans la tragédie grecque, de violens remords ; il n'obtient point de pardon, et se retire. Ses adieux à ses sœurs sont un morceau plus vrai, plus naturel, plus touchant, que tout le pathos de la pièce française.

J'ai remarqué un trait tout à fait comique dans la conversation d'Œdipe avec Admète : Œdipe veut se retirer dans la crainte d'apporter à son hôte le malheur qui le suit. Admète, qui s'attend à mourir, prie Œdipe de rester pour être le consolateur de sa femme et le précepteur de ses enfans : hélas ! un vieillard aveugle n'est guère propre à consoler une veuve ; et pour être précepteur d'enfans, il faut savoir autre chose que deviner des énigmes : c'est cependant là que se borne toute la science d'Œdipe.

Le pardon accordé par Œdipe à Polynice est d'autant moins convenable, qu'il semble que la clémence du père soit en contradiction avec la justice des dieux ; ils rejettent cette victime impure qui s'offre à la mort pour Admète. Polynice, comme un autre Caïn, est enragé de voir que le ciel repousse son offrande : cette offrande, il est vrai, est fort étrange, et le fils dénaturé qui a chassé son père, a mauvaise grâce de vouloir mourir pour un étranger. La conversion de Polynice était trop prompte pour être solide : ce fils d' Œdipe ressemble à ces libertins de l'ancien régime qui, après avoir fait bien des sottises, allaient s'ensevelir à la Trappe, mais n'y restaient pas long-temps.

Il y a dans le cinquième acte une faute que les écoliers même savent éviter aujourd'hui : le théâtre reste vide entre la troisième et la quatrième scène. La pièce se termine par la mort d'Œdipe qui s'est dévoué pour Alceste, et dont les dieux ont accepté le dévouement. L'intérieur du temple s'ouvre ; on entend les cris d'Alceste mourante : sans doute qu'elle meurt de peur. Mais d'où lui vient cette peur de mourir, puisqu'elle sait qu'elle a dans Œdipe un bon remplaçant ? Ce vieillard tient l'autel embrassé, et offre aux dieux le sacrifice de sa vie, lorsqu'un coup de tonnerre le renverse au pied de l'autel. M. Ducis a fort embelli plusieurs pièces anglaises ; il a gâté au contraire les deux pièces grecques auxquelles il a touché, en souillant par le galimatias, le phébus tragique et le charlatanisme théâtral, qui flattent le goût français, la vérité, le naturel et la simplicité qui composent le style grec. Les tragédies des Grecs nous paraîtraient aussi admirables que leurs statues, si nous étions d'aussi bons juges du moral que du physique, et si nous savions apprécier les caractères aussi bien que les formes. Telle qu'elle est, la tragédie d'Œdipe chez Admète eut du succès dans la nouveauté ; elle fut jouée pour la première fois le vendredi 4 décembre 1778, et remise au théâtre le 30 novembre 1780. Cette reprise me fut pas si bien accueillie ; on fut alors plus choqué des longueurs, des invraisemblances et des vices du plan, que touché des situations pathétiques qui se trouvent dans le troisième et le cinquième acte. (18 avril 1812.)

D’après la base César, Œdipe à Colonne a connu 14 représentations du 13 janvier au 19 septembre 1797 (dont 8 auraient lieu à ce que César appelle encore l’Académie royale de Musique..., les 6 autres ayant eu lieu au Théâtre Français de la rue de Richelieu).

(1) Cette lettre nous est fournie par le Journal des Muses, collection qui offre un heureux choix de pièces de poésie et de prose, et dont il paroît tous les mois un petit volume in-l8, imprimé avec un soin tout particulier sur de très-beau papier. I1 est à désirer que les gens-de-lettres distingués favorisent cette entreprise en lui confiant les morceaux épars qui resteroient dans leurs porte-feuilles. Il est à désirer que les nouveaux favoris de la fortune montrent enfin qu'ils étoient dignes de leurs richesses, et ne les consacrent pas uniquement aux stériles plaisirs de l'ostentation. Se procurer les bons ouvrages , c'est encourager les lettres, et donner une opinion favorable de la délicatesse de son esprit.

(2)M. Lebrun.

Ajouter un commentaire

Anti-spam